Les Suédois et l'immigration, fin de l'homogénéité ? (1)
Introduction*
L’immigration en Suède : Perspective historique
L’immigration contemporaine
L’impact économique de l’immigration
La Suède, une superpuissance morale ?
Conclusion
Résumé
L’histoire de l’immigration en Suède est unique. Ce pays est longtemps resté une société homogène jusqu’à ce qu’une immigration récente mais massive modifie sensiblement sa composition démographique. Ces vingt dernières années, la Suède a vu la part de sa population non occidentale passer de 2% à 15% de la population totale, soit une progression sans précédent dans l’histoire de ce pays.
Une version anglaise de cette étude est également disponible sur le site de la Fondation pour l’innovation politique.
La seconde partie de cette note est publiée simultanément sous le titre : Les Suédois et l’immigration, Fin du consensus?. Considérée comme la grande référence du modèle social-démocrate européen, la Suède a longtemps bénéficié d’une solide réputation de pays consensuel.
Cependant, ce pays semble désormais confronté à des défis inédits. Il faut noter en particulier l’apparition de nouvelles formes de criminalité favorisées par le développement de zones d’exclusion sociale résultant de problèmes liés à l’immigration et à l’intégration des immigrés. Or, le débat sur ces questions est singulièrement difficile dans un pays qui répugne à reconnaître des réalités susceptibles de menacer l’image d’une société apaisée.
Une version anglaise de cette étude est également disponible sur le site de la Fondation pour l’innovation politique.
Tino Sanandaji,
Chercheur en histoire économique et commerciale à l'Institut de recherche de la Stockholm School of Economics.
Auteur de quatre ouvrages et de plusieurs rapports d’État sur la politique fiscale et entrepreneuriale suédoise,contributeur régulier au National Review.
Introduction*
Ce texte a été écrit en anglais pour la Fondation pour l’innovation politique. Il est disponible sur notre site. La présente version en est une traduction. Elle a été réalisée par Christophe de Voogd, ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé d’histoire, docteur en histoire et professeur à Sciences Po. Christophe de Voogd est le président du Conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique.
Voir OCDE, Working Together. Skills and Labour Market Integration of Immigrants and their Children in Sweden, OECD Publishing, 2016
La Suède a longtemps été un pays homogène et c’est seulement au cours des dernières décennies qu’elle a commencé à recevoir un grand nombre de réfugiés extra-européens. Ces dix dernières années, ce pays en a même reçu davantage par habitant que tout autre pays de l’OCDE1. Cela fait de la Suède une étude de cas intéressante pour analyser l’impact économique d’un flux soutenu de réfugiés au sein d’un pays européen caractérisé par un État- providence particulièrement puissant.
De fait, pendant la période 1985-2015, l’immigration au titre de l’asile en Suède a été environ quatre fois plus importante par habitant que dans les autres pays ouest-européens, de sorte que la part de la population d’origine non occidentale est passée de 2% à 15% de la population totale. Cette transformation a suscité un fort intérêt international, dans la mesure où la Suède a pendant longtemps été décrite comme le pays de l’État-providence par excellence, dont les performances sociales étaient largement admirées. Elle est ainsi devenue l’exemple phare des récentes tentatives visant à combiner générosité de l’État-providence et multiculturalisme. Aujourd’hui, on entend souvent la thèse selon laquelle la Suède est une nation constituée par une immigration intensive. Historiquement, pourtant, elle n’a pas été un pays d’immigration. La Suède, isolée géographiquement et culturellement, a longtemps été l’un des pays les plus homogènes du monde. Bien sûr, il y a toujours eu une certaine immigration mais, jusqu’à l’époque contemporaine, jamais à grande échelle. En 1940 encore, environ 1% seulement de la population suédoise était née à l’étranger et pas plus de 1‰ hors d’Europe.
On entend dire parfois que les Suédois seraient tous fondamentalement des immigrés, puisque l’on sait que le pays était vide d’habitants à la fin du dernier âge glaciaire. Selon l’archéologue Sven Rosborn, les premiers habitants attestés étaient des nomades qui vivaient dans la région de Malmö il y a environ quatorze mille ans. Toutefois, il est contestable de définir ceux qui se sont installés dans des territoires inhabités comme des immigrés, car l’immigration, au sens usuel du terme, se réfère à la relocalisation volontaire d’un pays à un autre. La Nationalencyklopedin, une encyclopédie suédoise, définit les immigrés comme des «personnes qui se déplacent d’un pays vers un autre pour s’y installer durablement ; selon le Registre suédois de la population nationale, au moins pour une année». C’est pourquoi ceux qui sont venus en Suède après le retrait des glaciers ainsi que dans d’autres zones inhabitées sont plutôt définis comme des colons, de même que ceux qui viennent dans une région en utilisant la violence guerrière ne constituent pas une immigration mais une invasion. Les esclaves transportés de force en Amérique ou dans le monde arabe n’étaient pas davantage des immigrés. Comme nous n’en connaissons pas les détails, il est difficile de préciser si la migration de la préhistoire a été volontaire, mais la plupart des traces indiquent qu’il s’agissait plutôt d’une colonisation d’espaces inhabités ou de guerres qui s’achevaient parfois par l’annihilation de la culture en place.
L’immigration en Suède : Perspective historique
Minorité de l’extrême nord de la Suède parlant une variété de [NdT]
Ekina Haavio-Mannila, « Level of Living of Immigrants in Sweden », International Migration, 21, n° 1, janvier 1983, p. 15.
Kjell Lindblom, « Invandring förr: Vallonerna – en liten grupp » [« L’immigration dans le passé. Les Wallons : un groupe restreint »], Tidskriften Välfärd, n° 1, 2006, p. 24
Per Gunnar Sidén, « Hur tyska var de svenska städerna under högmedeltiden? » [« À quel degré les villes suédoises médiévales étaient-elles allemandes ? »], working paper, Historiska institutionen, Stockholms Universitet, 2008, p. 21
Eli Heckscher, Sveriges ekonomiska historia från Gustav Vasa [Histoire économique de la Suède depuis Gustave Vasa], Bonnier, 1935-1945.
Il est donc bien établi que, jusqu’à très récemment, la Suède était un pays homogène avec une faible immigration. La sociologue Elina Haavio-Mannila écrit ainsi : «Comparée à d’autres pays européens, la Suède était un pays homogène linguistiquement et culturellement. Seuls les petits groupes de Lapons et de Finlandais du Tornédalie2 rompaient cette unité. Après la Seconde Guerre mondiale, la Suède est devenue un pays d’immigration3.»
La réécriture de l’histoire et la présentation de la Suède comme un pays d’immigration, à l’instar des États-Unis, constituent un phénomène plutôt nouveau qui semble être apparu dans le cadre de la lutte contre la xénophobie. Récemment, on a constaté une tendance à exagérer l’importance de l’immigration en s’appuyant sur des exemples anecdotiques, souvent vagues quand on en vient à la question du nombre réel d’immigrants. Tel est, en particulier, le cas qui s’applique aux Wallons.
Venus au XVIIe siècle depuis la Belgique actuelle, les immigrés wallons ont eu indiscutablement un fort impact en Suède. Ce n’était pas un groupe important, ni au XVIIe siècle ni durant l’immigration wallonne du XIXe siècle. Nombre d’entre eux quittèrent le pays après quelques années, fait historique habituel pour les migrations de travail. Un article, publié dans une revue du Statistiska centralbyrån, l’office suédois de la statistique, précise que «Sur les 2.500 arrivants, environ 2.000 sont restés. Bien que ne représentant que 0,25% de la population de l’époque (900.000 habitants), ils ont marqué fortement le pays. Les chercheurs ont estimé à environ 100.000 le nombre de Suédois actuels qui en descendent4.» L’immigration wallonne de 1.000 ou 2.000 individus au XVIIe siècle correspondait à 1 ou 2‰ de la population du pays à cette époque. De plus, elle s’est étendue sur plusieurs décennies. Par comparaison, en 2015, selon le Statistiska centralbyrån, la Suède a reçu approximativement 134.000 migrants, dont beaucoup sont repartis. Une partie d’entre eux, aussi bien immigrés qu’émigrés, sont nés en Suède, les premiers rentrant au pays, les seconds le quittant. La différence entre immigration et émigration constitue l’immigration nette. En 2015, la Suède a connu une immigration nette d’individus nés à l’étranger de 82.000 personnes, soit 0,84% d’une population de près de 10 millions d’habitants.
Même après avoir pris en considération l’importance de la population de la Suède d’aujourd’hui par rapport à celle du XVIIe siècle, l’immigration actuelle est près de 200 fois supérieure par habitant à l’immigration wallonne.Autrement dit, considérées d’un point de vue quantitatif, les deux vagues d’immigration ne sont pas comparables. Une autre raison pour laquelle l’immigration wallonne ne peut pas être mise en parallèle avec l’immigration actuelle tient au fait que la plus grande part de l’immigration nette en Suède aujourd’hui vient du tiers- monde. L’immigration wallonne était, quant à elle, constituée de travailleurs hautement qualifiés, venus d’une région plus avancée économiquement.
Les Wallons de la Belgique actuelle et du nord de la France ne sont pas l’unique exemple de l’immigration en Suède au cours de l’histoire. Un groupe plus important, venu au cours d’une période plus étendue, a été celui des immigrés allemands. Là encore, il s’agissait d’immigrants qui, en raison de compétences spécifiques, apportaient beaucoup à la Suède, bien qu’en petit nombre. Au Moyen Âge, l’Allemagne était un pays plus avancé que la Suède. Les immigrés allemands étaient souvent ce que nous appellerions aujourd’hui des «experts étrangers» présents dans les hubs commerciaux et les cités minières. Les ressortissants allemands ont représenté, à diverses périodes, une proportion significative de la population de quelques-unes des plus grandes villes de l’époque. Ils organisaient commerces et circuits financiers, notamment avec l’Allemagne. Cette immigration constituait une petite partie de la population, simplement parce que cités et villes minières ne pesaient que pour une faible part dans la population de la Suède médiévale. La plupart des Suédois étaient alors des paysans. Dans les régions rurales où vivaient nombre d’entre eux, on ne saurait parler d’immigration allemande.
À ces époques, il n’y avait pas de statistiques démographiques systématiques, mais il existe néanmoins suffisamment de données pour rendre possibles des estimations. Ainsi Per Gunnar Sidèn évalue le nombre d’Allemands dans les villes suédoises du haut Moyen Âge à « une proportion de la population comprise entre 10% et 20%5». Ceci doit être mis en relation avec le fait qu’environ 5% seulement de la population suédoise était urbaine. En tenant compte de ce fait, le pourcentage d’Allemands dans la population totale se situait entre 0,5% et 1%.
Une immigration ultérieure, constituée d’Allemands, d’Écossais, de Néerlandais et d’autres groupes durant la période de l’Empire suédois s’est aussi concentrée sur les échelons les plus élevés de la société, incluant la noblesse et les officiers de l’armée. L’afflux d’immigrants dans l’élite a contribué à la surestimation de l’immigration sous l’effet d’impressions qui relèvent de l’anecdote. Bien des familles nobles suédoises ont ainsi des origines et des noms à consonance étrangère, mais la noblesse ne représentait qu’environ 0,5% de la population suédoise de l’époque.
C’est pourquoi, si l’immigration a eu un impact majeur sur la façon dont l’histoire est racontée, c’est parce qu’elle était à la fois connotée d’exotisme et concentrée sur l’élite de la société. Historiquement, la Suède n’a pas été un pays d’immigration comme elle l’est aujourd’hui ou comme le furent les États- Unis au XIXe siècle. À partir de 1871, le Statistiska centralbyrån a compilé des données annuelles sur l’immigration. De cette source se dégage l’image d’une immigration ne représentant qu’une fraction très faible des chiffres actuels, même en tenant compte de la moindre population d’alors.
Au fil des ans, la plupart des immigrés en Suède sont venus de la Finlande, qui fit longtemps partie du même royaume. La migration depuis la Finlande a marqué la population. Mais, dans ce cas non plus les chiffres n’atteignent toujours pas les niveaux actuels. L’exemple le plus célèbre est peut-être celui des dénommés «Finlandais des forêts» qui sont venus en Suède pour échapper à la famine et défricher de nouvelles terres dans des régions suédoises moins peuplées. Ce fait est évoqué dans un ouvrage de l’économiste suédois Eli Heckscher, qui écrit : «Il est évident que cette immigration, même si l’on inclut les descendants, ne représentait pas une grande vague migratoire au sens moderne de ce concept […] Pour l’ensemble des communautés finlandaises, nous disposons d’un calcul concernant la fin du XVIIe siècle qui évalue entre 12.000 et 13.000 le chiffre de la population finlandaise en Suède6.»
Pendant la révolution industrielle, et avant même celle-ci, la Suède, comme d’autres pays, a importé l’essentiel de sa technologie. À l’évidence, un petit pays n’aurait pas été capable de développer toutes ces technologies par lui- même. Nous savons aussi que l’immigration a relativement peu contribué aux flux technologiques. Sa plus grande part est venue par l’information, non par la migration. C’est un fait évident, y compris aujourd’hui. Les États-Unis sont le pays dont la part dans les importations technologiques et culturelles suédoises est la plus importante, et de loin, et ce malgré une immigration marginale depuis la Silicon Valley, Hollywood ou New York. Ceci s’explique par le fait que cette information circule par de multiples canaux ; il n’était pas nécessaire que des entrepreneurs se déplacent physiquement en Suède pour que leurs innovations atteignent le pays. Quelques entreprises ont été créées en Suède par les immigrés, mais la plupart d’entre elles ont eu recours à la technologie étrangère sans l’aide de l’immigration. Même celles qui se sont développées en Suède grâce à d’importantes contributions d’immigrants ont été créées dans d’autres pays européens sans de tels apports. Les comparaisons de long terme entre nations industrialisées montrent que la technologie finit par se répandre, quel que soit le canal de diffusion, indiquant la présence de dynamiques profondes extrêmement puissantes.
Pour mesurer le rôle de l’immigration, il ne suffit pas de relever ce que les immigrants ont créé et de conclure que cela n’aurait pas eu lieu en leur absence. Il est certes vrai que l’immigration a accru le flux de technologie vers la Suède, mais la question est de savoir dans quelle mesure. Le point important est de voir ce qu’aurait été un scénario alternatif et à quel point il aurait différé de ce qui s’est historiquement produit. Ces dernières années s’est manifestée une tendance – mettant en exergue des arguments anecdotiques, pour ne pas dire fantaisistes – à exagérer le rôle de l’immigration dans le développement économique, et cela trop souvent sans le moindre chiffre ni la moindre analyse rigoureuse.
L’immigration contemporaine
Lars Hallberg, Källor till invandringens historia i statliga myndigheters arkiv 1840-1990 [Sources de l’histoire de l’immigration dans les archives gouvernementales 1840-1990], Riksarkivet,
Voir « Maddison Historical Statistics », Université de Grotingen
Statens Offentloga Untredningar (SOU), Invandringen. Problematik och handläggning [L’immigration. Problèmes et solutions], vol. II, «Utlänningsutredningens betänkande», Esselte, 1967
Åke Nilsson, Efterkrigstidens invandring och utvandring [L’immigration et l’émigration d’après-guerre] Statistiska centralbyrån, 2004, p. 19
Ibid., p. 20.
Entre 1871 et 1940, la Suède a reçu en moyenne 6.000 migrants par an. C’est un faible niveau d’immigration, même à cette époque où la population s’établissait à 5 millions d’habitants environ. Une importante proportion de ces migrants étaient en réalité des Suédois de retour d’Amérique du Nord. Pour les autres, presque tous venaient d’Europe occidentale. Lars Hallberg estime ainsi que « dans les années 1800, à l’époque de la grande émigration, l’immigration était en comparaison un fait mineur et concernait principalement les Suédo- Américains de retour7».
Il est intéressant de noter que la période où l’industrialisation a connu son apogée et durant laquelle la Suède est devenue l’une des plus riches nations du monde a été caractérisée par une très faible immigration. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, le produit national brut par habitant était moyen à l’échelle européenne – c’est-à-dire inférieur à celui de l’Europe de l’Ouest mais supérieur à celui de l’Europe de l’Est et bien plus élevé que celui de l’Asie et de l’Afrique de l’époque. Avant la Seconde Guerre mondiale, la Suède était la neuvième économie de la planète, soit un rang supérieur à celui d’aujourd’hui8. En conséquence, il est difficile d’affirmer que la Suède est devenue riche en raison de taux élevés d’immigration.
Avant la Seconde Guerre mondiale, l’immigration en Suède n’est pas comparable en taille aux niveaux actuels. En revanche, pendant ce second conflit mondial, il semble que 150.000 à 170.000 immigrants soient arrivés. La plupart étaient originaires d’autres pays nordiques et sont rentrés chez eux après la fin du conflit. Une enquête, parue en 1967, a estimé le nombre d’étrangers présents en Suède entre février 1939 et mai 19459. Leur nombre est ainsi passé de 24.000 à 195.000. Beaucoup étaient des orphelins de guerre. Alors que les réfugiés des pays ouest-européens restés démocratiques sont rentrés chez eux après le conflit, nombre de ceux venus des Pays baltes et de l’Europe de l’Est sont restés. Des milliers de réfugiés d’origine juive ont été sauvés par la Suède durant la Seconde Guerre mondiale et beaucoup sont restés sur place.
L’immigration en Suède a ensuite pris son essor dans l’après-guerre sous la forme d’une immigration de travail en provenance d’Europe. Selon un rapport publié en 2004 par le Statistiska centralbyrån, le nombre de personnes nées à l’étranger a triplé en vingt ans : de 198.000 en 1950 à 538.000 en 197010. Ce rapport précise : «L’immigration de travail [fut] d’abord un phénomène nordique et ensuite européen. La migration d’origine extra-européenne fut négligeable. Les tentatives de ressortissants du bloc communiste d’échapper à la mainmise de l’Union Soviétique se reflètent dans la migration vers la Suède. La révolution hongroise de l’automne 1956 a eu pour conséquence la fuite de Hongrois vers la Suède. Après le printemps de Prague en 1968, ce fut au tour des Tchèques11.»
De nombreux migrants sont aussi arrivés de Grèce, d’Italie, d’Allemagne et de l’ex-Yougoslavie. Généralement, les réfugiés et les immigrés venus pour des raisons familiales restent dans le pays d’accueil, tandis que les immigrés venus pour travailler rentrent souvent chez eux. Puisqu’une part importante de la migration de travail était temporaire, cette catégorie d’immigration durant l’après-guerre était souvent surestimée. Le plus important groupe
d’immigrés est venu de Finlande : son nombre a augmenté de 200.000 entre 1950 et 1970. Le nombre d’immigrés en provenance d’Europe en dehors des pays nordiques a augmenté de près de 100.000, soit beaucoup moins que ce que nombreux imaginent aujourd’hui. Enfin, le nombre de migrants non européens a crû de près de 20.000, avec comme principal pays d’origine la Turquie, suivie par les États-Unis et le Canada. Ce dernier fait mérite d’être souligné. Aujourd’hui, l’immigration extra-européenne est associée aux pays en voie de développement mais, dans le passé, les immigrants non européens venaient principalement d’Amérique du Nord. L’immigration n’est pas un phénomène homogène et il est souvent utile de répartir les migrants en différentes catégories fondées sur le capital humain, le motif d’immigration ainsi que le niveau de développement des pays d’origine et leur proximité culturelle avec la Suède.
Une distinction habituelle fondée sur les pays d’origine est celle réalisée entre, d’un côté, les pays européens – incluant tous les pays de l’Union européenne mais également les pays moins développés d’Europe orientale qui n’en sont pas membres – et, de l’autre côté, les pays non européens. Une distinction entre pays occidental et pays non occidental s’avère également très utile, notamment lorsque l’on fait des comparaisons historiques. À une date aussi tardive que 1980, le nombre d’immigrés d’origine non occidentale représentait à peine plus de 1% de la population et ceux en provenance de pays en voie de développement ne constituaient qu’une infime fraction de cette immigration.
Notre graphique 1 montre la proportion d’immigrés dans la population suédoise en 1945 selon l’origine, occidentale ou non. On voit que la Suède a connu une immigration relativement forte pendant les décennies d’après- guerre, un léger tassement dans les années 1970 et la première moitié des années 1980, puis une nouvelle accélération lors de ces dernières années. Il montre aussi les différences frappantes quant aux pays d’origine. Le groupe d’immigrés occidentaux n’a pas crû en proportion de la population depuis 1970, tandis que la part de personnes nées à l’étranger et d’origine non occidentale a rapidement augmenté. Bien sûr, la Suède a connu une immigration continue en provenance des pays nordiques et du reste de l’Occident, mais la proportion est restée stable car beaucoup repartent et les immigrés âgés décèdent. L’augmentation des non-Occidentaux est due au fait que la migration de travail des années 1980 a été remplacée par une immigration de réfugiés et une immigration familiale.
Graphique 1: Proportion d’immigrés dans la population selon l’origine (occidentale ou non occidentale).
Source :
Statistiska centralbyrån.
Återutvandring efter tid i Sverige [La réémigration après un séjour en Suède], Statistiska centralbyrån, 2011, p. 20-21
Pour interpréter ces chiffres, il est important de distinguer les demandeurs d’asile des réfugiés et des immigrés. Les demandeurs d’asile ne font pas partie de la population officielle et tous n’obtiennent pas l’asile. Beaucoup repartent volontairement ou retirent leur demande. Dans le Registre de population, les immigrés sont définis comme ceux qui ont un titre de séjour, permanent ou temporaire, qui ont déclaré un lieu de résidence et qui ont l’intention de rester au moins un an. Les demandeurs d’asile acceptés et qui restent sur place deviennent des réfugiés au bout de quelques années. En plus de ces derniers, il existe de nombreuses autres catégories, telles celle des immigrés pour des raisons familiales ou celle des travailleurs immigrés. Dans la mesure où il faut en général un an pour obtenir l’asile, et au moins autant pour bénéficier d’un domicile dans une municipalité, cela prend quelques années avant qu’une augmentation du nombre de demandeurs d’asile se reflète dans le nombre des immigrés. C’est pourquoi la description ci-après n’inclut pas le nombre record de demandeurs d’asile en 2015, qui n’a pas eu le temps d’avoir son plein effet dans les statistiques démographiques officielles. Il est bien sûr pris en compte dans les statistiques sur les flux de réfugiés.
L’Agence des migrations a retracé le nombre de demandeurs d’asile depuis 1984. Au total, un peu plus de 1 million de personnes ont sollicité l’asile entre 1984 et 2015, 515.000 personnes l’ont obtenu comme réfugiés ou avec un statut équivalent et environ 800.000 ont reçu un permis de séjour pour raisons familiales. Les parents proches qui arrivent en même temps que les réfugiés ou dans les deux ans qui suivent sont définis comme faisant partie de la famille des réfugiés ; ceux qui arrivent plus tard des mêmes pays sont comptabilisés seulement comme immigrés à titre familial. Tous ceux qui demandent l’asile n’obtiennent pas un permis de séjour. Historiquement, un peu plus de 40% bénéficiaient de l’asile en première instance, un chiffre qui est monté à 55% ces dernières années.
La proportion de ceux qui repartent diffère considérablement selon les catégories. Les travailleurs immigrés venus d’Europe, ainsi que les étudiants, ont tendance à rentrer chez eux, tandis que la grande majorité des réfugiés et de leurs familles restent sur place. Un rapport du Statistiska centralbyrån précise :
«Parmi les travailleurs immigrés extracommunautaires et non nordiques, le retour au pays d’origine se fait dans des proportions comparables à celles des citoyens nordiques. Moins de 40% de ce groupe reste en Suède au-delà de dix ans. Ce chiffre peut être comparé à celui des réfugiés qui obtiennent l’asile en Suède. 96% de ces derniers restent dans le pays au-delà de dix ans. Les seniors et les parents immigrés eux aussi retournent dans leur pays d’origine, mais dans une très faible proportion12.»
Si le nombre de demandeurs d’asile et l’immigration en général varient d’une année sur l’autre, la tendance a été une augmentation jusqu’à la fin de 2015, date où le contrôle plus strict des frontières a conduit à un déclin prononcé. Même après déduction de l’émigration, l’immigration nette en proportion de la population a dépassé le record américain de la migration transatlantique des années 1880, qui était d’environ 0,67% par an. En Suède, ce taux était d’à peu près 0,2% par an entre 1940 et 1990. Il a augmenté lentement jusqu’au milieu des années 2000. Une accélération s’est produite vers 2006. La Suède a dépassé le record américain évoqué ci-dessus en 2009, atteignant un taux d’immigration nette de 0,8% de la population en 2014 et 2015. Or, comme il a été dit auparavant, dans la mesure où il existe quelques années de délai entre la demande d’asile et l’obtention du statut d’immigré, ce nouveau record risque d’être battu à son tour en 2016, avant qu’un repli apparaisse quand les effets d’une politique d’asile et de contrôle des frontières plus stricte commenceront à se faire sentir.
Selon l’OCDE, dans la période 1985-2015, la Suède a été au premier rang par habitant, avec, en proportion de la population, environ quatre fois plus de demandes d’asile que dans les autres pays d’Europe occidentale. Dans les pays d’Europe du Nord, y compris la Suisse et l’Autriche, l’immigration au titre de l’asile est nettement plus importante que dans les pays du sud et de l’est de l’Europe. Alors que la Suède a souvent été très au-dessus de la moyenne, elle s’est écartée plus encore du reste de l’Europe au cours des dernières années. L’immigration au titre de l’asile en Suède en 2014 et 2015 par rapport à la population du pays n’est pas seulement un record national : elle est unique parmi les nations industrialisées. Toujours selon l’OCDE, «en 2014-2015, la Suède a vu le plus grand flux de demandeurs d’asile par habitant jamais enregistré dans un pays de l’OCDE13».
Naturellement, et comme déjà noté, tous les demandeurs d’asile ne l’obtiennent pas, même si les données sur le sujet sont plus faciles à considérer pour les années antérieures. Notre graphique 2 montre le nombre de demandeurs d’asile pour 100 habitants en Europe occidentale de 1985 à 2017. La Suède a toujours eu des taux supérieurs à la moyenne ouest-européenne et a aussi connu des pointes plus prononcées dans les périodes de fortes migrations de réfugiés, comme lors de la guerre de Bosnie au début des années 1990 ou lors de la crise des migrants de 2015. Le graphique montre aussi le renversement radical de la politique après le pic de 2015, à la fois en Suède et en Europe occidentale en général. Après l’application de politiques plus restrictives, le flux a été fortement réduit dans les deux cas. La Suède continue à être au-dessus de la moyenne ouest-européenne, mais n’était plus en 2017 le pays qui recevait le plus de demandeurs d’asile par habitant, ayant été dépassée par l’Allemagne, la Grèce, l’Islande, le Luxembourg et l’Autriche.
Graphique 2 : Nombre de demandeurs d’asile pour 100 habitants en Suède et en Europe occidentale (1985-2017).
Source :
Eurostat et UNHCR.
Notre graphique 3 montre le nombre de réfugiés qui ont obtenu l’asile dans les pays d’Europe occidentale pendant la période 2000-2017, à partir des statistiques d’Eurostat et de l’UNHCR. De nouveau, la Suède se signale comme le pays ayant la politique d’asile la plus généreuse. Il faut noter que ces chiffres n’incluent que les asiles accordés et que de nombreux migrants amènent leurs familles et leurs proches. C’est pourquoi, à long terme, le nombre d’immigrés tend à être plus grand que le nombre de demandes d’asile acceptées. Même si certains migrants retournent chez eux, l’effet cumulatif de politiques d’asile généreuses peut devenir substantiel sur le plan démographique. Ce graphique montre aussi la grande variété des politiques d’asile en Europe. Un petit nombre de pays d’Europe du Nord diverge de la moyenne avec une migration au titre de la demande d’asile très importante, tandis que le Royaume-Uni et l’Europe du Sud, en proportion de leur population, ont accepté bien moins de demandeurs d’asile. Les chiffres de l’Europe orientale sont encore plus faibles.
Graphique 3: Nombre de demandes d’asile acceptées pour 100 habitants en Europe occidentale (2000-2017).
Source :
Eurostat et UNHCR.
Notre tableau 1 (voir page suivante) montre la population résidant en Suède et les vingt-cinq principaux groupes de migrants de 1900 à 2017. Il fait apparaître le faible nombre de migrants non européens en Suède jusqu’à une période récente ainsi que la rapidité de la croissance de la population née à l’étranger depuis 1980. La Suède ne présente pas de groupes dominants de migrants, mais plutôt un grand nombre de migrants venus de pays très divers.
Tableau 1: Population résidant en Suède et les 25 principaux groupes d’immigrés, 1900-2017.
Source :
Statistiska centralbyrån. N/A = valeur non-applicable ; N/D = valeur non déterminée.
Source :
Statistiska centralbyrån. N/A = valeur non-applicable ; N/D = valeur non déterminée.
Notre tableau 2 montre le taux d’emploi des 20-64 ans à plein temps en 2015 dans une série de pays d’Europe occidentale. Le taux d’emploi est ventilé selon le lieu de naissance : nés en Suède, puis ensemble des migrants et enfin migrants extra-européens seuls. La Suède a le plus grand écart d’emploi à plein temps entre les natifs du pays et les personnes nées à l’étranger. À noter que la France connaît aussi un écart important entre ces deux catégories dans l’emploi total.
Tableau 2: Taux d’emploi à plein temps des 20-64 ans en 2015 en Europe occidentale (données en %, écarts en points).
Source :
Eurostat.
Olika generationers barnafödande [La natalité dans les différentes générations], Statistiska centralbyrån, 2011
En raison de cette immigration soudaine, la Suède connaît un accroissement de la population comparable à celui de pays en voie de développement comme le Bangladesh. Dans les prochaines années, la population va croître de 1,5% par an, ce qui est significativement au-dessus des niveaux normaux des pays industrialisés les plus avancés. Le taux de croissance entraînerait plus qu’un doublement de la population d’ici à cinquante ans environ. L’une des raisons de son importance est que la Suède, en dehors de l’immigration, possède un taux de natalité inhabituel parmi les nations riches – très probablement à cause d’un système généreux de congé parental, de crèches et d’allocations familiales. Le nombre de personnes d’origine suédoise – nées en Suède d’au moins un parent né en Suède – demeure stable (autour de 7,7 millions) et devrait le rester à l’avenir, avec une légère croissance liée à l’excédent des naissances14. C’est une différence par rapport à la situation de la plupart des autres pays européens. Au cours des deux cents dernières années, la Suède a eu tous les ans plus de naissances que de décès (sauf à cinq reprises).
Une population vieillissante conduit à une situation où la minorité devra entretenir la majorité, mais l’immigration va aussi dans le même sens. L’exclusion sociale des immigrés est trop forte pour qu’elle soit compensée par un profil démographique plus favorable. Même si l’apport des personnes nées à l’étranger permet d’avoir une plus grande part de la population en âge de travailler, leur taux de dépendance est supérieur à celui des natifs du pays, pour la simple raison que beaucoup n’ont pas de travail.
Selon le Statistiska centralbyrån, en 2017, 18,5% de la population suédoise était composée de personnes nées à l’étranger. Quand on ajoute la seconde génération d’immigrés, née en Suède de deux parents nés à l’étranger, c’est un quart (24,1%) de la population qui a une origine étrangère, soit un total de près de 2,4 millions d’habitants.
L’impact économique de l’immigration
Jan Ekberg et Mats Hammarstedt, « 20 år med allt sämre arbetsmarknadsintegrering för invandrare » [« 20 ans d’intégration de plus en plus médiocre sur le marché du travail pour les immigrés »], Ekonomisk Debatt, vol. 30, n° 4, 2002, p. 345
Nous emploierons parfois ce mot d’« autochtones » pour l’anglais « Swedish-born » ou « native-born » afin d’éviter des répétitions trop Peu employé en France, ce mot est d’usage courant ailleurs (comme aux Pays-Bas) et se retrouve dans les études de l’OCDE. [NdT]
Historiquement, l’intégration n’a pas été un problème en Suède. Les immigrés des années 1950 et 1960 avaient les qualifications requises pour obtenir un emploi sur le marché du travail suédois de l’époque. Ces emplois se trouvaient dans bien des cas dans l’industrie manufacturière, qui tournait à plein régime et avait besoin de main-d’oeuvre. Des entreprises majeures comme Volvo, SKF ou Asea recrutaient fréquemment et activement en dehors des frontières. Les prérequis linguistiques sur le marché de l’emploi étaient moins contraignants qu’aujourd’hui et l’apprentissage de la langue se faisait rapidement sur le lieu du travail. Une grande proportion d’immigrés venait aussi de pays proches linguistiquement et culturellement. Une différence importante avec la situation d’aujourd’hui tient au fait qu’il y avait bien plus de métiers qui ne demandaient aucune formation particulière, aussi bien pour les natifs du pays que pour les travailleurs nés à l’étranger. Naturellement, en plus de l’immigration de travail, d’autres migrants sont également venus, manquant souvent de qualifications lors de leur arrivée. Dans la plupart de ces cas, ils ont aussi été en mesure d’acquérir les connaissances nécessaires à travers des formations pour accéder à l’emploi.
Le fait est que, contrairement à aujourd’hui, les immigrés, jusqu’à la moitié des années 1970, avaient un taux d’emploi supérieur ou égal à celui des autochtones. Par la suite, ces derniers ont eu en moyenne une position plus solide sur le marché du travail, mais la différence entre les deux groupes est restée faible jusqu’à la fin des années 1970. Avec le changement de la nature et de la composition de l’immigration des années 1980, un écart important en matière d’emploi et de revenus du travail est apparu autour de 1990. À l’exception d’une forte récession au début des années 1990, cet écart est resté assez stable depuis lors, alors que la part des immigrés dans la main-d’œuvre a augmenté. Jan Ekbeg et Mats Hammarstedt constatent ainsi : «Avec le temps, il y a eu des changements profonds dans le taux d’emploi et les revenus du travail parmi la population née à l’étranger […]. Pendant les années 1950 et 1960, de même que dans la plus grande partie des années 1970, les personnes nées à l’étranger avaient un taux d’emploi périodiquement supérieur à celui des natifs du pays. Vers la fin des années 1970, l’image se modifie 15.»
Avec le passage de la migration de travail à celle de l’asile et de l’immigration familiale, l’intégration sur le marché du travail s’est progressivement détériorée. Aujourd’hui, il existe un écart significatif montrant que les personnes nées à l’étranger sont sensiblement moins susceptibles de travailler. Par rapport aux natifs du pays, elles se trouvent davantage dans les emplois peu payés et souvent à temps partiel. Cela signifie que le revenu moyen des immigrés est nettement plus bas que celui des autochtones16 ; ceci est spécialement vrai pour les immigrés non européens. La combinaison d’un taux d’emploi plus faible et de salaires plus bas signifie que des écarts de revenus importants se sont créés entre les uns et les autres. Les nouveaux arrivants qui n’entrent pas sur le marché du travail n’ont pas l’opportunité de contribuer à la prospérité commune et risquent de tomber dans une exclusion sociale durable.
Les définitions de ce qui est comptabilisé comme emploi sont souvent larges. Il n’y a pas de mesure parfaite qui saisisse ce que l’on appelle communément un «vrai boulot» et que l’on connaît sous le nom plus officiel de travail régulier. D’après les derniers chiffres disponibles, les personnes nées à l’étranger ont un taux de chômage environ quatre fois supérieur aux natifs suédois, quelle que soit l’origine de leurs parents.
Un autre critère habituellement utilisé est le taux d’emploi rémunéré. Il faut noter que l’emploi rémunéré comprend également les emplois du secteur public, comme les infirmières et les enseignants, tant qu’il s’agit de «vrais emplois», par opposition à ceux que créent artificiellement les programmes de lutte contre le chômage. L’emploi total est donc un terme considérablement plus large que les «vrais emplois». Les gens relevant des dispositifs d’aide à l’emploi, ceux en congés maladie et ceux qui ne travaillent que quelques heures par semaine peuvent aussi être comptabilisés dans l’emploi total. C’est pourquoi être considéré comme employé n’équivaut pas à être capable de subvenir à ses besoins. La Suède présente un grand nombre de programmes publics d’aide à l’emploi et d’emplois subventionnés qui sont aussi considérés comme part de l’emploi global. Le taux d’emploi mesure la proportion de ceux qui exercent tout type de travail, de stages ou de tâches d’intérêt général : il est calculé à partir de l’enquête de main-d’œuvre (appelée AKU), où est proposé un échantillon représentatif de plusieurs milliers d’adultes qui répondent à des questions sur leur situation. Le taux d’emploi rémunéré a la même définition théorique que le taux d’emploi mais il est calculé de manière différente. Il est fondé sur les statistiques du marché du travail rassemblant les données collectées dans le registre des déclarations d’impôts de l’Agence fiscale suédoise. On se concentrera désormais sur le seul taux d’emploi rémunéré.
Les chiffres complets disponibles et les plus récents pour les taux d’emploi rémunéré concernent l’année 2015. Cette année-là, 82,9% des natifs et 59,6% des personnes nées à l’étranger entre 20 et 64 ans avaient un emploi rémunéré. Le chiffre, particulièrement bas chez les immigrés extra-européens, est seulement de 53,6%. Cet écart est stable depuis longtemps, à quelques fluctuations près. La crise du début des années 1990 a touché plus durement les immigrés et a quelque peu élargi cet écart. Toutefois, une amélioration s’est produite dans la seconde moitié des années 1990, après quoi la stabilité a prévalu dans l’ensemble. La proportion d’employés rémunérés a augmenté aussi bien chez les étrangers de naissance que chez les natifs du pays, mais comme cette croissance a été la même pour les deux groupes, l’écart ne s’est pas réduit au cours des quinze dernières années.
Notre tableau 3 compare les chiffres pour 1990, 2000 et 2015, tandis que notre graphique 4 montre l’évolution au long de la période 1990-2015.
Tableau 3 : Proportion des 20-64 ans disposant d’un emploi rémunéré en 1990, 2000 et 2015 (données en %, écarts en points).
Source : Statistiska centralbyrån.
Graphique 4 : Proportion des 20-64 ans disposant d’un emploi rémunéré (1990-2015).
Source : Statistiska centralbyrån.
Aujourd’hui, la situation du marché du travail pour les immigrés, comparée à celle du reste de la population, est un peu plus mauvaise qu’en 1990 et presque identique à celle de 2000. Il est intéressant de noter que leur intégration sur le marché du travail ne s’est ni améliorée ni détériorée significativement depuis quinze ans. En dehors de la perturbation liée à la crise des années 1990 et à d’autres fluctuations économiques, l’écart entre les groupes est resté stable sur une longue durée. Autrement dit, l’intégration économique des immigrés apparaît comme stabilisée à un bas niveau.
Margherita Bussi et Jon Kristian Pareliussen, « Skills and Labour Market Performance in Sweden », OECD Economics Department Working Papers, n° 1233, OECD Publishing, 2016
Statens Offentloga Untredningar (SOU), Långtidsutredningen 2015. Huvudbetänkande, 2015, p. 12-13
Jan Ekberg, Invandringen och de offentliga finanserna [Immigration et finances publiques], Regeringskanliet, Finansdepartementet, 2009, p. 17
Ibid.
La proportion des personnes employées parmi celles qui arrivent en Suède augmente à mesure que les nouveaux venus apprennent le suédois et entrent sur le marché du travail, mais ce processus est lent. Au moment où les cohortes annuelles antérieures, entrées il y a longtemps, s’intègrent, d’autres, nombreuses et nouvellement arrivées, débutent en bas de l’échelle ; après un laps de temps suffisamment long, ceux qui sont parvenus à entrer dans l’emploi prennent leur retraite et quittent le marché du travail.
Tandis que la proportion des personnes employées nées à l’étranger est restée bloquée à un faible niveau, leur revenu moyen tiré du travail a connu une évolution plus défavorable que celle des autochtones. En 2015, le revenu par personne en âge de travailler était environ 12% inférieur chez les immigrés que chez les autochtones. Comme on l’a vu plus haut, le pourcentage de ceux ayant un emploi rémunéré était également bien plus faible. La combinaison de ces deux éléments, taux d’emploi et revenu moyen, explique que les travailleurs nés à l’étranger ont un revenu tiré du travail inférieur de 40% à celui des natifs du pays. L’écart chez les immigrés non européens en âge de travailler est encore plus grand : leur revenu est inférieur de près de 50%. Les différences dans le taux d’emploi et dans le revenu moyen sont si grandes qu’elles pèsent plus lourd que l’avantage démographique des immigrés, à savoir leur plus grand nombre relatif en âge de travailler. Ceci implique que les immigrés génèrent moins de revenus et moins de recettes fiscales, malgré le profil démographique favorable de ce groupe, fréquemment mentionné dans le débat.
La raison principale de cette position fragilisée sur le marché du travail tient au changement de la composition de la population née à l’étranger : on est passé d’une immigration de travail européenne à une immigration de réfugiés et de familles en provenance de pays à faible revenu. Le fait que les immigrés venus comme réfugiés ou pour raisons familiales soient moins performants tient d’abord, et peut-être exclusivement, à leur moindre dotation en capital humain. L’enquête PIACC de 201517, qui est l’équivalent pour adultes du test PISA pour les élèves, confirme cette hypothèse. Il s’agit d’un test de connaissances en langue, mathématiques et informatique portant sur un échantillon représentatif dans plusieurs pays de l’OCDE. L’un des résultats frappants est que les immigrés et les Suédois de naissance ayant le même capital humain obtenaient à peu près les mêmes scores sur le marché du travail : «Parmi les personnes nées à l’étranger ayant de bonnes ou de fortes compétences, la proportion de ceux qui travaillent est de 87% contre 51% pour ceux qui sont insuffisamment qualifiés. Un résultat très important et positif de l’enquête PIAAC est qu’il n’y a pas de différence significative entre étrangers et natifs du pays au regard de l’emploi, si l’on prend en compte le niveau des compétences individuelles. L’opportunité égale d’avoir un travail si l’on a de bonnes compétences ne semble pas non plus explicable par le fait que les personnes d’origine étrangère accepteraient davantage des emplois qui ne correspondraient pas à leur niveau de qualification. La même conclusion ressort de l’étude de l’OCDE à partir des données suédoises de PIACC qui contrôlent de nombreuses variables liées au parcours personnel. L’étude affirme que le marché du travail suédois prend principalement en compte les compétences individuelles et globalement ne semble pas se caractériser par une discrimination ethnique18.»
Il y a probablement des explications supplémentaires au recul des immigrés sur le marché du travail suédois. Durant les dernières décennies, l’économie a connu des changements qui ont nui à l’intégration de nombreux groupes sur le marché du travail. La mutation technologique et ses conséquences structurelles ont augmenté les exigences requises pour la main-d’œuvre. Le fait que la technologie et la mondialisation aient affaibli l’offre d’emplois peu qualifiés rend également difficile l’entrée sur le marché du travail de la personne immigrée n’ayant pas fait d’études supérieures ni acquis des compétences spécialisées. La plupart des emplois peu ou moyennement qualifiés dans l’industrie, que les travailleurs immigrés de l’après-guerre sont venus occuper en Suède, ont disparu. À la place, les types d’emploi qui se sont créés sont à forte qualification et requièrent un plus haut niveau de formation, de compétences linguistiques et d’expérience professionnelle. La technologie, sous la forme des ordinateurs, des robots et de l’automation, a remplacé les emplois routiniers caractérisés par des tâches bien définies et répétitives, alors que dans le même temps la mondialisation et le commerce avec des pays comme la Chine ont contribué à réduire encore le nombre d’emplois industriels moins qualifiés. Il y a encore un grand nombre d’emplois de ce niveau dans le secteur des services. L’automation et le commerce international ont eu moins d’impact sur les profils peu qualifiés tels que les employés de magasin, les chauffeurs de taxi ou le personnel de sécurité. Mais, même pour ces catégories, la concurrence est devenue plus rude.
Une question très débattue en Suède est celle du coût de l’immigration pour les finances publiques. En principe, l’immigration ne représente pas nécessairement un coût. Historiquement, l’immigration a même généré un surplus économique. Au début des années 1970, ce surplus était estimé à 1% du PNB19. En revanche, l’immigration est devenue une charge nette avec la dégradation de la position des immigrés sur le marché du travail, ceci impliquant moins de recettes fiscales et des coûts significatifs en termes de subventions publiques et de transferts sociaux. Les travaux de recherche montrent que l’effet de l’immigration sur les finances publiques après les années 1980 se solde par une perte fiscale nette.
L’immigration entraîne toujours des coûts pour le système social en même temps que des revenus sous forme d’impôts et de cotisations. La question est de déterminer ce qui des deux l’emporte. En pratique, on parvient à le savoir en estimant dans quelle proportion l’immigration accroît le revenu du secteur public sous la forme de taxes et de cotisations, puis en déduisant les dépenses supplémentaires en prestations et subventions. Il s’agit donc de déterminer s’il y a un profit net ou un coût net pour les finances publiques.
Outre les conséquences fiscales directes, il peut y avoir aussi un impact plus large sur l’économie. Bien que l’immigration génère un déficit pour les finances publiques, elle peut en théorie créer sur le plan socio-économique une plus- value qui compenserait ces coûts. Elle peut entraîner des gains directs à travers des synergies sur le marché du travail, ou des effets dynamiques grâce à une croissance de l’entrepreneuriat ou une accélération de l’innovation. Toutefois, d’un point de vue purement empirique, aucune plus-value de ce type n’a pu être détectée en Suède. En revanche, il y a bien des effets majeurs sur les finances publiques. Jan Ekberg s’interroge ainsi sur le taux d’emploi rémunéré nécessaire pour que l’immigration génère un surplus dans ce domaine : «En Suède, plusieurs études existent sur le rééquilibrage des revenus via les transferts publics entre immigrés et autochtones».
En résumé, les résultats des travaux de recherche montrent que le secteur public, jusqu’en 1980 environ, a redistribué annuellement des revenus des premiers vers les seconds. Pendant cette période, les immigrés avaient une bonne situation d’emploi et une structure d’âge favorable. Le revenu net annuel semble avoir connu son pic au début des années 1970, où il a atteint environ 1% du PNB. Avec la dégradation de la situation d’emploi des immigrés, il a décliné pour atteindre zéro entre la moitié et la fin des années 1980. Dans les années 1990 le revenu net est devenu un coût net, ce qui implique une redistribution des revenus depuis les autochtones vers les immigrés. Vers la moitié ou la fin de cette décennie, le coût annuel net pour les premiers se situait entre 1,5 et 2% du PNB20.»
La Suède, une superpuissance morale ?
George J. Borjas, « Immigration », www.nber.org, 1999
OCDE, « Sweden in a strong position… », art, cit.
OCDE, Working Together…, cit.
L’immigration n’est pas un phénomène univoque et les immigrés ne sont pas un groupe homogène. Il y a une variation significative quant au succès de l’immigration dans des sociétés et des époques différentes selon le profil des migrants et le pays d’accueil. De plus, dans un même pays et dans une même période, il peut y avoir une diversité considérable du degré d’intégration dans l’économie et la société des divers groupes d’immigrés. C’est pourquoi il est tout à fait vain de dire que l’immigration possède des effets positifs ou négatifs. Cela dépend d’une pluralité de facteurs. Pour George Borjas, professeur à Harvard, « la leçon la plus importante est que l’impact économique de l’immigration varie selon le lieu et le moment et que l’immigration peut être soit bénéfique, soit dommageable21».
Historiquement, les exemples de réussites migratoires sont la migration transatlantique aux États-Unis pendant les XIXe et XXe siècles, la Suède dans l’après-guerre, l’immigration des Juifs soviétiques en Israël après la chute du communisme et l’immigration de travail en Australie et au Canada. Dans tous ces cas, les immigrés se sont fondus dans la fabrique de leur nouveau pays, ont rattrapé ou dépassé les autochtones en termes de succès socio-économique et ont ainsi contribué au progrès du pays. L’immigration des réfugiés en Suède, en contraste net avec ces exemples, est un cas d’immigration moins réussie à grande échelle.
La politique d’asile suédoise a été longtemps justifiée au nom des succès rencontrés ailleurs. Dans le débat national, les exemples d’immigration moins réussie sont rarement évoqués, même s’ils sont bien plus proches du contexte suédois actuel. Il était donc plus courant en Suède de parler de l’Amérique des années 1800 ou des Wallons du XVIIe siècle que, par exemple, de la migration de réfugiés dans les pays nordiques voisins, de l’immigration d’anciennes colonies en France, en Belgique et aux Pays-Bas ou encore de l’immigration historique des Roms en Suède. Il n’y a aucune garantie que l’immigration réussie dans d’autres pays dise quoi que ce soit sur l’immigration en Suède, notamment quand on voit que ces succès sont bien souvent fondés sur une immigration de travailleurs très qualifiés mais rarement, sinon jamais, sur une immigration de réfugiés sans qualification en provenance du tiers-monde à destination d’un État-providence.
Une question importante porte sur la raison de la forte variation du nombre de demandeurs d’asile à travers le temps (voir graphique 2). Une erreur courante consiste à chercher l’explication uniquement dans des facteurs extérieurs échappant au contrôle de la Suède. De par sa situation géographique, la Suède dispose d’une grande capacité de maîtrise du nombre de demandeurs d’asile. L’augmentation progressive du nombre des demandeurs d’asile est liée à deux décisions parfaitement politiques, l’une visant à réduire le contrôle des frontières, facilitant la venue en Suède et donc les demandes d’asile, l’autre visant à favoriser l’obtention du droit l’asile pour les nouveaux arrivants. Là sont les deux principales causes de cette poussée de l’immigration. Certes, on peut citer aussi les programmes généreux d’aide sociale et la multiplication des guerres parmi les facteurs déterminant la hausse du nombre de demandes, mais leur rôle est moins important que celui des décisions politiques qui ont été prises.
Les facteurs les plus importants de la politique d’asile en Suède sont le contrôle des frontières et la possibilité d’atteindre physiquement le pays. Pour le comprendre, il faut voir comment l’immigration au titre de l’asile est régulée dans la pratique. Les accords internationaux, notamment la Convention sur les réfugiés de l’ONU, donnent de nombreux droits aux réfugiés en besoin de protection, une fois qu’ils ont franchi les frontières du pays. La Suède n’a pas l’obligation de donner aux réfugiés une résidence permanente, mais en pratique elle le fait souvent, et pour des raisons humanitaires. Le droit d’asile, encore une fois, ne s’applique qu’à ceux qui sont entrés dans le pays. Il y a des millions de personnes qui pourraient, en théorie, bénéficier du droit d’asile en Suède mais qui sont en dehors du pays et qui, pour cette raison, n’ont pas le droit de demander l’asile.
À mesure que la Suède a démantelé – temporairement – sa protection frontalière et s’est orientée vers une politique d’asile plus généreuse, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté, en même temps que la proportion de ceux autorisés à rester. Le phénomène a connu son apogée en 2014 et 2015, quand la frontière extérieure de l’Union européenne s’est effondrée et qu’il est devenu possible d’atteindre la Suède par voie terrestre depuis le Moyen-Orient. Au début de la crise des réfugiés de 2015, le gouvernement a en effet refusé de réguler l’immigration pour des raisons politiques. On a alors prétendu, à tort, que les contrôles aux frontières et leur protection violeraient le droit international ou encore qu’ils ne fonctionneraient pas. Au bout de quelques mois, le gouvernement a changé de politique et a introduit un contrôle frontalier plus strict. Cela a entraîné une chute du nombre de demandes d’environ 95% dans un laps de temps très court. La Suède a introduit depuis des règles moins généreuses en matière de permis de séjour permanents et d’immigration familiale. Le nombre de demandeurs d’asile en 2016 est passé sous la barre des 30.000, ce qui reste néanmoins un niveau assez élevé, au-dessus de la moyenne des années situées entre 1980 et le début des années 2000.
La question de savoir si la Suède souhaite accueillir à l’avenir plus ou moins de réfugiés est avant tout d’ordre politique. Si le but est de réduire le nombre de réfugiés, il serait aisé de durcir encore les règles, de renforcer la sécurité de la frontière, d’améliorer les contrôles des passeports falsifiés ou volés et de changer les procédures de l’Agence des migrations. Les conventions internationales que la Suède et la plupart des autres pays occidentaux ont signées leur donnent une grande liberté pour déterminer leur propre politique d’asile.
La Suède est aussi une économie de la connaissance où la main-d’œuvre locale a en moyenne un haut niveau de formation. Cela signifie que l’écart de productivité entre les travailleurs natifs du pays et ceux nés à l’étranger est encore plus grand ici que, par exemple, sur les marchés du travail moins exigeants de l’Europe du Sud. Le contraste avec les niveaux de compétence inférieurs du tiers-monde est encore plus net dans cette économie suédoise à forte intensité de connaissances, où les travailleurs à faible productivité ne génèrent que peu ou pas de bénéfices pour l’employeur.
Il n’y a pas non plus de pays où l’écart de capital humain mesuré dans le test de connaissances PIAAC entre adultes natifs du pays et ceux nés à l’étranger soit aussi prononcé. L’OCDE écrit ainsi que «les données de l’enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes suggèrent que la disparité entre les adultes autochtones et ceux nés hors de Suède n’ayant que des compétences élémentaires est la plus forte de tous les pays étudiés22». La Suède connaît, de façon non surprenante, une grande disparité liée à la proportion de migrants qui arrivent de pays à faible niveau d’éducation. L’OCDE observe aussi que le pays reçoit un nombre exceptionnellement élevé de réfugiés et souligne : «Le résultat est que la disparité en matière d’éducation en Suède entre individus natifs du pays et les autres est parmi les plus fortes de l’OCDE23.»
Bien des gens estimaient que le haut niveau de confiance et de tolérance, à l’origine de la politique généreuse d’immigration de la Suède, entraînerait également une intégration réussie. Cela n’a pas été le cas. Confiance et capital social élevés peuvent être paradoxalement facteurs d’exclusion, dans la mesure où des groupes très homogènes sont plus difficiles d’accès pour les outsiders. Les facteurs de succès de la société suédoise ont pu conduire à une confiance excessive à propos de l’intégration et justifier une politique d’asile démesurée. Le marché du travail, l’école et la capacité du reste de la société à absorber de nouveaux arrivants ont été excessivement sollicités. La tentative de la Suède, pendant tout une période, d’adopter une politique d’immigration qui déviait radicalement de celle d’autres pays a échoué et a fini par une sévère restriction. Nous avons vu que le contrôle et la régulation plus stricts des frontières introduits à la fin de 2015 ont abouti rapidement à une baisse de 95% du flux de réfugiés : cette nouvelle politique s’est aussi traduite par une chute de 99% du nombre de mineurs non accompagnés. Là encore, la Suède a suivi un chemin à part et a fermé ses frontières plus vite que la plupart des autres pays.
Conclusion
Erica Treijs, « Vi svenskar ser oss som en moralisk stormakt » [« Nous autres, Suédois, nous considérons comme une superpuissance morale »], Svenska Dagbladet, 23 juillet 2016
Nom donné au code de conduite sociale en vigueur dans les pays nordiques, inspiré du nom de la petite ville imaginaire de Jante qui figure dans le roman de l’écrivain dano-norvégien Aksel Sandemose Un fugitif recoupe ses traces (1933). Ce code en dix règles fait primer le groupe sur l’individu, lequel doit faire preuve d’une humilité constante dans tous les [NdT]
La Suède en est arrivée à une situation où l’opinion publique combine des valeurs contradictoires : une tolérance extrême pour l’immigration va de pair avec l’absence de socialisation de nombreux Suédois avec les immigrés non européens. De plus, il existe un pessimisme répandu quant à la possibilité d’une intégration réussie. Le quotidien Svenska Dagbladet a abordé ce sujet et cette culture suédoise souvent paradoxale dans une interview avec la professeure Bi Puranen de l’Institutet för framtidsstudier [Institut des études prospectives] : «Les trois quarts de la population considèrent que l’intégration ne fonctionne pas bien. En même temps, 4 Suédois sur 10 ne connaissent pas d’immigrés extra-européens, selon de nouveaux chiffres de SvD/Sifo. Pourtant la Suède est vue comme une superpuissance morale. Dans une série d’articles, Svenska Dagbladet a enquêté sur l’intégration en Suède, le pays le plus spécial du monde. Nous voyons l’émergence d’une nouvelle Suède, où la ligne de partage entre “nous” et “eux” devient plus nette. La résistance à l’accueil de réfugiés continue de croître et l’intégration dysfonctionne24.»
L’image commune des Suédois avec le respect de la loi de Jante25, la prosternation devant Luther et une timidité introvertie est probablement exagérée. Le Suédois est plutôt un individualiste, qui témoigne d’une grande confiance vis-à-vis de l’État et qui continue d’avoir un grand respect pour la différence. Ceci est mis en évidence, entre autres, par les recherches de Bi Puranen, qui montre la «collision des cultures et des valeurs», à savoir les enjeux et les questions qui se différencient des perceptions d’autres pays et qui peuvent être considérés comme définissant la «suédité» en 2016 : l’égalité entre les genres, la religion, le nationalisme, les vues sur la sexualité prémaritale, l’avortement, la parentalité, le divorce, la question LGBT, la violence domestique. Sur ces sujets, les pays nordiques, et surtout la Suède, divergent de la norme internationale. «Cette tolérance risque de nous rendre intolérants à d’autres idées et points de vue et de nous prendre pour une superpuissance morale», affirme ainsi Bi Puranen.
Nous conclurons cette note par les propos du professeur Assar Lindbeck, souvent présenté comme le doyen de la science économique suédoise : «Maintenant, on devrait réaliser que ces problèmes ne peuvent pas être résolus par un marché du travail plus flexible et une redistribution accrue. Il est donc naïf de croire que les difficultés d’emploi des immigrés peuvent être surmontées, si l’immigration n’est pas réduite, en laissant les salaires tomber au niveau de ceux des travailleurs peu qualifiés ne parlant pas suédois. Un pays riche comme la Suède, avec 9 millions d’habitants, dans un monde où il y a des milliards de pauvres, ne peut pas avoir une immigration illimitée. Et elle doit être très limitée, si l’on veut protéger les salaires et les systèmes de protection sociale dans les nations riches. C’est absolument inévitable. Même Gunnar Myrdal l’a compris il y a longtemps quand il a écrit que l’État-providence était un projet national. En disant cela, il considérait que les bénéfices qu’une nation parvient à engranger par un développement économique séculaire ne sauraient être offerts au reste du monde sans entraîner la faillite du système.»
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