Radiographie de l'antisémitisme en France - Edition 2024
ÉDITION 2024Quelques-uns des grands enseignements
De l’édition 2024 de notre étude sur l’antisémitisme en France
Introduction
L’attentat du 7 octobre a révélé une société française menacée par l’antisémitisme
La méthodologie de l’enquête
Une logique barométrique
Une enquête miroir
La méthode d’échantillonnage retenue pour les minorités religieuses
L’indice de pénétration de l’antisémitisme
L’analyse
Depuis le 7 octobre, un phénomène sensible plus préoccupant aux yeux des français
Des analyses divergentes sur les causes de la montée de l’antisémitisme
Les préjugés antisémites ne progressent pas dans l’ensemble de notre société, mais ils se propagent fortement chez les français de confession musulmane
La jeunesse française est le segment de la population le plus perméable à l’antisémitisme, non seulement aux préjugés antisémites mais aussi à la violence antisémite
Les hommes sont plus perméables aux idées et aux préjugés antisémites que les femmes
Les français pro-russes sont plus favorables aux préjugés antisémites que le reste de la population
Un espace public pour les antisémites : YouTube et les réseaux sociaux
Le profil de ceux qui disent éprouver de l’antipathie à l’égard d’Israël est le même que ceux qui adhèrent aux préjugés antisémites
Depuis le 7 octobre, les français de confession juive sont encore plus exposés aux actes antisémites
Entre invisibilisation et résilience : le vécu douloureux des français de confession juive face à l’antisémitisme et à ses conséquences
Depuis le 7 octobre, l’antisémitisme préoccupe davantage les français
Un soutien réel à la lutte contre l’antisémitisme, mais qui n’est pas uniforme
Antisémitisme de préjugés et antisémitisme d’agression
Conclusion
Résumé
Notre enquête le montre, la société française dans son ensemble n’est pas antisémite. Les Français sont même particulièrement préoccupés par la montée de l’antisémitisme. Les trois quarts (76%) des personnes interrogées estiment que « l’antisémitisme est un problème qui concerne la société dans son ensemble » contre 9% qui y voient « un problème qui concerne uniquement les Juifs et ne concerne pas la société dans son ensemble ». Les Français réclament une politique plus ferme pour lutter contre l’antisémitisme, ils sont 80% à considérer que la justice ne condamne pas assez sévèrement les auteurs des actes antisémites.
Cependant, en dépit de ces données qui témoignent de l’attachement des Français aux valeurs fondamentales de la République, aujourd’hui, nous montrons également qu’une partie de la société française est gagnée par l’antisémitisme. C’est le cas notamment des jeunes en général et plus spécifiquement encore des jeunes Français de confession ou de culture musulmane. Cette évolution est souvent interprétée comme l’effet d’un contexte d’aggravation du conflit israélo-palestinien.
En réalité, l’antisémitisme est déjà présent, le conflit israélo-palestinien l’a mis en mouvement et a donné une justification au passage à l’acte.
C’est un antisémitisme culturel qui ignore l’histoire, ne veut pas la connaître ou la refuse, au point de partager des jugements outranciers et révisionnistes que l’on trouve à foison sur les réseaux sociaux : 40% des moins de 35 ans que nous avons interrogés répondent qu’Israël se comporte avec les Palestiniens comme les nazis se comportaient avec les Juifs, contre 32% de l’ensemble des Français et 31% des moins de 65 ans, mais ce chiffre atteint 67% chez les Français de confession musulmane et 65% chez les Français de confession musulmane de moins de 35 ans ; de même, 29% des jeunes interrogés pensent que “la création d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste”, contre 16% des Français et 12% des 65 ans ou plus.
Ce chiffre monte à 45% chez les Français de confession musulmane et à 46% chez les moins de 35 ans. Le corollaire de cette détestation d’Israël est une complaisance montante à l’égard du Hamas, l’organisation terroriste islamiste palestinienne. Si 2% des 65 ans et plus disent éprouver de la sympathie pour ce groupe terroriste, le niveau atteint 14% chez les moins de 35 ans. Ce chiffre monte à 22% chez les Français de confession musulmane et à 27% chez les moins de 35 ans.
Cette étude, est la quatrième édition d’un baromètre initié en 2014 par l’American Jewish Committee (AJC), Fondapol et l’Ifop. Cette édition s’inscrit dans le contexte d’une recrudescence d’actes antisémites depuis l’attaque du 7 octobre. L’enquête a été menée auprès de trois échantillons : un échantillon représentatif de l’ensemble des Français ; un échantillon de Français de confession musulmane et un échantillon de Français de confession juive. Les Français de confession juive ont fait l’objet d’une enquête de victimation sur leur expérience de l’antisémitisme, notamment depuis le 7 octobre.
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondapol
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Simone Rodan-Benzaquen,
Directrice AJC Europe
Anne-Sophie Sebban-Bécache,
Directrice AJC Paris
Sarah Perez-Pariente,
Directrice adjointe AJC Paris
François Legrand,
Directeur d'études IFOP
Radiographie de l’antisémitisme en France - édition 2019
Radiographie de l’antisémitisme en France - édition 2022
L’antisémitisme dans l’opinion publique française. Nouveaux éclairages
Mémoires à venir
France : Les juifs vus par les musulmans. Entre stéréotypes et méconnaissances
Violence antisémite en Europe 2005-2015
Fondapol :
Dominique Reynié, professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondapol
AJC :
Simone Rodan-Benzaquen, directrice AJC Europe
Anne-Sophie Sebban-Bécache, directrice AJC Paris
Fondapol :
Clément De Caro, Anne Flambert, Léo Major, Dominique Reynié
AJC :
Sarah Perez-Pariente, Anne-Sophie Sebban-Bécache
Julien Rémy
L’enquête a été réalisée par l’institut IFOP
Au sein du pôle Opinion et Stratégies d’entreprise
Frédéric Dabi, directeur général IFOP,
François Legrand, directeur d'études IFOP
Galaxy Imprimeurs
Octobre 2024
Quelques-uns des grands enseignements
De l’édition 2024 de notre étude sur l’antisémitisme en France
1. L’enquête confirme l’existence d’un sentiment de solitude ressenti chez les Français de confession juive à la suite des événements du 7 octobre et à leur impact en France. Ils sont 80% à exprimer un tel sentiment et plus de la moitié (53%) l’ont ressenti de manière prononcée.
2. De même, 86% des Juifs disent que « depuis l’attaque du 7 octobre en Israël », ils craignent d’être victimes d’un acte antisémite.
3. 25% des Français de confession juive rapportent avoir été victimes d’un acte antisémite et 12% l’avoir été « plusieurs fois ».
4. Nous observons une réaffirmation identitaire : 71% des Français de confession juive disent que l’attaque du 7 octobre 2023 a renforcé leur « identité juive ».
5. Les répondants qui se déclarent proches de LFI sont 29% à considérer que « la création d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste », contre 16% pour l’ensemble des Français.
6. Les trois quarts (76%) des Français estiment que l’antisémitisme est « répandu en France », soit 12 points de plus qu’en 2022.
7. Plus de la moitié (52%) des Français pensent que les Juifs sont « le groupe ethnique ou religieux le plus largement victime d’actes violents en France ». Différemment, 34% des 18-24 ans placent les musulmans devant les Juifs (27%) comme « le groupe ethnique ou religieux le plus largement victime d’actes violents en France ».
8. Les trois quarts (76%) des Français pensent que « l’antisémitisme est un problème qui concerne la société dans son ensemble » contre 9% qui répondent que « l’antisémitisme est un problème qui concerne uniquement les Juifs et ne concerne pas la société dans son ensemble ».
9. Plus du tiers (36%) des Français jugent que l’on ne parle pas assez du problème de l’antisémitisme, soit 10 points de plus qu’en 2022.
10. 40% des moins de 35 ans considèrent qu’Israël se comporte avec les Palestiniens comme les nazis se comportaient avec les Juifs, contre 32% de l’ensemble des Français. Ce chiffre atteint 67% chez les Français de confession musulmane et 65% chez les Français de confession musulmane de moins de 35 ans.
11. Parmi les moins de 35 ans, 29% des personnes interrogées jugent que “la création d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste”, contre 16% des Français et 12 % des 65 ans ou plus. Ce chiffre monte à 45% chez les Français de confession musulmane et à 46% chez les moins de 35 ans.
12. L’organisation terroriste Hamas suscite la sympathie de 6% des Français interrogés. Le niveau atteint 14% chez les moins de 35 ans, 22% chez les Français de confession musulmane et 27% chez les moins de 35 ans de confession musulmane.
13. Pour 6% des moins de 35 ans, la Shoah est une invention, contre 2% pour l’ensemble de la population et 0% des 65 ans et plus.
Introduction
L’attentat du 7 octobre a révélé une société française menacée par l’antisémitisme
« Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. », Frantz Fanon, Peau noire et masques blancs (1952), Éditions du Seuil, Paris, 2015.
Voir le livre collectif, publié sous la direction de Bruno Karsenti, La fin d’une illusion – Israël et l’Occident après le 7 octobre, Paris, PUF, 2024, composé de textes qui, pour la plupart, ont donné lieu à une première version dans la revue en ligne, remarquable à tous égards : K., les Juifs, l’Europe, le xxie siècle.
Dominique Reynié et Simone Rodan-Benzaquen (dir, L’antisémitisme dans l’opinion publique française. Nouveaux éclairages, Fondapol/AJC, novembre 2014. En octobre 2004, dans son rapport intitulé Chantier sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, Jean-Christophe Rufin notait une diminution du rôle de l’extrême droite dans la responsabilité des violences antisémites mais une augmentation de l’antisémitisme porté par une frange de la jeunesse issue de l’immigration. On a parlé alors d’un « nouvel antisémitisme ». Dix ans plus tard, en 2014, nous avions montré la réalité du retour de l’antisémitisme en France, le déclin de l’antisémitisme d’extrême droite, la poussée d’un antisémitisme musulman et dans une partie de la gauche, le rôle pernicieux des technologies numériques, non seulement des réseaux sociaux mais également des forums de jeux vidéo. Notre étude (aussitôt mise en doute, avec l’once d’arrogance habituelle, y compris dans une partie du milieu des sciences sociales) concluait que la poussée de l’antisémitisme ne pouvait plus être contestée de bonne foi. Nos études ultérieures et surtout la réalité elle-même ont confirmé cette redoutable tendance.
Par Dominique Reynié, Professeur des universités à Sciences Po, directeur général de la Fondapol.
Sous l’effet de l’effondrement du nazisme, de la découverte de la Shoah et du choc du premier procès de Nuremberg, l’expression de l’antisémitisme a été à tout le moins refoulée. Le procès de Nuremberg est un événement historique de portée politique et morale.
Le clivage historique opéré par le procès de Nuremberg
Le procès a tracé une ligne de partage séparant deux époques. La première époque, sans âge, est celle au cours de laquelle les États pouvaient massacrer et persécuter des populations sans imaginer devoir en répondre devant un tribunal. La deuxième époque, ouverte par le procès de Nuremberg, est celle où, le risque pénal, sans être garanti, devient réel. Cette époque installe peu à peu dans l’esprit public mondial un jugement universel de réprobation à l’égard des responsables de persécutions et de massacres des populations civiles. Au moins formellement, la persécution politique devient un sujet de dénonciation du pouvoir d’État. Pour les générations nées dans cette nouvelle époque, l’antisémitisme est devenu la figure de cet usage inacceptable de la puissance d’État. Compte tenu du rôle de la Shoah dans l’émergence de cette conscience mondiale, l’antisémitisme est la forme de haine qui alimente les préjugés et les comportements les plus destructeurs ; c’est pourquoi il est devenu vital d’en surveiller les risques de propagation avec une attention soutenue, car le retour de l’antisémitisme annonce la libération des violences les plus extrêmes. C’est l’avertissement lancé par Frantz Fanon, si souvent cité mais dont le sens reste finalement peu médité1.
Le procès de Nuremberg a déclenché un immense progrès de l’esprit public et un effort collectif considérable. On le doit à l’école, à ses programmes et à ses enseignants, on le doit aux partis politiques, aux fondations, et notamment en France, à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah ; on le doit aussi au monde de la télévision, de la radio, du cinéma, de l’édition, à la recherche en sciences sociales, aux historiens en particulier. L’effort de mémoire et de réflexion s’est poursuivi dans le temps sans fléchir. Et ni l’école ni les enseignants n’ont cessé de diffuser la connaissance de l’histoire et de sensibiliser à l’importance vitale d’un tel enjeu. Nous devons comprendre que, depuis le 7 octobre 2023, les acquis de cette époque antérieure sont menacés2.
Le 7 octobre est aussi un attentat contre le procès de Nuremberg
La nouvelle édition de notre radiographie de l’antisémitisme le confirme, et montre tout particulièrement que, en France, les générations montantes redeviennent plus perméables aux préjugés antisémites, plus disposées qu’auparavant à tolérer les insultes, les dégradations et même les agressions antisémites. Parmi les nombreuses causes de ce phénomène, causes qu’il reste à identifier, il y a la globalisation et notamment les effets sur notre espace public de la numérisation de toute la représentation de la réalité vécue sur des plateformes où prospère la propagande antisémite ; et d’autant plus que nous prenons en compte les effets du développement démographique de générations marquées par une culture où la religion musulmane occupe une part croissante.
Nous avions montré l’émergence de cette dimension dans la première édition de notre radiographie, il y a dix ans3. Nous écrivions alors, à propos de la France et à partir des données recueillies : « l’ensemble fait apparaître une société où les opinions antisémites atteignent une haute intensité dans des univers relativement limités mais dont l’expansion est une hypothèse raisonnable ». Nous avons confirmé cette tendance dans nos travaux ultérieurs, et nous la confirmons tout particulièrement dans cette nouvelle étude.
C’est dans ce nouveau contexte socio-historique qu’il faut chercher à comprendre la portée du 7 octobre 2023, le premier massacre antisémite au cœur d’Israël. C’est une épreuve de la solidité de l’acquis mémoriel. Or, la réponse est le déchaînement d’un antisémitisme consécutif à ce pogrom, visible à travers le monde, comme en France. Dans nos sociétés démocratiques, éduquées et informées, on a vu l’insensibilité de certains segments sociologiques et politiques au sort des victimes du 7 octobre, aux conditions atroces dans lesquelles elles ont été assassinées, aux viols qu’ont subis les femmes, aux actes de torture, aux exécutions d’enfants et de vieillards, aux enlèvements, à la destruction de familles entières, autant de scènes nous ramenant indiscutablement au degré atteint par la violence nazie et donc à ses ressorts, une violence dont nous nous appliquions à garder la mémoire pour que jamais elle ne revienne. Tragiquement, les derniers survivants de la Shoah, au seuil de leur vie de survivant, sont à nouveau les témoins d’un retour de l’antisémitisme qu’ils ont tout fait pour rendre impossible.
Sans réaction des pouvoirs publics, la société française sera gagnée par l’antisémitisme
Notre enquête le montre, la société française dans son ensemble n’est pas antisémite. Les Français sont même particulièrement préoccupés par la montée de l’antisémitisme. Il est important de noter que les trois quarts (76 %) des personnes interrogées estiment que « l’antisémitisme est un problème qui concerne la société dans son ensemble » contre 9 % qui y voient « un problème qui concerne uniquement les Juifs et ne concerne pas la société dans son ensemble ». Les Français réclament une politique plus ferme pour lutter contre l’antisémitisme, ils sont 80 % à considérer que la justice ne condamne pas assez sévèrement les auteurs des actes antisémites.
Cependant, en dépit de ces données qui témoignent de l’attachement des Français aux valeurs fondamentales de la République, aujourd’hui, nous montrons également qu’une partie de la société française est gagnée par l’antisémitisme. C’est le cas notamment des jeunes en général et plus spécifiquement encore des jeunes Français de confession ou de culture musulmane. Cette évolution est souvent interprétée comme l’effet d’un contexte d’aggravation du conflit israélo-palestinien. Mais le scepticisme s’impose si l’on veut observer qu’Israël est le seul pays au monde à susciter la stigmatisation, l’agression et même l’assassinat de Français de confession ou de culture juive.
En réalité, l’antisémitisme est déjà présent. Il est culturellement ancré dans une partie de la société française, et singulièrement parmi les jeunes de confession ou de culture musulmane. C’est un antisémitisme « déjà là » que le conflit israélo-palestinien met en mouvement, et qui estime trouver dans la politique israélienne la justification d’un passage à l’acte. C’est un antisémitisme culturel qui ignore l’histoire, ne veut pas la connaître ou la refuse, au point de partager des jugements outranciers et révisionnistes que l’on trouve à foison sur les réseaux sociaux : 40 % des moins de 35 ans que nous avons interrogés répondent qu’Israël se comporte avec les Palestiniens comme les nazis se comportaient avec les Juifs, contre 32% de l’ensemble des Français et 31 % des moins de 65 ans, mais ce chiffre atteint 67 % chez les Français de confession musulmane et 65 % chez les Français de confession musulmane de moins de 35 ans ; de même, 29 % des jeunes interrogés pensent que “la création d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste”, contre 16 % des Français et 12 % des 65 ans ou plus. Ce chiffre monte à 45 % chez les Français de confession musulmane et à 46% chez les moins de 35 ans. Le corollaire de cette détestation d’Israël est une complaisance montante à l’égard du Hamas, l’organisation terroriste islamiste palestinienne. Si 2% des 65 ans et plus disent éprouver de la sympathie pour ce groupe terroriste, le niveau atteint 14% chez les moins de 35 ans. Ce chiffre monte à 22% chez les Français de confession musulmane et à 27% chez les moins de 35 ans.
C’est par sa jeunesse, et d’autant plus nettement qu’elle est de confession ou de culture musulmane, que la société française sera rapidement gagnée par l’antisémitisme. S’il n’est pas opéré un changement rapide par un plan d’action massif et immédiat, associant éducation, information, prévention et sanctions, et surtout en mobilisant tous les partis et tous les syndicats ainsi que les universités et le monde des entreprises et des associations, en faisant jouer, chaque fois que ce sera possible, le levier du soutien des pouvoirs publics, réglementaires et financiers, nous prenons le risque de voir avant la fin du siècle une France dominée par les préjugés antisémites, et comme jamais, peut-être, elle ne l’a été depuis l’émancipation des Juifs sous la Révolution française.
La méthodologie de l’enquête
Une logique barométrique
L’étude Radiographie de l’antisémitisme en France, édition 2024, s’inscrit dans la continuité des travaux entrepris par l’American Jewish Committee (AJC) et la Fondapol, avec l’Ifop depuis 2014. La plupart des questions administrées en 2022 lors de la dernière édition ont été reconduites à l’identique, et ce afin d’identifier d’éventuelles évolutions dans les comportements et les opinions exprimés.
Une enquête miroir
Le biais de désirabilité sociale désigne la tendance qu’ont les répondants à sous-déclarer certaines opinions jugées contraires à la morale dominante.
Nous avons fait le choix d’administrer à l’identique un certain nombre de questions sur la base d’un échantillon témoin de 2003 personnes (représentatif de la population française dans son ensemble) et d’un échantillon représentatif des personnes de confession ou de culture musulmane vivant en France (527 personnes). Les répondants de confession ou de culture juive (échantillon de 500 personnes) ont été interrogés au sujet de leur exposition à l’antisémitisme. En miroir, nous avons administré aux deux autres échantillons des questions portant sur l’observation d’actes antisémites. Les questions portant sur les préjugés à l’égard des Juifs, la perception d’Israël ou encore de la Shoah ont été posées aux échantillons représentatifs de la population française et des musulmans vivant en France. Afin de garantir la comparabilité entre les trois échantillons, nous avons veillé à ce que les enquêtes présentent les mêmes caractéristiques en termes de temporalité – elles ont été administrées en février et mars 2024 –, d’indicateurs – les questions ont été administrées à l’identique – et selon le même mode de recueil – par Internet. Au regard du caractère sensible des thématiques abordées, la réalisation d’enquêtes « auto-administrées » en ligne nous a semblé tout à fait opportune pour les Français de confession juive afin d’atténuer un éventuel biais de désirabilité sociale1.
La méthode d’échantillonnage retenue pour les minorités religieuses
Répondants de confession ou de culture juive :
En raison de l’interdit qui frappe la collecte de données « religieuses » en métropole (le dernier recensement officiel de la religion remonte à 1872), la statistique publique (Insee, Ined) ne fournit pas la structure sociodémographique des personnes de confession juive. Dans ce cadre, l’Ifop a fait le choix d’isoler un sous-échantillon de 500 Français se déclarant de confession ou de culture juive du cumul d’échantillons nationaux représentatifs correspondant à un total de 33.200 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon cumulé a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération.
Répondants de confession ou de culture musulmane :
En raison de l’absence de données statistiques officielles permettant d’établir des variables de quotas et/ou de redressement pour les personnes de religion musulmane, l’Ifop a déterminé ces quotas à partir de l’étude Ifop-Institut Montaigne réalisée par téléphone du 13 avril au 23 mai 2016 auprès d’un échantillon national représentatif de 15.459 personnes âgées de 15 ans et plus résidant en métropole. La représentativité de cet échantillon national de 15.459 personnes avait été assurée par la méthode des quotas au regard de critères sociodémographiques (genre, âge), socioprofessionnels (profession), géographiques (région administrative, taille d’unité urbaine, proportion d’immigrés dans la commune ou du quartier de résidence) et civiques (nationalité).
L’indice de pénétration de l’antisémitisme
Afin d’évaluer la présence de l’antisémitisme dans les différentes catégories socioprofessionnelles de la population française, la Fondapol a créé un « indice de pénétration de l’antisémitisme ». Cet indice repose sur la sélection de 24 items parmi l’ensemble des items des 22 questions de l’enquête. Le calcul de cet indice permet de retenir les réponses exprimant indubitablement des opinions antisémites (voir la liste des items sélectionnés ci-après).
Pour chacun des items sélectionnés, nous retenons le % des réponses positives de chacune des catégories socioprofessionnelles, comme l’âge, le sexe, la religion, le niveau de diplôme, l’orientation politique, etc., par exemple, 2% des personnes interrogées âgées de plus de 65 ans expriment leur sympathie pour le Hamas, 14% des moins de 35 ans, 7% des hommes, etc. Ou encore, autre exemple, 6% des Français expriment « plutôt de l’antipathie à l’égard des Juifs », contre 12% des moins de 35 ans, 3% des 65 ans et plus, 8% des hommes, 13% des répondants qui se disent proches de LFI, etc.
Sur la base des réponses enregistrées à chacun des 24 items sélectionnés, nous pouvons ensuite calculer une moyenne qui définit le niveau d’antisémitisme pour chacune des catégories socioprofessionnelles ce qui permet d’indiquer dans quels segments de la population l’antisémitisme est le plus répandu.
Items utilisés pour l’indice de pénétration de l’antisémitisme
L’analyse
Depuis le 7 octobre, un phénomène sensible plus préoccupant aux yeux des français
Le 7 octobre marque un changement d’échelle, sans commune mesure, dans la violence et les discours de haine envers la communauté juive de France. Cette inquiétante escalade ne préoccupe pas seulement les Français de confession juive mais les Français dans leur ensemble. Dans le contexte actuel, l’antisémitisme est perçu non seulement comme un problème persistant mais aussi comme une menace croissante. Ainsi, 76% des Français estiment que l’antisémitisme est répandu en France, soit une hausse de 12 points par rapport à 2022. Ce constat, déjà partagé par 85% des Français de confession juive lors de l’enquête précédente, est désormais reconnu par 92% d’entre eux (+ 7 points).
Selon-vous, l’antisémitisme est-t-il aujourd’hui en France, un phénomène… ?
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Cette prise de conscience par une large majorité de Français contraste avec le sentiment de solitude
éprouvé par 4 Juifs sur 5 en raison de la réaction de la société française face aux événements du 7 octobre.
Avez-vous ressenti un sentiment de solitude en tant que Français juif en raison de la réaction ou du manque de réaction de la société française face aux évènements du 7 octobre et à leurs répercussions en France ?
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Ces résultats se situent dans un contexte de forte augmentation des actes antisémites, accompagnée d’une médiatisation importante et d’une mobilisation politique réelle autour de ce sujet. L’analyse des mentions sur les réseaux sociaux montre que les termes « antisémite » et « antisémitisme » ont été cités 1.030.438 fois en 2023, soit une moyenne de 2.823 fois par jour. Ces mentions se sont concentrées après le 7 octobre, sur une période de moins de trois mois, (53%) avec un pic lors de l’organisation de la marche contre l’antisémitisme.
Évolution du volume de mentions en lien avec l’antisémitisme et/ou l’antisionisme
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Dans le cadre de cette étude, nous avons demandé aux Français d’indiquer selon eux quel groupe ethnique ou religieux était le plus largement victime d’actes violents en France. 52% des personnes interrogées indiquent qu’il s’agit des Juifs, devant les musulmans (19%), les catholiques (15%), les Noirs (10%) et les Roms (4%). L’analyse des résultats en fonction de l’âge du répondant met en lumière un effet générationnel majeur. Si 76% des plus de 75 ans citent les Juifs, cette proportion n’est plus que de 27% chez les moins de 25 ans et la baisse est linéaire avec l’âge.
Selon-vous quel est le groupe ethnique ou religieux qui est le plus largement victime d’actes violents en France ?
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Selon-vous quel est le groupe ethnique ou religieux qui est le plus largement victime d’actes violents en France ?
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Des analyses divergentes sur les causes de la montée de l’antisémitisme
Quand on demande aux Français les raisons de la montée de l’antisémitisme, les différents groupes soulignent des causes différentes. En effet, si les trois groupes, ensemble des Français (57%), Français de confession juive (73%), Français de confession musulmane (57%) mettent en avant « le rejet, la haine d’Israël » comme cause de l’antisémitisme, ils divergent sur les autres moteurs. Les « idées islamistes » sont mises en avant par les Français de confession juive (56%) et par l’ensemble des Français (45%) alors que seule une minorité des Français de confession musulmane (17%) mettent en avant cette cause. Les Français de confession juive soulignent à 42% l’importance des « idées d’extrême gauche » dans le développement de l’antisémitisme, alors que seuls 14% des Français de confession musulmane et 16% des Français en font une cause de l’antisémitisme. Quant à La France insoumise, 92% des Français de confession juive pensent qu’elle contribue à la montée de l’antisémitisme contre 53% dans l’ensemble de la population. Par ailleurs, l’ensemble des Français ainsi que les Français de confession musulmane mettent l’accent sur le complotisme (respectivement 35% et 44%) et les idées d’extrême droite (33% et 47%), contrairement aux Français de confession juive. Ils sont 16% à considérer que le complotisme est une cause de l’antisémitisme et 10% pour les idées d’extrême droite.
Selon-vous, quelles sont les principales causes de l’antisémitisme ?
Le proximité partisane influence également la perception des moteurs de l’antisémitisme. Les Français proches du Rassemblement national sont 49% à penser que les idées islamistes alimentent l’antisémitisme contre 9% des Français proches de la France insoumise. Ces derniers évoquent plutôt les idées d’extrême droite à 40% contre seulement 3% chez les Français proches du Rassemblement national.
Selon-vous, quelles sont les principales causes de l’antisémitisme ?
Ainsi, l’analyse des causes de l’antisémitisme varie grandement en fonction de la religion et de la proximité partisane. Les Français de confession juive font le constat de l’influence grandissante des idées islamistes et des idées d’extrême gauche dans l’explication de l’antisémitisme. Constat partagé par les Français proches du Rassemblement national, qui soulignent également l’importance des idées islamistes. En revanche, les Français de confession musulmane et l’ensemble des Français dressent une analyse plus classique des racines de l’antisémitisme, en mettant en exergue l’importance des idées d’extrême droite et du complotisme.
Les préjugés antisémites ne progressent pas dans l’ensemble de notre société, mais ils se propagent fortement chez les français de confession musulmane
Dans notre précédente radiographie de l’antisémitisme, publiée en janvier 2022, nous constations qu’une proportion significative des Français adhéraient à des préjugés antisémites : « entre un quart et un tiers selon le type de préjugé ». Deux ans plus tard, notre nouvelle enquête enregistre une stagnation des préjugés antisémites dans l’opinion. Compte tenu du contexte au Proche-Orient, ces résultats ne sont que partiellement une bonne nouvelle. En effet, la stagnation implique un ancrage des préjugés antisémites au sein d’une partie de la population.
Ainsi, 31% des répondants pensent que « les Juifs sont plus riches que la moyenne des Français » (30% en 2022), 69% estiment que « les Juifs sont très unis entre eux » (72% en 2022) et une personne interrogée sur quatre (25%) considère que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » (26% en 2022).
L’attaque du 7 octobre et l’intensification du conflit israélo-palestinien ont montré la permanence de vieilles antiennes antisémites. Il en va ainsi de l’accusation dite de la « double allégeance » : 26% des interviewés partagent l’affirmation selon laquelle les Français de confession juive sont plus loyaux envers Israël qu’envers la France.
Le point saillant de notre nouvelle enquête confirme ce que nous avons documenté pour la première fois en 2014 : l’adhésion aux préjugés antisémites est particulièrement répandue chez les Français de confession musulmane : 24% des Français âgés de 18 ans et plus jugent que “les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine des médias”, tandis que ce préjugé est partagé par 59% des Français de confession musulmane.
Surtout, notre enquête révèle une progression inquiétante de ces préjugés au sein de la population de confession ou de culture musulmane. En janvier 2022, les répondants étaient déjà 40% à penser que les Juifs utilisent dans leur propre intérêt la mémoire de la Shoah, ils sont 56% aujourd’hui (contre 27% dans la population générale).
Un antisémitisme particulièrement répandu chez les Français de confession musulmane
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Évolution de l’adhésion des Français de confession musulmane à des affirmations antisémites, depuis janvier 2022
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Le degré de religiosité et l’intensité des pratiques ont un effet déterminant dans le partage et la diffusion des préjugés antisémites. Plus de la moitié (53%) des Français de confession musulmane qui suivent un cours de religion dans une école coranique répondent que la Shoah a été instrumentalisée par les Juifs pour justifier la création de l’État d’Israël, contre 38% chez ceux qui n’ont pas suivi de tels cours. De la même manière, 50% des pratiquants « réguliers » disent qu’ils ont entendu dire du mal des Juifs dans leur entourage ; ce pourcentage, qui reste très élevé, est de 39% chez les pratiquants « occasionnels », et de 15% chez les non-pratiquants.
L’adhésion à des idées, sentiments et préjugés antisémites chez les Français de confession musulmane, selon le suivi de cours de religion dans une école coranique
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
L’adhésion à des idées, sentiments et préjugés antisémites chez les Français de confession musulmane, selon la fréquence de la pratique religieuse
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Enfin, il existe un lien entre l’expérience ou le sentiment d’une discrimination et de préjugés antisémites. On voit ainsi que 80% des Français de confession musulmane qui s’estiment “très souvent” discriminés pensent que la commémoration de la Shoah empêche la prise en considération d’autres drames de l’histoire tels que la traite négrière, le génocide au Rwanda ou la guerre d’Algérie. Chez ceux qui disent ne « jamais » subir de discrimination, ce pourcentage est presque divisé par deux (43%), même si, une fois encore, une telle proportion demeure considérable.
L’adhésion à diverses idées et affirmations antisémites chez les Français de confession musulmane, selon le sentiment de discrimination
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Indice de pénétration de l’antisémitisme : 10 premières catégories
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
La jeunesse française est le segment de la population le plus perméable à l’antisémitisme, non seulement aux préjugés antisémites mais aussi à la violence antisémite
Notre enquête met en lumière un fait majeur : en France, les jeunes sont plus enclins à partager des préjugés antisémites que le reste de la population. Plusieurs éléments nous permettent de le documenter.
D’abord, les résultats montrent que la jeunesse française baigne dans un environnement où l’antisémitisme est plus présent ou plus souvent exprimé. Par exemple, les jeunes sont davantage confrontés à des propos antisémites proférés par des personnes de leur entourage. Ainsi, 31% des moins de 35 ans affirment avoir observé au cours de leur vie « une agression verbale proférée à l’encontre d’une personne de confession ou de culture juive en raison de son identité ou de sa religion », contre 20% de l’ensemble des Français et 15% des 65 ans et plus. On remarque un écart à peu près équivalent sur la question des « agressions physiques » : 23% des moins de 35 ans disent y avoir été confrontés au moins une fois dans leur vie, contre 11% des Français et 3% des 65 ans ou plus.
Il faut craindre que le fait de rencontrer plus souvent des actes antisémites, d’entendre et de lire plus souvent des propos antisémites conduit une partie des nouvelles générations à une forme d’accoutumance, voire d’acceptation. Cette baisse se fait au profit des musulmans (29%) qui sont perçus comme plus victimes d’actes violents que les Juifs. Chez les 18-24 ans, ce sont même les musulmans (34%) qui sont plus cités que les Juifs.
Les jeunes de moins de 35 ans se montrent également plus optimistes que la moyenne en ce qui concerne l’évolution de l’antisémitisme depuis une dizaine d’années : ils sont 41% à penser que l’antisémitisme a régressé sur la période contre 22% dans l’ensemble de la population et 9% des 65 ans et plus. Or, la réalité nous assure du contraire ; l’antisémitisme est en expansion, comme le confirme notre enquête.
Adhésions à des idées, sentiments et préjugés antisémites en fonction de la tranche d’âge
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Cette évolution de l’opinion donne à voir une jeunesse plus disposée à l’antisémitisme. Comme le montre notre indice de pénétration de l’antisémitisme, c’est parmi les moins de 35 ans que l’antisémitisme est le plus imprégné avec un indice de pénétration de 23,3% contre 15,1% chez les 35-54 ans et 16,5% chez les 65 ans et plus.
Indice de pénétration de l’antisémitisme : par tranche d’âge
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Alors que 5% seulement des 65 ans et plus jugent qu’il est “acceptable” ou “pas acceptable mais compréhensible” de faire une blague sur la shoah et les camps d’extermination, plus d’un tiers (36%) des moins de 35 ans ne voient pas de problèmes avec ce genre de plaisanteries. Aussi, un quart (23%) des moins de 35 ans jugent “acceptable” ou “pas acceptable mais compréhensible” le fait de taguer une synagogue ou un commerce supposé juif afin de manifester son opposition à Israël, contre 9% de l’ensemble des Français et 2% des 65 ans ou plus. Plus inquiétant encore, près d’un jeune sur vingt, soit 6% des moins de 35 ans, pensent que la Shoah est « une invention, tout cela n’a jamais existé ».
La prégnance de l’antisémitisme chez les jeunes d’aujourd’hui est régulièrement interprétée comme une conséquence de l’aggravation du conflit israélo-palestinien. Mais la poussée de l’antisémitisme chez les jeunes en général et chez les jeunes Français de confession ou de culture musulmane en particulier est enregistrée depuis une trentaine d’années. De plus, nous voyons bien qu’Israël est le seul pays au monde à susciter une opposition aussi radicale, au point de conduire à la stigmatisation, à l’agression, et même à l’assassinat de Français de confession ou de culture juive. En réalité, l’antisémitisme est déjà présent, culturellement ancré dans une partie de la société française, plus encore au sein des nouvelles générations et plus encore parmi les jeunes de confession ou de culture musulmane ; c’est un antisémitisme « déjà là » que le conflit israélo-palestinien active ; c’est un antisémitisme de préjugés installé, et non importé, qui estime trouver dans la politique israélienne la justification d’un antisémitisme d’agression. C’est un antisémitisme culturel qui ignore l’histoire, ne veut pas la connaître ou la refuse au point de partager des jugements outranciers et révisionnistes que l’on trouve à foison sur les réseaux sociaux : 40% des moins de 35 ans veulent croire qu’Israël se comporte avec les Palestiniens comme les nazis se comportaient avec les Juifs (32% de l’ensemble des Français, 31% des moins de 65 ans) ; de même, 29% des jeunes interrogés pensent que “la création d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste”, contre 16% des Français et 12% des 65 ans ou plus. Le corollaire de cette détestation d’Israël est une complaisance montante à l’égard du Hamas, l’organisation terroriste islamiste palestinienne. Si 2% des 65 ans et plus disent éprouver de la sympathie pour ce groupe terroriste, le niveau atteint 14% chez les moins de 35 ans.
Vous personnellement, éprouvez-vous de la sympathie, de l’antipathie ou ni sympathie ni antipathie pour… ?
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Les moins de 35 ans adhèrent davantage que d’autres classes d’âges aux préjugés concernant les Juifs
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Cette haine d’Israël est particulièrement saillante chez les jeunes Français de confession musulmane. Comme le montre le graphique ci-dessus, ils sont plus nombreux que leurs concitoyens non-musulmans du même âge à adhérer à des idées hostiles à Israël et antisémites.
Par exemple, si 21% des Français de 18 à 35 ans éprouvent « de l’antipathie » à l’égard d’Israël, ce chiffre monte à 49% pour les Français de confession musulmane ; ils sont plus susceptibles de penser que « la création d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste » (46%, contre 29% pour l’échantillon de l’ensemble des Français de moins de 35 ans), ou encore qu’« Israël se comporte avec les Palestiniens comme les nazis se comportaient avec les Juifs » (65% contre 40%). Ce ressentiment à l’égard d’Israël et cette méconnaissance historique favorisent l’expression de l’antisémitisme.
Ainsi, 26% des 18-35 ans de confession musulmane déclarent éprouver « plutôt de l’antipathie » à l’égard des Juifs, contre 12% pour l’ensemble des 18-35 ans de cet âge. À nouveau, le graphique ci-dessus montre avec beaucoup de clarté la force et la spécificité de la prégnance des idées antisémites dans la jeunesse française de confession musulmane. L’ensemble des affirmations antisémites emportent l’adhésion d’un jeune musulman sur deux ; plus de la moitié (53%) jugent que « les juifs sont plus riches que la moyenne des Français » (contre 34% pour les jeunes Français dans leur ensemble) ; ils sont 53% à considérer que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine des médias » (contre une moyenne de 28%), et 52% à être d’accord avec l’idée selon laquelle « les Juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale » (contre 30%).
Les jeunes musulmans étant, pour des raisons culturelles et identitaires, très investis dans le conflit israélo-palestinien, on remarque que leur antisémitisme se confond souvent avec une haine virulente d’Israël. Ainsi, ils adhèrent sensiblement moins que les non-musulmans de leur âge à certains des préjugés constitutifs d’un antisémitisme plus européen, traditionnel et historique.
Si un jeune Français de moins de 35 ans sur deux (52%) estime qu’il est acceptable de « faire une blague à un Français juif en lui disant qu’il est radin », les Français de 18-35 ans de confession musulmane sont 31% à penser que cela est acceptable. De la même manière, ils ne sont que 15% à juger acceptable de « faire une blague sur la Shoah, les camps d’extermination », contre 36% des jeunes Français.
Les hommes sont plus perméables aux idées et aux préjugés antisémites que les femmes
On enregistre une différence significative entre les hommes et les femmes, et ceci pour la plupart des questions soumises aux personnes interrogées. Cette différence se reflète dans notre indice de pénétration de l’antisémitisme. Pour notre échantillon « tout public », alors que l’indice moyen pour l’ensemble des personnes interrogées est de 17,2%, il s’élève à 20,5% pour les hommes, contre 13,8% pour les femmes.
L’adhésion à différentes affirmations selon le sexe de l’interviewé(e)
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
On constate cette « masculinisation » de l’antisémitisme à travers une adhésion plus forte à différents préjugés : 34% des hommes sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « les juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale » ; 30% considèrent que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance », ou encore 29% pensent qu’ils ont « trop de pouvoir dans le domaine des médias ». Pour chacun de ces préjugés, les femmes sont bien moins nombreuses, comme le montre la graphique ci-dessus.
Les français pro-russes sont plus favorables aux préjugés antisémites que le reste de la population
Il faut noter que les répondants qui éprouvent de la sympathie à l’égard de la Russie (4% de la population) sont systématiquement plus susceptibles que le reste de l’échantillon d’adhérer à des préjugés antisémites.
Les répondants qui éprouvent de la sympathie à l’égard de la Russie et leurs positions sur l’antisémitisme
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Ils sont par exemple 58% à être d’accord avec l’affirmation « les Français de confession juive sont plus loyaux envers Israël qu’envers la France », contre 26% pour l’ensemble des Français ; ils sont 48% à estimer que « la création d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste », contre 16% pour l’ensemble des Français, ou encore 70% à être d’accord avec l’affirmation « les Juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale », contre 27% pour l’ensemble des Français.
Il est clair que les préjugés antisémites participent d’un même univers politique et social, d’une configuration commune à des dispositions populistes, antisystèmes et complotistes qui se forment, circulent et s’amplifient sur les réseaux sociaux. À cet égard donc, on note un lien fort entre le sentiment pro-russe et l’adhésion à des opinions antisémites.
Un espace public pour les antisémites : YouTube et les réseaux sociaux
Cette nouvelle enquête permet en outre de constater un niveau d’antisémitisme plus élevé chez les personnes interrogées qui s’informent sur internet (YouTube et les réseaux sociaux). Le graphique comparatif ci-après en rend compte de manière très claire.
Ils sont par exemple 24% à éprouver de l’antipathie à l’égard d’Israël (31% pour YouTube, 22% pour les réseaux sociaux), contre 8% des personnes interrogées qui s’informent via la télévision (11% des grandes chaînes de télévision, 7% des chaînes d’info en continu). Aussi, 40% des Français qui s’informent sur YouTube sont d’accord avec l’affirmation « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance », soit le double de ceux qui s’informent par le biais des chaînes d’information en continu (20%).
Depuis quelques années, les chaînes d’information en continu sont accusées d’altérer la qualité du débat démocratique. Pourtant, les résultats de notre enquête montrent que ceux qui s’informent sur les chaînes d’information en continu (Cnews, LCI, BFM TV, France Info TV) sont les mieux informés sur la réalité de l’antisémitisme, à l’opposé exact de ceux qui s’informent principalement sur YouTube. En effet, 41% de ceux qui utilisent YouTube comme principale source d’information jugent que l’antisémitisme est en régression, contre seulement 15% de ceux qui s’informent grâce aux chaînes d’info en continu.
Adhésion à diverses idées antisémites selon la principale source d’information
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Cet effet s’observe également dans notre indice de pénétration de l’antisémitisme, puisqu’il s’élève à 27,5% pour YouTube (17,2% pour l’ensemble des Français), contre 15,1% pour les chaînes d’information en continu.
Le profil de ceux qui disent éprouver de l’antipathie à l’égard d’Israël est le même que ceux qui adhèrent aux préjugés antisémites
Parmi les réponses de notre enquête, l’une d’elles mérite qu’on s’y attarde parce qu’elle est, selon nous, lourde de sens : à la question « vous personnellement, éprouvez-vous de la sympathie, de l’antipathie ou ni sympathie ni antipathie pour Israël », certaines personnes interrogées répondent éprouver de l’antipathie. Le profil du Français qui éprouve de l’antipathie à l’égard d’Israël est un homme (18%), âgé de moins de 35 ans (21%), diplômé du supérieur (23%), avec un salaire plus haut que la moyenne (27%), proche de La France insoumise (30%), s’informant principalement sur internet (24%) et de confession musulmane (43%). Cette antipathie pour Israël est un vecteur d’antisémitisme, l’indice de pénétration de l’antisémitisme est de 38,2% chez ceux qui expriment cette opinion contre 17,2% dans la population générale.
Cette haine d’Israël induit un soutien plus prononcé à l’Autorité palestinienne et au Hamas. Ainsi, 24% des moins de 35 ans et 54% des Français de confession musulmane expriment de la sympathie pour l’Autorité palestinienne contre 6% dans l’ensemble de la population. Plus grave encore, 14% des moins de 35 ans et 22% des Français de confession musulmane expriment de la sympathie pour le Hamas.
Ce profil s’apparente à celui de ceux qui se disent d’accord avec l’affirmation selon laquelle « les Français de confession juive sont responsables des politiques menées par Israël ». Si 11% des Français ne voient pas de problème dans cette affirmation, les hommes (15%), les jeunes de moins de 35 ans (21%), les personnes de gauche (proximité politique à gauche) (17%) ou encore les cadres et professions intellectuelles supérieures (15%) sont à nouveau surreprésentés. De la même manière, 24% des personnes qui s’informent principalement via YouTube et 17% de celles qui s’informent sur des réseaux sociaux estiment que les Français de confession juive sont responsables des politiques menées par Israël.
Les mêmes segments de la population soutiennent l’idée que « la Shoah a été utilisé par les Juifs pour justifier la création de l’État d’Israël ». Alors que près d’un quart des Français (24%) soutiennent cette idée, les moins de 35 ans (30%), les hommes (30%), les diplômés du supérieur (30%), des personnes de gauche (30%) et les personnes de confession musulmane (45%), sont plus nombreux à aller dans le sens de cette idée.
Même constat pour le profil des répondants déclarant avoir de l’antipathie pour les Juifs (6% de l’ensemble de l’échantillon du volet « grand public », 32% de l’échantillon du volet musulmans) : ils sont jeunes (12% des moins de 35 ans), politiquement proches de La France insoumise (13%), s’informent en priorité sur internet (14% de ceux s’informant sur Youtube et 10% de ceux qui s’informent sur les réseaux sociaux), et éprouvent de la sympathie à l’égard de la Russie (23%).
Toutefois, on remarque une différence : si ceux qui éprouvent de l’antipathie à l’égard d’Israël sont, on l’a vu, plutôt éduqués, diplômés et socialement favorisés, les Français qui déclarent éprouver de l’antipathie à l’égard des Juifs sont plus nombreux chez les ouvriers (12%), chez les répondants dont le revenu les place en catégorie « pauvres » (11%), et chez ceux n’ayant pas de diplôme, un CEP ou un BEPC (8%). Une explication plausible est que chez les répondants plus aisés et bénéficiant d’un capital culturel plus important, l’antisémitisme prendrait, à travers l’antisionisme, une forme faussement intellectualisée et sophistiquée.
Ces caractéristiques combinées au sentiment pro-russe nous permettent de dresser le portrait de l’antisémitisme en France grâce à notre indice de pénétration de l’antisémitisme. En effet, les personnes qui éprouvent de la sympathie pour le Hamas (48,9%) et la Russie (42,2%) sont les plus susceptibles d’être antisémites.
Indice de pénétration de l’antisémitisme : 10 premières catégories
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Depuis le 7 octobre, les français de confession juive sont encore plus exposés aux actes antisémites
Les trois quarts des personnes de confession juive interrogées dans notre enquête ont déjà fait l’objet d’une moquerie à caractère antisémite (73%) ; plus de la moitié (54%) des personnes interrogées disent avoir déjà été insultées en raison de leur judéité, 32% ont fait l’objet de menaces sur les réseaux sociaux. On remarque que de façon constante depuis 2019, près d’une personne sur cinq indique avoir déjà été agressée physiquement (18%). Les personnes portant des signes religieux distinctifs sont plus exposées, mais les personnes « non visibles » ne sont pas épargnées pour autant, notamment à l’école et dans l’environnement professionnel où leur appartenance religieuse peut se savoir.
Les types d’actes antisémites vécus par les Français de confession juive
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
25% des Français de confession juive indiquent avoir été victimes d’un acte antisémite depuis le 7 octobre et pour 12% d’entre eux, cela s’est produit à plusieurs reprises. Ce chiffre monte par ailleurs à 36% pour les personnes qui portent systématiquement ou régulièrement des signes religieux distinctifs et 37% pour les moins de 25 ans. Les données que nous évoquons ici incluent divers incidents, des commentaires désobligeants sur les réseaux sociaux aux agressions physiques. Basées sur l’auto déclaration, elles sont parfois subjectives mais suggèrent que les actes antisémites réels dépassent les 1.676 incidents enregistrés par le ministère de l’Intérieur le SPCJ. Dans notre enquête, chez les personnes ayant subi des actes antisémites au cours de leur vie, soit 83% de notre échantillon de Français de confession juive, seuls 14% ont déposé plainte.
Depuis le 7 octobre, un Français de confession juive sur quatre a été victime d’un acte antisémite
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Comme nous l’avions déjà noté dans l’édition 2019 de notre radiographie, l’école constitue le premier lieu d’exposition à des actes antisémites. En 2024, 62% des victimes indiquent avoir fait l’objet d’injures, de menaces ou de violences physiques dans un établissement scolaire ; 42% affirment même que cela s’est produit à plusieurs reprises. Ce problème n’est pas nouveau et depuis une vingtaine d’années, les familles juives font souvent le choix de la scolarisation de leur(s) enfant(s) dans les établissements privés. Dans notre échantillon, 43% des parents indiquent avoir au moins un enfant dans une école juive, 16% dans un établissement catholique et 4% dans une école privée laïque. Au total, 61% des familles font le choix de la scolarisation dans le privé. Un phénomène qui apparaît massif en comparaison avec les données enregistrées dans la population générale (18%). Si le choix de la scolarisation dans les établissements confessionnels est souvent dicté par des aspects religieux (34% des parents citent cette raison en premier et 50% au total). C’est aussi un choix sécuritaire pour plus d’un tiers des parents (37% des parents citent cette raison en premier et 69% au total).
Entre invisibilisation et résilience : le vécu douloureux des français de confession juive face à l’antisémitisme et à ses conséquences
Dans un contexte de recrudescence des actes antisémites, les Français de confession juive vivent dans la peur : presque toutes les personnes interrogées (86%) craignent davantage d’être victimes d’un acte antisémite depuis le 7 octobre et 56% ressentent cette peur de manière très prononcée. Face à cette menace, certains préfèrent dissimuler leur identité : 44% des personnes portant des signes religieux distinctifs ont cessé de les porter dans les espaces publics, une personne sur cinq a retiré la mezouzah de sa porte et 16% ont changé leur nom sur les applications de livraison par peur d’être identifiés.
La crainte d’être victime d’un acte antisémite depuis l’attaque du 7 octobre
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
L’adoption de comportements de dissimulation depuis le 7 octobre
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Cependant, un autre phénomène se dégage : une réaffirmation identitaire. Près de 73% des personnes interrogées disent que le pogrom du 7 octobre a renforcé leurs convictions sionistes et 71% leur identité juive. Ce phénomène, bien documenté en psycho sociologie, montre que face à une menace, les individus tendent à renforcer leur identité de groupe. Cela concerne aussi bien les Juifs pratiquants (77%) que les personnes éloignées de la religion (66%). La vulnérabilité révélée d’Israël a réveillé un sentiment d’attachement à Israël, affectant toutes les tranches d’âge.
Est-ce que l’attaque du 7 octobre, a renforcé… ?
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Quant à l’idée de quitter la France, la proportion de Français de confession juive envisageant ce départ reste stable à 52%. Israël demeure la destination indiquée par 58% des candidats au départ, et ce malgré la situation de guerre, devant les États-Unis (15%), le Canada (9%), le Royaume-Uni (1%) et d’autres pays (au total 16%).
L’enquête révèle aussi un sentiment de solitude ressenti par 80% des Français de confession juive à la suite des événements du 7 octobre et à leur impact en France ; 53% l’ont ressenti de manière prononcée. Un sentiment qui s’explique notamment par l’hésitation de certains segments de la population et une frange de la classe politique à condamner sans ambiguïté les actes barbares du Hamas, ajoutant de la détresse à ces Français qui pensaient être en sécurité en France et qui expérimentent une recrudescence de la haine à leur égard, jusqu’à craindre un retour des heures les plus sombres de l’Histoire.
Avez-vous ressenti un sentiment de solitude en tant que Français juif en raison de la réaction ou manque de réaction de la société française face aux événements du 7 octobre et à leurs répercussions en France ?
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Depuis le 7 octobre, l’antisémitisme préoccupe davantage les français
Dans les éditions précédentes de notre radiographie, année après année, il est apparu que la prévalence des préjugés antisémites se nichait de façon disproportionnée chez certains groupes au sein de la société française, à commencer par les sympathisants des partis politiques situés à l’extrême droite (au Rassemblement national et Reconquête) et à l’extrême gauche (La France insoumise). Le constat est vérifié cette année avec une plus forte intensité, sur fonds d’enjeux électoraux et de guerre au Moyen-Orient.
Tout à droite, on observe une érosion des préjugés antisémites depuis dix ans, parallèle au processus de « normalisation » du parti et à l’élargissement de sa base électorale. Les préjugés dits « classiques » demeurent, comme le fait de penser que les Juifs sont plus riches (ils sont 40% à le penser chez les sympathisants du RN contre 31% au sein de la population générale), ou le fait de penser que les Juifs utilisent la Shoah dans leur propre intérêt (ils sont 36% à le penser contre 27% dans la population générale).
Dans les rangs de la France insoumise, les ressorts sont différents : la concurrence victimaire et la défiance vis-à-vis d’Israël et du sionisme joue à plein : chez LFI 42% des sympathisants considèrent que la commémoration de la Shoah empêche la commémoration d’autres drames de l’Histoire (contre 32% des Français) ; contrairement à une majorité de Français (52%), les sympathisants LFI ne perçoivent que très peu (27%) les Français de confession juive comme la première minorité victime de racisme, mais voient plutôt les musulmans occuper cette place (46%). Par ailleurs, le sentiment que la « création d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste » est partagé par 29% des sympathisants de la France insoumise contre 16% des Français dans leur ensemble.
Aussi, les proches de LFI sont deux fois plus nombreux à éprouver de la sympathie pour l’organisation terroriste du Hamas que la moyenne des Français (14% contre 6%) ; ils sont majoritairement (58%) d’accord avec l’idée que les Israéliens font avec les Palestiniens ce que les Nazis ont commis avec les Juifs (contre 32% pour l’ensemble des Français).
La prévalence des idées antisémites selon la proximité partisane (ensemble des Français)
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Lutte ouvrière, Nouveau parti anticapitaliste, Parti communiste français et La France insoumise.
On observe une surreprésentation des sympathisants d’extrême gauche1 (38%), et RN (17%) ainsi que des 18-24 ans (24%) dans le groupe propice à la violence antisémite auquel 10% de la population générale appartient.
L’ajout d’un volet digital à notre radiographie a permis d’observer comment les groupes politiques se sont davantage mobilisés cette année sur le sujet de l’antisémitisme, en particulier aux extrêmes. L’analyse des discussions sur les réseaux démontre que les proches de ces deux camps se sont le plus souvent exprimés sur le sujet : 56% des prises de parole émanent d’acteurs situés à l’extrême droite, 35% d’acteurs rattachés à la gauche radicale ou à l’extrême gauche, contre seulement 4% pour la majorité présidentielle, 3% pour la gauche et 2% pour la droite.
Répartition du poids des prises de parole des élus et des militants affichés comme faisant partie d’un groupe politique :
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
« Au Royaume-Uni, Jeremy Corbyn est rattrapé par les soupçons d’antisémitisme au sein du Labour », Le Monde, 27 novembre 2019 [en ligne].
Sandra Cassini, « Antisémitisme : comment Jean-Luc Mélenchon cultive l’ambiguïté », Le Monde, 5 janvier 2024 [en ligne].
En commentaire d’une vidéo montrant le rassemblement organisé par le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, place de la République, Jean-Luc Mélenchon a écrit : « Voici la France. Pendant ce temps, Mme Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français ! »
Juin 2024 – Le député LFI Sébastien Delogu publie une vidéo antisémite contenant une référence aux fours crématoires. Meyer Habib y est présenté comme une créature tentaculaire achevée par Rima Hassan.
Octobre 2023 – Dans un message posté sur X, Jean-Luc Mélenchon, s’en est pris au – Conseil représentatif des institutions juives de France, l’accusant d’avoir « isolé et empêché la solidarité des Français avec la volonté de paix »
Janvier 2024 – Le député LFI David Guiraud publie sur X une image des « Dragons célestes », des personnages issus du manga « One Piece », une référence régulièrement détournée par les cercles antisémites.
Les proches du RN ou de Reconquête expriment leur inquiétude à l’égard de la montée de l’antisémitisme. Phénomène qu’ils lient systématiquement à l’islamisme. Récupération politique ou indignation sincère ? Le questionnement est légitime au vu de l’histoire du parti. À l’opposé, les proches de La France insoumise critiquent ce qu’ils perçoivent comme une utilisation abusive de l’accusation d’antisémitisme qui viserait, selon eux, à museler la critique à l’égard du gouvernement israélien.
Depuis quelques années déjà, nous pouvions observer une dérive dans les propos de Jean-Luc Mélenchon. Celle-ci s’est confirmée dans l’outrance depuis le 7 octobre. Au moment où était dénoncé l’antisémitisme de Jérémy Corbyn en Grande-Bretagne il y a quelques années2, Jean-Luc Mélenchon se défendait quant à lui de céder « aux génuflexions » devant le CRIF, il évoquait alors dans son blog personnel le « rayon paralysant de l’antisémitisme »3. Depuis le 7 octobre, le leader de la France insoumise et nombre de ses élus se sont livrés à une surenchère dans la haine d’Israël et les glissements vers la haine des Juifs sont devenus quasi quotidiens (cf. les déclarations indignes qui ont visé la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet et le député Meyer Habib, les insinuations autour d’un contrôle fantasmé du CRIF sur les positions du gouvernement français dans le conflit israélo-palestinien, l’utilisation du terme « dragons célestes », etc.4). C’est un véritable point de rupture pour les Français de confession juive dont l’immense majorité (92% contre un Français sur deux) perçoit aujourd’hui La France insoumise comme la formation contribuant le plus à la montée de l’antisémitisme dans le pays. Le refus de LFI de condamner explicitement les crimes du Hamas a provoqué une indignation massive. Le parti est considéré comme une véritable menace pour l’avenir des Français de confession juive : 57% d’entre eux seraient prêts à quitter la France si un candidat LFI venait à être élu à la prochaine élection présidentielle.
Indice de pénétration de l’antisémitisme : par proximité partisane
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
En résumé, nous assistons à une politisation accrue de la question de l’antisémitisme, à la faveur d’une polarisation du spectre politique. La stratégie de l’extrême droite semble payante électoralement, à la différence de LFI dont les scores demeurent relativement faibles même si ce parti réussit à occuper l’espace en ligne et à capter l’attention médiatique.
Un soutien réel à la lutte contre l’antisémitisme, mais qui n’est pas uniforme
Et si les décideurs politiques sous-estimaient la volonté des Français à lutter plus fermement contre l’antisémitisme ? C’est ce que suggèrent les résultats de notre enquête. En effet, les Français sont de plus en plus nombreux à considérer que l’on ne parle « pas assez du problème de l’antisémitisme ». Alors qu’ils étaient 26% à le penser en 2019, ils sont aujourd’hui 36%. De plus, le fait que quatre Français sur cinq (80%) estiment que « la justice ne condamne pas assez sévèrement les auteurs des actes antisémites » montre une attente vis-à-vis des pouvoirs publics d’une action plus résolue dans la lutte contre l’antisémitisme.
Les Français de confession musulmane se distinguent du reste de la population au sujet de la lutte contre l’antisémitisme. Tandis que 14% des Français trouvent que l’on parle trop du problème de l’antisémitisme en France, plus d’un Français de confession musulmane sur trois (35%) soutient cette opinion. Ce décalage se retrouve dans la perception de la responsabilité collective ou non de la lutte contre l’antisémitisme. 76% des Français pensent que « l’antisémitisme est un problème qui concerne la société dans son ensemble » alors que pour 9% des Français, « l’antisémitisme est uniquement le problème des Juifs et ne concerne pas la société dans son ensemble ». Les Français de confession musulmane sont 26% à penser que l’antisémitisme est uniquement le problème des Juifs, soit 17 points de plus que le total des Français. Cette proportion augmente chez les jeunes musulmans (moins de 35 ans) qui soutiennent cette idée à 34%.
Selon-vous, est-ce que l’on parle trop, suffisamment ou pas assez du problème de l’antisémitisme en France ?
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
De ces deux opinions, de laquelle vous sentez-vous le plus proche ?
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Un double constat ressort de ces chiffres. Le premier est qu’une très grande majorité de français soutient la lutte contre l’antisémitisme et souhaite des condamnations plus sévères des actes antisémites. Le second est qu’une minorité significative des Français de confession musulmane met la responsabilité de la lutte contre l’antisémitisme sur les Juifs et pense qu’on en parle trop dans la société.
Antisémitisme de préjugés et antisémitisme d’agression
Les données recueillies pour mesurer cet antisémitisme de préjugés reposent sur l’expression d’un accord avec les affirmations suivantes :
– « Les Français juifs sont plus loyaux envers Israël qu’envers la France. »
– « Les Français juifs sont responsables des politiques menées par Israël. »
– « Les Juifs sont plus riches que la moyenne des Français. »
– « Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance. »
– « Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine des médias. »
– « Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de la politique. »
– « Les Juifs sont responsables de nombreuses crises économiques. »
Notre étude voit se manifester deux formes d’antisémitisme : un antisémitisme que l’on qualifiera ici « de préjugés » et un antisémitisme que nous dirons « agressif », ou « d’agression ». L’antisémitisme de préjugés que nous mesurons repose sur un ensemble de stéréotypes négatifs, voire accusatoires5. Il s’agit d’un ensemble d’opinions et de représentations, pour la plupart très malveillantes. Cet antisémitisme voisine avec un antisémitisme d’agression qui englobe les préjugés que nous citons dans notre étude, mais qui approuve ce que nous définissons comme le « passage à l’acte » antisémite.
Nous notons que l’antisémitisme de préjugés est plus répandu à droite tandis que l’antisémitisme d’agression est plus présent à gauche, surtout dans cette gauche proche de LFI. C’est ainsi que ce groupe politique a instrumentalisé à outrance le conflit israélo-palestinien et a attiré à lui des groupuscules politiques dogmatiques, radicaux et plus violents, composés de militants et de manifestants aux prises de parole véhiculant un antisémitisme menaçant et dangereux pour les Juifs. Dans notre enquête, l’approbation d’actes qui sont, de fait, des agressions antisémites, trace les contours d’une haine qui ne se limite plus aux préjugés.
Un geste aussi caractéristique de l’antisémitisme en général et de l’antisémitisme d’agression, tel que « taguer une synagogue ou un commerce juif pour manifester son opposition à Israël », est jugé acceptable ou compréhensible par 9% des Français, ce qui n’est pas négligeable, mais aussi par 18% des proches de LFI. Par comparaison, les proches du RN sont relativement moins nombreux (8%) à approuver un tel geste, alors qu’ils sont plus nombreux à se reconnaître dans les préjugés négatifs à l’égard des Juifs.
L’antisémitisme de préjugés touche toutes les familles politiques. C’est auprès des proches du RN qu’il est le plus répandu (27,7%). Près d’un quart des Français proches de LFI (25,7%) et de LR (25,3%) sont également concernés. Il est moins marqué chez les Français proches du camp macroniste (Renaissance au moment de l’enquête, soit 19,3%), du Parti socialiste (14%) et de Europe Écologie les Verts (10,7%) que dans l’ensemble de la population (21,4%). Les moins de 35 ans sont plus susceptibles que la moyenne des Français (26,7%) de partager ces préjugés, qui sont repris par près de la moitié des Français de confession musulmane (47,9%). Cette proportion augmente avec la fréquence de la pratique religieuse. En effet, cet antisémitisme est partagé par 64,3% des Français de confession musulmane qui se rendent au moins une fois par semaine à la mosquée.
Indice de pénétration de l’antisémitisme de préjugés : par proximité partisane
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Les données recueillies pour mesurer l’antisémitisme d’agression reposent sur l’expression d’un accord avec les affirmations suivantes :
– « Taguer une synagogue ou un commerce juif pour manifester son opposition à Israël » ;
– « Menacer sur les réseaux sociaux un individu en raison de son soutien public à Israël » ;
– « Bousculer ou avoir un comportement physique agressif envers un individu en raison de son soutien à Israël lors d’un rassemblement public » ;
– Il n’est « pas antisémite » de « taguer une synagogue ou un commerce juif pour manifester son opposition à Israël » ;
– Il n’est « pas antisémite » de « bousculer ou avoir un comportement physique agressif envers un individu en raison de son soutien à Israël lors d’un rassemblement public » ;
– Il n’est « pas antisémite » de « menacer sur les réseaux sociaux un individu en raison de son soutien public à Israël » ;
– Il est justifié de s’en prendre à des Juifs en raison de leur soutien à Israël.
L’antisémitisme d’agression est un antisémitisme de tolérance de la violence antisémite6. Il est particulièrement répandu dans l’électorat de la France Insoumise. En effet, 17,3% des Français proches de LFI se retrouvent dans l’antisémitisme d’agression ; en revanche, pour ce qui concerne les autres partis politiques, la pénétration de cet antisémitisme est comparable à la moyenne nationale (9,4%). De manière générale, ce sont les Français les plus radicaux politiquement qui soutiennent l’antisémitisme d’agression, ceux qui se positionnent à l’extrême droite (13,7%) et à l’extrême gauche (13,1%). Les moins de 35 ans sont, une fois encore, plus nombreux que la moyenne à soutenir un antisémitisme d’agression (15,9%) ; il en va de même chez ceux qui s’informent sur YouTube (19,6%). Mais c’est chez les Français de confession musulmane que cet antisémitisme d’agression est le plus répandu : ils sont près d’un quart (23,9%) à soutenir le recours à des actions violentes contre les Juifs, mais un tiers (31,7%) chez les musulmans qui se rendent à la mosquée au moins une fois par semaine.
Indice de pénétration de l’antisémitisme d’agression : par proximité partisane
Source :
Ifop | AJC | Fondapol – octobre 2024
Comme nous l’avons vu, l’opinion attribue à la France Insoumise un rôle déterminant dans la montée de l’antisémitisme en France. Dans l’ensemble de la population française, LFI est perçu comme la formation politique qui contribue le plus à la montée de l’antisémitisme en France (53% des personnes interrogées), devant le RN, à peu près au même niveau (51%). Mais parmi les Français de confession ou de culture juive, LFI est cité comme la formation politique qui contribue le plus à la montée de l’antisémitisme par 92% des répondants, contre 49% qui citent le RN.
Conclusion
Au lendemain du 7 octobre, notre étude confirme une poussée de l’antisémitisme en France. Dans un climat où 61% des citoyens français de confession juive rapportent être parfois tenus responsables des événements au Proche-Orient, un quart d’entre eux indiquent avoir subi un acte antisémite depuis le 7 octobre. La crainte d’une agression est généralisée.
Alors que les jeunes Français de confession juive rapportent qu’on leur reproche plus fréquemment la politique du gouvernement israélien, qu’ils sont plus souvent victimes d’actes antisémites, il est impossible de nier qu’il existe un problème au sein de certains établissements scolaires, d’autant plus que les données en population générale montrent que sur le fond d’une évolution générationnelle du rapport à Israël et à la condition juive, les jeunes sont plus enclins à juger acceptables des actes antisémites.
Alya intérieure, développement des établissements confessionnels, départ en Israël : depuis 20 ans, face à l’antisémitisme, et dans une société de plus en plus morcelée, une partie des Français de confession juive font sécession à leur corps défendant. Les résultats de l’étude font craindre que la période traversée ne se traduise par un nouveau repli. C’est la réponse prévisible de la part d’une minorité confrontée aux menaces et à la violence. Il est par ailleurs alarmant de voir comment la question de l’antisémitisme a resurgi comme objet de mobilisation politique. En 2024, l’idéal républicain d’une société fraternelle unie dans la diversité n’a jamais semblé aussi difficile à atteindre.
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