Résumé

Introduction

I.

La naissance du système de protection sociale en Italie et la première réforme structurelle fasciste sous le signe de l’harmonisation

II.

L’article 38 de la constitution italienne

III.

La deuxième réforme structurelle : la réforme Brodolini et la « durabilité démographique »

IV.

Les années 1970 : l’insoutenable croissance de la dépense de la protection sociale

V.

Entre crise du système de protection sociale et égoïsme intergénérationnel

VI.

Tentatives de réformes : « petites marches », « grandes marches » et système à points

VII.

La réforme Fornero : la durabilité du système de protection sociale sous le signe de l’équité intergénérationnelle

VIII.

La véritable histoire des Esodati

IX.

A la recherche d’une réforme de la protection sociale sous le signe de l’équité

X.

La dernière proposition de réforme : le quota 100

Conclusion

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Résumé

Alors que la France se prépare à une importante restructuration de son système de protection sociale, l’expérience italienne en la matière est porteuse d’un certain nombre d’enseignements que la présente note se propose d’explorer. En revenant sur les origines et ledéveloppement du système italien de retraite, de la création de la première forme d’assurance obligatoire en 1898 aux récentes réformes Dini et Fornero, l’auteur Michel Martone, vice-ministre du Travail et des Affaires sociales entre 2011 et 2013 sous le gouvernement de Mario Monti, insiste sur l’importance de choisir le bon moment et la bonne méthode.

Les réformes de la protection sociale concernent directement le pacte social, qui relie entre eux les sexes, les générations et les catégories de travailleurs, et concentre toujours pour ces raisons une très grande attention médiatique et sociale. Afin de redéfinir et de renforcer le pacte social à l’époque de la mondialisation, il est important d’avoir du temps pour mettre en place un vaste dialogue avec lapopulation.

Cette note se penche également sur les projets de réforme avancés récemment par la coalition populiste au pouvoir associant le Mouvement 5 étoiles et la Ligue.

Michel Martone,

Juriste et professeur en droit du travail à l’université de Teramoet à la Libre université internationale des études sociales (Luiss) de Rome, vice-ministre du Travail et des Affaires sociales entre 2011 et 2013 sous le gouvernement de Mario Monti.

La France se prépare à une importante restructuration de son système de protection sociale. Elle a été annoncée par le Président de la République, Emmanuel Macron, qui a nommé un Haut-Commissaire aux réformes des retraites, Jean-Paul Delevoye, avec la mission de procéder à la mise enchantier du texte normatif. Selon les déclarations d’Emmanuel Macron, la réforme se basera sur leprincipe d’égalité, au moment de la liquidation de la retraite. Les cotisations versées devront rapporter des revenus calculés d’une façon égale pour tous. Un autre pilier de la réforme sera l’harmonisation du système de protection sociale qui, aujourd’hui encore, est caractérisé par sa mutualité et par l’existence d’une quarantaine de régimes spéciaux s’adjoignant à un régime général, porteur de profondes différences entre les catégories de travailleurs. Il s’agit donc d’un défi important car il concerne la structure même du système de protection sociale français. En vue des élections européennes, son ambition est de positionner la France à l’avant-garde de la construction d’un nouveau modèle social, capable de contrecarrer les dispositifs privés et individualistes d’origine anglo-saxonne. La réforme vise à redessiner le pacte social qui relie les Français, sous le signe de l’équité inter générationnelle, de la simplification et de l’harmonisation. Cette réforme a été précédée par un parcours préliminaire approfondi qui prévoit une intense concertation entre toutes les parties prenantes, afin de créer le plus grand consensus possible autour d’une réforme que, jusqu’à maintenant, personne n’a réussi à réaliser. Après l’année 2018, dédiée à une phase intense de consultations formelles et informelles, et, plus généralement, de dialogues entre les partenaires sociaux, la réforme devrait être mise en œuvre au cours de l’année 2019.

Un choix heureux, du point de vue stratégique et tactique, parce que la reprise économique et la stabilité du système financier permettent d’intervenir dans un domaine si délicat, à l’abri de l’urgence de redresser les comptes. Comme le démontre l’expérience italienne, en particulier celle de la réforme Fornero, intervenir sur les retraites pendant des périodes de crises contraint le législateur à faire des choix difficiles, menant souvent au sacrifice du principe d’équité pour réduire les dépenses de protection sociale et garantir le maintien du système financier et du budget de l’État. Mais cette leçon n’est pas la seule qu’on puisse tirer de l’expérience réformiste italienne. Il en existe beaucoup d’autres, auxquelles est destinée cette note.

I Partie

La naissance du système de protection sociale en Italie et la première réforme structurelle fasciste sous le signe de l’harmonisation

Notes

1.

La première forme d’assurance obligatoire, remontant à la loi n° 80 de 1898, a été suivie, entre 1917 et 1943, par l’assurance contre les accidents agricoles, l’invalidité, la vieillesse, le chômage, la tuberculose et les maladies en général. On retrouve cependant une forme de protection sociale à l’état rudimentaire dans la Caisse pour l’invalidité des marins de la marine marchande qui fut instituée avec la loi n° 360 de 1861.

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2.

Voir Ludovico Barassi, « Il sistema delle assicurazioni sociali nell’ordinamento sindacale e corporativo », Archivio di studicorporativi, 1932, 163 ; Romeo Vuoli, « Sulle origini delle assicurazioni sociali », Le assicurazioni sociali, XI, février-octobre1935, p. 816 ; Umberto Borsi, Elementi di legislazione sociale sul lavoro, Zanichelli, CEDAM, 1938, p. 238.

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3.

Voir Luigi Raggi, « Nozioni generali sulle assicurazioni sociali », in Umberto Borsi et Ferruccio Pergolesi (dir.), Trattato di diritto del lavoro, III, CEDAM, 1939, p. 13.

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4.

Dans cette phase on considérait que l’intérêt public était satisfait par la naissance des assurances sociales, grâce à leur réglementation, à l’encouragement ou à l’obligation à l’inscription. Voir Arnaldo De Valles, « Le assicurazioni sociali », in Vittorio Emmanuele Orlando (dir.), Primo trattato completo di diritto amministrativo italiano, VI, I, Societá editrice libraria, 1930, 330.

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5.

L’article XXVI de la Charte du travail de 1927 précise que «la prévoyance est une haute manifestation du principe de collaboration. Les employeurs et les travailleurs doivent concourir proportionnellement à son coût. L’État, par l’intermédiaire des organes corporatifs et des associations professionnelles, s’efforcera de coordonner et d’unifier, autant que possible, le système et les institutions de prévoyance.» À l’article XVII est aussi abordé le problème de la fin du contrat de travail : «Dans les entreprises à travail continu, le travailleur a droit, en cas de cessation de la relation de travail par licenciement sans faute de sa part, a une indemnité proportionnelle aux années de service. Une telle indemnité est due aussi en cas de mort du travailleur»

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6.

Entre 1906 et 1913, on confia à cette Caisse la gestion de fonds de protection sociale qui ouvraient déjà sous un régime obligatoire, comme ceux du personnel des entreprises privées gérant des lignes ferroviaires en concession (1906),ceux du personnel travaillant sur les lignes extra-urbaines subventionnées (1907), ceux des ouvriers des chantiers navals (1910) et ceux des salariés des entreprises gérant des lignes de tramways intercommunales. À la gestion deces fonds on ajouta celle de la Caisse pour l’invalidité des marins de la marine marchande, née en 1913 de la fusion decinq caisses déjà instituées en 1861 qui assuraient les gens de mer travaillant à Gênes, Ancône, Naples, Palerme etLivourne, ainsi que celle du Pio fondo de la marine marchande vénitienne. En 1923, on attribua aussi à la Caisse nationale de prévoyance la gestion de l’assurance obligatoire contre le chômage, un fonds né en 1915 et dédié seulement à quelques catégories de travailleurs.

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7.

En 1936, le Parti national fasciste publia, dans la collection « Testi per i corsi di preparazione politica», un volumeentièrement dédié à la politique d’assistance et de protection sociale de l’État fasciste intitulé La politica sociale del fascismo. Dans ce livre on lit que « l’Institut national fasciste de prévoyance sociale […] exprime déjà dans sa dénomination l’amplitude de la charge qui lui est confiée, l’unité des directives, l’économie En lui on rassemble, en fait, la gestion de la protection sociale tout entière, exception faite pour l’assurance maladie qui n’a pas encore pris un caractère d’assurance générale obligatoire et qui garde toujours les caractéristiques de catégorie de mutuelle, et pour l’assurance accidents, qui, inspirée du concept de risque professionnel, et comme telle exclusivement à la charge de l’employeur, a des organismes de gestion à elle toute seule, eux aussi, cependant, [dépendants] du droit public. L’assurance obligatoire contre l’invalidité et la vieillesse, l’assurance obligatoire contre le chômage, l’assurance obligatoire contre la tuberculose, l’assurance obligatoire pour la maternité, la Caisse nationale de prévoyance pour les gens de la mer, sont les cinq grandes gestions autonomes de l’institut ; mais l’autonomie de gestion n’empêche pas une coordination plusintime dans tout ce qui concerne l’explication pratique des fonctions annexes à chaque gestion.». Voir PNF, La politicasociale del fascismo, La Libreria dello Stato, « Testi per i corsi di preparazione politica », 1934, p. 50.

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8.

L’entrée en vigueur de la pension de survivants a été reportée à La mesure de 1939 prévoit aussi des ajustementsdes retraites, en les alignant jusqu’en 1943. Cette même année, avec le décret-loi n° 126 de 1943, on établit uneaugmentation des montants versés à titre de retraite de 25 %, avec une hausse des cotisations de 50 %, dont la charge futattribuée pour les deux tiers à l’employeur et pour un tiers au salarié.

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La naissance du système italien de protection sociale est très semblable à celle du système de protection sociale français. Elle s’est en effet fondée sur la mutualité. En Italie, la première manifestation du système de protection sociale est communément identifiée avec la première forme d’assurance obligatoire contre les accidents du travail dans l’industrie, en 18981. À l’origine, en effet, l’organisation de la prévoyance était entièrement basée sur des assurances privées volontaires2.Toujours en 1898, avec la loi n° 350 fut constituée la Cassa nazionale di previdenza per l’invalidità e la vecchiaia degli operai (« Caisse nationale de prévoyance pour l’invalidité et la vieillesse des ouvriers »). Cette loi prévoyait l’inscription, facultative et volontaire, de tous les citoyens italiens des deux sexes, même mineurs, qui exerçaient des travaux manuels et qui travaillaient à la tâche ou à la journée. Au sens de l’article 10 de cette loi, la pensionde vieillesse était allouée à 60 ou 65 ans, après au moins vingt-cinq ans de cotisations.

En 1912, sous le gouvernement Giolitti, fut fondé l’Istituto nazionale delle assicurazioni (INA, «Institut national des assurances »), à qui l’on attribua le monopole des assurances-vie. Dans cette phase, l’État se limitait à réglementer les différents instituts et, en général, à favoriser la réalisation de la tutelle de la protection sociale afin de garantir l’ordre social3. En d’autres termes, jusqu’à la Constitution de 1947, la fonction de la législation sur la protection sociale était de concilier les intérêts des salariés et des patrons, et d’instaurer la solidarité entre les groupes sociaux. Néanmoins, il n’y avait pas encore de traces de la prise en charge directe, de la part de l’État, de la tutelle économique et sociale du travailleur4. C’est seulement après la Grande Guerre, avec le décret législatif du lieutenant du Royaume n° 603, entré en vigueur en 1920, qu’on introduisit l’assurance générale obligatoire pour la vieillesse, l’invalidité et le chômage involontaire. Celle-ci était financée avec l’apport des assurés, des patrons et le concours de l’État.

Avec l’avènement du fascisme, le système de protection sociale italien fit un véritable bond en avant en direction de l’harmonisation etde la nationalisation. Il fut reconnu dans la disposition XXVI de la Charte du travail5. En même temps, on mit en place un important chantier de réformes qui étatisait la gestion de la protection sociale à travers l’unification et l’homogénéisation de ses traitements. Cela fut fait aussi dans le but de trouver les ressources nécessaires en vue de financer l’intervention publique dans l’économie, et ce afinde contrecarrer la grande crise financière et commerciale de 1929 ainsi que la baisse du niveau des salaires qui en découlait.

En 1933, avec le décret royal législatif n° 371, la Caisse nationale de prévoyance pour l’invalidité et la vieillesse des ouvriers, dont les compétences s’étaient constamment élargies depuis sa fondation6, prit le nom d’Istituto nazionale fascista della previdenza sociale (INPS, « Institut national fasciste de la prévoyance sociale »)7 qui, aujourd’hui encore, est au centre du système de protection sociale italien.

L’INPS se vit confier la charge de gérer les cotisations de la protection sociale, versées par la quasi-totalité des salariés du secteur privé et par une grande partie des travailleurs indépendants, mais aussi d’allouer les pensions à caractère de prévoyance (pension de vieillesse, pension d’ancienneté, pension de survivants, allocation d’invalidité, pension pour incapacité professionnelle permanente et pension selon la convention internationale pour l’activité professionnelle exercée à l’étranger) et celles à caractère d’assistance (intégration des retraites ayant un traitement minimum, allocation sociale et pension civile d’invalidité). Au cours des années suivantes, l’INPS pourvoira aussi au paiement de toutes les prestations de soutien des revenus, comme le chômage, la maladie, la maternité, le chômage technique et le traitement de fin de contrat, ainsi que toutes les prestations à soutien des revenus des couches de la population à risque de pauvreté, l’allocation familiale par exemple.

La même année 1933, avec le décret royal législatif n° 264, fut créé l’Istituto nazionale fascista per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro  (Infail, « Institut national fasciste d’assurance contre les accidents du travail ») qui, après la chute du fascisme, sera rebaptisé simplement Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (Inail, « Institut national d’assurance contre les accidents du travail »), à qui fut confiée la tutelle des salariés victimes d’accidents du travail. L’année suivante, en date du 11 octobre 1934, un accord interconfédéral entre la confédération des entrepreneurs et laconfédération des travailleurs de l’industrie, validé plus tard par les décrets royaux législatifs nos1048 et 1239 (1947), introduisit les allocations familiales pour les enfants à charge. Celles-ci étaient destinées à compenser la perte de revenus faisant suite à la réduction des heures de travail due à une grossesse, encourageant de cette façon la natalité.

À la période fasciste remonte aussi le texte unique sur « le perfectionnement et la coordination législative de la protection sociale » promulgué en 1935, qui réorganisa entièrement la prévoyancepour l’invalidité et la vieillesse, le chômage, la tuberculose et la maternité. Ce texte établissait que la pension d’invalidité et de vieillesse était versée, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, une fois atteint l’âge de 65 ans, avec au moins quatre cent quatre-vingts semaines de cotisation et dix ans d’inscription. Il s’agissait de la première grande réforme structurelle italienne, qui avait pourobjectif la simplification des procédés et l’homogénéisation des traitements pour tous. Par la suite, le décret royal législatif n° 636 de 1939, converti, avec modifications, en loi n° 1272, introduisit laréversibilité des pensions et, surtout, réduisit l’âge de départ à la retraite en la fixant à 60 ans pour leshommes et à 55 ans pour les femmes8.

II Partie

L’article 38 de la constitution italienne

Notes

10.

Mattia Persiani, in Commentario della Costituzione, édition établie sous la direction de Giuseppe Branca, « Tapporti economici », t. I, art. 38, Zanichelli, 1979, p. 243. Mattia Persiani exclut le caractère limitatif de la liste dudeuxième alinéa de l’article 38, énumérant les événements qui, au moment de leur occurrence, déterminent le droit dutravailleur à la tutelle de protection sociale. À ce propos, il est intéressant de rappeler ce qui a été affirmé par RenzoLaconi, membre de la Commission des soixante-quinze chargée de rédiger le texte de la Constitution italienne, àl’occasion de l’assemblée constituante du 5 mars 1947 : « Quelqu’un disait, demain quand les travailleurs italiensconfiants et crédules se présenteront pour demander que les droits proclamés dans la Charte soient mis en œuvre, qu’ilsoient traduits en pratique, ils resteront déçus car l’État ne pourra rien garantir. Cela est vrai. Nous ne sommes pas enmesure aujourd’hui d’établir des garanties ou des sanctions pour la réalisation et la concrétisation de ces droits ; maisnous pouvons faire quelque chose : nous pouvons fixer les principes, nous pouvons établir les directives à l’intérieurdesquelles le législateur de demain devra s’orienter ».

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11.

Ce concept a été utilisé pour la première fois par la Commissionne d’Aragona, instituée par le décret du chef provisoire de l’État n° 377 du 22 avril 1947 pour la réforme de la protection sociale.

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12.

Mattia Persiani, cit., p. 237. Ambiguïté tout à fait résolue, pour l’auteur, par la législation ordinaire qui est venueaprès et par la polémique survenue immédiatement autour du concept de sécurité sociale, dont l’introduction comportait,pour certains, exclusivement la rationalisation du système déjà existant et son extension aux travailleurs autonomes.

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13.

L’arrêt de la Cour constitutionnelle italienne n° 286 de 1987 a en effet défini la prestation de retraite comme « l’instrument nécessaire pour atteindre l’intérêt de la collectivité à la libération de la nécessité de chaque citoyen et à la garantie des conditions minimales qui permettent l’effective jouissance des droits civils et politiques, avec une réserve, reconnue constitutionnellement, d’un traitement préférentiel, à la faveur du travailleur, par rapport à la généralité des citoyens ». Alors que pour l’arrêt de la Cour constitutionnelle italienne n° 1736 de 1986, « le respect de l’obligation de cotiser correspond à la satisfaction d’un intérêt différent et supérieur à celui égoïste du simple sujet protégé et la réalisation de la tutelle de la prévoyance correspond à la poursuite de l’intérêt public, c’est-à-dire de toute la collectivité ».Et cela parce que, le dit comme l’arrêt: « Le système, conformé – on le répète – au modèle de la sécurité sociale et aux principes de la solidarité ouvrants en relation aux membres de la collectivité, englobe toutes les manifestations de la mutualité et met en œuvre un principe de collaboration pour la préparation des moyens de préventions et de défense contre les risques protégés (de l’invalidité, de la vieillesse, des accidents) ».

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Après la chute du régime fasciste, la Constitution italienne mit en place, à travers des interventions à caractère public, un système capable d’assurer la tutelle de la santé et des exigences de vie des citoyens. Ce système est basé sur les principes fondamentaux dictés par l’article 38 de la Constitution 9qui réduit le champ d’action du législateur ordinaire et rend « irréversible l’évolution qu’on avait atteinte à l’entrée en vigueur de la Constitution, n’excluant pas, cependant, la possibilité d’uneextension ultérieure de la tutelle de la protection sociale10 ».

Le législateur de la Constitution italienne s’éloigne ainsi de l’idéologie corporative – pour laquelle la protection sociale était une forme de collaboration entre les patrons et les salariés – au nom du principe de la protection sociale11 pour tous les citoyens, qui est pourtant encore ambigu12. Ce nouveau principe est en effet caractérisé par un traitement préférentiel pour les travailleurs, c’est-à-dire pour les citoyens qui concourent ou ont concouru, par leur travail, au bien-être et au développement de la collectivité. Au sens du quatrième alinéa de l’article 38 de la Constitution, la réalisation du programme de protection sociale et d’assistance énoncé dans les trois premiers alinéas est un devoir spécifique de l’État. Ce devoir, dans le projet de la Constitution, n’est pas limité à la création des instituts et à l’encadrement des rapports sociaux, mais tend à la réalisation effective de la tutelle des citoyens protégés.

En plus des déclarations de principe, on peut aussi déduire de l’article 38 d’autres aspects du système de la protection sociale, comme le critère pour la détermination du montant minimum des amortisseurs sociaux. Ceux-ci doivent être suffisants à la « subsistance » et «aux exigences de vie13».

 

 

III Partie

La deuxième réforme structurelle : la réforme Brodolini et la « durabilité démographique »

Notes

14.

Du recensement de 1951, qui a relevé 47 516 000 Italiens, on est passé à 50 623 569 en En 1963 ont été célébrés 420 300 mariages, avec un taux de nuptialité égal à 8,2 ‰. Pendant toute l’après-guerre et jusqu’à 1967, le taux denatalité oscillait entre 18 et 20 ‰. L’espérance de vie à la naissance des Italiens, elle, est passée de 63,7 ans en 1950 à 69 ans en 1970.

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15.

Il ne s’agissait pas d’une nouveauté absolue : la pension d’ancienneté avait déjà été instituée avec la loi n° 903 de 1965, mais avait été abrogée à peine deux ans après, avec le décret du président de la République n° 488 de 1968.

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16.

En 1975, l’indexation a été basée aussi sur les salaires et non plus seulement sur les prix, avec de lourdes retombées sur les comptes publics.

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La deuxième réforme structurelle du système de protection sociale italien fut mise en place en 1969, au terme d’une extraordinaire période de croissance économique, qui permettait de considérer que les temps étaient propices à concéder des traitements de protection sociale plus généreux. Cela fut possible grâce à une structure démographique profondément changée, où il y avait un nombre toujours plus important d’actifs et peu de retraités, étant donné un taux de natalité devenu très élevé. En 1970, le taux de fécondité s’élevait en moyenne à 2,20, soit le niveau le plus haut jamais atteint en Italie. Aujourd’hui, il est dramatiquement descendu à 1,37, taux le plus bas des pays occidentaux14. Laréforme Brodolini (loi n° 153 de 1969) introduit tout d’abord un nouveau système de calcul de la retraite, aligné sur la rétribution perçue pendant la période d’activité professionnelle et non plus surles cotisations versées. De cette manière, la retraite devenait égale à 65 % de la rétribution deréférence (avec quarante ans d’ancienneté contributive, le plafond fut élevé à 74 % puis à 80 % en1976). Ce système favorise donc les travailleurs avec des rapports professionnels stables et à durée indéterminée. Pendant ces années, le taux de chômage s’élevait à environ 6 %.

En plus de l’introduction du système de calcul de la retraite avec la méthode de la rétribution, la réforme abandonne le système par capitalisation, dans lequel les cotisations versées sont investies par le gérant du système dans un fonds à bas risque, au profit du système par répartition, dans lequel le paiement des retraites est effectué en utilisant les cotisations couramment versées par les salariés actuels et par les patrons, sans qu’elles soient mises de côté. En d’autres termes, le nouveau système se base sur l’idée que la retraite de ceux qui se retirent du travail doit être payée par les actifs. Surtout, on introduit la pension d’ancienneté, qui prévoit la possibilité de percevoir un traitement de la protection sociale une fois atteinte la seule condition de l’ancienneté contributive (35 ans), indépendamment de l’âge15. La réforme prévoit également l’indexation automatique des retraites, c’est-à-dire la revalorisation des retraites à payer sur la base de l’indice des prix à la consommation16. En dernierlieu, on introduit une pension sociale en faveur des citoyens ayant plus de 65 ans, sans revenu niassurance, et on étend à l’assurance d’invalidité et de vieillesse le principe d’automaticité desprestations au sens de l’article 2116 du Code civil italien.

IV Partie

Les années 1970 : l’insoutenable croissance de la dépense de la protection sociale

Notes

17.

Voir à ce propos, Mattia Persiani, « Considerazioni sulle motivazioni ideologiche dell’assistenza e della previdenzasociale », in Studi in onore di Giuseppe Chiarelli, Giuffrè, 1974, III, p. 2807-2817, et Id., Diritto del lavoro, CEDAM, p. 799, oùil est mentionné l’importance de la nécessité de changer un système de protection sociale qui « prenait comme repère l’Homo faber plutôt que l’homme tout court » et qui, pour apaiser les souffrances de celui qui ne travaillait pas, ne laissait que l’aumône au «pupille de Dieu».

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18.

Selon les données diffusées par l’INPS, en Italie il y a 406 942 retraites qui ont été liquidées avant 1980 et qui sont affectées depuis plus de trente-huit Elles déterminent ainsi un déséquilibre significatif par rapport aux cotisations versées. Le nombre des retraites payées depuis plus de trente ans est, en revanche, supérieur à 1,7 million.

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19.

Source : « Spesa pensionistica sul Pil, indice di beneficio relativo e tassi di pensionamento per tipologia di trattamento – Anni 1971-2014 » , istat.it

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Les années qui suivent la réforme Brodolini sont dédiées à la construction et au renforcement de l’État-providence. En 1974, par exemple, est introduite une pension sociale17 et, l’année suivante, une caissed’indemnisation du chômage partiel, la Cassa integrazione guadagni straordinaria (CIGS), à laquelle on confie, selon les choix discrétionnaires du pouvoir exécutif, les interventions en faveur del’emploi. De cette façon, on finance la paix sociale avec une puissante politique de dépenses publiques.

Cette orientation se répercute aussi sur le système de protection sociale, jugé d’ailleurs parfaitement durable car financé par des contrats de travail à durée indéterminée et par un taux de natalité constamment positif. C’est ainsi qu’en 1973, sous le quatrième gouvernement Rumor, on approuve lamesure selon laquelle les femmes mariées, avec des enfants, travaillant dans la fonction publique,peuvent prendre leur retraite une fois atteint le seuil de quatorze ans, six mois et un jour de cotisation.Les autres fonctionnaires devaient attendre d’avoir travaillé vingt ans s’ils étaient des employés del’État et vingt-cinq ans s’ils étaient des employés des administrations territoriales. Ces mesures ont eu des conséquences très importantes : les données indiquent que 7,5 milliards d’euros, c’est-à-dire environ 0,4 % du PIB annuel de l’Italie, étaient versés chaque année à 400 000 «baby-retraités».Parmi ceux-ci, plus de 17 000 ont pris leur retraite à 35 ans, alors que 78 000 autres l’ont fait entre 35 et 39 ans. Au total, ces « baby-retraités » auront reçu un montant plus de trois fois supérieur à ce qu’ils ont versé en cotisations18.

En ce qui concerne le secteur privé, on a déjà mentionné la pension d’ancienneté, qui demandait simplement d’atteindre trente-cinq ans de cotisation, mais à partir de l’article 16 de la loi n° 155 de 1981, on introduit la retraite anticipée pour les ouvriers et les employés des entreprises du secteur industriel en crise, à condition qu’ils aient atteint l’âge de 55 ans pour les hommes et de 50 ans pour les femmes. L’apport supplémentaire était à la charge des patrons avec l’aide de l’État. Le champ d’application des préretraites a été ensuite élargi à travers le recours à des normesparticulières, diversifiées par secteurs d’intervention : bâtiment (art. 3, décret législatif n° 86 de 1988,converti en loi n° 160 de 1988), édition (dont la discipline, à différence des autres, a un caractèrepermanent : art. 37, loi n° 416 de 1981), sidérurgie (art. 1, loi n° 193 de 1984) et entreprises des transports en commun (art. 3, loi n° 270 de 1988). De cette façon, le système de la protection sociale et de l’assistance publique est devenu une sorte d’« abri universel » de la République italienne.

En effet, un mode de fonctionnement basé sur le recours systématique à la CGIS, à l’assurance chômage et aux préretraites s’est progressivement mis en place. À travers l’action commune des amortisseurs sociaux, des préretraites et des pensions d’ancienneté, on a chargé la collectivité des coûts de la relève générationnelle dans les entreprises, en entraînant cependant une croissance de la dette publique qui absorbait les ressources à disposition pour l’assistance sociale. C’est ainsi que, sous l’influence du cercle vicieux constitué par des départs à la retraite de plus en plus anticipés, des retraites versées pendant plus longtemps à cause de l’augmentation de l’espérance de vie, de l’effondrement du taux de natalité et d’une politique d’assistance aux entreprises, l’équilibre de la protection sociale s’est détérioré et la dette publique a commencé  à augmenter. La masse des retraites est devenue de plus en plus lourde : le rapport entre les dépenses de retraites et le PIB est passé de 7,8 % en 1971 à 13 % en 1989. Durant la même période, le taux de retraites, c’est-à-dire le rapport en pourcentage entre le nombre des retraites et la population résidente, est monté de 26 à 35%19.

 

V Partie

Entre crise du système de protection sociale et égoïsme intergénérationnel

Notes

20.

La dette publique est passée de 55 % du PIB en 1980 à 121,8 % en 1994, augmentant de 16 points (de 104 à 120 % du PIB) entre 1991 et 1993. Par ailleurs, en 1991, face au nombre important d’entreprises en crise, la loi n° 223 a introduit un réglementation concernant les licenciements collectifs et institué une indemnité de mobilité afin de soutenir les revenus des salariés licenciés. Le traitement pour les douze premiers mois était égal à 100 % du traitement de la Caisse d’indemnisation du chômage partiel perçu ou qui aurait dû être perçu dans la période immédiatement précédant lelicenciement, dans la limite d’un montant mensuel maximal. L’indemnité de mobilité a été progressivement éliminée par laréforme Fornero et remplacée, à partir du 1er janvier 2017, par la Naspi.

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21.

Le 14 octobre 1994 les organisations syndicales proclament une première grève générale. Cette grève est suivie par une autre manifestation, début novembre, et par une troisième, le 30 novembre. Après la défection d’un parti majoritaire (la Ligue du Nord) le 1er décembre, pendant la nuit, le premier gouvernement de l’époque du bipolarisme italien démissionne.

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22.

Le concept de « travail parasubordonné » tire son origine du droit du travail italien de l’après-guerre. Initialement,dans une loi votée en 1959 et revue en 1973, sa fonction était de faire accéder à certains acquis du statut du travail salariéune série de cas hybrides à la frontière du salariat et du travail indépendant, à l’image des représentants commerciaux, des agents d’assurance, des marchands de journaux, etc. L’autonomie dont jouit le travailleur parasubordonné dansl’organisation et l’exécution de ses prestations et le manque de contrôle hiérarchique reconnu de jure (ou de subordinationjuridique) le rapprochent des indépendants, mais le caractère continu de ses prestations auprès souvent d’un mêmedonneur d’ordre le met dans une situation de dépendance économique, et par conséquent personnelle, qui le rapprochedes salariés.

+ -

23.

Voir Roberto Pessi, La riforma del sistema previdenziale, CEDAM, 1995, 1 sqq. ; Id., « La riforma previdenziale del ‘95; il ritorno al modello assicurativo », Il diritto del lavoro, vol. 1, 1995, p. 3-20 ; Id., « Rischio e bisogno nella riforma del sistemaprevidenziale », Il diritto del lavoro, vol. 5, 1996, p. 381-390 ; Mattia Persiani, «Razionalizzazione o riforma del sistema previdenziale pensionistico», Argomenti di diritto del lavoro, n° 3, 1996, p. 53-61 ; Id., « Aspettative e diritti nella previdenza pubblica e privata », Argomenti di diritto del lavoro, vol. 3, n° 2, 1998, p. 311- 368 ; Id., « Laprevidenza complementare tra iniziativa sindacale e mercato finanziario », Argomenti di diritto del lavoro, vol. 6, n° 3, 2001, p.715-742 ; Pasquale Sandulli, « La contribuzione sulla previdenza complementare torna al legislatore? », Massimario digiurisprudenza del lavoro, 1995, p. 535 sqq. ; Id., « Previdenza complementare », Digesto discipline privatistiche, vol. XI, 1995, XI, p.243 sqq. Il faut, en plus, prendre en compte le fait que les charges destinées à la protection sociale qui incombent aux nouvelles générations sont rendues plus lourdes par une jurisprudence en fonction normative. Celle-ci, au fil desannées, a progressivement augmenté la charge fiscale, en incluant aussi dans la base de calcul des cotisations deprotection sociale des parties de la rétribution déjà destinées à accomplir des fonctions de prévoyance. Au sujet decette jurisprudence, voir Michel Martone, « Osservazioni sul rapporto tra costo del lavoro e oneri previdenziali », Argomenti di diritto del lavoro, vol. 7, n° 3, 2002, p. 775-801 ; Marco Gambacciani, « Finanziamenti del datore di lavoro alla previdenza complementare e computabilità sultrattamento di fine rapporto », Argomenti di diritto del lavoro, vol. 11, n° 2, 2006, p. 609-623.

+ -

24.

Voir à ce propos Tiziano Treu, Politiche per il lavoro, Il Mulino, p. 65 sqq. Pour un approfondissement sur le régime de protection sociale des travailleurs parasubordonnés, voir Pasquale Sandulli, « Il lavoro coordinato tra disciplina civilistica e regime fiscale e previdenziale », Argomenti di diritto del lavoro, 6, n° 2, 2001, p. 425- 444 ; Id., «Vicende legislative e giudiziarie della contribuzione a previdenza complementare nel pregresso regime », Massimario digiurisprudenza del lavoro, p. 104 sqq. ; Mattia Persiani, « Conflitto industriale e conflitto generazionale », Argomenti di diritto dellavoro, 2006, vol. 11, n° 4-5, p. 1031-1046.

+ -

25.

Voir à ce propos Michel Martone, « Il diritto del lavoro alla prova del ricambio generazionale », Argomenti di diritto dellavoro, 22, n° 1, 2017, p. 1-24.

+ -

Au début des années 1990, la chute du mur de Berlin et la globalisation financière aggravent les difficultés de l’économie publique et la crise du système de la protection sociale. Depuis les années 1970, l’un et l’autre avaient été financés avec l’augmentation de la dette publique. Avec la signature du traité de Maastricht, la dette doit désormais être réduite afin de respecter les restrictions imposées par le traité20.

Dans ce contexte, afin de réduire les inégalités internes du système et de limiter les dépenses publiques, est promulgué le décret législatif n° 503 du 30 décembre 1992, connu sous le nom de «réforme Amato ». Cette réforme prévoit de relever graduellement l’âge légal de départ à la retraite de 55 à 60 ans pour les femmes et de 60 à 65 ans pour les hommes (on augmente l’âge requis d’un an toutes les deux années solaires). On relève également graduellement l’ancienneté contributiveminimale de quinze à vingt ans et on prolonge la période de référence de la rétribution pour le calcul dela retraite, des cinq dernières années aux dix dernières années. Enfin, la réforme interdit partiellementle cumul de la retraite et des revenus issus du travail indépendant, et supprime les privilèges en matièrede retraite des salariés du secteur public, qui avaient été introduits en 1973. Pour compenser le durcissement des conditions de départ, le décret législatif n° 124 du 21 avril 1993 introduit uneforme de protection sociale additionnelle, en réglementant les pensions complémentaires.

Les tentatives de réforme se poursuivent les années suivantes. La première d’entre elles, avancée parle gouvernement Berlusconi mais sans le consensus des organisations syndicales, échoue et entraîne lachute du gouvernement21. La charge de réformer les retraites avec le consensus des syndicats incombe alors au gouvernement Dini. En résulte la loi n° 335 du 8 août 1995 (« réforme Dini »), qui reprend les principales demandes des syndicats.

Cette réforme entend s’appliquer à tout le monde, donc aussi à des catégories non représentées au moment de la concertation, tels les jeunes ou les travailleurs parasubordonnés22. La loi n° 335 introduit donc une véritable discrimination entre les générations, bien que l’article 1.1 dispose vouloir « garantir la tutelle prévue par l’article n°38 de la Constitution ». En effet, ce même article 1, en déterminant les systèmes de calcul des prestations de retraite et l’ancienneté contributive requise pour y accéder, prévoit pour les travailleurs avec une ancienneté de cotisation inférieure à dix-huit ans le passage au plus modeste système de calcul « contributif » alors qu’il garde, pour ceux qui ont atteint dix-huit ans d’ancienneté, le précédent système de calcul « rétributif », bien plus généreux23.

C’est le début d’une évolution qui marquera l’abandon du système de calcul « rétributif » pour revenir à un système de calcul dit « contributif », moins onéreux pour la protection sociale. Dans le système contributif, le travailleur met de côté chaque année, avec le concours de l’entreprise, environs 33 % de son salaire. Le capital versé produit une sorte d’intérêt composé, avec un taux lié à l’inflation et à la dynamique quinquennale du PIB. Au moment du départ à la retraite, on applique au montant des cotisations, c’est-à-dire à la somme revalorisée des versements effectués, un coefficient de transformation qui accroît avec l’âge et qui déterminera le montant réel de la pension. Il faut ensuite mentionner la disposition qui institue la « gestion séparée pour les collaborations avec les travailleurs parasubordonnés ». Elle se transformera, au final, en une véritable forme de prélèvement fiscal insuffisante à garantir un retour effectif de la protection sociale pour la plupart des inscrits24. D’un autre côté, on endurcit graduellement les conditions pour l’octroi de la pension d’ancienneté en portant l’ancienneté contributive requise de trente-cinq à quarante ans. Ce relèvement à lui tout seul génère une épargne de31 milliards d’euros en dix ans. La réforme introduit aussi la retraite « flexible » pour les travailleurs entre 57 et 65 ans ayant au moins cinq ans de cotisations effectives. Dans ce cas, le calcul du traitement est effectué exclusivement selon le principe contributif.

En outre, la loi n° 335 de 1995 poursuit « l’harmonisation de la législation sur les retraites dans le respect de la pluralité des organismes d’assurance ». Cette harmonisation passe par l’introduction d’une « pension de vieillesse contributive » pour les salariés du secteur public embauchés après le 1er janvier 1996, avec les mêmes conditions qui sont imposées aux salariés du secteur privé (art. 1.25 et26).

Dans le même esprit, la réforme confie à l’Istituto nazionale di previdenza e assistenza per i dipendenti dell’amministrazione pubblica (INPDAP), fondé avec le décret législatif n° 479 de 1994 et l’article 1.32, de la loi n° 537 de 1993, la gestion séparée des prestations de retraite pour les fonctionnaires mais aussi pour les autres catégories de personnel dont les prestations de retraite sont à la charge de l’État (art. 4.4, du décret législatif n° 479 de 1994).

Pour ce qui concerne la protection sociale complémentaire, définie pour la première fois en 1993 et jusqu’alors très peu utilisée, la loi n° 335 de 1995 reconnaît dans le traitement de fin de contrat le principal moyen de financement de celle-ci. Elle introduit aussi les fonds de pension « fermés » institués principalement par la négociation collective, auxquels il faut ajouter les fonds de pension «ouverts » qui dépendent de l’adhésion individuelle.

En s’inspirant du système suédois, la réforme Dini a introduit, avec l’article 1.6, une communication annuelle indiquant le montant des cotisations effectuées, la progression du montant contributif, les informations concernant le statut de la couverture, ainsi que le montant des revenus de l’activité professionnelle salariée. Cependant, étant donné les difficultés techniques causées par les différents traitements de la protection sociale, ces communications ont été envoyées pour la premièrefois en 2017, et seulement à certains contribuables. Il faut faire quelques considérations concernant un dispositif qui a été largement utilisé, l’isopensione (pour travailleurs âgés esodi), introduite par l’article 4.1 à 7 ter, de la loi n° 92 du 28 juin 2012 et dérivée de l’expérience des Fonds interprofessionnels de gestion des sureffectifs25.

Au sens de l’alinéa 1 de l’article 4 de la loi n° 92 du 28 juin 2012, « en cas d’excédent du personnel », l’employeur ayant un effectif, en moyenne, supérieur à quinze personnes, peut conclure des accords avec les organisations syndicales les plus représentatives de l’entreprise, « dans le but d’encourager à l’exode les travailleurs les plus âgés ». L’entreprise a l’obligation de verser, en faveur des travailleurs, une « prestation d’un montant égale à la pension de retraite qui leur reviendrait selon les règles en vigueur » mais aussi de « payer à l’INPS les cotisations jusqu’à la réalisation des conditions minimales requises pour l’octroi du droit à la retraite ».

Il s’agit d’une mesure qui, sans peser ultérieurement sur l’État, permet aux employés d’anticiper leur sortie du marché du travail et aux entreprises d’y gagner la différence entre un salaire complet et la pension de retraite à laquelle aurait droit le travailleur. On libère de cette façon des ressources qui, grâce aux accords concernant la relève entre les générations, pourront ensuite être utilisées pourengager des jeunes.

Pour conclure il faut dire que, si la réforme Fornero a sécurisé les comptes publics grâce à cesinterventions, en garantissant environ 88 milliards d’euros d’économies jusqu’en 2021, elle aurait puproduire des épargnes encore plus importantes si la Cour constitutionnelle italienne, avec l’arrêt n° 70de 2015, n’avait pas déclaré l’illégitimité constitutionnelle du blocage de l’indexation pour les allocations d’un montant supérieur à 1 404 euros brut (égal à trois fois le traitement minimum) (voir chapitre IX).

VI Partie

Tentatives de réformes : « petites marches », « grandes marches » et système à points

Notes

26.

La pension d’ancienneté revenait aussi, indépendamment de l’âge, à ceux qui avaient atteint, pour les années 2004 et2005, une ancienneté de cotisations de trente-huit Pour les deux années suivantes, 2006 et 2007, la condition requise a été portée à trente-neuf ans.

+ -

27.

Pour la période comprise entre le 2 janvier 2008 et le 30 juin 2009, en revanche, l’article 1 et.2 de la loi n°247 de 2007 a modifié la lettre A du sixième alinéa de l’article 1 de la loi n° 243 de 2004, en disposant qu’on acquiert le droit à la pension d’ancienneté de deux façons : soit, comme auparavant, une fois atteint quarante ans de cotisations, indépendamment de la condition d’âge, soit une fois atteint l’âge de 58 ans (59 ans pour les indépendants) avec une ancienneté de cotisation de trente-cinq ans. En d’autres termes, la « grande marche », qui prévoyait l’augmentation de trois ans pour la condition d’âge (de 57 à 60 ans), a été éliminée et remplacée par une hausse d’une seule année (en passant de 57 à 58 ans).

+ -

28.

L’article 22 ter de la loi n° 102 de 2009, qui impose cette augmentation jusqu’à rendre égales les conditions d’âge requises pour les hommes et pour les femmes dans le secteur public, a été adopté en exécution de l’arrêt de la Cour de justice de la Communauté européenne le 13 novembre 2008 dans l’affaire C-46/07 avec lequel la Cour a sanctionné l’Italie pour manquement aux obligations prévues à l’article 141 CE qui « interdit toute discrimination en matière de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins quel que soit le mécanisme qui détermine cette inégalité. » Selon la jurisprudence constante de la Cour, la fixation d’une condition d’âge différente selon le sexe pour l’octroi d’une pension constituant une rémunération au sens de l’article 14 CE est contraire à cette disposition (voir arrêts Barber, précité, point 32 ; du 14 décembre 1993, Moroni, C-110/91, p. I-6591, points 10 et 20 ; du 28septembre 1994, Avdel Systems, C-408/92, Rec. p. I-4435, point 11, ainsi que Niemi, cit., point 53). La loi a donc établi qu’àpartir du 1er janvier 2010, pour les salariées du secteur public, la condition d’âge requise est portée à 61 ans. À partir du 1er janvier 2012, l’âge légal requis est augmenté encore d’un an et ensuite d’un an tous les deux ans, jusqu’à atteindre les 65 ans.

+ -

Dans le cadre d’une des vérifications périodiques des résultats prévus par la réforme Dini en 1997, le gouvernement Prodi intervint à nouveau en matière de protection sociale dans le but d’assurer plus d’épargne aux comptes publics, en renforçant la structure de la loi n°335 de 1995. Plus précisément, le processus d’uniformisation des traitements des salariés du secteur public et du secteur privé, qui avait été démarré avec la loi n° 335, est complété avec la loi n° 449 de 1997 (article 59 de la loi de la réforme de finances de l’année 1998, dite « réforme Prodi »). En plus de cela, on introduit des « fenêtres » (décaissements différés) pour les pensions d’ancienneté : l’acquisition du droit à la retraite n’est plus exclusivement subordonnée à la réalisation des conditions requises mais à l’entrée en vigueur d’une date donnée, établie par le législateur.

L’article 59 établit aussi le blocage de l’indexation des pensions de retraite supérieures à cinq fois lapension minimale INPS. En dernier lieu, on modifie les conditions d’octroi de la retraite anticipée (57-58 ans pour les indépendants et trente-cinq ans de cotisations pour tous) et, à titre expérimental, on introduit le revenu minimum d’insertion, « à la faveur des sujets dépourvus de revenus, seuls ou avec un ou plusieurs enfants à leur charge, et dans l’impossibilité de subvenir, à cause de problèmes psychiques, physiques et sociaux, à leurs propres besoins ou à ceux de leurs enfants ».

Au cours des années suivantes, parmi les différentes interventions qui concernent la protection sociale, il faut noter deux lois : la loi n° 350 de 2003 (loi de finances 2004) qui introduit une taxe de solidarité de 3 %, revalorisée chaque année pour les retraites, supérieure à cinq fois la limite établie par l’article 38 de la loi n° 448 de 2001, et, surtout, la loi n° 243 de 2004 (« réforme Maroni »). Avec cette dernière réforme, on établit  le  soi-disant  scalone (« grande marche »), c’est-à-dire le durcissement des conditions d’octroi de la pension d’ancienneté à travers le relèvement, à partir du 1er janvier 2008, de l’âge légal de départ à la retraite pour les hommes, dans un premier temps de 57 à 60ans, puis 61 ans à partir de 2010. Il s’agit donc d’une mesure destinée à avoir une application graduelle dans le temps. Au sens de l’article 1.3 de la loi n° 243 de 2004, jusqu’au 31 décembre 2007 la pension d’ancienneté continue à revenir au travailleur qui a cumulé trente-cinq annuités de cotisations et atteint un âge de 56 ans pour les années 2004 et 2005, et de 57 ans pour les années 2006 et 200726. Pour les femmes, en revanche, la possibilité d’accéder à la pension d’ancienneté à 57 ans et trente-cinq annuités de cotisations est conservée, à condition qu’elles choisissent le calcul intégralement contributif de la pension.

Afin de contenir les charges, on encourage aussi un report du départ à la retraite. Les salariés du secteur privé qui ont atteint les conditions minimales requises peuvent donc renoncer à la cotisation concernant l’assurance générale obligatoire pour l’invalidité, la vieillesse et la survie. Ils peuvent aussi renoncer à toute autre forme de remplacement de celle-ci. En conséquence, le patron n’a plus aucune obligation deverser une cotisation à ces assurances et le montant équivalent à la cotisation que l’employeur aurait dû verser à l’organisme de protection sociale est entièrement versé au salarié.

Toujours dans le but de contenir les coûts, on réduit de quatre à deux les fenêtres de sortie pour les pensions d’ancienneté. Pour rappel, par effet de la loi n° 243 de 2004, entre le 31 décembre 2007 et le 1er janvier 2008, la condition d’âge requise pour l’acquisition du droit à la pension d’ancienneté aurait dû augmenter de trois ans, passant de 57 à 61 ans (d’où la « grande marche »). Cependant, pour respecter les attentes des travailleurs les plus proches de l’octroi du droit à la pension d’ancienneté, la loi n° 247 de 2007 abolit cette «grande marche» et introduit le système des « quotas », calculés en additionnant l’âge et les annuités de cotisation.

À partir du 1er juillet 200927 et jusqu’au 31 décembre 2010, on obtient donc la pension d’ancienneté quand, en additionnant l’âge et l’ancienneté contributive, on arrive au quota de 95 (96 pour lestravailleurs indépendants), à condition d’avoir atteint, au minimum, l’âge de 59 ans (60 ans pour les travailleurs indépendants). En 2011 et 2012, le quota requis pour l’obtention de la pension d’ancienneté est égal à 96 (97 pour les travailleurs indépendants), à condition d’avoir atteint, au minimum, l’âge de 60 ans (61 ans pour les travailleurs indépendants). Enfin, à partir de 2013, la loi requiert un quota de97 (98 pour les travailleurs indépendants) à condition d’avoir atteint, au minimum, l’âge de 61 ans (62 ans pour les travailleurs indépendants).

La réforme de 2007 impose aussi un resserrement des coefficients de transformation en les réduisant en moyenne d’environ 1,55 et en imposant leur révision tous les trois ans plutôt que tous les dix ans. Ces mesures de relèvement des conditions d’âge et de frein à l’augmentation des traitements en devenir ont eu un impact significatif en limitant encore plus la dynamique des dépenses pour les retraites.

Au cours de la dernière décennie, cependant, les effets négatifs pour l’emploi, dus au prolongement dela crise, ont déterminé un appauvrissement substantiel des recettes des cotisations, causé aussi bien par la diminution des heures travaillées que par une stagnation plus générale des revenus de l’activité professionnelle. C’est la raison pour laquelle de nouvelles interventions en matière de retraites devinrent nécessaires : avec la loi n° 102 de 2009, on augmenta progressivement jusqu’à 65 ans l’âge de départ à la retraite des salariés du secteur public28 et on établit qu’à partir du 1er janvier 2015 « les conditions d’âge pour l’octroi du droit à la retraite en Italie [seraient] en adéquation avec le relèvement de l’espérance de vie établi par l’Institut national de la statistique et validé par l’Eurostat, en référence au quinquennat précédent ».

La loi n° 122 de 2010 introduit la « fenêtre mobile » pour la liquidation de la retraite : à partir du 1er janvier 2011, le droit à l’entrée en vigueur du traitement démarre, pour les travailleurs salariés, douze mois après avoir atteint les conditions requises et, pour les travailleurs indépendants, dix-huit mois après. Cette loi dispose également que la mise à jour des conditions d’âge et d’ancienneté contributive, requises pour l’octroi du droit à la retraite, devienne plus rapide, en passant de cinq à trois ans. Pour finir, la réforme de 2010 dépasse le principe de relèvement graduel de l’âge légal de départ pour les salariés du secteur public, en le fixant à 65 ans à partir du 1er janvier 2012.

VII Partie

La réforme Fornero : la durabilité du système de protection sociale sous le signe de l’équité intergénérationnelle

Notes

29.

Dans la lettre du 26 octobre 2011 adressée par le gouvernement italien à l’Union européenne, le relèvement de l’âge de départ à la retraite était tenu quasiment pour acquis. En se référant au système des retraites et à sa gestion, en effet, dans la lettre, on lit que « grâce au mécanisme de raccordement de l’âge de départ à la retraite avec l’espérance de vie, introduit en 2010 (art. 12.12 bis et.12 ter, décret-loi 78/2010, tel que modifié par l’art. 18.4, décret-loi 98/2011), le gouvernement italien prévoit que la condition d’âge requise pour le départ à la retraite sera, au moins, égale à 67 ans pour les hommes et les femmes en 2026. Les conditions nécessaires pour l’octroi de la pension d’ancienneté ont été déjàrevues. Ces conditions augmenteront graduellement jusqu’à arriver à un fonctionnement régulier à partir de 2013. Ces conditions sont, de toute façon, raccordées, en augmentation, à l’évolution de l’espérance de vie » (texte intégral du document envoyé par le gouvernement italien au sommet européen le 26 octobre 2011).

+ -

30.

Même si la rémunération est concrètement versée par l’INPS, son financement est à la charge du Le prêtest en effet fourni par un institut financier, protégé par une police d’assurance obligatoire pour le risque de pré-décès etpar un fonds de garantie géré par l’INPS.

+ -

31.

Il s’agit des sujets qui sont au chômage et qui ont intégralement bénéficié de l’allocation chômage qui leur revenait, ou bien des travailleurs qui assistent une personne souffrant d’un handicap grave, ou bien encore des travailleurs employés, sans interruption, depuis au moins six ans, dans l’exercice de « travaux pénibles ». Les conditions requisespour l’octroi de ce droit sont plus rigoureuses que l’APE volontaire, car les demandeurs doivent avoir au moins trenteans d’ancienneté contributive, trente-six ans pour les travailleurs employés dans des « travaux pénibles ».

+ -

En 2011 émerge le problème de la stabilité financière de l’Italie et d’autres pays de l’Union européenne, rendant encore plus urgent l’objectif d’équilibre budgétaire et de réduction de la dépense publique. La question de la protection sociale est à nouveau considérée comme primordiale et, avecl’article 5 de la loi n° 183 du 12 novembre 2011, il est prévu que l’âge du départ à la retraite soit relevé à 67 ans à partir de 202629.

L’aggravation de la crise financière entraîne cependant la chute du gouvernement Berlusconi IV et la naissance du gouvernement technique de Mario Monti qui prête serment le 16 novembre 2011. La première disposition est promulguée à peine vingt jours plus tard, le 6 décembre (décret législatif n°201 de 2011 converti, avec modifications, en loi n° 214 de 2011, dit « décret Salva Italia » [« Sauver l’Italie »]). Les éléments de la réforme concernant la protection sociale se concentrent dans l’article 24 (même si l’article 6, qui supprime l’indemnité équitable, et l’article 21, qui supprime l’INPDAP, sont d’autres dispositions importantes pour l’organisation de la protection sociale). Les modifications apportées par l’article 24 ont toutes pour objectif de renforcer la durabilité du système de retraites sur une longue période, en termes d’incidence de la dépense de protection.

Les gouvernements suivants, grâce aux épargnes réalisées par la réforme Fornero en matière de prévoyance, ont pu introduire quelques dérogations à cette réforme, en réponse aux demandes de certaines catégories de travailleurs bien spécifiques.

En ce qui concerne les femmes, on a prévu l’extension de l’opzione donna («option femme»), introduite par la réforme Maroni avec l’article 1.9 de la loi n° 243 de 2004 et confirmé par la réforme Fornero. Il s’agit de la possibilité, pour les salariées du secteur privé et public (âgées de 57 ans et avec trente- cinq ans de cotisation) et pour les femmes avec une activité professionnelle indépendante (âgées de 58 ans et avec trente-cinq ans de cotisation), d’avancer leur sortie du monde du travail en acceptant un système de calcul entièrement contributif de la pension de retraite.

Plus tard, pour permettre aux travailleurs les plus âgés d’anticiper leur départ à la retraite, la loi de finances 2017 a introduit « [l’]anticipation de la pension » (APE), qui a été répartie en APE volontaire, APE social et APE d’entreprise. L’APE volontaire est une anticipation financière, garantie par la pension, qui peut être demandée par les salariés du secteur public et privé et par les travailleurs autonomes, ayant 63 ans et vingt ans d’ancienneté contributive. Ils pourront avancer leur sortie du monde du travail de trois ans et sept mois au maximum. En effet, cette anticipation permet aux travailleurs de recevoir une rémunération sans aucune imposition fiscale, jusqu’à la réalisation des conditions minimales requises pour le départ à laretraite. À l’entrée en vigueur de la retraite, un plan d’amortissement de vingt ans, mis en place à travers des retenues sur le versement de la pension30, permet la restitution du prêt.

La loi de finances 2017 a réglementé aussi l’APE sociale (art. 1.179 de la loi n° 232 de 2016), une indemnité à la charge de l’État versée par l’INPS dans le but d’accompagner à la pension de retraite du régime obligatoire les sujets qui se trouvent dans des conditions de besoin spécifiques prévues par la loi, ayant 63 ans et qui ne bénéficient pas déjà d’une pension directe en Italie ou à l’étranger31.

La dernière intervention de la loi de finances de 2017 concerne une variante de l’APE volontaire, l’APE d’entreprise qui, comme l’isopensione (art. 4 de la loi n° 92 de 2012), prévoit une participation de l’employeur au départ anticipé de l’employé. Avec l’APE d’entreprise, en effet, l’employeur verse des cotisations, d’un côté, pour augmenter le montant de la future retraite du travailleur et, de l’autre, pour permettre aux entreprises d’effectuer une rechange générationnelle sans recourir à des procédures de licenciement.

Suite à l’adéquation automatique de l’âge de départ à la retraite à l’espérance de vie, qui a augmenté en2018, pour protéger les sujets exerçant des travaux pénibles, avec la loi de finances 2018, le gouvernement Gentiloni a exonéré de l’augmentation de cinq mois de l’âge requis les personnes faisant partie de quinze catégories de travailleurs exerçant des «travaux pénibles», notamment les camionneurs, les tanneurs, les maçons, les porteurs et les ouvriers. Il s’agit de réformes importantes qui n’ont pas, cependant, touché la structure de la réforme Fornero.

VIII Partie

La véritable histoire des Esodati

Notes

32.

Selon les données fournies par l’Ufficio parlamentare di bilancio, pour la première « sauvegarde » les demandes acceptées ont été au nombre de 64 734.  Déjà, à partir de la deuxième « sauvegarde », prévue par le décret-loi n° 95 de 2015, le nombre des adhésions a été considérablement inférieur à celui programmé : à la place des 55 000 demandes prévues, il en a été présenté 28 000, dont seulement 17 000 ont été acceptées. Dans le même temps, le nombre des salariés protégés a été élargi, en englobant aussi les travailleurs qui n’avaient pas été touchés par la hausse des conditions requises par l’article 24 du décret-loi 201 de 2011, par exemple les salariés licenciés du service avant et après la réforme; les salariés déjà autorisés à poursuivre volontairement leur activité, même si réemployés avec un contrat différent que celui à durée indéterminée ; les salariés qui avaient déjà déposé demande pour être exonérés de l’emploi dans le secteur public, même si l’exonération n’avait pas encore été mise en place ; les salariés déjà impliqués dans des accords concernant le recours aux amortisseurs sociaux, même si le déclenchement du dispositif du chômage partiel ou la cessation de l’activité professionnelle avaient eu lieu plusieurs années après la réforme (respectivement avant 2014 et avant 2016). Par conséquent, même si la troisième « sauvegarde » prévue par la loi n° 228 de 2012 envisageait 16 000 personnes, les demandes acceptées ont été de 7 000. Dans la quatrième «sauvegarde», au sens du décret-loi n° 102 de 2013, sur 5 000 places disponibles, les demandes acceptées ont été de 3 000. Dans la cinquième, sur 17 000 places disponibles prévues par la loi n° 147 de 2013, les demandes acceptées ont été à peine supérieures à 3000. Enfin, pour la huitième « sauvegarde » de 2016, sur un total de plus de 35 000, on a accepté un peu plus de 13 000 demandes, égales à un peu plus qu’un tiers. Voir Ufficio parlementare di bilancio (UPB), « Il problema degli esodati e lesalvaguardie dalla riforma Fornero », Focus Tematico, n° 2, 23 février 2016

+ -

La réforme Fornero a été réalisée en vingt jours. Si elle a eu le mérite d’assurer la durabilité à long terme du système de protection sociale, dans une période d’urgence financière, elle a dû cependant se mesurer avec les carences d’un système administratif n’ayant aucun moyen de suivi des licenciements et, surtout, avec les accords concernant les pré retraites. C’est ainsi que, suite à l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, les employés qui étaient concernés par des dispositifs de restructuration d’entreprise ou affectés par des crises d’entreprise ou qui avaient souscrit des accords de pré retraite, se sont trouvés sans travail et sans retraites. Il est compréhensible que ces employés, appelés esodati («travailleurs en exode»), aient déclenché un important mouvement d’agitation, qui a eu un fort écho médiatique.

Pour faire face à cette urgence, le gouvernement technique a adopté cinq mesures de «sauvegarde», suivies par trois autres adoptées par les gouvernements Letta, Renzi et Gentiloni. Grâce à ces mesures, tous les esodati, même s’ils ont traversé des périodes dramatiques d’incertitude concernant leur future couverture sociale, ont pu bénéficier de la « sauvegarde ». Ceci est démontré par le faitque toutes les interventions réalisées après 2011 ont mobilisé des ressources supérieures à celleseffectivement demandées32.

IX Partie

A la recherche d’une réforme de la protection sociale sous le signe de l’équité

L’Italie est entrée dans une phase de déclin démographique. C’est l’une des nations les plus anciennes au monde. À cause de l’inversion de la pyramide des âges, la part des plus de 65 ans dans la population italienne est destinée à augmenter : elle passera de 37 % aujourd’hui à 65 % en 2045 et à 74 % en 2050. En d’autres termes, en 2050 en Italie, pour 100 personnes entre 24 et 64 ans, il y aura 74 personnes ayant plus de 65 ans, contre les 37 actuelles. Aujourd’hui, le nombre de retraites versées en Italie est estimé à près de 18,1 millions et 63 % d’entre elles ont un montant inférieur à 750 euros. Les pensions d’ancienneté représentent 27,9 % de la dépense nationale (soit 14,1 % duPIB), 221 milliards d’euros et 3 719 euros par personne.

Face à ces phénomènes de vieillissement de la population et d’augmentation des dépenses de la protection sociale, la réforme Fornero a sécurisé les comptes publics en garantissant environ 88 milliards d’euros d’économie jusqu’en 2021. Cependant, en raison du manque de temps pour la finaliser à cette époque, la réforme n’a pas réussi à introduire plus d’équité parmi les différents traitements de la protection sociale. Dans cette perspective, comme on le sait, le décret-loi n° 201 de 2011 avait prévu le blocage de la revalorisation des retraites pour les années 2012 et 2013, exonérant de la désindexation seulement les allocations qui avaient un montant non supérieur à 1 404 euros brut(égal à trois fois le traitement minimum). La Cour constitutionnelle italienne, par l’arrêt n° 70 de 2015, a déclaré l’illégitimité constitutionnelle de cette disposition puisque « l’intérêt des retraités, en particulier de ceux qui sont titulaires de faibles traitements de la protection sociale, est dirigé vers le maintien du pouvoir d’achat des montants perçus, d’où provient, en conséquence, le droit à une prestation de protection sociale adéquate. Ce droit, constitutionnellement fondé, s’avère sacrifié de manière déraisonnable au nom d’exigences financières non illustrées dans les détails. On porte donc atteinte aux droits fondamentaux connexes au rapport de protection sociale, qui sont fondés sur des paramètres constitutionnels non équivoques : le caractère proportionnel du traitement de la retraite, entendue comme une rétribution différée (Constitution, art. 36.1) et le caractère approprié (Constitution, art. 38.2). Celui-ci est à entendre comme une expression certaine, même si non explicite, du principe de solidarité mentionné par l’article 2 de la Constitution et en même temps comme réalisation du principe d’égalité substantielle mentionné par l’article 3.2 de la Constitution. » (Cour Constitutionnelle italienne, n° 70 du 6 mai 2015). La déclaration d’illégitimité constitutionnelle a déterminé un problème pour la tenue des comptes publics, étant donné que, a posteriori, le manque d’adéquation à l’inflation avait été estimé à 24 milliards d’euros.

Ensuite, avec le décret-loi n° 65 de 2015, le mécanisme de l’indexation a été réintroduit. Cette fois la Cour Constitutionnelle, avec l’arrêt n° 229 du 25 octobre 2017, n’a pas accepté les censures d’inconstitutionnalité du décret-loi n° 65 de 2015 puisqu’il réaliserait « un équilibrage non déraisonnable entre les droits des retraités et les exigences des finances publiques ».

Comme nous l’avons vu, les réformes Dini et Fornero ont été réalisées en plein milieu de la crise financière et économique, sous la pression d’une nécessité impérative à redresser les comptes publics. Dans cette situation d’urgence, ces réformes n’ont pas assez pris en compte l’équité intergénérationnelle. Néanmoins, alors que l’Italie mobilise pour la protection sociale une somme semblable à celle d’autres pays européens, le pays devra intervenir plus en faveur de l’équité, dèslors que son système financier retrouvera une certaine stabilité.

Pour assurer la sauvegarde du système de la protection sociale et encore plus pour financer l’abolition de la réforme Fornero – abolition que presque toutes les formations politiques disent, a priori, souhaiter –, une intervention directe de l’État est nécessaire. Cela pourrait se traduire par une augmentation de la dette ou des impôts. Mais étant donné que l’État italien a désormais la quatrième dette la plus élevée au monde33, que la pression fiscale est insoutenable (les formations politiques sont donc réticentes à l’idée d’augmenter la charge fiscale) et que les ressources pour les politiques de soutien aux familles font défaut, il est facile de prévoir qu’une fois passée la période électorale, toutes les velléités réformistes en matière de protection sociale, qui aujourd’hui remplissent les pages des journaux, seront retirées.

L’Italie a besoin d’une réforme structurelle pour apporter plus d’équité à son système social. Dans le système de protection sociale actuel, on observe, d’un côté, de nombreuses catégories de travailleurs « précoces » ou avec des activités pénibles (pour lesquels il serait correct de réduire l’âge légal de départ à la retraite), et, de l’autre, des dizaines de milliers de « baby-retraités » avec des revenus doubles.

X Partie

La dernière proposition de réforme : le quota 100

Notes

34.

Selon les données fournies par le président de l’INPS dans une audition auprès de la Commission du travail de laChambre des députés. Le président de l’INPS a aussi signalé que l’introduction des nouvelles mesures portera « déjà en 2021, à une augmentation de la dépense pour les retraites d’un point du PIL ».

+ -

Les réformes Dini et Fornero ont été réalisées pour redresser les comptes publics face à l’urgence financière. Maintenant que le pays est sorti de cette urgence, le nouveau gouvernement, composé majoritairement par le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, a décidé de réaliser une nouvelle réforme systémique de la protection sociale, dans une direction totalement opposée. Celle-ci est destinée à baisser l’âge de départ à la retraite, avec des conséquences inévitables sur la durabilité du budget de la prévoyance et de la dette publique.

Du projet de loi de finances, approuvé par le conseil des ministres du 16 octobre 2018, et du programme budgétaire transmis à la Commission européenne ressort en effet l’intention du gouvernement de baisser l’âge minimal requis pour le départ à la retraite en réintroduisant le système des quotas, déjà expérimenté tout d’abord avec la réforme Maroni, puis avec la réforme Damiano. Le projet de loi prévoit, comme seuil minimal pour le traitement de prévoyance, le quota 100, à partir de l’addition de l’âge (62 ans) et de l’ancienneté contributive (trente-huit ans), avec quatre fenêtres desortie : une fenêtre tous les trois mois. En revanche, les conditions requises pour l’octroi de la retraite d’ancienneté disposées par la loi Fornero, 43 ans et trois mois d’ancienneté contributive pour les hommes et 42 ans et deux mois pour les femmes, qui, selon les déclarations d’un quota 41, auraient dûêtre remplacées, n’ont pas été touchées.

Par ailleurs, on devrait prolonger l’opzione donna qui, comme il a été dit, permet aux salariées du secteur privé et public (âgées de 57 ans et avec 35 ans de cotisation), et aux femmes avec une activité professionnelle indépendante (âgées de 58 ans et avec trente-cinq ans de cotisation), d’anticiper leur retraite en acceptant un système de calcul entièrement contributif. Il s’agit d’interventions qui alourdissent encore davantage la charge liée à la prévoyance qui repose sur les nouvelles générations, parce qu’elles permettront immédiatement à environ 400.000 personnes de demander leur retraite mais aussi parce que, dans le système italien, les cotisations versées par un jeune qui vient de rentrer dans le monde du travail, souvent avec un contrat précaire, sont très inférieures à celles d’un travailleur ayant atteint l’âge de départ à la retraite.

C’est pour cela que le gouvernement a prévu d’augmenter de 7 milliards d’euros les charges connexes à la protection sociale. La couverture partielle de celles-ci devrait être réalisée grâce à la réduction des «retraites dorées», à travers une « taxe de solidarité » pour les retraites supérieures à 4.500 euros net par mois. Mais ce prélèvement, même selon les prévisions du gouvernement, devrait faire récupérer à l’État au maximum 1 milliard d’euros en trois ans, en l’amenant à financer avec la dette publique l’importante dépense restante qui, selon les estimations de l’INPS, pourrait atteindre un montant d’environ 140 milliards dans les dix prochaines années34. Le gouvernement a en revanche seulement prévu une couverture pour les trois prochaines années.

C’est ainsi que le pays et, malheureusement aussi, les nouvelles générations se retrouvent maintenant exposés au risque de l’ouverture d’une procédure d’infraction de la part de l’Union européenne et d’une nouvelle tempête financière, comme le démontre la hausse des spreads qui a été enregistrée pendant le dernier mois. C’est aussi pour cela qu’il est dommage que le gouvernement n’ait pas saisi la situation de calme financier pour mettre en place une réforme organique des retraites capable de promouvoir une nouvelle équité entre les générations, les situations économiques, les typologies des emplois et les genres, en abolissant les privilèges injustifiés.

À partir de l’expérience italienne, il est possible de tirer quelques enseignements qui pourraient êtreutiles au réformateur français. Comme il a été précisé par le président de la République françaiseEmmanuel Macron, les réformes de la protection sociale concernent très fortement le pacte social qui relie entre eux les sexes, les générations et les catégories de travailleurs, car elles exercent une influence directe sur la vie des personnes. C’est pour cela qu’elles sont toujours accompagnées par une très grandeattention médiatique, sociale et politique. C’est pour la même raison qu’il est important qu’elles soientadoptées au bon moment et avec la bonne méthode.

Dans cette perspective, une première considération à faire à partir de l’expérience italienne concerne le moment où les réformes de la protection sociale doivent être mises en place. Ces réformes, qui ont une incidence directe sur la redistribution de la richesse d’un pays, doivent tenir compte du cycle économique. Pour redéfinir et renforcer le pacte social à l’époque de la mondialisation, il estimportant d’avoir du temps pour mettre en place un vaste dialogue avec l’opinion publique.

Il faut expliquer les motifs de la réforme et réfléchir, avec le calme nécessaire, pour savoir comment apporter de l’équité non seulement entre les catégories de travailleurs mais aussi entre les générations, à l’intérieur du système de protection sociale.

Il est important d’expliquer les raisons d’une réforme qui, ayant été adoptée à l’issue d’un intense échange entre toutes les parties prenantes, a l’ambition de se poser comme un nouveau modèle d’État social capable de satisfaire les besoins des citoyens sans en frustrer les ambitions.

Il faut donc accueillir favorablement le choix du président Macron de nommer un haut-commissaire aux réformes des retraites et de lui donner le temps et les outils nécessaires pour une réforme de la protection sociale ayant pour objectif de renforcer le pacte social à la base du système de prévoyance français, en assurant en même temps la durabilité financière à long terme de celui-ci et, avec elle, un avenir de prévoyance pour nos enfants.

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