Relever le défi énergétique et climatique en europe : Les propositions de cinq think tanks
Synthèse des propositions
Aligner l’ambition européenne sur le climat avec l’accord de Paris : penser 2050 pour agir dès maintenant
Aligner et mettre en cohérence les outils politiques, économiques et financiers de l’UE avec une vision 2050 compatible avec l’Accord de Paris
Mettre en place un portefeuille de politiques publiques ambitieux et cohérent dans l’UE
Aligner les flux financiers avec l’Accord de Paris
Une transition énergétique au service de la justice sociale et de la compétitivité en Europe
Pas de transition énergétique sans justice sociale : vers un pacte social européen pour la transition energétique
Énergie-Climat : pas de transition sans innovation
Pour une politique commerciale au service des objectifs climatiques
Massifier les investissements verts dans la production électrique pour accélérer la transition énergétique
Une organisation des marchés de l’électricité incomplète
Un déficit de coordination des politiques énergétiques nationales
Un marché carbone inadapté aux enjeux du secteur de la production électrique
Résumé
Ce rapport est le fruit d’une coopération entre cinq think tanks français et européens. Il vise à éclairer le débat des élections européennes afin que citoyens et responsables politiques français et européens puissent prendre les décisions nécessaires pour relever les défis de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique. Se présentant sous la forme d’un recueil de contributions, il ne prétend pas à l’exhaustivité, mais vise à approfondir certains angles clés de la politique énergétique et climatique européenne. Chaque contribution demeure de la responsabilité de son ou ses auteur(s).
La nécessité de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique se fait chaque jour plus pressante. Les élections européennes de mai 2019 constituent à ce titre une échéance cruciale. Près de quatre ans après la signature de l’Accord de Paris sur le climat, l’Union européenne doit rapidement relever son ambition dans la lutte contre le changement climatique si elle souhaite conserver son rôle de leader sur le climat et inciter les autres pays du monde à faire de même. Pour espérer limiter le changement climatique à +1,5 °C ou +2 °C, beaucoup reste à faire, et agir au niveau de l’Union est indispensable : la transformation du système financier, des règles du commerce international, de l’appareil industriel ou encore l’établissement de standards pour les technologies bas-carbone sont autant de défis à relever à l’échelle du continent, pour espérer changer le cours de notre destin planétaire.
L’Union européenne ne part pas de zéro. Elle est en passe d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2020. Elle joue un rôle déterminant sur la scène internationale et s’est fixé des objectifs climatiques significatifs : ambitieux si on les compare à d’autres régions du monde mais insuffisants pour l’heure face à l’ampleur de la tâche à accomplir. La voie a été tracée dans la «Vision stratégique» publiée en novembre 2018 par la Commission européenne : atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 à l’échelle de l’Union (soit réduire au minimum les émissions de gaz à effet de serre, et compenser les émissions résiduelles par la captation de la même quantité d’émissions). Y parvenir nécessite d’accélérer dès maintenant les transformations dans l’ensemble des secteurs de l’économie, le bâtiment, les transports, l’industrie, la production d’énergie et l’agriculture.
À mesure que les objectifs et, avec eux, l’ampleur des transformations à mener s’accroissent, de nouveaux défis apparaissent. Les leviers de réduction des émissions utilisés jusqu’ici (comme lancer le développement des énergies renouvelables électriques) étaient aussi les plus simples et les plus acceptables. Aujourd’hui, l’Union fait face à des choix politiquement plus difficiles.
La nécessaire reconversion de secteurs économiques fortement consommateurs d’énergies fossiles met en lumière des enjeux sociaux, mais aussi territoriaux. Les effets des politiques en faveur de la transition écologique, dont les coûts et les bénéfices ne sont pas nécessairement équitablement répartis, viennent mettre en lumière des inégalités sociales persistantes. L’asymétrie de traitement entre secteurs économiques, ou entre industries et ménages, peut faire l’objet de critiques et nourrir le rejet de politiques de transition pourtant nécessaires pour préserver le climat et améliorer le bien-être des citoyens européens et des générations futures.
L’absence d’harmonisation européenne ne doit pas servir de prétexte à l’inaction. L’Union peut, par une action concertée, débloquer des évolutions indispensables pour la transition vers une production d’électricité décarbonée, un transport plus propre (taxation du transport aérien et interconnexions des infrastructures ferroviaires et de recharge), l’intégration du climat à la politique commerciale, ou la réorientation des flux financiers des investissements «marron» vers les investissements «verts».
La transition énergétique vient aussi interroger la capacité des institutions européennes à agir sur les préoccupations les plus concrètes des citoyens : peuvent-elles les aider à réduire leur empreinte carbone au quotidien, à se déplacer et à se chauffer différemment, tout en mettant fin à la précarité énergétique ? L’Union européenne des grands projets d’infrastructures peut-elle devenir – avec ses fonds structurels, la Banque européenne d’investissement (BEI), etc… – le canal de financement de la rénovation énergétique des logements et d’une mobilité quotidienne décarbonée ?
L’insuffisante coordination des politiques énergétiques nationales dans un système énergétique pourtant physiquement et économiquement interconnecté souligne également cruellement le débat, toujours inachevé, sur l’articulation entre politiques européennes, nationales et locales. Or, sans coordination des efforts, le coût de la transition énergétique et les risques en matière de sécurité d’approvisionnement ne peuvent qu’augmenter.
La transition énergétique pose également le défi de l’articulation de la trajectoire du système énergétique avec celle du secteur agricole et de l’utilisation des terres, où les enjeux de biodiversité et de santé des sols doivent être intégrés au même titre que ceux de la préservation du climat.
Enfin, le défi climatique vient interroger l’Europe sur sa place dans le monde : peut- elle entraîner par l’exemple les autres pays et régions, ou doit-elle adopter des positions plus fermes quant à l’accès à son marché commun, au risque de déclencher des replis protectionnistes potentiellement contre-productifs ?
Le défi climatique et énergétique fait ainsi écho aux débats fondamentaux présents au cœur du projet européen. Pour y répondre, nos think tanks se sont associés pour identifier des propositions concrètes, chacun sur un champ d’action déterminant : la gouvernance de la politique énergétique et climatique européenne, le verdissement de la finance et du budget européen, les instruments en faveur de la justice sociale et de l’innovation, la politique commerciale et, enfin, la décarbonation du secteur électrique.
Notre conviction est qu’il y a urgence : pour ne pas s’enfermer dans des choix incompatibles avec la préservation du climat et de l’environnement et être à la hauteur des enjeux, la mandature européenne 2019-2024 devra impulser des transformations profondes et irréversibles. Il faut désormais agir résolument et sans attendre sur l’ensemble des leviers disponibles !
Antoine Guillou
Thomas Pellerin-Carlin
Emmanuel Tuchscherer
Ian Cochran
Charlotte Vailles
Lola Vallejo
Nicolas Berghmans
Synthèse des propositions
Proposition 1 : préciser une Vision 2050 compatible avec l’Accord de Paris pour l’Union
Proposition 2 : renforcer l’adhésion et l’appropriation des États membres vis-à-vis de la vision à long terme de l’UE en matière de décarbonation
Proposition 3 : s’aligner dès aujourd’hui avec la Vision 2050 en adoptant des mesures de court terme transformationnelles.
Proposition 1 : définir des objectifs de réduction d’émissions de long- terme et relever l’ambition des objectifs 2030, en lien avec une Vision 2050 compatible avec l’Accord de Paris
Proposition 2 : doter l’UE d’un corridor de valeurs sociales du carbone
Proposition 3 : garantir la cohérence des différents textes législatifs et neutraliser l’effet contre-productif de certaines interactions.
Proposition 4 : utiliser à la fois la réglementation et les institutions financières pour accélérer l’alignement des flux financiers sur les objectifs climatiques de long terme.
Proposition 5 : mettre en place un organe de pilotage des progrès réalisés pour le financement des investissements climat.
Proposition 1 : dans les métiers de la transition énergétique, l’UE devrait créer des «Centres d’excellence de l’apprentissage», amplifier la visibilité et les moyens d’ERASMUS PRO, et créer un «Collège d’Europe de l’énergie et du climat».
Proposition 2 : l’UE devrait se doter d’un Fonds européen d’accompagnement des transitions pour permettre à l’UE d’aider financièrement les régions connaissant des restructurations majeures.
Proposition 3 : l’Union doit fixer l’objectif que plus aucune famille européenne ne souffre du froid en hiver. Cela implique de rénover tous les bâtiments dans lesquels vivent des familles en situation de pauvreté.
Proposition 4 : le budget européen de la recherche et de l’innovation devrait être d’au moins 120Md€. Au moins 35% de cet argent devrait être liées au climat.
Proposition 5 : au moins une Mission européenne pour la recherche et l’innovation vise à rendre 100 villes et territoires européens neutres en carbone d’ici 2030.
Proposition 1 : interdire l’accès au marché européen aux entreprises (européennes ou étrangères) ne respectant pas un standard minimum de limitation des émissions de gaz à effet de serre pour leur activité.
Proposition 2 : publier des benchmarks sectoriels au niveau européen, permettant d’identifier, dans chaque branche industrielle, les entreprises les plus vertueuses sur le plan climatique et celles qui ne le sont pas.
Proposition 3 : introduire des mesures d’ajustement aux frontières pour lutter contre le dumping environnemental, afin de pouvoir ensuite augmenter les objectifs du marché européen d’échanges de quotas (et donc le prix du carbone) y compris sur les industries exposées à la concurrence internationale.
Proposition 4 : ne signer aucun accord commercial qui ne prévoirait pas une harmonisation vers des standards environnementaux compatibles avec l’Accord de Paris, et réviser les anciens accords en ce sens. A fortiori, ne pas signer d’accord commercial avec des pays non-signataires des Accords de Paris.
Proposition 1 : anticiper les futurs besoins d’investissements en capacités électriques en poursuivant l’évolution du cadre de régulation européen.
Proposition 2 : mettre en place un Comité de politique énergétique européen pour rechercher de la cohérence dans les décisions de politique énergétique prises par les États membres.
Proposition 3 : mettre en place un prix minimum du CO2 dans le secteur de la production électrique.
Aligner l’ambition européenne sur le climat avec l’accord de Paris : penser 2050 pour agir dès maintenant
Ce texte est adapté du rapport élaboré dans le cadre de l’initiative « Think 2030 »: Duwe, M., Vallejo, L. (2018) « Think 2050, Act 2020: Bringing European ambition and policies in line with the Paris Agreement ».
«The current NDC commits the EU to limiting its domestic GHG emissions to “at least 40 %” by 2030. »
La Commission européenne lors de la publication de sa vision stratégique le 28 novembre 2018 et le Parlement européen dans une résolution du 14 mars 2019 ont déjà soutenu un objectif de neutralité carbone à 2050.
Lola Vallejo, directrice du programme climat et Nicolas Berghmans, chercheur1
La lutte contre le changement climatique n’exige rien de moins qu’une transformation fondamentale des sociétés humaines et des systèmes économiques au cours des prochaines décennies. Un défi majeur pour les décideurs actuels réside dans l’alignement des politiques et mesures appliquées aujourd’hui avec l’ambition climatique à long terme. Vision de long terme et actions menées à court terme peuvent se renforcer mutuellement si elles sont cohérentes : la décarbonation dépend des choix faits aujourd’hui, tandis qu’une vision de long terme permet à la fois de révéler les meilleures actions dès maintenant et de mobiliser l’ensemble des acteurs de la société pour atteindre l’objectif de long terme. L’Accord de Paris le réaffirme en introduisant deux «véhicules» de gouvernance pour orienter les pays vers l’objectif commun de limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C : les «stratégies nationales de long terme» (art. 4.19) et les «contributions déterminées au niveau national» à court et à moyen terme, ou CDN (art. 4.2). L’Union européenne (UE) s’est emparée des deux : après avoir soumis sa contribution conjointe avant l’adoption de l’Accord de Paris en 20152, la Commission européenne a dévoilé en novembre 2018 une Vision stratégique pour une économie neutre en carbone à l’horizon 2050 et pourrait sur cette base réviser sa contribution à l’Accord de Paris d’ici 2020. Aujourd’hui, nombre d’éléments clés en matière de gouvernance et d’ambition ont déjà été inscrits dans la loi à la suite de l’adoption du paquet législatif «Une énergie propre pour tous les Européens». Cependant, un tel lien explicite entre action à court terme et ambition à long terme reste pour l’heure une nouveauté pour l’UE, et son succès dépendra de la manière dont quatre défis clés seront relevés dans le cadre de gouvernance de l’Union de l’énergie. Pour réussir les transformations nécessaires, l’UE doit à la fois «penser 2050» et «agir dès maintenant».
Ni l’ambition actuelle de l’UE en matière de climat à l’horizon 2030, ni celle à l’horizon 2050, ne correspondent à l’objectif de l’Accord de Paris. L’objectif climatique à 2050 de l’UE doit encore être mis à jour. Les États membres peuvent s’appuyer pour cela sur la « Vision stratégique pour une économie neutre en carbone » publiée par la Commission européenne fin 2018, en particulier les deux trajectoires permettant de limiter le réchauffement à +1,5 °C en atteignant la neutralité carbone d’ici 2050. En outre, l’UE n’est pas encore sur la bonne voie pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés à l’horizon 2030. Les progrès restent particulièrement lents dans certains secteurs économiques clés n’ayant pas encore engagé une réduction significative de leurs émissions (par exemple l’agriculture, les transports et le bâtiment).
Le système de décision actuel, notamment pour ce qui concerne le partage des efforts entre les États membres de l’UE, n’est pas le plus propice au renforcement de l’ambition collective. Des incitations défavorables, un focus sur les dix prochaines années sans considérer l’après et le manque d’un système de récompense adéquat pour les États membres plus ambitieux minent l’efficacité de la politique climatique et énergétique de l’UE dans son ensemble. L’architecture de la gouvernance climatique européenne devrait être étoffée pour inciter à une course au « mieux-disant ».
Proposition 1 : Préciser une vision 2050 compatible avec l’Accord de Paris pour l’Union.
Ceci implique 1) l’adoption par l’ensemble des institutions de l’Union et en particulier par le Conseil de l’UE3 de la Vision 2050 pour une économie neutre en carbone préparée par la Commission dans sa forme la plus ambitieuse 2) la révision d’ici 2020 de la contribution de l’UE alignée sur cette stratégie de long terme 3) la définition d’un processus pour développer une nouvelle contribution de l’UE d’ici 2025 basée sur la vision de long terme et liée aux processus nationaux de révision des plans énergie-climat nationaux (NECP/ National Energy and Climate Plans) et enfin 4) l’alignement de la stratégie climatique de l’UE avec les objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies.
Le dialogue manque entre entités, publiques comme privées, aux différents échelons de mise en œuvre. Le succès à long terme de la politique climatique et énergétique de l’UE repose en grande partie sur l’appropriation de ses enjeux par l’ensemble des parties prenantes et des courants politiques. Les parties prenantes doivent être impliquées dès le début et de manière continue, par une approche transparente et adaptée aux spécificités géographiques et sectorielles, pour garantir l’adhésion de tous à la vision collective pour la décarbonation. Un dialogue permanent au niveau de l’UE devrait être établi à cette fin.
Proposition 2 : Renforcer l’adhésion des États membres à la vision à long terme de l’UE en matière de décarbonation et leur appropriation des objectifs.
Pour cela, l’UE devrait 1) assurer un dialogue permanent sur les transformations nécessaires et créer un processus inclusif pour la formulation des stratégies nationales, 2) faire du climat un objectif stratégique clé de l’UE en liant la stratégie climatique au processus politique lancé sur l’avenir de l’Europe et enfin 3) soutenir davantage l’action climatique locale, régionale et transfrontalière au travers des instruments politiques de l’UE, y compris par un soutien spécifique en faveur de transitions justes dans les territoires.
L’élaboration des stratégies manque d’une approche proactive, globale et durable des transformations. Au-delà des objectifs de réduction de gaz à effet de serre (GES), de développement d’énergies renouvelables et d’amélioration de l’efficacité énergétique, l’UE n’a pas encore engagé de stratégies détaillées de décarbonation à l’échelle sectorielle. Il conviendrait de porter davantage d’attention aux solutions et synergies entre secteurs.
Proposition 3 : S’aligner dès aujourd’hui avec la Vision 2050 en adoptant des mesures de court terme transformationnelles.
L’UE devrait d’abord 1) concevoir une politique industrielle intégrée axée sur des missions stratégiques liées à la décarbonation, 2) la mettre en œuvre dans le cadre d’un mécanisme de coordination européen visant à soutenir les actions nationales, 3) aligner les politiques d’infrastructures (en premier lieu les réseaux européens d’énergie et de mobilité) et les fonds d’investissement à cette vision à long terme et 4) concevoir un cadre réglementaire pour l’amélioration des puits de carbone naturels et les technologies à émissions négatives
Aligner et mettre en cohérence les outils politiques, économiques et financiers de l’UE avec une vision 2050 compatible avec l’Accord de Paris
Charlotte Vailles, cheffe de projet, et Ian Cochran, conseiller senior
Pour espérer limiter le changement climatique à +1,5 °C ou + 2°C, l’Union européenne devra impérativement aligner sa politique avec les objectifs de l’Accord de Paris et mettre en cohérence les différents outils politiques, économiques et financiers avec ces objectifs de long terme durant le quinquennat 2019-2024. Il s’agira dans un premier temps – et très rapidement – d’adopter une vision 2050 qui atteigne la neutralité carbone, puis d’aligner les politiques publiques et les flux financiers sur cette vision. Il s’agira notamment de s’assurer de la cohérence des stratégies de long terme et des plans nationaux énergie-climat (NECP) élaborés par les États membres avec la vision 2050 de l’Union.
Mettre en place un portefeuille de politiques publiques ambitieux et cohérent dans l’UE
Une fois adoptée la vision 2050 de l’Union européenne compatible avec l’Accord de Paris, il conviendra de mettre en place un portefeuille de politiques publiques ambitieux et cohérent dans l’UE, qui lui permette de respecter ses engagements climat pris sous l’Accord de Paris. D’un côté, en relevant l’ambition des instruments à visée climat, et de l’autre en garantissant la cohérence et en neutralisant l’effet contre-productif de certaines interactions entre les différents textes législatifs. La cohérence des politiques avec les objectifs de l’Accord de Paris doit être régulièrement évaluée et les ambitions revues si elles ne permettent pas d’atteindre les objectifs.
Proposition 1 : Définir des objectifs de réduction d’émissions de long terme et relever l’ambition des objectifs 2030, en lien avec une vision 2050 compatible avec l’Accord de Paris.
La vision 2050 de l’UE doit permettre de définir des objectifs de réduction d’émissions à horizons 2050 et 2040, en particulier pour les secteurs couverts par le système d’échange de quotas de l’UE (EU ETS/European Union Emissions Trading System). Ces objectifs de long terme permettront de donner plus de visibilité sur les réductions d’émissions nécessaires dans les différents secteurs. La vision 2050 devrait aussi servir de base pour la révision des objectifs 2030, qui pourra être opérationnalisée grâce aux fenêtres de révision offertes par le règlement sur la gouvernance de l’union de l’énergie et les autres processus de revue. En particulier, le rythme de réduction du plafond d’émissions de l’EU ETS pourrait être augmenté lors des revues prévues au regard de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, dont la première devrait avoir lieu d’ici 2023.
Proposition 2 : Doter L’UE d’un corridor de valeurs sociales du carbone.
Une valeur sociale du carbone – ou valeur de l’action pour le climat, terme employé dans le dernier rapport Quinet établissant la valeur sociale du carbone pour la France – mesure la valeur pour la collectivité des actions permettant d’atteindre l’objectif de neutralité carbone. Une utilisation systématique d’une valeur sociale du carbone dans les évaluations socio- économiques des instruments de politiques publiques et des investissements publics permettrait ainsi d’inciter à une action climatique audacieuse et efficace. Plus largement, la valeur sociale du carbone pourrait servir de référence à tous les acteurs économiques. Dans le cas des États membres de l’UE, il faudra prendre en compte les contextes de chaque pays tout en s’inscrivant dans une ambition commune. C’est pourquoi il serait utile de définir un corridor de valeurs sociales du carbone pour l’UE, dans lequel s’inscriraient les valeurs sociales de chaque État membre. Pour cela, il faudra mettre au point un cadre commun pour déterminer une valeur sociale du carbone jusqu’à 2050, à partir de la vision 2050 de l’UE.
Proposition 3 : Garantir la cohérence des différents textes législatifs et neutraliser l’effet contre-productif de certaines interactions.
Des interactions contre-productives existent aujourd’hui entre certaines politiques énergie- climat, en particulier entre l’EU ETS, d’une part, et les politiques européennes pour l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables ou les politiques nationales de sortie du charbon, d’autre part. Des dispositions devraient être introduites pour évaluer ces interactions et ajuster les différentes politiques pour neutraliser leurs possibles effets contre-productifs. Par exemple, ces ajustements pourraient concerner l’annulation de quotas EU ETS correspondant aux émissions de centrales à charbon fermées par les États membres. En effet, les politiques nationales de sortie du charbon diminuent très significativement les émissions de gaz à effet de serre couvertes par l’EU ETS, ce qui fait baisser le prix des quotas en l’absence de mécanisme d’ajustement, et donc l’incitation à décarboner pour les autres secteurs.
Aligner les flux financiers avec l’Accord de Paris
En parallèle, il s’agira de faire en sorte que suffisamment de financements soient disponibles pour les investissements climat indispensables à la mise en œuvre de la vision 2050 de l’UE. Il faut donc s’assurer que les flux financiers s’alignent bien eux aussi avec les objectifs climatiques de long terme de l’UE et les objectifs de l’Accord de Paris. Aligner les flux financiers signifie ainsi que tous les financeurs d’un côté participent au financement de la transition nécessaire pour le climat, et de l’autre arrêtent de financer les projets qui «verrouillent» l’avenir en nous condamnant à émettre des gaz à effet de serre pour plusieurs décennies.
Proposition 4 : Utiliser à la fois la réglementation et les institutions financières pour accélérer l’alignement des flux financiers avec les objectifs climatiques de long terme.
Les institutions de financement de l’Union européenne, au premier rang desquelles la BEI, doivent jouer un rôle moteur dans l’alignement des flux financiers avec les objectifs de l’Accord de Paris, ainsi qu’un rôle incitatif et facilitateur vis-à-vis du secteur financier privé. L’UE devrait donc leur donner un mandat formel d’aligner toutes leurs activités avec la stratégie de long terme de l’UE, c’est-à-dire d’augmenter la part de leur financement contribuant aux objectifs climat et de ne pas financer de projets «verrouillant» des émissions de gaz à effet de serre pour plusieurs décennies. L’UE devrait également leur donner comme objectif principal de faciliter le financement d’investissements climat par des institutions financières privées, par exemple par le développement des outils de partage des risques, et de concentrer leurs propres financements sur des activités et technologies moins matures.
L’UE devrait également rapidement mettre en œuvre et développer les mesures de réglementation financière dans la lignée du plan d’action pour la finance durable en cours de discussion. Sur le volet transparence, les mesures du plan d’action pourraient être renforcées par une exigence de transparence sur les aspects climat pour tous les actifs financiers, et pas seulement pour les actifs déclarés « verts », afin de ne pas pénaliser les actifs « verts » par des contraintes additionnelles.
Proposition 5 : Mettre en place un organe de pilotage des progrès réalisés pour le financement des investissements climat.
L’UE devrait se doter de moyens pour piloter les progrès réalisés vers un alignement des flux financiers avec ses objectifs de long terme afin, le cas échéant, de recalibrer les mesures et instruments mis en place. Cela pourrait passer par l’inclusion dans les NECPs d’une approche systématique pour analyser et comprendre les besoins d’investissement et de financement liés à leur mise en œuvre. Et par la mise en place de l’Observatoire de la finance climat prévu dans le plan d’action sur la finance durable. Cet observatoire devrait à la fois suivre les volumes d’actifs financiers et les volumes d’investissements dans l’économie réelle, favorables («verts») et défavorables au climat («marron»).
Une transition énergétique au service de la justice sociale et de la compétitivité en Europe
Thomas Pellerin-Carlin, chef du Centre énergie.
Pas de transition énergétique sans justice sociale : vers un pacte social européen pour la transition energétique
Tels que le Règlement sur la gouvernance de l’union de l’énergie, le Socle européen des droits sociaux ou encore l’Observatoire européen de la précarité énergétique.
La mobilisation des gilets jaunes a prouvé que la transition énergétique sera socialement juste, ou ne sera pas. Si la transition énergétique n’est pas intrinsèquement juste sur le plan social, il existe de nombreux outils pour en faire une opportunité pour renforcer la justice sociale et répondre aux inquiétudes citoyennes quant à l’augmentation du prix de l’énergie.
La Commission européenne sortante l’a compris et veut désormais intégrer la dimension sociale dans la conception même des politiques européennes. Elle a créé un droit d’accès à l’énergie dans le Socle européen des droits sociaux, la Plateforme pour les régions charbonnières en transition et l’Observatoire européen de la pauvreté énergétique. La question de la justice sociale dans la transition énergétique sera donc à l’agenda des futurs eurodéputés. Ils pourront participer à la création au niveau européen d’un Pacte social pour la transition énergétique qui 1) crée des emplois de qualité, 2) accompagne chaque travailleur et région d’Europe et 3) éradique la précarité énergétique. Quatre millions d’Européens travaillent déjà dans « l’économie verte », par exemple dans les énergies renouvelables. Ces secteurs en pleine croissance souffrent d’un manque de main-d’œuvre. Des milliers de Français sont aujourd’hui au chômage alors qu’ils pourraient travailler dans les métiers de la transition. Ce sont d’abord les entreprises, les partenaires sociaux, les régions et les États qui doivent valoriser les métiers de la transition énergétique, mais l’Union doit jouer son rôle dans l’esprit du principe de subsidiarité.
Proposition 1 : Dans les métiers de la transition énergétique allant du CAP/BEP au BTS, l’UE devrait créer des «Centres d’excellence de l’apprentissage» et amplifier la visibilité et les moyens d’Eramus Pro, un Erasmus pour les apprentis. Pour les niveaux master/post master, l’UE devrait créer un « Collège d’Europe de l’énergie et du climat ».
Néanmoins, des milliers d’emplois seront détruits par la transition énergétique, à commencer par ceux du charbon. Pour accompagner ces travailleurs et leurs territoires, l’UE doit garantir un financement adéquat.
Proposition 2 : L’UE devrait se doter d’un Fonds européen d’accompagnement des transitions (sur la base du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation), disposant d’un financement adapté pour permettre à l’UE d’aider financièrement les régions connaissant des restructurations majeures.
Le système énergétique actuel abandonne 50 millions de familles européennes à la précarité énergétique. Certaines sont forcées de baisser le chauffage au point d’entraîner des maladies respiratoires chez nombre d’adultes, de personnes âgées et d’enfants. Beaucoup de gilets jaunes soulignent qu’ils renoncent à des déplacements (et donc parfois à un emploi), par manque d’argent. Là encore, si la majeure partie de la solution se trouve aux niveaux local et national, l’Union doit jouer son rôle d’impulsion.
Proposition 3 : En s’appuyant sur les outils européens existants4, l’Union doit fixer un objectif simple, que plus aucune famille européenne ne souffre du froid en hiver. Cela implique de rénover tous les bâtiments dans lesquels vivent des familles en situation de pauvreté, sur la base d’un financement public (par ex. fonds structurels, Banque européenne d’investissement).
Énergie-Climat : pas de transition sans innovation
La transition vers une économie sans impact sur le climat est une transformation radicale de la façon dont nous produisons, transportons et consommons. Cette transition n’est réaliste que si elle mobilise tous les acteurs de l’innovation : chercheurs, entrepreneurs, innovateurs, autorités publiques, travailleurs, consommateurs et citoyens.
Par ailleurs, sans innovation, la compétitivité des entreprises européennes s’érode face à leurs compétiteurs, notamment chinois. Pour rester un acteur économique et industriel d’envergure mondiale et encourager la création d’emplois de qualité, l’Union doit intensifier son soutien à la compétitivité fondée sur l’innovation.
Aujourd’hui, nous Européens représentons 7% de la population mondiale, 10% des émissions mondiales de GES, 20% du PIB mondial et 30% des publications scientifiques mondiales. L’Europe doit donc utiliser sa puissance économique et d’innovation pour rester un leader des énergies propres, exporter ses innovations et ainsi contribuer à la lutte contre le changement climatique à l’échelle mondiale. Ainsi, l’objectif européen est d’être le prototype réussi de la transition énergétique mondiale.
L’Europe est une puissance scientifique mondiale. Deux des meilleurs centres de recherche du monde sont français (CEA) et allemand (Fraunhofer), et tous deux travaillent sur l’énergie. Comme le souligne le rapport Lamy, le défi consiste donc pour les Européens à transformer une recherche de grande qualité en innovations commercialisables. Les récentes propositions françaises, allemandes et européennes sur l’augmentation des budgets de recherche et innovation (R&I), le lancement du Conseil européen de l’innovation et la création de missions de R&I constituent des opportunités clés pour que le renouveau industriel de l’Europe repose sur la lutte contre le changement climatique.
Proposition 4 : L’UE doit se doter des moyens adéquats pour promouvoir l’innovation. Le budget européen de la recherche et de l’innovation (Horizon Europe) devrait être d’au moins 120 Md€ sur la prochaine période (2021-2027), ainsi que le propose le Parlement. Au moins 35% de cet argent devrait être investi dans la recherche et l’innovation liées au climat, ainsi que le propose la Commission européenne.
Proposition 5 : Les eurodéputés qui seront élus le 26 mai 2019 devraient s’assurer qu’au moins une des Missions européennes pour la recherche et l’innovation vise à rendre 100 villes et territoires européens neutres en carbone d’ici 2030
Pour une politique commerciale au service des objectifs climatiques
https://www.gouvernement.fr/indicateur-emprunte-carbone (chiffres 2015).
Base de données statistiques OCDE.
Qui existent déjà aujourd’hui, même s’ils sont utilisés dans un autre but, à savoir l’attribution de quotas gratuits.
Antoine Guillou, coordonnateur du Pôle énergie et climat.
L’Union européenne se veut à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique au niveau mondial. Elle s’est fixée pour cela des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre significatifs, tant au niveau européen que dans ses engagements internationaux. Cependant, elle n’est pas encore parvenue à mettre ses actes entièrement en cohérence avec ses objectifs. La lutte contre le changement climatique est encore trop considérée comme une politique sectorielle parmi d’autres, soumise à ce titre aux inévitables compromis entre institutions et entre États, et surtout cantonnée à des champs d’action et des instruments limités.
La transition écologique impose au contraire d’intégrer l’impératif climatique dans l’ensemble des politiques publiques. Et s’il est un domaine dans lequel l’Union a jusqu’ici été particulièrement lente à prendre en compte les enjeux climatiques, alors qu’elle dispose de la compétence exclusive, c’est bien celui de la politique commerciale.
Pourtant, un lien fort entre politique climatique et politique commerciale est indispensable, à un double titre.
Au niveau européen, rehausser efficacement les objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre appliqués à l’industrie implique, à partir d’un certain niveau, de maintenir des conditions de concurrence équitable entre les entreprises européennes soumises à la réglementation ou à la taxation des émissions par rapport à leurs concurrents situés dans d’autres régions du monde et qui en seraient, eux, exemptés. Sans quoi on risquerait d’encourager les délocalisations d’activités émettrices de CO2 là où elles ne sont pas taxées ou réglementées, avec des effets très dommageables à la fois pour l’économie et pour le climat. Tout projet de prix ou de réglementation uniforme des émissions de CO2 à l’échelle mondiale étant aujourd’hui politiquement utopique, il faut trouver une autre voie.
Au niveau mondial, refuser de prendre en compte l’impact carbone de nos importations reviendrait à entériner le fait que nous repoussons tout simplement le problème à d’autres régions du monde : à titre d’illustration, l’empreinte carbone moyenne d’un Français est de 12 tCO2/an, dont seulement 7 correspondent à des émissions sur le territoire national, et 5 à l’impact carbone des produits importés5. Très significatif pour la France compte tenu de son déficit commercial important, l’indicateur d’empreinte carbone reste important pour l’UE dans son ensemble : les estimations varient selon les méthodes retenues, mais l’on estime que les émissions liées à la production sur le sol européen représentent environ 3,5 milliards de tonnes par an, tandis que les émissions imputables aux importations représentent entre 500 millions et 1 milliard de tonnes par an.6 La politique commerciale de l’Union doit être vue non seulement comme un moyen de développement économique mais aussi comme un instrument de puissance. Le poids économique de l’Union européenne, premier bloc commercial du monde, doit être mis au service de la régulation climatique et sociale.
Comment agir ? Pour faire face aux distorsions de concurrence, l’idée d’une «taxe carbone aux frontières», qui viserait à taxer le contenu carbone des biens importés dans les mêmes proportions qu’un bien équivalent produit au sein de l’UE et à les remettre ainsi sur un pied d’égalité, est séduisante. Au sens strict d’une taxe sur l’empreinte carbone d’un produit donné, une telle mesure se révèlerait cependant très complexe, voire impossible à mettre en œuvre techniquement, au regard des difficultés d’identification et de traçabilité complète des produits importés et de leurs composants, parfois nombreux. Mais, au sens plus large de mesure de lutte contre le dumping environnemental, des solutions concrètes et applicables peuvent être avancées. Un système de «certification bas-carbone» des entreprises (sur un principe similaire à celui des normes ISO) pourrait être plus simple à mettre en œuvre qu’un ajustement (autrement dit une taxe carbone) aux frontières à la maille de chaque produit. L’exigence de certification s’appliquerait à la fois aux entreprises européennes et à toute entreprise tierce désirant exporter ses produits vers l’Union européenne, rétablissant ainsi les conditions d’une concurrence plus juste et davantage respectueuse du climat. Une telle approche ne serait pas incompatible avec les règles du commerce international (OMC et Gatt) dès lors que ces conditions d’entrée sur le marché européen s’appliqueraient de manière indiscriminée à tout bien, qu’il soit produit au sein de l’UE ou en dehors.
Proposition 1 : Interdire l’accès au marché européen aux entreprises (européennes ou étrangères) ne respectant pas un standard minimum de limitation des émissions de gaz à effet de serre pour leur activité.
Ces standards minimums seraient définis sur la base de benchmarks sectoriels, c’est-à-dire de comparaisons entre les émissions d’une entreprise donnée et les émissions des entreprises du même secteur. Cette approche permettrait d’interdire le commerce des produits des entreprises les moins vertueuses par rapport à leurs pairs sur le plan climatique.
En lien avec la nécessaire élaboration de stratégies de décarbonation sectorielles pour chaque branche industrielle, la Commission européenne pourrait en outre publier ces benchmarks sectoriels, afin de mettre en valeur les entreprises les plus vertueuses et afin au contraire d’identifier celles n’ayant pas fait les efforts nécessaires, selon le principe du «name and shame».
Proposition 2 : Publier des benchmarks sectoriels au niveau européen, permettant d’identifier, dans chaque branche industrielle, les entreprises les plus vertueuses sur le plan climatique et celles qui ne le sont pas.
Outre cette publication, pour donner aux entreprises qui exportent vers le marché européen une incitation financière à faire mieux que les standards minimums, il est nécessaire d’introduire des mesures d’ajustement aux frontières, conjuguées à une réforme du marché européen d’échanges de quotas.
Cette réforme prévoirait à la fois la fin des allocations gratuites de quotas aux entreprises européennes soumises à la concurrence internationale et l’obligation pour les entreprises étrangères d’acheter, elles aussi, des quotas pour les produits qu’elles exportent vers le marché européen. Il serait possible de calculer le nombre de quotas dus, là encore, en fonction de benchmarks sectoriels7, définis de manière à ne pas pénaliser indûment les entreprises étrangères par rapport aux entreprises européennes, pour ne pas risquer de non-conformité aux règles du commerce international.
Proposition 3 : Introduire des mesures d’ajustement aux frontières pour lutter contre le dumping environnemental, afin de pouvoir ensuite augmenter les objectifs du marché européen d’échanges de quotas (et donc le prix du carbone) y compris sur les industries exposées à la concurrence internationale.
Ces trois propositions permettraient ainsi à l’Union européenne de rehausser son niveau d’ambition dans la lutte contre le changement climatique et ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, en supprimant le risque de fuites de carbone.
Pour aller plus loin et permettre à l’Union européenne d’utiliser son poids économique au service des enjeux climatiques, il faut cependant non seulement adopter des instruments défensifs mais également placer de manière proactive les objectifs climatiques au cœur de l’ensemble des accords commerciaux avec d’autres pays ou régions du monde. L’accord UE-Japon entré en vigueur le 1er février 2019 intègre ainsi une référence aux accords de Paris et des standards environnementaux minimums, mais ne prévoit pas de rehaussement progressif de ces standards. Or c’est là l’élément essentiel.
Proposition 4 : Ne signer aucun accord commercial qui ne prévoirait pas une harmonisation vers des standards environnementaux compatibles avec l’Accord de Paris et réviser les anciens accords en ce sens. A fortiori, ne pas signer d’accord commercial avec des pays non signataires de l’Accord de Paris.
L’Union européenne doit désormais assumer de vouloir devenir un véritable régulateur climatique, non seulement européen mais mondial. Sa politique commerciale doit être mise urgemment au service de cet objectif.
Massifier les investissements verts dans la production électrique pour accélérer la transition énergétique
Emmanuel Tuchscherer, directeur des Affaires européennes d’Engie.
En 2018, plus de 40% de l’électricité est d’origine fossile en Europe, dont 45% est issue du charbon et du lignite. Les émissions de CO2 du secteur de la production électrique et de la chaleur représentent 58% du total des émissions de l’industrie couvertes par le marché carbone européen (EU ETS ou SEQE/Système d’échange de quotas d’émission de l’UE). Réduire rapidement les émissions de ce secteur est une condition pour atteindre les objectifs européens de réduction des gaz à effet de serre (- 40% en 2030) et viser la neutralité carbone d’ici 2050. Fermer les centrales à charbon doit être une priorité de l’UE : elle permettrait d’atteindre 60% à 70% de la cible de réduction des émissions de CO2 à 2030. Sa mise en œuvre impliquera des mesures d’accompagnement pour les territoires les plus dépendants.
L’UE s’est fixé l’objectif de porter la part des énergies renouvelables à 20% en 2020 et 32% en 2030. Pour atteindre ces ambitions, les obstacles juridiques et administratifs doivent être levés. Par ailleurs, une véritable politique industrielle européenne doit se déployer dans ce secteur pour structurer les filières, en maximiser les débouchés sur le plan du développement économique, de l’emploi et de l’aménagement du territoire, et stimuler la R&D. Les interventions publiques mises en place depuis quinze ans pour soutenir le développement des énergies renouvelables intermittentes (éolien et photovoltaïque notamment), combinant appels d’offre et soutiens publics, ont démontré leur efficacité pour porter ces technologies à la taille critique et aux niveaux de compétitivité attendus. L’UE doit cependant en tirer les enseignements des excès constatés par le passé pour contenir les coûts et éviter les effets d’aubaine à l’avenir.
En outre, ces interventions publiques doivent être complétées par une organisation des marchés de l’électricité qui se doit d’être performante pour délivrer aux opérateurs économiques les signaux d’investissement pertinents dans les moyens de production, de stockage et de gestion de la demande qui sont nécessaires à la sécurité d’approvisionnement. En particulier, réussir la transition vers les énergies renouvelables nécessite d’assurer la viabilité économique des actifs de production pilotables et des moyens de stockage, tous deux indispensables pour suppléer à l’intermittence des énergies renouvelables.
Enfin, l’enjeu de la décarbonation du bouquet électrique européen appelle un débat sans parti pris idéologique et considérant les mérites propres de chaque technologie. Le nucléaire historique est aujourd’hui une solution décarbonée qui offre l’avantage de pouvoir fournir en quantité de l’énergie en base. Le gaz naturel continuera de tenir une place importante à court et moyen terme comme source de flexibilité dans la production électrique, et a tous les atouts pour se verdir.
Au regard de cet état des lieux, la politique européenne de l’énergie présente des insuffisances significatives, et plusieurs réformes sont donc indispensables pour accélérer les investissements verts dans le secteur de la production électrique européen tout en assurant la sécurité d’approvisionnement.
Une organisation des marchés de l’électricité incomplète
Cf. le nouveau règlement sur l’organisation des marchés de l’électricité, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2020.
La réforme du marché de l’électricité européen mise en œuvre par la commission Juncker dans le cadre de l’Union de l’énergie8 a certes amélioré son fonctionnement de court terme, toutefois, elle ne garantit pas la rentabilité à long terme des investissements dans de nouvelles capacités de production, de stockage ou de gestion de la demande indispensables à la décarbonation du secteur et à la sécurité d’approvisionnement pour les consommateurs. Les États membres peuvent désormais mettre en place des marchés de capacité – c’est-à-dire des marchés qui rémunèrent les moyens de production ou d’effacement de consommation pour leur disponibilité en périodes de pointe de consommation – sous certaines conditions, mais la législation européenne ne leur reconnaît qu’un caractère dérogatoire et temporaire. Ce cadre régulatoire est inadapté à un monde de la production électrique centré sur les énergies renouvelables, combinant de forts besoins d’investissement initiaux et une production d’électricité à coût marginal presque nul, et devant assurer un impératif de fiabilité de la fourniture.
Proposition 1 : Anticiper les futurs besoins d’investissement en capacités électriques en poursuivant l’évolution du cadre de régulation européen.
Il s’agit en particulier de sécuriser sur un plan juridique et politique les marchés de capacité mis en œuvre dans un certain nombre d’États membres, dont la France depuis 2017, pour assurer le maintien dans le marché de capacités de production, de stockage et de gestion de la demande, et permettre de nouveaux investissements bas-carbone. Ces mécanismes apparaissent cependant comme des solutions transitoires, et la prochaine commission devrait lancer rapidement une réflexion sur le futur modèle de marché pertinent dans un monde de la production électrique massivement renouvelable et de systèmes énergétiques de plus en plus interconnectés (rôle du gaz dans la production électrique, hydrogène et power-to-gas). Cette perspective est proche : l’objectif de 32% d’énergies renouvelables en 2030 requiert l’incorporation au minimum de 60-65% d’électricité d’origine renouvelable dans le système électrique à cette échéance.
Un déficit de coordination des politiques énergétiques nationales
La fragilité de ce cadre de régulation est d’autant plus un problème dans le contexte où les politiques énergétiques des États membres conduisent actuellement à retirer des volumes importants de capacité de production électrique, notamment en Europe de l’Ouest (sortie progressive du charbon en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne, sortie du nucléaire en Allemagne et en Belgique). Environ 30 GW de capacités seront ainsi retirés du système dans les toutes prochaines années sur la plaque régionale Centre-Ouest-Europe9, soit un peu moins que la demande de pointe du Benelux. Ces capacités devront être en tout ou partie remplacées pour assurer la sécurité d’approvisionnement. Or celle-ci pourrait être compromise si les conditions d’investissement dans de nouvelles capacités de production ne sont pas réunies. Au surplus, les décisions de dimensionnement du parc de production sont prises par chaque État membre de manière non coordonnée au niveau européen, sans qu’un bilan précis de l’équilibre offre-demande aux moments de pointe de consommation soit disponible.
Proposition 2 : Mettre en place un Comité de politique énergétique européen pour rechercher de la cohérence dans les décisions de politique énergétique prises par les États membres.
Si le choix du bouquet énergétique reste de la compétence des États membres, il est urgent, dans des marchés de l’électricité de plus en plus interconnectés10, d’installer des mécanismes de coordination politique européens. Dans le respect des prérogatives nationales, le Comité de politique énergétique, composé de représentants nationaux et des institutions européennes, aurait pour mission d’échanger sur les conséquences des politiques nationales sur la sécurité d’approvisionnement et de piloter les stratégies d’investissement transfrontalières en matière d’investissement dans les infrastructures de transport et les capacités de production. À terme, il faudrait progresser vers une intégration plus poussée des politiques énergétiques dans le cadre d’un «Acte 2» de l’Union de l’énergie.
Un marché carbone inadapté aux enjeux du secteur de la production électrique
Le marché carbone européen mis en place en 2005 n’a pas joué le rôle attendu dans la réduction des émissions de CO2 européennes. Ses vices de conception initiaux (rigidité aux évolutions de la demande) n’ont pu être totalement corrigés par les réformes successives. Celles-ci ont été entravées par de multiples résistances (du secteur manufacturier, notamment énergo-intensif, des industries et pays fortement dépendants des fossiles). Ainsi, si le prix de la tonne de CO2 s’est redressé au cours des derniers mois et se situe désormais dans une fourchette de 20-25 euros, son niveau est toujours insuffisant pour enclencher des substitutions de technologies (du charbon par des énergies bas-carbone) et accélérer les investissements verts dont l’UE a besoin pour atteindre ses objectifs. Les politiques nationales ont pris le relais (fixation d’un prix plancher carbone au Royaume-Uni en 2013, décisions de sortie du charbon dans une dizaine d’États membres, subventions aux énergies renouvelables, obligations d’efficacité énergétique), mais ces mesures ont plusieurs inconvénients : renationalisation de la politique énergétique, effets dépressifs sur le cours du SEQE, coûts supplémentaires et moindres ressources budgétaires pour financer la transition énergétique.
Proposition 3 : Mettre en place un prix minimum du CO2 dans le secteur de la production électrique.
Pour accélérer la décarbonation du secteur électrique et stimuler les nouveaux investissements verts, un prix plancher du CO2 devrait être appliqué à la production électrique. Compris dans une fourchette de 25 à 30 euros dans une période initiale, il pourrait être ensuite relevé suivant une trajectoire concertée. Ce prix minimum devrait idéalement prendre place dans le cadre du SEQE commun à l’UE 27. À défaut, il pourrait être poussé dans le cadre d’une avant-garde d’États membres désireux de conforter leurs engagements climatiques. L’intégralité des recettes dégagées seraient versées au financement de la transition énergétique et à des mesures d’accompagnement social.
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