Repenser notre politique commerciale
Introduction
L’élection de Tonald Trump à la présidence des États-Unis symbolise le retour du protectionnisme dans les échanges mondiaux
Aux États-Unis, l’élection de Donal Trump augure d’un tournant protectionniste du pays.
Les négociations relatives au Tafta constituent un sujet majeur de crispation pour les opinions publiques.
La question du statut d’économie de marché (SEM) de la Chine est devenue cardinale pour les pays développés.
La politique commerciale, une compétence exclusive de l’union européenne, fait l’objet de contestations croissantes
Dans ce contexte, la france présente de nombreux handicaps pour faire valoir ses intérêts commerciaux sur la scène internationale
La structure du commerce extérieur français s’est fortement dégradée depuis 2000.
L’affaiblissement de notre industrie pèse lourdement sur nos exportations.
Refonder la politique commerciale de la France
Moderniser notre politique commerciale : les nouveaux enjeux commerciaux.
Entrer dans le nouveau monde : les nouvelles routes commerciales.
Réformer notre architecture gouvernementale et administrative relative au commerce extérieur
Reconquérir nos parts de marché industriel.
Favoriser l’export des PME
Conclusion
Annexe
Moderniser la politique commerciale : les nouveaux sujets commerciaux.
S’ouvrir au nouveau monde : les nouvelles routes commerciales
Réformer notre architecture gouvernementale et administrative sur le commerce extérieur
Reconquérir nos parts de marché industriel et favoriser l’export des PME.
Résumé
À l’heure où le protectionnisme occupe une place croissante dans le débat public aux États-Unis comme en Europe, l’ouverture au monde de l’économie française, condition de sa croissance, ne saurait être remise en cause.
L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis symbolise le retour du protectionnisme dans les échanges internationaux. La politique commerciale que le président élu souhaite mettre en place passe par un rejet des accords internationaux. Cette nouvelle politique commerciale américaine devrait avoir des impacts forts sur les échanges internationaux. Au sein de l’Union européenne, la politique commerciale, l’une de ses compétences exclusives, fait également l’objet de contestations croissantes.
Le commerce international constitue d’autant plus un facteur déterminant de l’influence et du rang de la France dans le monde au travers des grandes négociations multilatérales.
Notre pays doit y retrouver une place centrale malgré ses handicaps, comme le déficit de sa balance commerciale structurellement élevé ou le décrochage industriel. Parallèlement, la structure du commerce mondial s’est fortement modifiée, déplaçant les zones de croissance des pays développés vers les pays émergents, dans lesquels il nous faudra investir massivement.
Dans un tel contexte, la politique commerciale de la France doit être refondée, avec des ambitions renouvelées et une « vision » davantage que des mesures techniques. La présente note a pour ambition de constituer un ensemble cohérent et ambitieux de réformes pour repenser notre politique commerciale et retrouver une place centrale dans la nouvelle économie mondiale.
Laurence Daziano,
Maître de conférences en économie à Sciences Po et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique. Spécialiste des pays émergents.
Auteur de l’ouvrage Les Pays émergents, approche géo-économique (Armand Colin, 2014).
Introduction
À l’heure où le protectionnisme occupe une place croissante dans le débat public aux États-Unis comme en Europe, l’ouverture au monde de l’économie française, condition de sa croissance, ne saurait être remise en cause. Une économie française conquérante implique une industrie française forte, exportatrice et présente sur les marchés internationaux.
L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis symbolise le retour du protectionnisme dans les échanges internationaux. La politique commerciale que le nouveau président élu souhaite mettre en place passe par un rejet des accords internationaux et une politique particulièrement agressive à l’égard de la Chine. Cette nouvelle politique commerciale américaine devrait avoir un impact fort sur les échanges internationaux. Au sein de l’Union européenne, la politique commerciale, une de ses compétences exclusives, fait également l’objet de contestations croissantes.
Devant cette nouvelle situation, le commerce international constitue d’autant plus un facteur déterminant de l’influence et du rang de la France dans le monde au travers des grandes négociations multilatérales. Notre pays doit retrouver une place centrale et s’adresser à tous les marchés, que ce soit les États-Unis, malgré les menaces qui pèsent sur les négociations relatives au Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (Transatlantic Free Trade Agreement, ou Tafta)1, ou la Chine, dans le cadre de son accès au statut d’économie de marché ou les marchés émergents.
Mais la France souffre de handicaps. Structurellement élevé, le déficit de la balance commerciale de notre pays provient autant d’une baisse continue de sa compétitivité que de son décrochage industriel, qui pèse lourdement sur nos exportations. Parallèlement, la structure du commerce mondial s’est fortement modifiée, déplaçant les zones de forte croissance des pays développés, subissant la désindustrialisation de leurs économies, vers les pays émergents, notamment les BRICS2. Le redressement de notre commerce extérieur ne pourra faire l’économie d’un investissement massif dans ces régions et dans les nouvelles routes commerciales qui se dessinent actuellement. L’annonce récente par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) d’une croissance de 1,7% du commerce international en 2016 – soit un niveau inférieur au taux de croissance mondiale (2,2%) – renforce ce constat.
Dans un tel contexte, le statu quo ne peut subsister. Il faut s’atteler à une véritable refondation de la politique commerciale de la France, laquelle doit être portée sur le temps long d’un quinquennat par un ministre délégué disposant des compétences et des moyens pour mettre en œuvre sa politique. Ce nouveau contexte implique une politique plus offensive et des ambitions renouvelées en matière commerciale, une «vision» davantage que des mesures techniques. La présente note a pour ambition de constituer un ensemble cohérent et ambitieux de réformes pour repenser notre politique commerciale et retrouver une place centrale dans la nouvelle économie mondiale.
L’élection de Tonald Trump à la présidence des États-Unis symbolise le retour du protectionnisme dans les échanges mondiaux
Depuis 2008, la crise financière a ravivé les tensions protectionnistes. Le commerce international est devenu un sujet électoral de premier plan, notamment sous son angle multilatéral, qui pose non seulement la question de la réciprocité dans le cadre du libre-échange, mais soulève aussi plus globalement de nombreux sujets connexes aux échanges qui forment les nouvelles priorités de la politique commerciale : protection de la propriété intellectuelle, arbitrage international, réciprocité des investissements. Les orientations protectionnistes que le président élu Trump a indiqué vouloir donner à la politique commerciale américaine devraient avoir des impacts forts sur les échanges internationaux.
Aux États-Unis, l’élection de Donal Trump augure d’un tournant protectionniste du pays.
L’Accord de libre-échange nord-américain (Aléna), entré en vigueur le 1er janvier 1994, a créé une zone de libre-échange de 480 millions d’habitants entre les États-Unis, le Canada et le
« Trump signe la fin du Partenariat transpacifique », Le Monde, 24 novembre 2016, 4.
Partenariat économique global régional réunissant la Chine et les pays de l’ASEAN.
À l’inverse, quand le Congrès s’engage à ne pas amender les accords commerciaux négociés par le président, il s’agit de la procédure dite de fast track, celle-là même que le président démocrate Obama avait paradoxalement obtenue du Congrès républicain pour négocier le TPP et le TTIP
Le nouveau président américain a axé sa campagne sur une rupture de l’ordre établi et a notamment remis en question le principe du libre-échange. La politique commerciale qu’il souhaite mettre en œuvre se caractérise par un retour du protectionnisme passant par un rejet des accords internationaux et une politique particulièrement agressive à l’égard de la Chine. Ce protectionnisme reflète également le rejet du commerce international observé en interne aux Etats-Unis. Mais cette position pourrait avoir de graves conséquences sur l’économie américaine et mondiale. Le président en exercice devrait cependant mener une politique moins radicale que celle présentée par le candidat, en devant notamment prendre en compte les rapports de force tant nationaux qu’internationaux.
Le libre-échange a été une des cibles principales des discours, souvent radicaux, de Donald Trump lors de la campagne présidentielle. Selon lui, l’ouverture des frontières par la baisse des tarifs douaniers est responsable des difficultés économiques auxquelles font face les États-Unis, aujourd’hui contestés dans leur rôle historique de leader économique mondial. Promesse de campagne, le retrait de l’Accord de libre-échange nord-américain (Aléna)3, conclu en 1994, n’a pas pour l’heure été encore annoncé. De même, le désengagement voulu par le candidat Trump de l’OMC, dont le but est de favoriser l’ouverture commerciale en réduisant les obstacles au libre-échange entre les 162 États membres, ne s’est pas encore concrétisé dans des déclarations du président élu. En revanche, dès la fin novembre 2016, la remise en cause dans son programme des traités internationaux s’est traduite par l’annonce de retirer les États-Unis du Partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP) -«catastrophe en puissance pour notre pays», selon Donald Trump – dès son entrée en fonction, le 20 janvier 20174. Projet phare de la stratégie de «pivot» asiatique du président sortant Barack Obama visant à contrer le développement de la Chine et à la concurrencer commercialement au sein de sa zone d’influence naturelle, le TPP avait été signé le 4 février 2016 entre douze pays d’Asie et d’Amérique du Sud ayant un accès au Pacifique, à l’exception notable de la Chine. Le TPP engageait les pays à réduire ou à supprimer les barrières douanières dans tous les secteurs afin de développer des échanges commerciaux. L’annonce de ce retrait est d’autant plus incompréhensible qu’il va laisser la Chine imposer sa suprématie économique dans la zone asiatique, notamment en menant ses propres négociations pour le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP5), alors même que dans le cadre de sa politique commerciale Trump a fait de la Chine, avant le Mexique, l’ennemi principal et la source de tous les maux économiques des États-Unis. Il s’est notamment prononcé en faveur de taxes douanières élevées pour les produits chinois (45%). En plus d’être interdite par l’OMC, cette mesure ne manquerait pas de susciter une forte réaction : à titre d’exemple, le boycott de Boeing par la Chine coûterait 180.000 emplois au secteur aéronautique. Par ailleurs, l’opposition farouche de Trump à l’obtention du statut d’économie de marché par la Chine, qui priverait les États-Unis de barrières anti-dumping, en particulier dans l’industrie lourde, rendra plus difficile l’obtention de ce statut par la Chine.
Au-delà des réalités économiques de concurrence liées à la mondialisation, la politique commerciale du nouveau président trouve ses fondements dans la situation interne du pays et son rejet de la mondialisation. Paradoxalement, la situation économique des États-Unis est bonne : chômage à un niveau historiquement bas (4,9%), croissance autour de 2 à 3%, conséquences de la crise de 2008 surmontées, notamment avec la régulation du secteur de la finance… Le problème se situe au niveau des inégalités socio-économiques qui divisent le pays : la question commerciale clive une société américaine partagée entre les élites profitant du libre-échange (notamment par le biais des multinationales) et les oubliés de la mondialisation, les plus touchés par la concurrence industrielle des pays émergents et les prix imbattables des articles made in China, dont ils ont paradoxalement profité et qui leur ont permis d’augmenter leur pouvoir d’achat. Ce contexte interne explique le retour au protectionnisme prôné par Donald Trump et sa popularité au sein de cet électorat qui ne mesure cependant pas les conséquences, qui pourraient s’avérer dramatiques, d’un retour au protectionnisme.
Ce retour au protectionnisme, à travers la diabolisation du libre-échange, néglige les apports considérables de l’ouverture des marchés et, surtout, l’imbrication internationale des chaînes de production. L’instauration de droits de douane de 45% sur des produits chinois aurait pour conséquence immédiate l’augmentation d’autant des prix des produits importés, par exemple dans l’habillement, et du coût de la vie quotidienne, impactant directement l’électorat même du président élu. Quant à l’imbrication des chaînes de production, notamment dans l’industrie automobile, un relèvement des droits de douane aurait un impact immédiat à la hausse sur le prix des produits finis, en partie fabriqués aux États-Unis, et contracterait encore plus le pouvoir d’achat de l’électorat de Trump.
Dans l’exercice de ses fonctions, le président élu devra probablement se résoudre à une mise en œuvre plus modérée de ses propositions de campagne. Le principal frein qu’il pourrait rencontrer dans la mise en œuvre de sa politique commerciale est le pouvoir du Congrès dans les politiques relatives au commerce extérieur, notamment son pouvoir d’amender les accords commerciaux conclus par le président6. Si une sortie de l’Aléna ou de l’OMC paraît exclue, Donald Trump souhaitera néanmoins développer un protectionnisme raisonné afin de protéger certains pans de l’industrie américaine, durement touchés par des traités de libre-échange déséquilibrés, par des droits de douane relevés notamment. L’élection de Donald Trump devrait donc marquer une rupture dans la politique commerciale américaine, dont l’étendue et les conséquences ne se mesureront qu’a posteriori.
Les négociations relatives au Tafta constituent un sujet majeur de crispation pour les opinions publiques.
Le Buy American Act, loi fédérale américaine de 1933, constitue le symbole du protectionnisme américain. Selon ses dispositions, le gouvernent américain doit, pour ses achats directs et dans certains secteurs, notamment les transports, acheter des biens produits sur le territoire américain, ce qui, de facto, limite l’accès des entreprises étrangères aux marchés publics.
Le Tafta prévoit la création d’une zone de libre-échange transatlantique qui serait la première zone commerciale mondiale (plus de 45% du PIB mondial et 820 millions de consommateurs). Ce projet d’accord est devenu le symbole de l’affrontement entre les tenants du libre-échange et les défenseurs d’une économie européenne plus autonome, détachée des Américains et préservant ses spécificités telles que l’exception culturelle ou la politique agricole commune.
Le principe d’un accord global de partenariat entre l’Union européenne et les États-Unis est un enjeu fondamental pour la défense de nos valeurs et de nos références communes face aux puissances émergentes. En réalité, les barrières tarifaires ne représentent qu’une petite partie des obstacles au commerce international, les barrières non tarifaires, en particulier les normes, en constituant la majeure partie. Une fois agréées entre Washington et Bruxelles, ces normes pourraient s’imposer plus facilement au reste du monde.
Malheureusement, cette vision n’inspire guère les négociations, qui se sont engagées dans le malentendu. Les Américains considèrent que les Européens sont demandeurs d’avantages commerciaux classiques, dont ils auraient besoin pour soutenir leur économie stagnante. Ils sont d’autant moins pressés de faire des concessions aux Européens que la hausse du dollar creuse de nouveau leur déficit commercial. Du côté européen, le Parlement, les partis politiques et beaucoup d’États membres ont perdu de vue que l’idée de départ était une initiative européenne. Des deux côtés, les grands acteurs concernés (gouvernements, grande industrie) ne sont ni motivés, ni organisés, ni même informés de la portée possible de la négociation. La négociation bute également sur un problème majeur : les sujets non strictement commerciaux relèvent, aux États-Unis, d’agences fédérales placées sous l’autorité du Congrès et qui n’acceptent pas de négocier sous l’autorité de l’US Trade, le département du commerce américain.
Devant cette situation, une réunion extraordinaire du Conseil européen devrait acter la suspension – et non l’arrêt définitif – des négociations du Tafta, notamment le temps de la mise en place de l’administration Trump et du nouveau Congrès en 2017, afin de définir, avec le nouveau pouvoir, le cadre de la négociation et la liste des sujets à traiter. Les négociations devraient reprendre sur de nouvelles bases afin que la France puisse faire prévaloir ses intérêts – et celui de beaucoup de nos partenaires européens –, notamment la protection du secteur agricole, l’ouverture aux marchés publics américains (c’est-à-dire l’assouplissement du Buy American Act7), la non-ingérence américaine dans le processus législatif européen, la question des tribunaux arbitraux ou encore la reconnaissance des appellations.
La question de l’extraterritorialité des lois américaines devra être également posée : comment accepter de négocier avec les États-Unis alors que nos entreprises vivent sous la menace permanente d’un chantage, comme le montrent les amendes record de BNP Paribas ou de la Deutsche Bank, ou bien encore l’impossibilité pour nos entreprises de conclure des contrats en Iran compte tenu des sanctions adoptées par le Congrès américain ? La question de l’extraterritorialité des lois américaines devra être abordée lorsque les négociations sur le Tafta seront relancées, si elles le sont, avec la nouvelle administration américaine après 2017.
La question du statut d’économie de marché (SEM) de la Chine est devenue cardinale pour les pays développés.
Irène Deqingquzhen, Les défis de l’industrie de l’acier en Chine, BSI Economics, septembre 2016, p. 3
Robert E. Scott et Xiao Jiang, « Unilateral grant of market economy status to China would put millions of EU jobs at risk », Briefing Paper #407, Economic Policy Institute, 18 septembre 2015, p. 2.
New trade rules for China? Opportunities and threats for the EU, Directorate-general for External Policies, Policy Department, European Parliament, 2016
Ibid.
Ce statut pose la question de la réciprocité des relations commerciales entre les Occidentaux et les grandes puissances émergentes. À son entrée dans l’OMC, en décembre 2001, la Chine avait été enregistrée comme une économie non marchande. La question de son statut devait être réexaminée quinze ans plus tard, soit en décembre 2016. Actuellement, le statut d’économie non marchande permet à ses partenaires commerciaux de se protéger du dumping par l’application de pénalités douanières. La Chine a été frappée par 52 des 68 taxations punitives lancées par Bruxelles, sous forme de droits de douane supplémentaires. Depuis le ralentissement de sa croissance, Pékin exporte sa surproduction industrielle principalement dans les pays occidentaux, ce qui tire les prix vers le bas et multiplie les faillites industrielles. Par exemple, dans le secteur de l’acier, sur la seule année 2015, les exportations chinoises ont bondi de + 19,9%8.
Les incidences économiques de l’attribution du SEM à la Chine ont fait l’objet de plusieurs études. L’Economic Policy Institute de Washington a évalué le risque de perte d’emplois entre 200.000 et 350.000 entre 2017 et 2020 pour la France9. Au total, entre 1,7 et 3,5 millions d’emplois seraient menacés10 par l’abaissement des droits de douanes européens pour les produits industriels chinois. Les secteurs les plus touchés sont le textile, l’électronique, l’optique et l’ameublement. Selon une autre étude, émanant du Parlement européen, les pertes d’emplois pourraient aller de 20.000 (préservation de la majorité des mesures antidumping) jusqu’à 200.000 si l’Union européenne devait renoncer à la plupart des barrières commerciales actuelles11. Concrètement, la métallurgie européenne pourrait disparaître en quelques mois.
La Commission européenne a adopté une réforme qui vise à «neutraliser» l’obtention du SEM par la Chine. La référence en matière commerciale au statut d’économie de marché a été supprimée, ce qui devrait permettre d’appliquer des mesures anti-dumping à l’ensemble des partenaires de l’Union européenne.
La Commission européenne a présenté un projet de modernisation des instruments de défense commerciale. Il comprend notamment la possibilité de renoncer, dans certains cas de surcapacités avérées, à la règle dite du «droit moindre». Celle-ci base le calcul des droits anti-dumping sur le niveau du préjudice subi plutôt que sur le niveau de dumping lui-même. Fonder les droits sur le niveau de dumping permettrait d’appliquer des surtaxes plus élevées. Pour autant, la question des pratiques commerciales de la Chine est loin d’être réglée. L’attribution du SEM pourrait lui permettre de contester ces mesures devant l’OMC, si bien que la modernisation des instruments de défense commerciale ne permettrait de gagner que quelques années avant que le dumping industriel chinois produise pleinement ses effets.
La politique commerciale, une compétence exclusive de l’union européenne, fait l’objet de contestations croissantes
La politique commerciale européenne, dont la compétence relève de la Commission, est régulièrement attaquée par les États membres. Si l’Union européenne joue un rôle majeur dans la libéralisation mondiale des marchés, la crise et les nouveaux rapports de force avec les pays émergents amènent désormais à des approches moins exclusivement «libérales». La politique commerciale européenne est confrontée à un triple défi :
- le défi traditionnel que représentent les États-Unis, qui utilisent tous les moyens pour maintenir leur puissance, comme le montre la poursuite d’une politique de change du dollar strictement guidée par des intérêts nationaux, alors même qu’elle a des effets structurants sur l’économie mondiale ;
- le défi des BRICS, particulièrement de la Chine, qui ne jouent pas suffisamment le jeu de la réciprocité et dont les excédents commerciaux menacent paradoxalement la soutenabilité de leur stratégie économique ;
- le défi que représente la concurrence toujours plus grande des nouveaux émergents (Vietnam, Indonésie, Nigeria, Émirats arabes unis, Argentine…). Pour la politique commerciale européenne, répondre à ces défis est La politique d’ouverture économique en Europe doit se concevoir dans la réciprocité et l’équilibre avec le reste du monde, et ce d’autant plus que les cycles multilatéraux de négociations, à l’instar de Doha, n’aboutissent plus et que le protectionnisme prend des formes multiples (dumping monétaire, dumping social, recours biaisé à la commande publique, non-respect de la propriété intellectuelle, etc.).
Pour autant, même si le besoin de protection s’accentue, le protectionnisme ne protège pas. Une politique protectionniste affecterait les consommateurs de biens importés, mais aussi les producteurs, dont une part de la valeur réside dans les exportations. L’imbrication mondiale des chaînes de valeur industrielle est telle que la fermeture commerciale aurait deux effets : d’une part, des mesures de rétorsion à l’encontre de nos produits exportés ; d’autre part, la pénalisation de nos entreprises qui ont besoin d’importer des éléments à faible valeur ajoutée pour pouvoir ensuite exporter des produits à plus forte valeur ajoutée.
Il faut être conscient d’un risque majeur pour l’Union européenne : la multiplication des accords régionaux dont nous serions exclus. L’échec du TPP ne doit pas faire oublier la conclusion d’un accord entre la Chine et l’ASEAN en 2010, ni les négociations en Asie du Sud-Est autour de la Chine du RCEP qui ont pour effet de marginaliser l’Europe sur la scène commerciale.
Dans ce contexte, la france présente de nombreux handicaps pour faire valoir ses intérêts commerciaux sur la scène internationale
La structure du commerce extérieur français s’est fortement dégradée depuis 2000.
«Le déficit commercial a atteint un nouveau record en 2011», fr, 6 février 2012
Le Chiffre du commerce extérieur. Année 2015, ministère de l’Économie et des Finances, département des statistiques et des études économiques, 5 février 2016
Le Chiffre du commerce extérieur. Premier semestre 2016, ministère de l’Économie et des Finances, département des statistiques et des études économiques, 5 août 2016
« Le déficit commercial se détériore de 1,1 md€ », fr, 5 août 2016
Ibid.
Sylvain Fontan, « Les origines du déficit extérieur de la France », leconomiste.eu, 8 juin 2013
Anne-Laure de Coincy, « Les échanges commerciaux entre la France et l’Allemagne en 2015 », ambassade de France en Allemagne, 23 mars 2016
Sylvain Fontan, art, cit.
Les Entreprises en France, Insee Références, édition 2015, p. 123
Le déficit extérieur repart à la hausse en 2016.
La balance commerciale française, excédentaire jusqu’à la fin des années 1990, a connu un brusque décrochage au tournant des années 2000, concomitamment avec la mise en place des 35 heures. Dans les années 1990, le solde commercial français était globalement équilibré. La situation s’est dégradée pour aboutir à un déficit commercial record de 69,6 milliards d’euros en 201112.
Cette situation négative est encore plus visible dans le solde commercial hors énergie qui se dégrade depuis trois ans, alors que le prix du pétrole est au plus bas depuis l’été 2014. En 2015, l’allègement de la facture énergétique de plus de 14,6 milliards d’euros n’a pas compensé le déficit manufacturier qui s’est creusé de 2,6 milliards d’euros13. Le déficit commercial s’est établi, pour le premier semestre 2016, à 24 milliards d’euros, soit 1,1 milliard d’euros supplémentaires par rapport au premier semestre 2015 14. Il s’agit du déficit commercial le plus élevé depuis 2012, alors même que nos partenaires européens enregistrent des excédents commerciaux.
Ces résultats démontrent que l’amélioration de notre balance extérieure depuis 2012 tenait essentiellement à des résultats conjoncturels exogènes à l’économie française. La stabilisation du cours de l’euro et des prix du pétrole ainsi que le ralentissement de la croissance mondiale provoquent l’effet inverse depuis le début de l’année, alors que nos exportations n’avaient que marginalement profité de la baisse de l’euro en 2015. Les exportations ont diminué de 1,8%, en raison du déficit manufacturier 15. Notre déficit se creuse avec les zones émergentes, où la croissance est la plus élevée, pour atteindre 2,83 milliards d’euros en juin 2016, contre 1,49 milliard le mois précédent16.
Le déficit extérieur a pour origine une baise notre compétitivité.
Le déficit commercial français s’explique par la perte de compétitivité globale de notre économie. La réduction du temps de travail n’est pas le seul facteur à l’origine du creusement de notre déficit commercial et de notre décrochage au sein des échanges mondiaux. Cette décision malheureuse est aggravée par les caractéristiques de la stratégie française d’exportation. La spécialisation industrielle, la concentration géographique des exportations et le vieillissement de notre appareil de production expliquent le positionnement difficile de nos produits.
La France reste très largement dépendante de quelques grands secteurs industriels exportateurs qui, à de rares exceptions, ont des difficultés croissantes à affronter la concurrence internationale. La France a amélioré sa position dans le luxe, l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique ou les vins et spiritueux. L’industrie aéronautique représente près de 40% des exportations industrielles haut de gamme17. Les secteurs déficitaires sont la métallurgie, les machines-outils, les produits électroniques et le textile.
Parallèlement, la structure du commerce mondial s’est fortement modifiée depuis quinze ans. Deux évolutions majeures ont révolutionné le système commercial. D’une part, l’apparition des BRICS – notamment de la Chine comme premier exportateur mondial (ou à jeu égal avec l’Allemagne) et deuxième économie mondiale – a profondément marqué l’évolution économique mondiale ; d’autre part, les échanges ont fortement progressé et les marchés se sont ouverts alors que, simultanément, les chaînes de valeur se sont complexifiées avec la segmentation des processus de production dans plusieurs pays. Un des exemples est la production des composants en Europe centrale et orientale, lesquels sont ensuite assemblés dans les usines allemandes pour être exportés et bénéficier du label made in Germany.
La France réalise l’essentiel de son commerce extérieur avec les pays de l’Union européenne. Or notre pays souffre d’un déficit extérieur vis-à-vis de l’Union européenne, notamment avec l’Allemagne (– 15 milliards en 201518). Cette situation s’oppose à l’idée selon laquelle le cours de l’euro serait largement responsable de la dégradation de notre balance commerciale, puisque nous réalisons d’importants déficits extérieurs avec les grandes économies de la zone euro. À l’inverse, notre appareil exportateur est insuffisamment tourné vers les pays émergents, notamment l’Asie qui ne représente aujourd’hui que 15% du total de nos échanges extérieurs19. La France possède avec la Chine un de ses déficits extérieurs les plus importants (– 12 milliards d’euros). Les efforts français pour basculer les exportations vers les pays émergents sont réels depuis 2007 mais restent limités. Nous n’avons pas encore pris pleinement conscience de la bascule économique intervenue dans l’économie mondiale depuis quinze ans, même si, à certains égards, cette bascule commence à s’essouffler, à l’image de la fragmentation des chaînes de production, auparavant génératrice d’échanges commerciaux démultipliés, qui a probablement atteint son niveau maximal.
Notre appareil productif est relativement inadapté aux exportations et très fortement concentré sur les grandes entreprises. La France dispose de grandes entreprises industrielles exportatrices, largement issues du CAC 40, même si l’affaiblissement de ces multinationales est aujourd’hui inquiétant. Cependant, près de 90% du commerce extérieur français est réalisé par les PME. Or celles-ci, qui présentent de grandes disparités, sont insuffisamment importantes et ont des difficultés à s’intégrer dans les échanges internationaux. Les succès à l’exportation de l’Allemagne et de l’Italie sont largement dus à un tissu dense de PME industrielles exportatrices. La concentration de notre appareil exportateur sur un petit nombre d’entreprises très internationalisées traduit la difficulté du tissu de PME à s’engager dans la mondialisation. La taille des PME françaises est en cause : 75% d’entre elles ont moins de quatre salariés et ne représentent que 20% de l’ensemble des exportations. La moitié des entreprises exportatrices n’ont qu’un seul marché étranger comme débouché. Près de la moitié des ventes sont concentrées sur un seul produit. Cette situation accentue la dépendance de nos PME vis-à-vis de leur marché à l’exportation. Le nombre d’entreprises françaises exportatrices est très bas par rapport au nombre total d’entreprises : seules 8,9% des entreprises exportent20.
L’affaiblissement de notre industrie pèse lourdement sur nos exportations.
Voir Louis Gallois, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, rapport au Premier ministre, La Documentation française, 2012
Ibid, 9.
Clément Malgouyres, « The impact of Chinese import competition on the local structure of employment and wages: evidence from France », document de travail n° 603, Banque de France, septembre 2016, 6.
Voir « Les 10 premiers partenaires commerciaux de la France », tresor.economie.gouv.fr, 14 juin 2014
Louis Gallois, op cit., p. 9
Patrick Artus, France : l’impossible réindustrialisation, Flash Économie Natixis, no 242, 21 septembre 2016
Données Insee.
« Chine : production industrielle accélèrent », fr, 13 septembre 2016
L’industrie française s’est repliée depuis vingt ans. L’activité industrielle y représentait alors 20% de notre PIB et 24% de celui de l’Allemagne. Selon l’OCDE, en 2014, l’activité manufacturière représentait 11,2% du PIB français contre 22,3% du PIB allemand. Or une économie développée nécessite une base industrielle pour exporter et conserver la capacité d’innovation dans les secteurs à haute valeur ajoutée.
Le déclassement de notre commerce extérieur est principalement lié à notre déclassement industriel21. La perte de compétitivité industrielle reflète une perte de compétitivité globale de l’économie française. Or l’emploi dans l’industrie est souvent plus qualifié que la moyenne et possède un impact multiplicateur plus fort sur les autres emplois. L’industrie contribue également de manière importante à la recherche et à l’innovation, permettant ainsi des gains de productivité. Enfin, les pays les plus industrialisés résistent le mieux à la crise.
Le décrochage de l’industrie française, amorcé dans les années 1970, s’est accéléré. L’industrie française atteint aujourd’hui un seuil critique. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée situe la France à la quinzième place parmi les dix-huit pays de la zone euro, loin de l’Italie (18%), de la Suède (21%) ou de l’Allemagne (26%), qui présentent des balances commerciales excédentaires. Parallèlement, l’emploi industriel s’est dégradé. Il est passé de plus de 26% de l’emploi salarié total en 1980 (5,1 millions de salariés) à 12,6% en 2013 (3,1 millions de salariés) : la France a perdu plus de 2 millions d’emplois industriels en trente ans22. L’accroissement de la concurrence étrangère expliquerait entre un tiers et la moitié de ces destructions d’emplois. Une étude réalisée par un économiste de la Banque de France indique que la hausse des importations chinoises serait responsable de la destruction de près de 270.000 emplois en France dans la dernière décennie23.
L’affaiblissement de l’industrie française se traduit par des pertes de parts de marché considérables à l’exportation. En Europe, premier débouché commercial de la France (60% des exportations en 201324), la part de marché des exportations françaises est passée de 12,5%, en 2000, à 9% en 2013. Sur la même période, les exportations allemandes ont progressé de 21,4% à 22,4% en Europe25.
Cet affaiblissement serait dû à l’inadaptation de notre appareil productif à la demande et à son faible niveau de gamme26. Notre industrie se trouve très exposée à la concurrence par les prix mais ses coûts restent élevés. Elle se trouve prise en étau entre l’industrie allemande, positionnée sur un segment de gamme supérieur moins sensible au facteur prix, les pays émergents, mais aussi certains pays d’Europe du Sud ou de l’Est, dont les coûts unitaires de production sont plus faibles. Ceux-ci leur permettent de renforcer leur compétitivité-prix et d’investir pour monter progressivement en gamme.
Confrontée à cette double concurrence, l’industrie française a préservé sa compétitivité prix au détriment de sa compétitivité hors prix. Pour conserver des prix compétitifs, les industries françaises ont baissé leurs marges, de 30 à 19% sur la période 2000-201327, alors que ces marges progressaient en Allemagne. La chute des profits a cassé l’investissement et l’innovation. Bien que toujours élevé, l’effort d’investissement des entreprises françaises n’augmente plus et demeure trop peu orienté vers les secteurs du numérique. Ceci tient à la faiblesse de la formation, des salariés comme des chefs d’entreprise, en ce qui concerne les technologies et leurs potentialités.
La désindustrialisation s’est accélérée ces dernières années. Lafarge a été racheté par le suisse Holcim, Alcatel par le finlandais Nokia. Alstom, qui détenait des positions mondiales de premier plan dans l’hydraulique, le charbon et le nucléaire, a disparu en étant vendu aux Américains. La filière nucléaire se retrouve à bout de souffle. Les erreurs stratégiques commises par Areva ont coûté beaucoup plus cher que le retournement de conjoncture dû à Fukushima, comme le prouvent le dynamisme de la filière nucléaire russe avec Rosatom et l’expansion des énergéticiens chinois. La faiblesse des prix du pétrole rend la filière française parapétrolière très vulnérable. Après le départ de Technip (domicilié à Londres après la fusion avec l’américain FMC Technologies), Vallourec et CGG pourraient faire l’objet d’un rachat.
Plus globalement, un nouvel ordre industriel mondial se fait jour. Alors que la production industrielle croît faiblement dans les pays développés, elle a augmenté à un rythme annuel de 6,3% en Chine en 201628, plusieurs pays émergents ayant poursuivi un rythme similaire sur la même période : 7,5% en Indonésie, 7% au Vietnam et 5% en Malaisie. En Europe, la production industrielle se développe à l’Est. Depuis 2010, la production industrielle a augmenté de 40% en Slovaquie, de 30% en Roumanie et de 20% en Pologne et en Hongrie. L’Allemagne et le Japon ont habilement joué de leurs investissements industriels dans les pays à salaires moins élevés, notamment les groupes automobiles européens en Slovaquie, et du développement de nouveaux secteurs industriels. En France, ce mouvement «schumpétérien» a davantage joué du côté de la destruction que de la création en raison d’un climat des affaires dégradé.
Notre décrochage industriel doit également être mis en perspective avec un ralentissement du progrès technique dans l’ensemble des économies développées. Plusieurs économistes ont étudié les causes et conséquences d’un tel ralentissement qui aboutit à une diminution de la croissance potentielle. La révolution informatique – l’arrivée de l’ordinateur et d’Internet – a modernisé nos sociétés mais ne s’est pas traduite par des gains de productivité aussi élevés que dans les premières révolutions industrielles. Le poids des services dans nos économies développées, moins sensibles aux gains de productivité, est un facteur explicatif. Robert Gordon, professeur d’économie américain, a développé cette idée : alors que l’invention de la machine à vapeur a lancé la révolution industrielle, les grandes entreprises du numérique créent finalement peu d’emplois. Ces travaux aboutiraient, pour la France, à une croissance potentielle – la croissance de long terme – de 0,9%, soit inférieure à 1%. Ce niveau est inquiétant, car il signifie qu’une partie majeure de notre potentiel de croissance, pour dépasser 1%, réside dans l’accroissement de nos exportations pour bénéficier des taux de croissance plus élevés des pays émergents.
Refonder la politique commerciale de la France
Dans un tel contexte, le statu quo n’est plus possible. La politique commerciale, qui a trop longtemps oscillé entre un libre-échange absolu et une fermeture naïve, doit être remise au centre de la stratégie de croissance française.
Afin de repartir à la conquête commerciale du monde, cinq grandes mesures de redressement de notre commerce extérieur peuvent être avancées :
- moderniser notre politique commerciale en la fondant sur les nouveaux enjeux commerciaux ;
- s’ouvrir au monde et démarcher les nouvelles routes commerciales, principalement dans les pays émergents ;
- réformer notre architecture gouvernementale et administrative du commerce extérieur pour qu’elle réponde aux défis de ces nouveaux enjeux et de ces nouvelles routes ;
- reconquérir nos parts de marché industriel ;
- favoriser l’export de nos PME.
Moderniser notre politique commerciale : les nouveaux enjeux commerciaux.
La politique commerciale commune contribue « au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres » (article 206 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).
André Loesekrug-Pietri, « Des investissements plus difficiles pour les groupes chinois », lemonde.fr, 28 septembre 2016
Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Brunei, Vietnam, Laos, Myanmar et Cambodge.
Il faut définir les nouvelles frontières de la politique commerciale qui tournent autour de nouveaux enjeux. La baisse des droits de douane ne constitue plus l’alpha et l’oméga de la politique commerciale. Les enjeux se concentrent désormais sur les normes sociales, sanitaires, environnementales, la propriété intellectuelle, l’arbitrage et les investissements. Ces enjeux touchent directement la vie quotidienne des citoyens, qui y sont d’autant plus sensibles.
Les questions d’investissements sont devenues fondamentales, qu’il s’agisse de ceux des entreprises européennes à l’étranger, qu’il faut sécuriser – notamment au plan de la protection de la propriété intellectuelle –, ou des financements que nous voulons accueillir en Europe sans renoncer à la sauvegarde de notre patrimoine industriel et de nos avances technologiques.
La reconquête de la politique commerciale française passe par un renforcement de la politique commerciale européenne. Sur ces nouveaux sujets commerciaux, neuf mesures fortes pourraient être prises au niveau européen :
- Créer un Conseil de sécurité commercial européen. Afin de défendre ses intérêts, l’Union pourrait s’appuyer sur un Conseil de sécurité, composé des grands États membres et de représentants des entreprises, soit une dizaine de personnes au total. Ce Conseil aurait pour objet de lister nos intérêts défensifs et également de surveiller nos intérêts Il serait compétent pour discuter des sujets stratégiques tels que les investissements, la propriété intellectuelle, l’accès à l’énergie ou aux matières premières. Son premier dossier pourrait concerner le statut d’économie de marché de la Chine et l’acier européen.
- Faire conduire les négociations commerciales européennes par la présidence de l’Union européenne, afin de renforcer le caractère politique de la négociation, et pas uniquement par le commissaire au Commerce. Il ne s’agit pas de déposséder la Commission européenne ou la DG Trade de leurs compétences de négociation, mais plutôt de marquer le caractère éminemment politique des négociations commerciales qui se déroulent de manière bilatérale entre les grands Cette réforme nécessitera une révision des traités, puisque la politique commerciale est un domaine de compétence exclusive de l’U.E.29– à l’exception des traités commerciaux qui comportent des éléments relevant d’un domaine de compétences mixtes, à l’instar du traité Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) entre l’Union européenne et le Canada, qui doit passer par la ratification des parlements nationaux.
- Mettre en place un Buy European Act, sur le modèle du Buy American Act. Certains investissements, par exemple dans le domaine des transports, de l’énergie ou des grandes infrastructures, financés par des fonds publics européens ou étatiques, devraient contenir une part, à définir, de production locale, sur le modèle de ce que les États-Unis ont demandé à Alstom pour la construction de ses trains sur le sol américain lors du contrat conclu en septembre.
- Adopter une position commune des pays développés pour obtenir la réciprocité avec la Chine. Le prochain président de la République devra porter les questions commerciales dans les enceintes internationales telles que le G20, l’OCDE et l’OMC. Il faudra notamment mettre à l’ordre du jour les pratiques de dumping de l’industrie chinoise et la réduction des surcapacités industrielles afin de préserver les équilibres économiques mondiaux. Le prochain président devra également souligner la nécessité de la réciprocité des investissements (les investissements chinois à l’étranger se montent à 100 milliards de dollars pour le premier semestre 2016, soit autant que pour l’année 201530), alors que de nombreux marchés émergents demeurent fermés aux investissements occidentaux.
- Instaurer une taxe climat (ou carbone) à l’entrée du territoire européen du marché unique comprise entre 1 et 3% du produit concerné selon sa teneur en L’idée serait double : rétablir l’équilibre concurrentiel entre les industriels européens soumis à des normes environnementales contraignantes et les industriels des pays émergents ; et disposer de ressources nouvelles pour financer notre adaptation climatique. La mise en place d’une taxe climat serait également conforme à l’OMC puisqu’elle se rapporterait à la «conservation de ressources naturelles épuisables». L’OMC a déjà considéré qu’une taxe pouvait être mise en place si elle se fondait sur des engagements précis relevant de conventions internationales sur l’environnement. Il suffirait de se fonder sur les engagements européens émis dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat (baisse de 40% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 1990).
- Instaurer immédiatement des mesures anti-dumping contre toutes les industries en surproduction ou subventionnées dans les pays émergents à un taux minimal de 15%. En avril 2016, la Commission européenne a pris des mesures anti-dumping contre les aciers laminés chinois et russes avec des droits de douane respectifs de 19 et 25%. Ces mesures doivent s’appliquer à l’ensemble des industries en surproduction qui se déversent en Europe, en faisant peser la charge de la preuve sur les industriels étrangers et non sur les industriels européens comme le prévoit la réforme actuelle de la Commission européenne.
- Évaluer a posteriori les accords Réaffirmer le principe d’ouverture commerciale doit s’accompagner d’une politique active d’évaluation de l’impact des accords commerciaux a posteriori, ne serait-ce qu’en termes d’accroissement effectif des échanges, voire de création d’emplois au sein de l’Union européenne. L’accord de libre-échange conclu avec la Corée du Sud pourrait constituer le premier exercice de cette nature.
- Lancer la négociation d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Russie. L’ancrage de la Russie à l’Europe, alors que les regards de Moscou se tournent de plus en plus vers l’est, et notamment la Chine, depuis les sanctions occidentales mises en place en 2014, milite pour le lancement de négociations commerciales actives entre Bruxelles et Moscou.
- Lancer la négociation d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’ASEAN31. Le retrait annoncé des États-Unis de la zone économique asiatique constitue une opportunité pour l’Union européenne d’apparaître comme une alternative ou un complément aux pays de la zone Asie face à la Elle permettrait également dans les négociations commerciales, au-delà de la baisse des tarifs douaniers, de définir des normes sociales, sanitaires, etc., eurocompatibles et plus favorables aux intérêts des consommateurs européens que les normes qui risquent d’être érigées par la puissante industrie chinoise en unique référence.
De manière générale, les négociations commerciales européennes ont été de plus en plus «diluées» par des considérations non commerciales, a fortiori depuis l’entrée en scène du Parlement européen avec le traité de Lisbonne. L’immixtion de ces demandes non commerciales est une des raisons de l’affaiblissement du levier de négociation de la Commission. Il faudra revenir aux fondamentaux des traités commerciaux, ce qui signifie promouvoir les intérêts économiques, industriels et commerciaux de l’Union européenne avant toute autre considération.
Entrer dans le nouveau monde : les nouvelles routes commerciales.
Statistiques du commerce international 2015, OMC
Selon le concept de Fernand
Terme désignant un groupe de six grands pays émergents : Bangladesh, Éthiopie, Nigeria, Indonésie, Vietnam et Mexique.
« L’évolution du réseau diplomatique depuis 2007 », référé de la Cour des comptes, 13 février 2013
Ibid
À titre d’exemple, les quarante pays pourraient être : Afrique du Sud, Algérie, Angola, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Azerbaïdjan, Bangladesh, Bénin, Brésil, Cambodge, Chili, Chine, Colombie, République démocratique du Congo, Corée du Sud, Côte d’Ivoire, Cuba, Émirats arabes unis, Égypte, Éthiopie, Ghana, Inde, Indonésie, Iran, Israël, Kazakhstan, Koweït, Malaisie, Maroc, Mozambique, Nigeria, Pakistan, Pérou, Philippines, Qatar, Russie, Sénégal, Thaïlande et
Le commerce extérieur français doit se repositionner massivement vers les nouvelles routes commerciales, c’est-à-dire les zones émergentes en forte croissance. Il s’agit de redonner un corpus doctrinal à l’action économique extérieure française, très largement «orpheline» depuis la suppression de la Direction des relations économiques extérieures (DREE) et son absorption par la direction du Trésor.
Cette question est stratégique car l’amélioration de nos parts de marchés dans le commerce international passe par la hausse de nos exportations dans les pays émergents. Nos parts de marché dans le commerce mondial sont passées de 6% en 1993 à 3,2% en 201432, et ne progressent pas depuis. Tous les pays européens qui ont réussi à améliorer leur solde commercial, notamment les Allemands et les Italiens, ont connu une hausse de leurs parts de marché dans les pays émergents qui connaissent les taux de croissance les plus élevés. Les pays émergents offrent à la France une opportunité historique de transformer la contrainte de la mondialisation en avantage. Ils constituent non seulement le foyer de la croissance mondiale mais, à l’instar de ce qu’a connu l’Occident deux à trois siècles plus tôt, leur développement s’accompagne de mutations structurelles, au premier rang desquelles une urbanisation accélérée, plus ou moins maîtrisée, mais dans tous les cas génératrices de besoins colossaux : distribution d’eau, d’électricité, de carburant, assainissement, transports urbains, aéroports, téléphonie, traitement des déchets, génie civil, construction, alimentation, services publics… La France dispose dans tous ces secteurs d’une expertise de pointe et de groupes nationaux leaders mondiaux, parmi lesquels Engie, EDF, Total, Axa, Carrefour, Auchan, Vinci, Orange, Bouygues, Saint-Gobain, Veolia, ADP, RATP, SNCF, Keolis… Les «villes monde33» de demain seront situées dans les BRICS et les BENIVM 34. La croissance se jouera de plus en plus dans ces métropoles mondialisées au Sud.
Notre priorité doit être de structurer l’offre française pour éviter qu’une concurrence anarchique entre les groupes français ne profite avant tout à nos concurrents étrangers. Si des concentrations de capital sont nécessaires pour peser plus lourd à l’échelle mondiale, il faudra les faciliter. Nos banques d’affaires et de dépôt devront contribuer à mettre en place l’ingénierie financière nécessaire au financement de chantiers potentiellement colossaux. Sur ce sujet, il conviendra probablement de faire appel aux financements des BRICS, en premier lieu de la Chine, pour financer certaines infrastructures, sur le modèle des EPR britanniques financés à 40% par les énergéticiens chinois. Les entreprises et les travailleurs des pays émergents devront être associés à ces chantiers dans le cadre d’offres croisées, sous peine de se voir préférer des concurrents étrangers qui auraient accepté des transferts de technologie en échange de l’accès aux marchés.
Le gouvernement devra disposer d’une stratégie française dans les pays émergents, qui fait encore trop largement défaut aujourd’hui. Cette stratégie serait formalisée dans le cadre de la rédaction d’un «Livre blanc sur la stratégie et les partenariats dans les pays émergents».
La France est d’autant mieux armée pour faire face à cette nouvelle donne qu’elle dispose du troisième réseau diplomatique mondial (derrière les États-Unis et la Chine). Ce réseau comprend 163 ambassades bilatérales et 16 représentations multilatérales et emploie plus de 5.500 agents35. Pour autant, la diplomatie française a encore insuffisamment pris la mesure du basculement du monde qui s’opère. Les ambassades «nobles» restent celles du monde d’avant (Londres, Berlin, Bruxelles, Madrid, Rome…). En revanche, les «postes émergents» les plus exposés restent faiblement attractifs et sous- dotés, même si des progrès ont été faits.
La Cour des comptes relève que, si la France a augmenté ses effectifs en Chine (+ 11%) et en Inde (+ 14%), il est très regrettable qu’elle les ait diminués au Brésil (– 6%), en Afrique du Sud (– 8%), en Asie (– 1%) et, surtout, en Afrique (– 14%), alors que ce continent est en train de véritablement émerger36.
Pendant le prochain quinquennat, il conviendrait d’augmenter les effectifs des ambassades et des postes économiques dans les pays émergents, notamment les quarante principaux marchés commerciaux en expansion en Afrique, en Asie et en Amérique latine37.
Business France devra concentrer son activité sur ces quarante marchés émergents et fermer son activité dans les marchés matures, notamment européens, pour lesquels les entreprises n’ont pas besoin d’une aide à l’exportation. Ces équipes devront être qualitativement renforcées, avec un équilibre entre expatriés et agents locaux (qui constituent aujourd’hui l’essentiel des effectifs des bureaux Business France). Dans les pays où Business France ne dispose pas d’une implantation, le conseiller économique de l’ambassade sera également le conseiller commercial. Il bénéficiera du pilotage, du «back office» et des outils de travail de Business France.
Réformer notre architecture gouvernementale et administrative relative au commerce extérieur
Au Japon, le MITI, devenu le METI (Minister of Economy, Trade and Industry) est le ministère compétent, pour l’industrie, l’économie, le commerce extérieur et l’innovation. Le regroupement de ces compétences dans un ministère unique a permis d’établir un lien étroit entre les stratégies de protection des industries naissantes, de promotion des exportations et de politique
Elsa Bembaron, « Il manque 2,4 milliards à Bpifrance selon la Cour des comptes », lefigaro.fr, 20 octobre 2016
La France s’est dotée d’une organisation complexe et coûteuse en matière commerciale, laquelle a été balkanisée par le transfert de la compétence commerciale de Bercy au Quai d’Orsay puisque le ministère des Affaires étrangères a dupliqué, avec une minutie extrême, l’organisation de la direction générale du Trésor en matière internationale. Les acteurs parapublics (Business France, chambres de commerce, fédérations professionnelles, Régions) n’ont pas réussi à rationaliser leurs dispositifs. Les acteurs sont nombreux et les compétences se recouvrent.
La réforme du commerce extérieur français passe aussi, même si le Meccano administratif est souvent décrié, par une réorganisation gouvernementale et administrative en neuf propositions pour s’adapter aux nouveaux enjeux du commerce mondial :
- Au niveau gouvernemental, un MITI38 à la française serait créé. Le lien doit être fait entre la politique commerciale stricto sensu et les divers volets des politiques industrielles, de compétitivité et d’innovation, comme c’est le cas au Japon, aux États-Unis ou en Le regroupement de ces compétences dans un ministère unique permet d’établir un lien étroit entre les stratégies de protection des industries naissantes, de promotion des exportations et de politique industrielle. Ce MITI regrouperait les portefeuilles de l’économie, de l’industrie, du commerce extérieur et de l’enseignement supérieur. Cette organisation ferait davantage sens que le rattachement au Quai d’Orsay, qui traite davantage des sujets diplomatiques classiques.
- Au sein du MITI, la politique commerciale serait incarnée par un ministre délégué au Commerce extérieur. Le terme prend tout son sens car, souvent, le gouvernement français ne comprend qu’un secrétaire d’État au Commerce extérieur, lequel est qualifié à l’étranger de «Secretary of State», ce qui correspond, dans la nomenclature anglo-saxonne, à un emploi de directeur d’administration centrale ou de vice-ministre, mais à caractère administratif et non politique. Pour négocier les accords internationaux, les grands contrats et discuter avec ses homologues étrangers, le titulaire du portefeuille doit être de rang ministériel. Pour s’acquitter au mieux de ses missions, le ministre délégué devra présenter une triple expertise : parler couramment les langues étrangères, surtout l’anglais ; être un spécialiste de l’économie internationale, voire des pays émergents ; connaître le monde de l’entreprise.
- Les corps des conseillers et attachés économiques seraient fusionnés au sein d’un corps unique, celui des Affaires étrangères, afin de ne pas perdre le lien étroit entre le réseau diplomatique et le réseau des services économiques. Cette réforme statutaire permettrait d’achever la création d’un corps interministériel unique ayant vocation à servir à l’étranger. Cela ne changerait rien quant à la compétence de Bercy sur les dossiers économiques internationaux, mais le corps statutaire unique permettrait de multiplier les allers-retours entre les administrations.
- Une direction générale du commerce extérieur (DGCE) serait créée au sein du MITI. Cette DGCE fusionnerait la partie de la direction générale du Trésor en charge des relations commerciales et bilatérales, et les dispositifs similaires et concurrents, constitués dans la période récente, au Quai d’Orsay (direction des entreprises et une partie de la direction générale de la mondialisation). La DGCE assurerait la tutelle unique de Business France et la tutelle « partagée » sur les pôles de compétitivité.
- Le volet innovation pourrait être mieux mis en avant en implantant dans une dizaine de grands marchés, des French Innovation Centers (sur le modèle danois). Ces centres, dont le rôle serait de promouvoir des partenariats d’innovation et industriels sur des secteurs clés, fonctionneraient selon un partenariat public privé (PPP).
- Une «War Room» pour les grands contrats, présidée par le président de la République, serait créée. Il s’agit d’appliquer la méthode suivie pour les grands contrats militaires (Rafale, sous-marins en Australie). L’objectif est d’avoir un suivi, dans la durée, des relations politiques et diplomatiques de haut niveau, des conditions de financement (essentielles, par exemple, pour les contrats nucléaires) et d’assurer la cohérence de l’action française.
- Une conférence decoordination, présidée par le ministre délégué et dont le secrétariat serait assuré par la direction générale du commerce extérieur, serait instituée. La France dispose d’organismes reconnus dans chacun de leur domaine : COFACE pour l’assurance-crédit, BPI CDC pour les prêts (mais la Cour des comptes met en garde contre « un besoin de financement non résolu de Bpifrance de 2,4 milliards d’euros entre 2017 et 201939»), Business France, voire chambres de commerce, pour les informations. Vouloir tous les rassembler dans une même entité présente le risque de perdre le savoir-faire ou, du moins, de le diluer fortement. La création d’une conférence de coordination permettrait de doter le Commerce extérieur d’une vraie autorité pour coordonner et rationaliser leurs actions.
- Au titre de la rationalisation et de la simplification, la question de la fermeture des structures de développementéconomique des Régions se pose. À la place, les Régions financeraient Business France, qui disposerait, en contrepartie, de bureaux régionaux plus étoffés.
- Enfin, le ministre du Commerce extérieur s’appuierait sur un conseil de pilotage du commerce extérieur associant le secteur privé (pas uniquement les grandes organisations, mais aussi quelques chefs d’entreprise emblématiques) qui pourrait, une fois par an, fixer des axes, notamment en termes géographiques et sectoriels.
Reconquérir nos parts de marché industriel.
« L’emploi de 3 millions de salariés menacé par les robots d’ici à 2025 », le figaro.fr, 26 octobre 2014
La France doit repenser sa stratégie à l’égard de son industrie, y compris de l’acier et de l’aluminium. Il agit d’une question d’avenir et de souveraineté. Il faut maintenir une souveraineté productive en mesure de soutenir la concurrence internationale, d’autant que la question de l’avenir industriel des filières parapétrolière, nucléaire et ferroviaire se posera rapidement en 2017.
- En premier lieu, il n’y a pas à choisir entre la vieille industrie et la nouvelle économie. Au contraire, l’industrie peut être réinventée grâce à la révolution numérique. La numérisation change les modes de Le design peut être adapté et le processus de production modifié. L’activité industrielle est désormais très éloignée du taylorisme. De ce point de vue, l’industrie devient beaucoup plus «émancipatrice» pour le salarié.
- En second lieu, la robotisation ne signifie pas la disparition des ouvriers. La France doit favoriser la robotisation et rattraper son retard : une étude du cabinet Roland Berger40, en 2014, indiquait que l’Allemagne disposait de 150.000 robots alors que la France n’en comptait que 34.500. Le taux de robotisation (nombre de robots pour 10.000 employés) était de 125 en Allemagne contre 84 en France en 2014. Il existe des différences selon les filières, qui ont des contraintes différentes, mais dans tous les cas la robotisation laisse encore beaucoup de place aux humains et à leurs compétences pointues.
- En troisième lieu, la base industrielle ne doit pas être laissée aux pays émergents. La valeur ajoutée d’un produit ne se mesure pas seulement à la conception, mais également à la fabrication qui peut nécessiter des compétences Les ouvriers de demain disposeront d’une double compétence qui visera à maîtriser les machines tout en adaptant la production au produit.
- Enfin, il faut réorienter l’épargne des Français vers l’industrie. Les épargnants allemands investissent quatre fois plus dans l’industrie que les épargnants français. La mise en place de fonds souverains français permettrait de poursuivre l’action conduite avec la création du Fonds stratégique d’investissement (FSI). La Caisse des dépôts ne peut pas tout faire.
Une industrie forte est le seul moyen de redresser durablement le solde du commerce extérieur français et de retrouver un niveau d’emplois plus élevé et équilibré sur le territoire.
Favoriser l’export des PME
L’objectif est de permettre aux PME françaises de ne plus regarder l’exportation comme une opportunité «one shot», mais de les aider à grandir et à se maintenir sur les marchés internationaux.
- Ne pas aller vers l’interlocuteur unique et conserver des équipes spécialisées. Depuis plusieurs années, les gouvernements ont souhaité simplifier les systèmes d’accompagnement à l’exportation en rapprochant les organismes dédiés au soutien à l’exportation. L’idée d’origine, simple et bien fondée, ne doit pas être dévoyée. Offrir aux PME un interlocuteur unique capable de leur montrer l’ensemble des dispositifs est une bonne solution. Elle s’adapte aux besoins d’une PME qui n’a pas les moyens de contacter, d’étudier ou de rechercher l’ensemble des aides dont elle peut bénéficier. Cette idée ne doit pas être dévoyée en transformant l’interlocuteur unique en un spécialiste multifonctions. Chaque métier – prêteur, assureur, garant… – répond à des spécificités. Il faut conserver ces spécificités et éviter de les diluer au sein d’un seul et unique Il faut éviter de regrouper au sein de la BPI l’ensemble des métiers d’accompagnement à l’exportation, d’autant que la présence de la BPI tend à devenir une condition sine qua non pour investir pour les acteurs privés, ce qui crée de facto un effet d’éviction.
- Arrêter le saupoudrage des aides à l’exportation. La création d’Ubifrance, devenue Business France à la suite de fusion avec l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), a donné lieu à la création d’un nouvel établissement public industriel et Qu’un organisme parapublic fasse payer ses services n’est pas illogique, même s’il s’agit de monétiser les activités antérieurement prises en charge gratuitement par le réseau des missions économiques. En revanche, que les entreprises payent ces prestations en faisant appel à des aides publiques confine à une complexité peu utile. L’aide à l’exportation doit être pensée de façon globale. L’offre devrait être de proposer des études, des informations sur le marché et, le cas échéant, une enveloppe complémentaire pour la PME exportatrice.
- Retrouver une expertise française des prêts à l’exportation. Durant les années 1980 et 1990, les banques françaises étaient internationalement reconnues comme étant les meilleures pour les crédits à l’exportation. Depuis, trouvant le métier sans doute peu rentable et arguant de nouvelles contraintes liées à Bâle II et III, elles ont progressivement abandonné le marché aux banques étrangères. Il n’est plus rare que nos exportations emblématiques soient financées par des banques étrangères (Airbus, notamment) et que les PME ne trouvent plus personne pour les La BPI, comme prêteur direct, présente un intérêt pour compenser les lacunes du marché, mais demander au marché de prendre ses responsabilités pourrait être plus utile à long terme. L’État devrait avoir les moyens de réunir les banques de la place de Paris et de les « forcer » à mettre en place des lignes minimum pour contribuer aux financements des exportations, sans avoir à recourir au prêteur direct, la seule garantie de l’État devant suffire. Normalement, la BPI devrait intervenir quand le marché est inefficient, ce qui serait conforme au principe de subsidiarité. Or la BPI est devenue tellement incontournable que le marché n’intervient qu’en sa présence.
- Évoluer sur le déliement de l’aide publique au développement. Malgré les discours sur la diplomatie économique, l’Agence française de développement (AFD) est juridiquement complètement déliée. Ce qui est compréhensible pour des prêts, a fortiori sans coût pour l’État, l’est beaucoup moins pour les dons. Même pour des prestations de bureaux d’études, sujet important puisqu’il prépare les appels d’offres, l’AFD passe des appels d’offres, contrairement aux grands concurrents, y compris l’Agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development-USAID), qui dispose de contrats-cadres avec des entreprises américaines à qui elle confie les prestations. Le débat sur l’aide déliée est biaisé car nous appliquons une politique non suivie par les Américains, les Chinois ou les Turcs. Dans quelle mesure nos entreprises peuvent-elles, réciproquement, bénéficier de contrats financés par l’aide au développement d’autres pays ? Les dotations de l’État à l’AFD devraient être subordonnées à l’attribution d’une part minimale de marchés à des entreprises françaises, sans rompre officiellement le principe global du déliement.
Conclusion
En conclusion, il est urgent pour la France de moderniser son action commerciale pour renouer avec la conquête des grands marchés. Cette nouvelle politique, plus «réciproque» vis-à-vis des grands pays émergents, pourrait s’appuyer sur un Conseil de sécurité européen de la politique commerciale et un MITI à la française qui remettrait le commerce extérieur au cœur de notre stratégie de croissance.
L’amélioration de notre solde extérieur passe par des actions majeures qui doivent s’insérer dans le temps long d’un quinquennat, avec une grande stabilité dans la mise en œuvre, et un ministre délégué compétent et disposant des «codes» internationaux, au premier rang desquels la maîtrise des langues étrangères et des économies émergentes. Parmi les principales réformes, il convient de rappeler :
- l’accroissement de nos parts de marchés dans les pays émergents, à un moment où le commerce international stagne ;
- la clarification et la rationalisation du dispositif public d’appui à l’exportation, afin notamment de développer nos PME exportatrices ;
- l’amélioration, au-delà des coûts salariaux, de notre compétitivité hors coûts, c’est-à-dire notre offre en matière de qualité, d’innovation et de montée en gamme de nos produits ;
- la création d’une « War Room » pour les grands contrats, qui permette d’avoir un suivi, dans la durée, des relations politiques et diplomatiques de haut niveau, des conditions de financement et d’assurer la cohérence de l’action du gouvernement et des entreprises françaises concernées.
Il faut avoir une vision large de nos intérêts commerciaux. Ils passent autant par nos intérêts offensifs traditionnels que par la promotion des normes techniques ou la lutte contre la contrefaçon. La question de la propriété intellectuelle ou l’incitation de nos entreprises à investir chez les grands émergents sont des intérêts stratégiques de premier plan pour la France.
Annexe
Résumé des propositions de réforme
Moderniser la politique commerciale : les nouveaux sujets commerciaux.
- Créer un Conseil de sécurité commerciale européen.
- Mettre en place un Buy European Act sur le modèle du Buy American Act.
- Instaurer une taxe climat (ou carbone) à l’entrée du territoire européen du marché unique comprise entre 1 et 3% du produit concerné selon sa teneur en carbone.
- Instaurer immédiatement des mesures anti-dumping contre toutes les industries en surproduction ou subventionnées dans les pays émergents à un taux minimal de 15%.
- Faire conduire les négociations commerciales par la présidence de l’Union européenne.
- Porter de manière plus offensive les nouveaux sujets commerciaux dans les négociations commerciales internationales (normes, arbitrage, investissements…).
- Évaluer a posteriori les accords commerciaux conclus par l’Union européenne.
S’ouvrir au nouveau monde : les nouvelles routes commerciales
- Rédiger un «Livre blanc sur la stratégie et les partenariats dans les pays émergents».
- Se repositionner vers les zones émergentes en forte croissance, notamment en redéployant nos effectifs dans les ambassades et les services économiques de ces pays.
- Concentrer Business France sur les quarante principaux marchés émergents et fermer les autresbureaux.
- Arriver à une convergence des pays développés pour obtenir la réciprocité avec la Chine.
- Négocier un accord de libre-échange avec la Russie.
- Négocier un accord de libre-échange avec l’ASEAN.
Réformer notre architecture gouvernementale et administrative sur le commerce extérieur
- Créer un MITI à la française regroupant l’industrie, le commerce extérieur et l’innovation, doté d’un ministre délégué au Commerce extérieur.
- Créer une « War Room » pour les grands contrats.
- Créer une direction générale du commerce extérieur.
- Fusionner les corps statutaires des Affaires étrangères et des conseillers économiques.
- Mettre en place des French Innovation Centers sur le modèle danois.
- Instituer une conférence de coordination pour les acteurs du commerce extérieur.
Reconquérir nos parts de marché industriel et favoriser l’export des PME.
- Réindustrialiser via la robotisation et la montée en gamme de nos produits.
- Réorienter l’épargne des Français vers l’industrie avec des fonds souverains français.
- Arrêter le saupoudrage des aides à l’exportation.
- Retrouver une expertise française des prêts à l’exportation et fixer une ligne minimale de crédits dans les établissements bancaires français en faveur de l’export.
- Évoluer sur le déliement de l’aide en réservant une part minimale des dons aux entreprises françaises.
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