Relancer notre industrie par les robots (2) : les stratégies
Introduction
Financer l’équipement des PME-PMI
La diffusion de l’information par un acteur unique
La mobilisation des ressources financières
Créer une filière intégrée nationale de production robotique
L’absence de filière intégrée
La stratégie de recherche et développement
Le manque de formation initiale et continue
Conclusion
Résumé
L’industrie française a été abandonnée, écartée, par une vision erronée de la mondialisation qui voulait faire produire plutôt que produire soi-même. Pourtant, il n’est de richesse que d’usines, et la maîtrise des outils de production est bien un enjeu stratégique dans les relations économiques de notre temps.
Les robots industriels offrent une solution pour passer des mots aux actes, pour que le « redressement » soit plus qu’un vain mot des discours politiques et qu’il s’incarne enfin dans les statistiques du PIB. Au service de cette ambition, il faut une stratégie simple et efficace, fondée sur un plan d’équipement de grande ampleur, la reconstruction d’une filière de production de robots industriels et, à plus long terme, de technologies de production dans leur ensemble.
De plus, ce n’est qu’avec une base solide dans la robotique industrielle que la France pourra se lancer dans le déploiement de masse de la robotique de services.
Pour réaliser ces objectifs ambitieux, il faut mettre le cap vers l’Orient. Ces dix dernières années, certains pays asiatiques ont mené des politiques de rattrapage rapide, démontrant qu’au-delà des montants investis c’est avant tout la confiance des dirigeants politiques dans le progrès technologique que représente la robotisation qui assure la réussite du projet. La France possède de nombreux atouts, notamment une importante épargne nationale et des infrastructures de recherche et développement de haut niveau. Encore faut-il les mobiliser sans tarder en faveur de ce projet de réindustrialisation.
Robin Rivaton,
Consultant en stratégie
Introduction
La Robotisation des PMI françaises, rapport préparé en 2009 par les cabinets Nodal Consultants, Deloitte et la direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) pour le ministère de l’économie.
Boston Consulting group, Made in America, again: Why Manufacturing Will Return to the U.S., août 2011.
Selon les chiffres du National Bureau of statistics, le salaire des travailleurs migrants, traditionnelle main-d’œuvre bon marché des usines chinoises, a augmenté de 14,9% au premier semestre de l’année 2012. Si la croissance se poursuivait à ce rythme, en 2015 les salaires auraient doublé par rapport à 2011.
Le rapport La Robotisation des PMI françaises est resté lettre morte.
Pour preuve évidente de ce biais, l’absence d’intervenants issus de la robotique industrielle lors de la conférence « trop ou pas assez de robots » tenue dans le cadre de l’université d’été 2012 du Medef.
Les mauvaises performances de l’industrie française vont à l’encontre du cliché de l’efficacité d’un système fondé sur des activités manufacturières dématérialisées (faire produire plutôt que produire soi-même en maintenant en France les activités de siège, de conception et de vente). Une puissance industrielle n’a d’importance qu’au regard du contrôle de son outil de production, évitant au passage les mauvaises surprises en termes de non-respect de la propriété intellectuelle ou de qualité défectueuse. L’idée est que la robotique permette, à très court terme, à l’industrie française de baisser ses coûts et donc de récupérer en compétitivité prix afin de regagner de nouveaux marchés, en maintenant, voire en augmentant, la rentabilité des sites industriels français. Il s’agit en cela d’un puissant frein aux délocalisations. Une étude réalisée pour le compte du ministère de l’Industrie en 20091 estimait qu’il était envisageable de « diminuer la part de main-d’œuvre en dessous de 20% du prix de revient » en France grâce au recours aux robots industriels, alors que cette part est actuellement de 30%. Toutefois, il serait extrêmement réducteur de considérer la robotisation seulement du point de vue du remplacement du facteur travail.
Avec un impact complémentaire sur la compétitivité hors prix, dans la plupart des cas les entreprises qui ont franchi le pas de la robotisation ont obtenu de nouveaux marchés sur le plan national ou au niveau mondial, créant même ainsi de l’emploi. Dans une certaine mesure, la robotisation offre aussi, à moyen terme, la possibilité d’attirer à nouveau des entreprises qui avaient déplacé leur outil industriel à l’étranger, notamment dans les pays à faible coût de main-d’œuvre, là où les hausses de salaire massives ont à présent conduit à une réduction de l’avantage en termes de coût du travail. La robotisation pourrait permettre à l’industrie française de retourner sur des segments abandonnés, tels les biens de consommation, répondant ainsi à la trop forte concentration des exportations industrielles françaises. À l’heure actuelle, elles sont trop focalisées sur les infrastructures de transports à destination du secteur public, alors que les industriels allemands vendent principalement des automobiles, des machines-outils et de l’équipement électrique aux classes moyennes et aux entreprises des pays émergents, dont les achats devraient augmenter plus fortement que ceux du secteur public.
Espérer un retour en France des industries qui ont été délocalisées2 au motif de l’inflation salariale3 des pays émergents est non seulement une position passive indigne d’une véritable mission politique, mais aussi et surtout un mythe au sens où les industries en question ont développé sur place un savoir-faire utile qu’une relocalisation dans l’Hexagone amenuiserait. De plus, les pays émergents, Chine en tête, sont également en train de mettre en œuvre des plans de robotisation de grande ampleur. Loin de toute considération idéologique, il est évident que seule une volonté politique affirmée pour un développement de la filière soutenue par des moyens publics sera susceptible d’accompagner cette refondation. Les principaux pays d’usage et de production des robots industriels, qu’ils soient en Asie (Corée du Sud, Japon), en Europe (Allemagne) ou aux États-Unis, ont mis en place des politiques volontaristes afin de maintenir ou de renforcer leurs positions à l’avenir, l’exemple le plus pertinent étant la Corée du Sud, qui a pour ambition de devenir le leader mondial dès 2018. C’est une filière d’avenir qui nécessite le soutien des pouvoirs publics afin de créer un cadre national incitatif. Un récent frémissement s’est fait sentir sur le secteur de la robotique de services : en juin 2012, le Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (Pipame) s’est vu remettre le rapport qu’il avait commandé sur « le développement industriel futur de la robotique personnelle et de service en France ». Par ailleurs, le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg a annoncé un plan de soutien à la filière d’ici à la fin de l’année 2012. Cependant, les avancées obtenues sur la robotique industrielle au cours de l’année 20104 à la suite des États généraux de l’industrie n’avaient pas résisté aux remaniements ministériels et aux changements politiques. Le rapport remis au Pipame ne fait que noter les constats évoqués précédemment, sans s’appesantir outre mesure, ceux-ci étant hors du champ de l’étude. Il est notamment mentionné qu’« à la différence de l’Allemagne, la France est absente [du secteur de la robotique industrielle] » alors même que « la robotique industrielle est […] considérée comme un élément clé de la compétitivité des entreprises industrielles, au point de susciter des soutiens publics massifs, en Europe comme aux États-Unis ».
Dès lors, dissocier les deux secteurs en estimant que notre retard dans la robotique industrielle est tel qu’il semble désormais plus intéressant de l’abandonner en consacrant les efforts sur une robotique exclusivement de service5, perçue comme moins anxiogène et sécurisante (surveillance des maisons ou aide aux personnes âgées), serait à l’évidence une erreur. Robotique industrielle et robotique de service sont très complémentaires, et les robots mobiles de logistique, aux fonctionnalités parfois proches des robots de service les plus avancés, ont également trouvé leur place dans les lieux de production industrielle. Le développement conjoint de l’une et l’autre permettrait de générer les économies d’échelle requises pour atteindre un stade de production de masse.
Réaliser un plan aussi ambitieux peut sembler déraisonnable, mais les exemples étrangers fournissent la preuve qu’un plan d’actions ciblé sur des leviers aussi puissants que la recherche et développement, et la formation, conjugué à une réallocation de l’épargne à destination des investissements de modernisation, peut, à l’horizon d’une décennie, permettre de rattraper le peloton des pays les plus avancés dans le domaine de la robotique industrielle. Ce chapitre vise donc à promouvoir, via un processus d’identification des meilleures pratiques étrangères, la mise en place d’un plan robotique global, véritable projet politique de croissance au service des entreprises industrielles installées en France qui ne saurait s’envisager qu’accompagné d’un volet productif, à savoir la recréation d’une filière de production de robots industriels, ce qui contribuerait par ailleurs à limiter l’impact négatif des importations de robots sur la balance commerciale.
Financer l’équipement des PME-PMI
Le plan de robotisation de l’industrie française se décline sur deux volets, le premier étant un travail d’information notamment auprès des PME-PMI afin de promouvoir les avantages de la robotisation autour d’un acteur unique, le second concernant les moyens de financement de ces investissements.
La diffusion de l’information par un acteur unique
La robotique en France souffre à la fois d’une trop forte concentration dans les grands groupes (plus de 80% du parc) et dans le secteur automobile (qui concentre 61% du parc de robots contre 36% à l’échelle mondiale). Seul un tiers des robots installés en France se trouvent dans des entreprises de moins de 1.000 salariés. Si les grands groupes ont pris à temps le virage de la robotisation dans les années 1980 et 1990, ce mouvement ne s’est pas diffusé vers les entreprises de taille intermédiaire et les PME. Les causes de ce sous-équipement sont multiples et prennent place dans un climat de frilosité générale face à l’investissement manufacturier en France. La première des causes est sans doute une vision erronée du coût et de la rentabilité de l’investissement en robots industriels.
De plus, encore beaucoup de PME-PMI estiment que la robotisation ne peut pas répondre aux petites cadences, alors que les possibilités de reprogrammation des robots industriels offrent justement la possibilité de changer les outils et les usages rapidement. La France est également en retard dans les usages de la robotique puisque, dans de nombreux autres pays, quittant les rivages connus de l’industrie automobile, la robotique ne cesse de pénétrer de nombreux secteurs et gagne en précision au fur et à mesure des innovations technologiques. Ces dernières années, les innovations des roboticiens ont ainsi permis d’élargir la gamme de robots et d’offrir des produits adaptés pour de nombreux secteurs, tels que l’agro-alimentaire ou la métallurgie. L’industrie automobile arrive en tête des opérations (57%), suivie de l’industrie chimique (11%) et de la métallurgie (11%), puis de l’agroalimentaire et du tabac (6%). Cette dernière industrie recèle un fort potentiel de croissance, car les robots cantonnés à des rôles de bout de chaîne, telles l’encaissage et la palettisation, commencent à intervenir sur le conditionnement direct du produit en veillant aux exigences de sécurité et d’hygiène. Le embouteilleurs, Coca-Cola en tête, ont joué un rôle précurseur dans cette utilisation qui devrait ensuite se décliner chez les maraîchers, les fromagers et les biscuitiers. Si l’industrie agroalimentaire allemande a enregistré de si bonnes performances ces dernières années, dépassant son homologue français à la fois en termes de production et d’exportation, c’est parce que, pour un chiffre d’affaires quasiment équivalent, elle compte deux fois et demie plus de robots industriels dans ce secteur. Le secteur de la parfumerie et de la cosmétique devrait également être ciblé comme un axe de déploiement des robots industriels.
Avant toute chose, il est indispensable que les pouvoirs publics dressent un état des lieux de l’outil productif dans notre pays afin notamment d’identifier les industries et les régions en souffrance. On ne peut d’ailleurs que regretter le manque de statistiques françaises en matière d’investissement manufacturier, les derniers chiffres datant de 1998 dans le cadre de l’enquête « Automatisation et informatisation industrielles » menée par le Service des études et des statistiques industrielles (Sessi), qui contenait des informations aussi utiles que le taux de diffusion des technologies, les motivations et les freins à l’investissement.
Dans un second temps, afin de répondre à l’impératif de diffusion de la robotique au sein de nouveaux secteurs et de plus petites entreprises, il faut d’urgence créer une structure unique à l’échelle des régions qui soit l’interlocuteur par excellence des entreprises souhaitant entreprendre une action de robotisation et, plus largement, d’automatisation, tout en facilitant une activité de recherche d’informations fortement consommatrice de temps. La régionalisation doit permettre la prise en compte des réalités et des spécificités territoriales des PME industrielles. Cette structure devra mener des campagnes d’information en lien avec les Agences régionales de développement économique, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte6), les chambres de commerce et d’industrie, et les pôles de compétitivité, comme l’avait déjà fait le Syndicat des entreprises de technologies de production (Symop) avec son initiative « Robotcaliser : robotiser pour ne pas délocaliser » en 2005. Un moyen utile pour toucher les industriels des PME sera aussi de multiplier les foires et salons locaux, à l’image d’Innorobo, à Lyon, qui a attiré près de 95 exposants et 10.000 visiteurs en mars 20127. Cette structure devra aussi accueillir, comme en Corée ou au Japon, des experts sectoriels, en fonction des spécialisations économiques locales, capables de mener des audits robotiques précis, commercialement neutres, gratuits ou à prix réduit, permettant de présenter aux chefs d’entreprise les solutions d’automatisation optimales, leur rentabilité et les changements induits sur le processus de production. Cela permettrait de lever l’appréhension des chefs d’entreprise sur certaines questions liées à la robotisation, notamment celle de la rentabilité. Certains organismes, comme par exemple le Centre technique des industries mécaniques (Cetim), réalisent déjà des études technico-économiques afin de conseiller les industriels dans leurs choix. Cette structure centrale pourra accueillir des démonstrateurs, en partenariat avec les roboticiens et les intégrateurs, afin de permettre aux chefs d’entreprise de se familiariser avec ces objets. Enfin, en échange de leur expertise, ces structures collecteront les données et pourront aider au transfert de résultats entre les entreprises. Une expérimentation proche de ce modèle, baptisée Active Robotec, a été lancée en mars 2012 pour une durée de trente mois au sein du pôle de compétitivité ViaMéca, à Clermont-Ferrand. L’objectif est d’accompagner une quarantaine de PME du Massif central, d’une partie des Midi-Pyrénées et de Rhône-Alpes dans leur démarche de robotisation, via une sensibilisation puis une aide à la rédaction du projet qui sera présenté aux financeurs privés et publics (collectivités territoriales, Oséo…). Le financement de ce projet provient des ressources du pôle de compétitivité ViaMéca, de la Datar Massif central et des Régions Rhône-Alpes et Auvergne. Mais il faut désormais dépasser le cadre des expérimentations locales pour aller vers un guichet unique d’accompagnement à la robotisation, déployé à l’échelle nationale.
La mobilisation des ressources financières
Selon, l’insee (base alisse), en 2010 la France comptait 12.803 entreprises industrielles accueillant entre 10 et 19 salariés, et 16.464 entreprises industrielles accueillant entre 20 et 249 salariés.
Mirel Scherer, « le plan robot de Barack Obama fait rêver les petites et moyennes entreprises françaises », L’Usine nouvelle, 29 juin 2011.
Base de données Bach-ESD, Banque de France.
Base de données Bach-ESD, Banque de France. Par ordre croissant, les taux de rentabilité moyen des PME industrielles en Europe sont les suivants : Espagne, 2,84% ; Italie, 3,19% ; France, 3,83% ; Belgique, 4,62% ; Portugal, 4,65% ; Allemagne, 5,04% ; Autriche, 5,59% ; Pays-Bas, 6,30% ; Pologne, 6,40%.
Afin de favoriser l’équipement en robots de leurs industries respectives, plusieurs pays ont mis en place des dispositifs de soutien directs ou indirects. Par exemple, le groupe Foxconn a demandé au gouvernement taïwanais de soutenir financièrement ses projets de robotisation. Afin de réaliser des objectifs ambitieux de déploiement auprès des 30.000 entreprises cibles8, les pouvoirs publics doivent offrir des sources de financement accessibles.
Actuellement, le seul dispositif par lequel l’État investit indirectement dans la robotisation est l’aide à la réindustrialisation (ARI) lancée en juillet 2010, dans le cadre du Grand Emprunt. Effective depuis le second semestre 2010, l’ARI vise à financer jusqu’à 60% de l’investissement provenant de PME et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) du secteur de l’industrie et des services à l’industrie, dans la limite de 200 millions d’euros. Ses objectifs (générer plus de 400 millions d’euros d’investissements et créer 2.000 emplois d’ici au 30 juin 2013) étaient quasiment atteints au 12 décembre 2011, date à laquelle vingt projets d’investissements, représentant plus de 344 millions d’euros et la création de 1.525 emplois, avaient été déclarés éligibles pour un montant de 77 millions d’euros d’aide à la réindustrialisation. Si l’investissement consenti peut contenir un volet d’automatisation, celui-ci n’est pas obligatoire. De plus, la fin du programme approche.
Un vrai programme d’encouragement des PMI dans leur robotisation pourrait voir le jour prochainement. Dans le cadre des investissements d’avenir, nouvelle dénomination du Grand Emprunt, le Symop, accompagné du Cetim et du Commissariat à l’énergie atomique, est en train de finaliser le projet Robot Start PME (Soutien à la transition vers l’automatisation robotisation transformatrice des PME). Il vise à informer et à sensibiliser les PME industrielles françaises à la robotique et à accompagner 250 d’entre elles dans leur démarche de robotisation, dans un premier temps en les aidant à faire un diagnostic et à établir le cahier des charges puis, en cas de validation de l’utilité du projet, à lancer un appel d’offres et à financer jusqu’à 10% du coût d’installation en cas de première installation. Le financement de ce dispositif serait de moins de 10 millions d’euros sur deux ans9, somme extrêmement faible pour répondre au défi majeur de la compétitivité industrielle française dans les prochaines années. Il témoigne cependant d’un manque de volonté politique, puisque si le plan a bien été confirmé dès 2010 par le ministre de l’Industrie il ne devrait voir le jour qu’au début de l’année 2013. Dans le cadre d’une réflexion de fond sur la robotisation et l’automatisation de l’outil industriel en France, il faut déjà revoir les dispositifs actuels d’aide à l’innovation, qui excluent aujourd’hui l’équipement en machines et technologies de production.
Étant donné la situation contrainte actuelle des finances publiques, le financement direct n’est sans doute pas une solution tenable à long terme et il doit plutôt être destiné à des programmes de recherche et développement et de formation (voir infra). Il ne faut pas remplacer par de l’argent ce qui doit passer avant tout par de la pédagogie. D’ailleurs, les PMI de l’Hexagone affichent une bonne situation financière, leurs fonds propres rapportés au total du bilan étant en 2010 de 11% supérieur à leurs rivales allemandes et de 3% à leurs rivales italiennes10. Ainsi, plutôt qu’une aide directe, il s’agit d’offrir aux chefs d’entreprise qui auront franchi le cap de la décision d’investissement, les ressources nécessaires pour la mettre en œuvre. Localisé au sein des structures régionales de soutien à l’automatisation, un fonds de soutien à la robotisation permettrait d’esquisser une stratégie cohérente de financement dans le maquis des financements et aides divers. Il pourrait prendre la forme de ce qui avait été fait en 1983 avec la création du Fonds industriel de modernisation (FIM) qui prônait le cofinancement par l’État des investissements industriels des PME, fonctionnant à l’échelle régionale. Ce fonds, richement doté, dont les encours de prêts engagés atteignaient 19,4 milliards de francs agissait via deux instruments : des prêts aux sociétés de contrat-bail, pour offrir à leurs clients des contrats de crédit- bail à taux réduit, et des prêts participatifs à moyen (3 à 5 ans) et long terme (5 à 7 ans) pouvant couvrir de 70 à 100% du programme d’investissement, avec un taux réduit fixé sur la rémunération du Codevi. Il s’agissait de prêts participatifs considérés comme des créances de dernier rang, assimilables à des fonds propres, qui avaient l’avantage de ne pas rentrer dans le calcul du taux d’endettement et donc ne pas obérer le ratio des entreprises. Supprimé en 1986, le FIM a tout de même permis une reprise de l’investissement industriel en 1984 et 1985 (+ 8 % en volume, en moyenne), alors qu’il s’était réduit en moyenne de 1,9 % par an de 1974 et 1978 et de 1,4% par an de 1979 et 1983. Plus de 80% des dossiers de prêts participatifs avaient été accordés à des entreprises de moins de 500 salariés.
Recréer un fonds pour compenser les réticences des banques à prêter aux PME-PMI sur des projets longs et d’un montant conséquent permettrait rétablir un circuit court pour des financements long terme qui s’orientent trop vers le logement et le secteur public au détriment des investissements productifs. Le livret de développement durable (LDD) n’a pas été renommé « livret industrie », contrairement aux engagements du président de la République pendant la campagne présidentielle, et le doublement du plafond, porté désormais à 12.000 euros, n’a pas modifié la destination de l’épargne, toujours orientée à 65% vers le logement social. En gardant les caractéristiques de cette nouvelle réforme, il faut consacrer 1% de l’argent centralisé au titre du livret A et du livret de développement durable à un fonds robotique et automatisation sous l’égide de la Caisse des dépôts. Ceci permettra notamment d’allouer les ressources excédentaires accumulées chaque année par le fonds logement social qui capte plus d’argent qu’il ne peut en dépenser, plaçant ce surplus en dette souveraine, stérilisant l’épargne des Français au détriment d’investissements productifs générateurs de croissance. Une idée originale, issue de l’étude réalisée pour le compte du ministère de l’Industrie en 2009, était de créer un mécanisme assurantiel afin de lever, ou au moins de limiter, le risque de la robotisation pour les chefs d’entreprise. Cette assurance serait intégrée dans le prix de la prestation globale de robotisation et pourrait s’activer en cas d’annulation de la commande ou des perspectives de croissance ayant conduit à l’investissement dans un robot industriel.
Les solutions précédemment évoquées ne sauraient toutefois masquer un élément indispensable au succès d’un plan national de robotisation, car si les industriels français sont aussi frileux sur l’investissement dans l’outil robotique, ce n’est pas seulement parce qu’ils craignent un retour sur investissement trop long ou qu’ils ne trouvent pas les financements nécessaires, mais c’est surtout que l’environnement fiscal, juridique et réglementaire dans lequel ils évoluent n’est pas suffisamment sécurisant pour susciter des comportements risqués. L’investissement est un exercice hautement psychologique et il appartient aux pouvoirs publics d’assurer un minimum de stabilité, en cessant de changer constamment les règles s’appliquant aux entrepreneurs. En outre, si les PME-PMI ont pour l’instant une situation financière solide, il faut d’urgence revoir les mécanismes d’imposition qui les conduisent à avoir une rentabilité parmi les plus faibles d’Europe11 et menacent à terme cette solidité financière.
Créer une filière intégrée nationale de production robotique
Les pays jouant un rôle dans la robotique industrielle ont acquis et maintiennent leurs positions grâce à des politiques volontaristes, soutenues par des fonds publics. La Corée du Sud représente la nation la plus intéressante à étudier en termes de plan de soutien à la robotisation des entreprises. Si la France entend créer une filière robotique prospère et intégrée entre roboticiens industriels, intégrateurs et roboticiens de service, elle doit allouer des ressources à des programmes public-privé de recherche et développement, et à la formation des hommes capables de nourrir la révolution robotique.
L’absence de filière intégrée
Selon Credit suisse, le marché des systèmes robotiques représente quant à lui 16 milliards d’euros et devrait atteindre 24 milliards d’euros en 2025 selon les prévisions de Booz & Company.
Base de données World Integrated Trade Solution.
Connus respectivement sous les noms de Supervisory Control and Data Analysis (Scada), Process Factory Distributed Control System (DCS), Programmable Logic Controller (PLC).
La Robotisation des PMI françaises, op. cit.
Il est constitué de quatre grands segments – robots médicaux (37%), robots de traite (24%), robots de défense (20%), robots de logistique (13%) –, dont au moins deux d’entre eux (logistique et traite) sont proches des robots industriels.
IFR, World Robotics, 2012.
À la question : « Dans quels secteurs l’usage des robots devrait être banni ? », les Français se révèlent partout plus hostiles que la moyenne des citoyens européens, étant notamment très réfractaires à la présence de robots dans l’éducation, les loisirs et l’agriculture (voir Eurobaromètre n°382 de septembre 2012, Public Attitudes Towards Robots).
Naho Kitano, « ‘Rinri’: An Incitement towards the Existence of Robots in Japanese Society », International Review of Information Ethics, vol. 6, décembre 2006.
À l’échelle mondiale, les principaux producteurs de robots sont le japonais Yaskawa, qui détient 23% d’un marché estimé à 6,4 milliards d’euros annuels12, et le japonais Fanuc, avec 22% de parts de marché. Suivent l’allemand Kuka et le groupe helvético-suédois ABB, avec respectivement 15 et 13%, les japonais Kawasaki et Nachi-Fujikoshi arrivant en cinquième position avec 8% chacun. Le marché est donc déjà fortement concentré, comme en témoigne la fusion, en juin 2010, de Motoman, deuxième roboticien américain avec un parc installé de 30.000 robots, et de Yaskawa. Aucun acteur n’est purement spécialiste de la robotique industrielle, car la plupart des entreprises opèrent également dans les machines-outils, les commandes numériques et les équipements électriques.
La fabrication de robots est concentrée dans quelques pays (voir supra) et, du fait de la quasi-absence de production nationale, la France est très dépendante dans ses importations de robots. D’après les chiffres de l’Organisation mondiale du commerce13, la France importe ses robots industriels pour 35% du Japon, 19% d’Allemagne, 12% de Suède et 11% d’Italie. Ce quatuor totalisant 77% des exportations vers la France est resté identique depuis dix ans, leur poids étant de 84% en 2000 et de 81% en 2005. Pour répondre à ce défi, il faut convaincre les roboticiens étrangers, japonais en tête, d’installer des unités de production en France, en insistant sur le surplus de demande que générerait un plan de robotisation massif et en offrant des incitations fiscales. D’ailleurs, les robots industriels, en raison de difficultés de transport évidentes du fait de leur poids et de leurs dimensions, se prêtent à une production nationale ou continentale. Si, en 2011, Yaskawa a installé à proximité de Munich, à Allershausen, son nouveau siège social avec les fonctions de service après-vente, recherche et développement et logistique pour un investissement de 12,5 millions d’euros et 50 emplois, c’est parce qu’il savait qu’il trouverait une demande de robots suffisante en Allemagne. Les roboticiens japonais ont longtemps refusé, sous la pression de leur gouvernement, de créer des unités de production hors du Japon. Le gouvernement chinois a quant à lui conditionné l’accès au gigantesque marché de la robotisation dans le pays à l’implantation d’usines sur place. L’attrait pour le marché local chinois était tel que ABB, en 2012, a décidé de déplacer le siège mondial de sa division robotique de Detroit à Shanghai, et d’y créer un centre de qualité global. Et, en avril 2012, Kuka, le numéro trois mondial de la robotique industrielle, a annoncé qu’il allait augmenter ses capacités de production en Chine à hauteur de 5.000 unités d’ici à la fin de l’année, contre moins de 1.000 en 2010. En juillet 2012, le leader mondial Yaskawa, lui, a doublé son plan d’investissement dans le pays avec pour objectif de passer de 6.000 à 12.000 unités annuelles d’ici à trois ans.
Le robot n’est toutefois que la partie visible d’un ensemble productif dans lequel s’intègrent les outils, les capteurs, les ordinateurs et logiciels de contrôle du robot14. Les acteurs français sont relativement absents de cette chaîne de valeur, les leaders étant des groupes européens comme Siemens (allemand), Invensys (britannique), ABB (helvético-suédois), américains comme Honeywell, Rockwell, Eaton, Cognex et Teledyne, et japonais comme Omron et Yokogawa. L’installation de roboticiens en France pourrait permettre d’irriguer cette chaîne de valeurs et, peut-être, de faire émerger des acteurs sur les segments précités.
L’absence de producteur national n’est pas dommageable tant, pour l’instant, la commercialisation des produits des roboticiens passe par des sociétés tierces, les intégrateurs. Bien que certaines grandes entreprises comme Michelin réalisent elles-mêmes l’intégration des robots dans leurs usines, la plupart des entreprises de petite ou moyenne taille ont recours aux services d’une entreprise spécialisée qui vend une solution productique globale adaptée aux besoins particuliers de l’entreprise, incluant le robot mais aussi les outils, l’audit, l’installation, la programmation, la formation des employés et, parfois, la maintenance post-installation. Cette offre de services n’est pas délocalisable et n’entraîne pas de dégradation de la balance commerciale. L’état actuel du marché des intégrateurs représente un véritable point de blocage pour les chefs d’entreprise souhaitant robotiser tant ils peinent à trouver des intégrateurs de robots. Ces derniers recherchent un acteur local, de taille réduite, dont ils se sentent proches et comprennent les enjeux spécifiques de leur activité. Or le faible nombre d’intégrateurs – moins de 400 sur l’ensemble du territoire – rend le réseau parcellaire aussi bien en termes de couverture géographique qu’en termes d’expertise sectorielle.
Les intégrateurs sont majoritairement des très petites entreprises puisque, en 2009, un tiers d’entre eux embauchaient plus de 25 salariés et seulement 7% embauchaient plus de 50 salariés15. L’intégration est le cœur de métier de 50 à 100 d’entre eux, et concerne autant les robots que les automates. Alors qu’une spécialisation poussée devrait permettre de mieux répondre aux besoins des entreprises, la moitié des intégrateurs s’adresse à cinq secteurs et plus. Un cinquième des intégrateurs travaillent principalement pour des entreprises de plus de 1.000 personnes et un tiers s’adressent aux entreprises qui emploient entre 300 et 1.000 salariés. De petite taille, ils ont recours en moyenne à trois roboticiens différents, ayant très peu de pouvoir de négociation en amont. Logiquement, le savoir-faire français en la matière est peu exporté. La faiblesse de l’industrie d’intégrateurs représente d’ailleurs l’un des principaux points de différence avec l’industrie allemande de la robotique industrielle. Leur présence, en nombre suffisant et avec l’expertise nécessaire, est une condition nécessaire pour assurer le déploiement d’un outil robotique à l’échelle nationale et son maintien dans le temps, via la maintenance et la mise à jour des équipements.
Pour répondre à cela, il faut faire émerger des intégrateurs solides, apportant des solutions clés en main pour les PME avec, pourquoi pas, le financement de l’investissement en partenariat avec le fonds de modernisation précédemment évoqué et les établissements bancaires. La concentration du secteur semble également une étape nécessaire, avec l’émergence de quelques acteurs ayant une marque bien identifiée à l’échelon national, permettant de peser dans la négociation avec les roboticiens et fournisseurs d’équipements, même si ce rapprochement ne doit pas sacrifier l’expertise sectorielle ou technologique. Avant le rapprochement capitalistique, la structuration du secteur peut passer par la création d’un syndicat et d’un label s’accompagnant d’un ensemble de règles à respecter. Les structures régionales dédiées à la robotisation devraient jouer un rôle essentiel en répertoriant les intégrateurs dans leur champ géographique et les aider à coopérer.
L’importance d’un plan de production national de robots industriels prend toute son importance dans le cadre de la volonté politique de faire émerger une filière forte de robotique de services. Celle-ci sera intégrée ou ne sera pas. D’ailleurs, dans son étude réalisée en 2010, la Drire Île-de-France pointait le fait que « l’inexistence de la filière robotique industrielle en France peut présenter un risque pour l’émergence d’une filière de robotique de services qui puisse résister et faire concurrence aux géants asiatiques ». Jean-Paul Laumond, directeur de recherches du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (Laas), laisse quant à lui entendre que « le problème n’est pas tant de rattraper le retard accumulé dans cette filière [de la robotique industrielle], mais surtout de ne pas manquer le marché qui est en train de s’ouvrir : celui de la robotique grand public ». Si, aujourd’hui, la France se trouve à un tournant sur un marché de la robotique de services et de la robotique domestique qui devrait entrer d’ici quelques années dans une phase industrielle, il ne faut pas s’y projeter en oubliant définitivement la robotique industrielle. D’abord parce qu’en 2011, selon les chiffres de l’International Federation of Robotics (IFR), le marché des robots industriels s’élevait à 8,5 milliards de dollars, celui de la robotique de service à 3,5 milliards16, celui de la robotique domestique à 450 millions, et que les perspectives de croissance sur la période 2012-2015 sont similaires, avec un taux de croissance annuel moyen de 5% pour les robots industriels et de 5,2% pour les robots de service17. Ensuite, parce que des solutions simples et pratiques permettent de se placer sur le marché de la robotique industrielle et de combler le retard accumulé depuis une décennie et que la robotique industrielle est un secteur mature dont la production a un effet d’entraînement sur d’autres industries, comme l’électronique ou la mécanique. Enfin, parce qu’en tant qu’investissement productif, les robots industriels offrent un réservoir de gains de productivité certain et immédiat, ce dont les robots de service n’ont pas encore apporté la preuve.
La filière française de la robotique de service est d’une immense qualité, nourrie par un réseau de PME et de start-up inventives en pleine structuration, avec comme porte-drapeau Aldebaran Robotics, dont le robot NAO a détrôné le robot de Sony dans les compétitions internationales de robotique. Les centres de recherche associant de jeunes entreprises comme Gostai ou Robosoft et les organismes publics, comme le CNRS, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) ou l’Institut de recherche en informatique et en automatique (Inria), fonctionnent parfaitement, rassemblant les compétences liées à l’électronique, la mécanique et la conception de logiciels informatiques. Toutefois, cette avance technologique est fragile et doit désormais survivre à la phase de production et de commercialisation. Les risques sont importants, en premier lieu une captation de la technologie par des acteurs étrangers, japonais en tête, disposant de moyens financiers considérables. La rumeur concernant le rachat de 80% du capital d’Aldebaran Robotics contre 100 millions d’euros par le géant des télécommunications japonais Softbank, en mars 2012, a déjà soulevé cette question. La constitution d’acteurs robotiques puissants financièrement et en termes d’expertise et de pouvoir de négociation sur le marché de la robotique industrielle permettrait d’adosser la filière naissante de la robotique de services à un environnement favorable pour piloter son déploiement industriel. Les robots industriels pourraient ainsi se révéler bien utiles pour construire leurs homologues des services.
En outre, même si la France a accompli un certain nombre d’avancées technologiques, faisant de sa recherche l’une des plus en pointe au monde, les pays asiatiques ont acquis une très grande avance en termes d’acceptabilité sociale et de déploiement dans la vie courante par rapport aux opinions publiques européennes, à l’opinion française en particulier18. Les gouvernements japonais et coréens, eux, ont entrepris une véritable révolution culturelle, facilitée par un rapport différent aux objets19, en installant des robots dans des lieux courants tels que les salles de classe ou dans les prisons. Ces pays ont choisi de mettre en place de véritables sociétés robotisées afin de répondre au vieillissement de leur population, et leur industrie nationale de robotique de service profite déjà d’une demande intérieure forte.
La stratégie de recherche et développement
Marcus Noland et Howard Pack, Industrial Policy in an Era of Globalization. Lessons from Asia, New York, Peterson Institute for International Economics, mars 2003.
National Academy of Engineering, 2007 ; Computing Community Consortium, 2009.
En 2011, un musée de la robotique a ouvert ses portes pour un investissement de 800.000 en cinq mois, il a attiré 250.000 visiteurs. Autre exemple, la foire Robot World d’octobre 2011 a rassemblé quelque 75.000 visiteurs en quatre jours.
Zhong Nan et Wu Yong, « Siasun’s metallic touch », China Daily, 5 octobre 2012. Une ligne de production avec une capacité de 100.000 à 200.000 unités a environ besoin de 600 robots industriels ; or la Chine a produit 17,2 millions de véhicules en 2011, selon PWC Autofacts 2012, ce qui conduit à un potentiel de robotisation de près de 70.000 robots.
Shin Ji-Hye, « Korean Robotics Industry Poised to Leap Forward », Korea IT Times, 18 septembre 2012.
Alexandre Majirus, « Vous avez dit réindustrialisation ? », in Le Nouvel Économiste, citant Catherine Simon, présidente d’Innoecho.
Tous les pays qui occupent des positions affirmées dans le domaine de la robotique industrielle ont opéré un financement public de la recherche et du développement, et parfois même de la production du secteur. Au Japon, la robotique a été définie comme une des industries clés et a profité à ce titre de politiques de soutien, tels l’accès à des financements à taux réduits, des exonérations fiscales, des barrières douanières ou l’interdiction de contrôle étranger sur les entreprises du secteur20. Le Japon, très tôt, a cherché des applications autres que le secteur industriel, mais ces tentatives connurent un échec relatif dans les années 1970 et 1980, et le pays se concentra sur son expertise manufacturière au service de la production automobile. En 2001, lorsque les autorités constatèrent que d’autres pays avaient pris de l’avance dans la robotique de service et acceptèrent l’idée que robotique de service et robotique d’industrie étaient complémentaires, le Japon lança un plan de rattrapage afin de créer un humanoïde polyvalent. La recherche et développement robotique a bénéficié des programmes publics quinquennaux très volontaristes lancés à partir de 1995 en faveur de la recherche technologique, appelés Science and Technology Basic Plans. Ces initiatives ont aussi eu leur déclinaison sur le plan organisationnel et ont permis de structurer des clusters associant entités académiques, centres de recherche et entreprises à partir de 2002, où le financement provenait pour un cinquième de fonds publics et pour le reste des entreprises. Le troisième plan cadre 2006-2010 fut doté, pour son versant robotique, tous secteurs confondus, d’un budget annuel moyen de 180 millions d’euros. Sur le plan de la robotique industrielle, les innovations envisagées étaient notamment à destination de l’industrie agroalimentaire. Sur la période 2008-2018, le Japon va investir 280 millions d’euros dans la construction de robots de service21.
La Corée du Sud, quant à elle, a produit l’effort de recherche le plus significatif ces dernières décennies, particulièrement sur la robotique de service, en essayant d’introduire une robotique domestique de masse d’ici à 2020 et en familiarisant le grand public aux robots de service22. Le pays vise d’ailleurs le rôle de leader mondial de la robotique en 2018. L’intervention publique se caractérise par des investissements publics dans le cadre de plans quinquennaux, à savoir 800 millions d’euros sur la période 2002-2012 pour l’actuel 21st Century Frontier Programme ; la création d’une filière nationale autour des conglomérats Hyundai, Samsung et Daewoo pour les robots manufacturiers dans les industries lourdes comme l’automobile ou les chantiers navals ; des barrières tarifaires pour construire un marché domestique ; des incitations fiscales et monétaires à l’exportation ; des aides ciblées aux PME afin de les libérer des relations de sous-traitance et des pressions financières des grands groupes. Les résultats sont significatifs, puisque la Corée du Sud se classe au quatrième rang mondial en termes de production de robots, avec la plus forte dynamique de croissance.
Après avoir importé des robots manufacturiers sud-coréens pour son industrie lourde, la Chine est rentrée dans une phase de production et de recherche et développement en misant sur son capital intellectuel. Pour assurer la montée en gamme de son industrie robotique, le pays reprend les principes déjà mis en œuvre dans le secteur de l’électronique ou des télécommunications : les achats de technologies étrangères sont centralisés par le gouvernement, qui obtient ainsi une marge de négociation, et les entreprises étrangères doivent former des joint-ventures avec des entreprises locales comprenant des transferts de technologie. La Chine investit également en recherche et développement via des plans dirigés, notamment le programme 863 qui, dès 1986, comprenait un versant robotique et qui a été reconduit dans le XIe Plan quinquennal de 2006. Parallèlement, le plan de développement scientifique et technologique à quinze ans, lancé en 2006, possédait aussi un volet robotique. Enfin, il existe le programme Torch, lancé en 1988, qui vise à assurer la commercialisation de l’effort de recherche et développement et gère plusieurs dizaines d’incubateurs pour start-up et la cinquantaine de parcs technologiques du pays. Si le montant des investissements réalisés n’est pas exactement connu, ces programmes ont permis de faire émerger un acteur local, Siasun Robot & Automation Company, à Shenyang. Son dirigeant et fondateur a étudié la robotique en Allemagne dans les années 1990, avant de retourner en Chine fonder la société à l’aide de financements publics en 2000. Aujourd’hui, Siasun fabrique 3.000 robots industriels par an, pour un chiffre d’affaires de 86 millions d’euros, dont 29% réalisé à l’étranger (aux États- Unis, au Canada, en France et à Singapour). La forte croissance des ventes de l’entreprise en Chine, qui fait d’elle le leader sur le marché national, provient d’une offre à prix plus faible que les grands groupes internationaux. Ses principaux clients sont les groupes automobiles23 (Ford, SAIC Motor, Brilliance, Mazda et Dongfeng), mais son champ d’action s’élargit aux usines de textile, de chaussures et aux fabricants d’électronique. Quant aux équipes de recherche-développement de ABB en Chine, elles ont récemment développé des modèles sophistiqués, tel l’IRB 120, qui serait le robot à six axes le plus rapide et le plus précis au monde, exporté vers trente pays d’Asie, d’Europe et d’Amérique, ou le CISR 460, qui serait le robot de palettisation le plus rapide au monde. Taïwan a choisi une voie similaire à la Corée du Sud, en définissant les robots industriels comme un secteur stratégique. Dans un premier temps entre 2004 et 2009, la stratégie du gouvernement taïwanais a consisté à importer des technologies étrangères et des droits de propriété intellectuelle sur les robots pour créer des capacités de production locales, en offrant des réductions fiscales pour les investissements en capital. Les entreprises taiwanaises ont également noué des relations avec des acteurs leaders, par exemple AUO avec l’américain Cognex sur les logiciels de programmation des robots, ou FarGlory avec le coréen Korntech sur les robots. La seconde étape du plan est de tripler la production de robots industriels entre 2009 et 2013, pour aboutir au troisième volet qui consiste à établir un centre de production global de robotique à l’horizon 2020, couvrant la robotique industrielle, de service et domestique. Les instruments de cette politique peuvent servir d’enseignements pour le plan robotique à mettre en œuvre en France : exonérations fiscales pendant cinq ans pour les actionnaires d’entreprises robotiques, exonérations de 35% des dépenses de formation et de recherche et développement, dépréciation accélérée des investissements en deux ans, subventions publiques pour la recherche et développement, prêts à taux réduit et de long terme, détachement de chercheurs dans les entreprises… Le succès de cette stratégie repose sur la création d’un environnement d’innovation favorable aux PME, avec la création de clusters public-privé, puis d’un financement à long terme suffisant pour passer de la phase de recherche à la phase de commercialisation, à l’aide de prototypes de démonstration.
Les États-Unis ont toujours été un important marché pour les robots industriels, mais les capacités de production des acteurs locaux se sont amenuisées cette dernière décennie. Désormais, seulement 10% des robots industriels vendus chaque année aux États-Unis proviennent de producteurs nationaux. Toutefois, il existe des grands intégrateurs, comme Peak Robotics ou Applied Robotics, qui offrent un véritable écosystème de service. Pour répondre à ce déclin, les États-Unis ont choisi une voie qui contraste avec les pays asiatiques, en privilégiant le financement à grande échelle de la recherche en robotique militaire qui doit irriguer le secteur civil. Ainsi l’acteur le plus connu de la robotique aux États-Unis, iRobot, est issu du laboratoire du MIT qui a évolué dans le secteur militaire et dans celui des robots d’intervention en situations dangereuses. Autre exemple, SoftWear Automation, fabricant de robots industriels de couture, issu de Georgia Tech, a profité en juin 2012 d’un financement de 1,25 million de dollars de la Defense Advanced Research Projects Agency (Darpa), qui souhaite réduire sa facture de 4 milliards de dollars consacrés chaque année à l’achat d’uniformes. Cette situation inquiète les professionnels, universitaires et industriels, qui ont cosigné le rapport A Roadmap for US Robotics en demandant une refonte de la stratégie d’aide à la recherche et développement pour faire face aux programmes d’investissement agressifs des concurrents asiatiques. En réponse, en juin 2011, le président Obama a lancé le programme Advanced Manufacturing Partnership, qui investit dans les hautes technologies en faveur du renouveau de l’industrie. La robotique profite pleinement de ce programme, avec un investissement en recherche et développement de 40 millions d’euros de la part du gouvernement fédéral, dirigé notamment vers les robots industriels, les robots d’exploration spatiale et les robots agroalimentaires.
En Europe, la réflexion sur la robotique a commencé en 2005 avec la publication du Strategic Research Agenda For Robotics financée par la Commission européenne à travers le projet Coordination Actions for Robotics in Europe (Care), qui s’inscrit dans le sixième programme-cadre de recherche et de développement (2002-2006). Le portefeuille du volet « Systèmes cognitifs, interaction et robotique » comprenait une cinquantaine de projets ayant trait à la robotique et mobilisant des financements européens à hauteur de 200 millions d’euros, montant doublé en 2008. À titre d’exemple, le projet SMErobot™, financé dans le cadre de ce plan entre mars 2005 et mai 2009, visait à créer une nouvelle famille de robots à destination des petites et moyennes entreprises industrielles. Ce programme rassemblait cinq fabricants de robots européens (ABB, Comau, KUKA, Reis Robotics, Güdel) en coopération avec des fabricants de composants, des instituts de recherche et des universités. Le projet The European Robotics Initiative for Strengthening the Competitiveness of SMEs in Manufacturing visait à poursuivre le programme SMErobot™ en intégrant des systèmes cognitifs avancés dans les robots précédemment développés. Il a reçu des financements issus du septième programme- cadre de recherche et de développement (2007-2013). Les programmes européens de robotique sont désormais fédérés à travers un partenariat public-privé, euRobotics, issu de la fusion des organisations Euron et Europ, auparavant chargées de rassembler les académiques et les industriels de la robotique en Europe. Le lancement de cette organisation a eu lieu en septembre 2012. L’Europe investit des moyens considérables à travers ces programmes de recherche et développement, mais la France de la robotique industrielle et de la robotique de service est relativement absente de ces programmes. Pour preuve, aucune entreprise française ne faisait partie du programme SMErobot™ alors que trois entreprises sur cinq étaient allemandes. Au comité exécutif d’euRobotics siègent trois Allemands, deux Belges et un Italien, et parmi les quarante-deux membres d’euRobotics, il y a seulement une société française (Aldebaran) et deux organismes publics (CEA List et l’Inria). La réorganisation des structures françaises autour d’un acteur central doit permettre de jouer un rôle croissant dans ces organisations européennes afin de profiter des financements communautaires.
La France doit déployer un effort de financement pour la recherche et développement grâce à un organisme central, qui peut s’intégrer dans un pôle de compétitivité, comme l’a fait la Corée du Sud. En 2010, le gouvernement sud-coréen a en effet établi le Korea Institute for Robot Industry Advancement (Kiria), refonte d’un organisme qui existait depuis 2005. Cette entité, composée de vingt professionnels, a en charge la promotion de l’industrie robotique en Corée du Sud via l’organisation de la coopération entre les organismes publics de recherche et les entreprises. Les résultats incroyables de cet organisme ont permis d’élever le niveau technologique des robots coréens qui n’accusent plus qu’un retard de 2,1 années sur les robots américains24. Pour soutenir le Kiria, la ville de Daegu a prévu d’investir 139 millions d’euros, complétés par 17 millions de fonds privés, entre 2012 et 2017. La moitié de ce budget servira à créer une structure destinée à l’amélioration des processus industriels, notamment le design et la conception du projet d’ouvrage, un centre de certification pour la formation des ressources humaines et un centre de standardisation et de test des produits. L’autre moitié du budget consistera en des aides à la recherche et développement destinées à l’automatisation des processus de production, à la commercialisation de pièces détachées et au développement de logiciels. Cet investissement se fera en liaison avec le secteur des machines-outils.
Le nécessaire dialogue entre les mondes des entreprises et de l’enseignement supérieur doit passer par une structure unique qui pourrait être un pôle de compétitivité. Actuellement, deux pôles de compétitivité avec une destination vers la robotique existent en France : un pôle de compétitivité à vocation mondiale (Cap Digital) et un pôle national (ViaMéca). Cap Digital accueille le programme Cap Robotique, fondé en 2008, spécialisé dans la robotique de services et qui rassemble une cinquantaine de structures (entreprises, comme Aldebaran, et organisations de recherche publique, comme le CNRS ou le CEA). Son financement est constitué d’aides publiques à hauteur de 16 millions d’euros, et de financements privés. Le pôle ViaMéca, couvrant le Massif central et la région Rhône-Alpes, consacre entre 40 et 50% de son activité à des projets robotiques. En Midi-Pyrénées, un cluster Robotics Place, créé en août 2012, essaye de fédérer une filière comptant 120 entreprises, dont une majorité de PME et une douzaine de laboratoires. Une structure unique pourrait orienter les aides à la recherche et développement en direction des projets de robotique de l’ensemble du marché, robots industriels, de service et domestiques. Elle permettrait de mettre fin à la dispersion actuelle des ressources financières et humaines. Son objectif serait surtout de favoriser le passage à la phase de commercialisation, à la manière de ce qui a été fait à Taïwan, en finançant démonstrateurs et prototypes, et en faisant remonter les bonnes pratiques de coopération public-privé, comme dans le cadre de projets aussi différents que celui des exosquelettes de type Hercule mené par l’entreprise auxerroise Rb3d et financé par le CEA, la Région Bourgogne et un industriel automobile, ou le consortium Axilum Robotics, constitué de l’équipe de robotique du Laboratoire des sciences de l’image, de l’informatique et de la télédétection (LSIIT, unité mixte de recherche CNRS-Université de Strasbourg-Insa) et d’un industriel alsacien, Streb & Weil, sous-traitant de production. La filière de recherche en robotique française a atteint un niveau d’excellence, comme le prouve la production de 8% de la publication mondiale, alors que la moyenne est de 4% dans les autres secteurs25. Des processus de rapprochement au sein des organismes publics de recherche ont déjà eu lieu, notamment avec la fondation, en 2007, sous l’impulsion du CNRS, du Groupe de recherche en robotique (GDR Robotique), qui rassemble une soixantaine de laboratoires, un millier de chercheurs, des grandes écoles et des universités.
Dernier rôle de cette structure centrale, un travail de normalisation est essentiel dans un univers technologique aussi mouvant que la robotique. Un travail de standardisation de la programmation informatique des robots doit être engagé afin de faciliter l’accès de cette technologie aux PME, de diminuer le coût d’une installation du point de vue de la formation des opérateurs et de mettre en valeur la caractéristique essentielle du robot, à savoir sa flexibilité. Ce travail de normalisation a lieu à l’échelle européenne et renforce le caractère urgent d’une participation élargie d’acteurs français dans ces institutions et programmes communautaires.
Le manque de formation initiale et continue
Symop, Productivez !, septembre 2012, p.11.
Le dernier volet d’un plan global robotique passe par une refonte de l’offre de formation initiale et continue à destination aussi bien des intégrateurs que des entreprises utilisatrices de robots, et ce à tous les niveaux de diplôme, de l’opérateur à l’ingénieur. La formation professionnelle initiale est souvent mal orientée et ne réussit pas à rendre attractifs les débouchés industriels, alors même que des pénuries apparaissent sur des postes spécifiques. Conséquence des préjugés que les jeunes et leurs familles peuvent avoir sur les filières industrielles, les classes accueillent de moins en moins d’élèves et sont peu à peu supprimées. Confronté à une pénurie de candidats, le lycée Marie-Curie de Nogent-sur-Marne, dont la licence professionnelle en robotique est reconnue au niveau national, ne forme que dix à quatorze étudiants par an, alors que la demande de la part des professionnels est de seize.
Les plus fortes tensions se font sentir sur des profils intermédiaires spécialisés en robotique, capables de manipuler des robots et donc de « dialoguer » avec eux par l’intermédiaire de l’interface. Ils représentent une demande estimée à 12.000 postes en France. D’après l’étude réalisée pour le compte du ministère de l’Industrie en 2009, 70% des intégrateurs ont reconnu avoir des difficultés à trouver du personnel compétent, notamment sur les niveaux allant du bac au bac + 3. Et les forts besoins de recrutement des industriels allemands du secteur, prêts à encourager l’expatriation, contribuent à tendre encore plus ce segment du marché de l’emploi. Pour compenser le manque de formations professionnelles initiales, les roboticiens ont lancé leurs propres offres de formation continue pour aider leurs clients à trouver les ressources humaines nécessaires. Ainsi, au mois d’avril 2012, le japonais Fanuc a relancé un certificat de qualification paritaire de la métallurgie pour le métier de conducteur d’installations robotisées. Cette offre de formation, reconnue par l’État, était auparavant proposée par le Groupement des industries métallurgiques (GIM) mais avait été abandonnée. Cette formation continue s’adresse notamment aux demandeurs d’emploi et aux ouvriers non qualifiés.
L’Éducation nationale doit aussi refonder son offre de formations professionnelles et techniques en robotique, et introduire des modules de robotique dans des formations complémentaires (mécanique, informatique, électronique…), en collaboration avec les établissements d’enseignement supérieur (Instituts universitaire de technologie, universités, écoles d’ingénieurs…) et des entreprises partenaires afin d’obtenir la mise à disposition de matériel. Ce choix représente un investissement, puisqu’un étudiant en licence robotique, du fait des équipements d’entraînement, représente un coût annuel de 15.000 euros, alors qu’il n’est que de 3.000 euros pour un étudiant en philosophie26. Cet effort devra être soutenu par une campagne d’information sur les métiers de la robotique et les débouchés.
Des modules optionnels d’introduction à la robotique pourraient également être proposés dans les filières scientifiques dès le lycée. Si les professionnels ne font pas état de problèmes aussi pressants au niveau ingénieur, le partenariat entre les écoles d’ingénieurs et la filière robotique pourrait néanmoins être renforcé, en lançant par exemple une campagne d’information dans les écoles d’ingénieurs mécaniciens mais aussi dans les grandes écoles généralistes afin d’éveiller l’intérêt des étudiants. Ces actions permettraient d’élever le niveau qualitatif et quantitatif des ressources humaines de la filière robotique en France et de répondre au surcroît de demande induit par un plan de relance robotique.
Conclusion
Introduire des robots industriels dans les usines françaises n’est pas une lubie futuriste dont la réalisation pourrait être décalée dans le temps. Il s’agit d’un enjeu majeur pour la réindustrialisation de la France. Les usines du monde entier se convertissent à l’outil robotique dont les améliorations rapides permettent d’imaginer de formidables gains de productivité pour l’industrie et un bouleversement social à terme. Toute accumulation supplémentaire de retard ferait courir le risque d’écarter le pays de cette nouvelle révolution industrielle et de ses conséquences positives en termes de production, de richesse et d’emploi.
L’étude des exemples asiatiques montre que le rattrapage des pays les plus avancés est possible, à condition d’assumer ce choix et de mener une politique volontariste et pragmatique, en collaboration avec les acteurs privés.
Au final, les montants investis comptent peu, c’est la volonté et la foi des dirigeants politiques dans ce projet sociétal de progrès technologique qui en assureront la réussite. Quant à l’idée que la France puisse prendre une position forte sur le segment de la robotique de services sans l’existence d’une base solide de robotique industrielle, elle est irréaliste au regard des filières intégrées que tous les pays concurrents dans ce domaine ont déjà constituées.
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