Résumé

Introduction

I.

La gauche radicale dilution, émiettement et regroupement

1.

Les organisations communistes et du Front de gauche

2.

Le Parti de gauche

3.

Ensemble !

4.

Les autres composantes du Front de gauche

5.

Marges plurielles : les autres forces de la gauche radicale

6.

Les associations de la gauche radicale

7.

Le mouvement syndical radical

II.

Typologie des actions publiques (2012-2016)

1.

Les manifestations contre l’austérité

2.

La gauche radicale et les attentats de 2015

3.

Nuit debout, une spontanéité organisée

4.

Contestations sociétales

5.

Manifestations de solidarité internationale

III.

La gauche radicale en revue et en livres

1.

Les communistes orthodoxes et rénovateurs

2.

Les revues et éditeurs issus du trotskisme

3.

Les écolos radicaux

4.

Les familles des éditeurs et revues libertaires

5.

La gauche radicale en fusion

6.

La gauche radicale de la « chaire »

7.

La gauche radicale médiatique

8.

La confusion des genres

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Résumé

En France, la gauche radicale est en phase de déclin, accompagnant la chute de la gauche socialiste. En dépit de cette rétraction, la gauche radicale continue de connaître une certaine vitalité médiatique. Cette note qui analyse les forces politiques, sociales et électorales d’une gauche radicale morcelée en différents courants et en différentes orientations montre ses domaines et ses champs d’intervention réguliers et, en même temps, cherche à analyser la différence entre la réalité de son implantation, de son influence et de son audience.

Depuis 2012, la gauche radicale a multiplié les interventions dans les domaines politiques, sociaux et culturels. Elles sont ici analysées, tandis que sont également expliqués les mécanismes qui permettent à la gauche radicale d’exercer une influence encore importante.

Sylvain Boulouque,

Historien, enseignant dans le secondaire et chargé de cours à l’université.

Notes

1.

Voir l’article « gauchisme », in Stéphane Courtois (dir.), Dictionnaire du communisme, Paris, Larousse, 2007.

+ -

2.

Pour reprendre les termes de l’appel lancé en 1997 et paru dans Libération le 6 mai 1997.

+ -

3.

Expression qui remplace celle d’« intellectuel engagé ».

+ -

La gauche radicale en France est dans une situation paradoxale : elle semble agonisante alors qu’elle progresse dans certains pays européens. Depuis 2012, elle épouse les courbes décroissantes de la gauche française dans son ensemble. Parallèlement, elle continue à payer les conséquences de la chute du mur de Berlin, de l’effondrement de l’Union soviétique et du maintien d’une identité communiste forte – dans son acception orthodoxe ou dissidente – et de l’effritement de son influence sur le reste de la gauche française, qui a duré près de soixante-dix ans. L’expression « gauche radicale » a progressivement remplacé la notion « extrême gauche » ou celle de « gauchisme1 », incorporant un Parti communiste français (PCF) qui, jusqu’en 2002, n’était pas qualifié comme tel. La gauche radicale peut aussi être nommée « gauche2 », « gauche critique » ou « pensée critique », et ses élites peuvent s’appeler « intellectuels critiques3 ». Il faut entendre par là principalement les forces de la gauche antilibérale et anticapitaliste, qui rejettent l’économie de marché et qui, dans son ensemble, sont hostiles à la social-démocratie. Ces groupes, qui se réclament des traditions marxistes ou libertaires, demeurent minoritaires et éparpillés. Depuis 2002, le PCF a donc rejoint cette mouvance, se rapprochant, échéance électorale après échéance électorale, de cet état groupusculaire qui caractérise depuis longtemps l’extrême gauche française.

Cependant, phénomène paradoxal, si la gauche radicale est en déclin, elle conserve une influence et une audience relativement élevée, et en tout cas sans commune mesure, avec son poids électoral qui est marginal, voire nul. Cet effet ciseau entre influence et implantation s’est encore renforcé. La gauche radicale apparaît d’autant plus visible que la forme traditionnelle du parti politique s’estompe, laissant place à une expression plus large. Aujourd’hui, la gauche radicale est une nébuleuse complexe d’organisations, de collectifs, de journaux, de sites Web et de maisons d’édition. La plupart des acteurs de la gauche radicale n’appartiennent plus à un parti ou à un groupe structuré mais demeurent marqués par cette expérience et cette sensibilité politique, et continuent de s’en revendiquer. Pour comprendre les éléments qui expliquent la distorsion entre audience et influence, il convient tout d’abord de procéder à une présentation des forces de la gauche radicale, pour voir ensuite son action depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir en 2012 et, enfin, examiner son influence intellectuelle.

I Partie

La gauche radicale dilution, émiettement et regroupement

Aujourd’hui, trois gauches radicales se distinguent : politique, associative et syndicale. Elles sont fortement imbriquées et leurs acteurs passent facilement d’un pôle à l’autre.

1

Les organisations communistes et du Front de gauche

Notes

4.

Voir Amendement n° 410, présenté par le Gouvernement, Assemblée nationale, 3 décembre 2013.

+ -

5.

Le groupe a depuis scissionné, les minoritaires ont fondé le groupe Révolution, qui défend le principe de révolution permanente de Trotski.

+ -

6.

Les groupes (Rouges vifs et Faire vivre le PCF) sont membres du Pôle de renaissance communiste en France (PRCF).

+ -

7.

Salah Hamouri et Nordine Idir, Palestine-France. Quand les jeunes résistent. Regards croisés, Le Temps des cerises, 2014.

+ -

Le Front de gauche (FdG) est un modèle original. Il a tenté de dépasser les clivages anciens et de donner naissance à une nouvelle forme d’organisation. Le cartel qu’il représente maintient les rapports de force antérieurs – entre d’anciens socialistes comme Jean-Luc Mélenchon, le PCF, les trotskistes et les communistes regroupés dans Ensemble !, mais les affrontements entre ses diverses composantes lors des élections municipales ont montré la difficulté à résoudre les conflits et à dépasser les choix politiques des alliances avec les socialistes. Les autres composantes du Front de gauche ne peuvent se passer de l’appareil et de l’appui numérique du PCF, même si ce dernier est en déclin, sauf à devenir inaudibles et marginales.

Le symbole de l’effritement du PCF est la quasi-disparition de son quotidien, L’Humanité. Les chiffres officiels de vente sont inférieurs à 50.000 exemplaires. En termes de rapport vente au numéro/subvention, L’Humanité est le quotidien le plus soutenu de France (l’aide publique représente 48 centimes par exemplaire). Il a été sauvé du dépôt de bilan par le gouvernement au nom de la liberté de la presse, l’emprunt contracté en 2002 n’ayant pu être remboursé au bout de dix ans4. Cette faillite du journal n’est qu’un des aspects de l’effacement du PCF. Mais, en dépit de son déclin, par sa force, sa capacité d’intervention, son implantation et ses relais, le PCF demeure néanmoins la première organisation de la gauche radicale. Il possède encore une force militante qui lui permet d’être présent partout. C’est la seule organisation qui maille l’ensemble du territoire.

Le PCF a changé. Pendant des décennies, son organisation reposait sur le culte du chef, l’unicité décisionnelle et le centralisme démocratique. Ce mode de fonctionnement a aujourd’hui totalement disparu. Certes, Pierre Laurent a été réélu à l’unanimité, mais son score ne cache plus les divisions générationnelles, culturelles, locales, voire politiques. Certaines régions demeurent marquées par l’orthodoxie communiste. Ainsi, dans le Pas-de- Calais, les listes conduites par les figures du communisme thorézien puis marchaisien Georges Hage et Léon Landini – cadres communistes promus au début des années 1950 – s’opposent à la direction nationale. Cependant, la plus grande partie des fédérations sont légitimistes et suivent la ligne impulsée par la direction sortante. Trois groupes (La Riposte5, Rouges vifs et Faire vivre le PCF/Unir les communistes6) se réclament de l’orthodoxie communiste. Ils sont principalement implantés dans l’Oise, le Nord et le Pas-de-Calais, l’Ouest parisien, certaines villes de la Seine-Saint-Denis, en Seine-Maritime, dans le Tarn et en Meurthe-et-Moselle.

Tous les paramètres indiquent une accélération de l’effritement du PCF. Les effectifs et, surtout, les participations aux votes des congrès viennent traduire un décalage entre les chiffres annoncés et les chiffres réels. Le parti annonce ainsi aujourd’hui plus de 100.000 membres, alors que le nombre de votants au congrès de 2013 est de 34.000 sur 63.000 votants potentiels. La pyramide démographique du parti, en dépit d’un effort de la direction pour rajeunir ses cadres, subit un vieillissement régulier : la proportion de trentenaire diminue alors que celle des retraités augmente. La diversification des origines sociales se poursuit. Le PCF n’est définitivement plus un parti ouvrier mais d’employés des services publics qui, souvent, possèdent un mandat d’élu local. Le PCF se conforme à la normalisation et à la sociologie des autres partis politiques. Les spécificités de ce qui faisait le mouvement communiste se dissipent. Les organisations de masses réduisent leurs activités, à l’image de l’Union des femmes françaises, devenues Femmes solidaires, qui a dû cesser de faire paraître son journal Clara Magazine. La Fédération sportive et gymnique du travail s’est recroquevillée sur les municipalités communistes. De même, le Secours populaire français, bien que dégagé de l’influence directe du PCF, est en perte de vitesse, en dépit de son statut d’association caritative reconnue d’utilité publique et désignée comme « Grande Cause nationale ». Les processus de désagrégation des autres organisations communistes se poursuivent. Le Mouvement de la jeunesse communiste de France, devenu Mouvement Jeunes communistes de France (MJCF), n’est plus que l’ombre de ce qu’il a pu être. L’organisation annonce un nombre de membres dix fois supérieur à son nombre réel d’adhérents. Son journal Avant-Garde est porté par le conseil général du Val-de-Marne, dont les publicités couvrent largement une part importante des pages de l’organe, tandis que la Ville de Gennevilliers prête des locaux pour la tenue des assemblées et des congrès. Les Jeunes communistes concentrent leur activité sur la solidarité avec les Palestiniens. Ainsi, lors du congrès du MJCF tenu les 19 et 21 décembre 2014, l’invité d’honneur était l’ambassadeur de Palestine. De même, le seul ouvrage publié par les Jeunesses communistes est un entretien croisé entre le secrétaire général, Nordine Idir, et Salah Hamouri, un ancien Franco- Palestinien emprisonné pour terrorisme7.

Le PCF maintient son existence grâce à son appareil municipal, qui lui permet de survivre sur le plan politique, même si ce dernier se rétracte élection après élection. Mais, comme le parti, les équipes municipales ne possèdent plus d’homogénéité, tiraillées entre les tenants de l’alliance avec le Parti socialiste (PS) et les partisans de l’autonomie. La diversité est donc de mise, en fonction des équipes municipales et des forces militantes, rendant délicate une typologie sur les scrutins locaux. Un constat général peut être tiré concernant un mouvement de retrait général, suivant celui de la gauche socialiste. Ce repli est perceptible dans toutes les municipalités dirigées par le PCF : à l’exception de municipalités comme Saint-Denis ou Ivry-sur- Seine, sans les alliances avec le PS au premier tour les villes dirigées par un candidat PCF-FdG ont été battues et les scores ont connu un très net recul. Dans ses bastions historiques, les résultats du parti se sont effrités. À Gennevilliers, le nouveau maire PCF de la ville a été élu au premier tour avec 61,43% des suffrages exprimés, alors qu’en 2008 son prédécesseur avait obtenu 74,95%, et la municipalité a intégré des socialistes dans son équipe. Toujours à Gennevilliers, lors des dernières élections régionales, la liste de Pierre Laurent a obtenu 31,9% des suffrages exprimés, contre 34,18% en 2010. L’exemple de cette commune est assez révélateur de ce qui se déroule dans les villes où les édiles du PCF ont réussi à conserver leur municipalité. Dans les autres cas, le PCF n’arrive plus seul à conquérir ou à conserver une ville. C’est le même phénomène qui s’est produit lors des élections départementales, où le PCF-FdG a perdu au total 64 conseillers départementaux, n’en conservant que 170 sur les 234 sortants. L’exemple symbolique du Val-de-Marne montre que le recul est important, puisque le PCF n’est plus le premier parti du département : 18 conseillers sont issus du Front de gauche alors qu’ils étaient 20 aux précédentes élections, même si le redécoupage des cantons empêche la comparaison exacte. Ce recul perceptible au plan national explique l’effondrement du communisme dans son dernier bastion rural de l’Allier. Lors des dernières élections régionales, le nombre de conseillers régionaux s’est écroulé : le FdG est absent dans cinq régions et a perdu les deux tiers de ses élus. Il ne lui en reste que 40 sur les 127 qu’il possédait en 2010.

Le PCF suit les courbes du reste de la gauche mais en accentue la forme. À l’échelle nationale, le phénomène de retrait est plus net encore dès que le PCF n’est pas allié avec le PS. À Saint-Ouen, aux élections municipales, alors qu’au premier tour le total des voix de gauche atteignait plus de 60% des voix, au second tour le PCF-FdG a perdu la municipalité en n’obtenant que 46,83% des suffrages exprimés, alors même que le candidat socialiste s’était pourtant retiré à son profit. Les dernières élections régionales ont confirmé cette baisse à Saint-Ouen : la liste FdG a obtenu 15,28 % des suffrages exprimés, contre 17,56% en 2010 et 19,65% en 2004. L’ensemble de cet étiolement se retrouve dans plusieurs municipalités de la banlieue parisienne. Elle vient traduire la poursuite de la mutation sociologique de la Petite Couronne parisienne.

La configuration change un peu à Vaulx-en-Velin, commune de l’agglomération lyonnaise, où le maire PCF-FdG a été battu au second tour dans une triangulaire face à une candidate du PS : le candidat communiste a obtenu 26,09% des suffrages exprimés au premier tour et 39,23% au second tour, alors qu’en 2008 le maire l’avait emporté au premier tour avec 50,56%. Lors des dernières élections régionales, le PCF a obtenu 9,77% des suffrages exprimés. Il convient d’ajouter que le Parti de gauche (PG), qui avait fait alliance avec Europe Écologie-Les Verts (EELV), a obtenu 7,17% des suffrages exprimés. En 2010, la liste FdG avait fait un score de 13,35%, tandis que EELV était allé seul au-devant des électeurs.

Dans quelques cas, le PCF-FdG a réussi à s’imposer. Le nombre de victoires du PCF est en très nette diminution par rapport aux précédentes élections. Dans le Nord-Pas-de-Calais, il perd au total près de 20 communes sur 39. Dans le centre de la Bretagne et dans le « Midi rouge » les pertes sont importantes dans les villes de 2.000 à 9.000 habitants. Au total, la gauche communiste a perdu 36 villes de plus de 9.000 habitants sur les 89 encore dirigées entre 2008 et 2014.

Lors de cette défaite électorale, trois villes ont été brandies comme des symboles des résistances par le FdG : Grenoble, Montreuil et Aubervilliers. Symboles de la reconquête pour les porte-parole de la gauche radicale, elles sont des exceptions et ne peuvent être étendues à l’ensemble du territoire. À Grenoble, les membres du FdG sont une force d’appoint à l’équipe EELV. À Montreuil, le duel du second tour a vu le ralliement de l’ensemble des forces de gauches à la liste FdG afin d’éviter le retour d’un communiste orthodoxe, lui aussi apparenté au FdG. Enfin, à Aubervilliers, la liste FdG a repris la municipalité au PS à la suite d’une élection particulièrement serrée et au climat délétère. Au second tour, le Front de gauche a obtenu 45,73% des suffrages exprimés, contre 38,91% pour le PS et 15,35% pour l’UMP. La liste FdG a progressé puisqu’elle avait obtenu au premier tour 32,90% des suffrages exprimés, contre 32,12% pour celle de son concurrent socialiste, maire sortant.

Pour les listes PCF-FdG, dans des villes où elles ne sont pas majoritaires et où le PCF n’a pas choisi l’alliance avec le PS, les résultats sont dans l’ensemble médiocres. Le FdG peut uniquement s’appuyer sur les bastions communistes. Les progressions minoritaires dans le reste des villes se situent principalement dans les grands centres urbains, où la gauche en règle générale n’a pas enregistré un recul important, à l’image de Rennes – où le FdG s’était associé aux écologistes.

Les élections municipales de 2014 ont été un échec, confirmé par celui des élections européennes du 24 mai 2014. Limité par rapport à l’échec global de la gauche, le FdG perd néanmoins un siège, tout en augmentant légèrement le nombre de ses électeurs, avec 1.200.000 électeurs sur l’ensemble du territoire. Il gagne près de 40.000 voix sur le précédent scrutin dans le Sud- Ouest, mais dans l’ensemble les bastions communistes continuent à se déliter et les circonscriptions ouvrières où le vote communiste était dense ne sont plus qu’un lointain souvenir. Le vote FdG se diffuse dans l’ensemble du territoire, mais le PCF se rétracte dans ses zones forces et ses bastions.

2

Le Parti de gauche

Notes

8.

Voir.

+ -

La deuxième composante du Front de gauche est le Parti de gauche (PG), symbolisé par son porte-parole, Jean-Luc Mélenchon. Le parti annonce un chiffre de 10.000 membres, mais la réalité est autre, le vrai chiffre étant sans doute plus proche des 2.000 membres – ce qui représente le nombre de votants au prochain congrès. Depuis 2012, le PG a connu une vague de reflux et des échecs, liés en grande partie aux prises de positions de son principal dirigeant avançant des arguments et des propositions qui souvent apparaissent impossibles à mettre en œuvre. La critique systématique du PS au pouvoir a entraîné le départ de deux membres historiques (Marc Dolez et Franck Pupunat). En dehors des apparitions médiatiques de Jean-Luc Mélenchon et d’une présence fréquente dans les manifestations, le PG ne possède pas de force implantée. Son congrès de mars 2013, a confirmé la ligne défendue par Mélenchon : le développement d’un socialisme écologique combiné à une planification économique. Le parti se caractérise également par son refus de toute alliance avec le PS et sa dénonciation systématique du gouvernement. L’autre élément programmatique central est le changement de Constitution et de République. Il a créé un Mouvement pour la 6e République (m6r) – dont le projet rappelle celui que voulait mettre en place le PCF à la Libération, sur le modèle des démocraties populaires – et dont Jean-Luc Mélenchon est le principal initiateur et porteur du projet. Ce mouvement repose sur la désignation d’une Assemblée constituante tirée au sort proportionnellement au nombre d’habitant par région8. Le nombre de signataires atteint actuellement les 100.000 personnes, principalement des sympathisantes ou électeurs du Front de gauche.

3

Ensemble !

Notes

9.

Les Alternatifs sont les héritiers des comités Pierre Juquin, du nom du communiste oppositionnel qui s’est présenté aux élections présidentielles en 1988, et des anciens proches des ministres communistes du gouvernement de François Mitterrand entre 1981 et 1984, en rupture avec le PCF.

+ -

10.

La Fase est l’autre nom des communistes unitaires animés par Roger Martelli et d’anciens membres du PCF ayant quitté le PCF en 2012 après y avoir milité pendant près de quarante ans. S’y est adjointe Clémentine Autain, codirigeante, avec Roger Martelli, du mensuel communiste critique Regards.

+ -

11.

Il s’agit d’anciens courants de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), puis du NPA (Convergences et Alternatives, Gauche anticapitaliste), qui ont rejoint le FdG pendant la campagne présidentielle de 2012, et de membres d’un autre courant du FdG issu de la LCR, La Gauche unitaire. Une partie d’entre eux, dirigée par l’ancien trotskiste Christian Picquet, n’a pas rejoint Ensemble !

+ -

La troisième composante du Front de gauche, la plus récente, est née en 2013 de la fusion de la mouvance communiste critique – Les Alternatifs9 et la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase)10 – et de trotskistes ayant quitté le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)11 pour former Ensemble ! Mouvement pour une alternative de gauche écologiste et solidaire. L’organisation déclare avoir 2.500 membres. Pour la réunion constitutive, le nombre de délégués a été inférieur à 200. Ensemble ! a été en mesure de se présenter dans une soixantaine de cantons, en association avec les autres composantes du FdG ou avec EELV lors des dernières élections départementales, obtenant un score variable, en règle générale inférieur à 1%.

4

Les autres composantes du Front de gauche

Le FdG rassemble également d’autres groupes, par exemple une partie des chevènementistes rassemblés dans République et Socialisme, issu du Mouvement républicain et citoyen (MRC), ou des maoïstes du Parti communiste des ouvriers de France (PCOF). Ces deux dernières organisations suivent l’action des autres groupes sans réellement être en mesure d’engager des actions d’envergure en leur nom propre.

L’objectif de cette partie de la gauche radicale est d’arriver au pouvoir comme a pu le faire Syriza en Grèce ou des responsables vénézuéliens ou boliviens. Aujourd’hui, ces modèles internationaux représentent les références principales des responsables du FdG. Il s’agit de construire une force politique capable de dépasser le PS et de s’imposer comme la nouvelle formation de gauche.

Les militants du FdG ont parallèlement mis en place une nouvelle structure, Chantiers d’espoir, dont l’appel a été lancé le 22 janvier 2016, relayé par Mediapart. La formation actuelle n’est pas aboutie. Elle englobe encore la majeure partie des responsables du FdG ainsi qu’une partie de la gauche du PS et d’EELV. Ces derniers participent parallèlement aux différentes manifestations contre l’austérité. Les cultures politiques des membres de cette association sont disparates puisque s’y retrouvent des héritiers du marxisme- léninisme (communistes orthodoxes ou hétérodoxes, trotskistes dans leurs différentes composantes) et des cultures alternatives (comme certains membres de EELV) ou de personnes venant du socialisme démocratique (comme les membres de Nouvelle Donne ou certains responsables socialistes). Les autres composantes de la gauche radicale qui ont connu un certain succès électoral lors des élections présidentielles de 1995, 2002 et 2007 ont été marginalisées lors de la campagne électorale de 2012. Elles semblent aujourd’hui en plein reflux et elles demeurent en grande partie marquées par les références passées. Elles s’inscrivent dans un affichage net des ruptures avec les autres forces politiques, y compris dans la gauche radicale.

5

Marges plurielles : les autres forces de la gauche radicale

Notes

12.

Voir « Le NPA en congrès, 5 février 2015.

+ -

13.

Jean-Guillaume Lanuque et Pierre Lévy « Lutte ouvrière, monolithe du trotskisme », in Pascal Delwit (dir.), Les Partis politiques en France, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2014, p. 143-144.

+ -

14.

Comme à Montreuil ou à Aubervilliers.

+ -

15.

En janvier 2015, le Comité communiste internationaliste-trotskyste (CCI-T), fondé par les derniers partisans de Stéphane Just, a fusionné avec le Groupe marxiste internationaliste (GMI).

+ -

16.

On peut ainsi citer le Collectif Smolny, animé par des luxemburgistes et des bordiguistes, qui édite les œuvres complètes de Rosa Luxemburg et des textes de la gauche communiste antistalinienne, ou encore le réseau Échanges & Mouvements.

+ -

Florissantes hier, les organisations trotskistes sont en déclin en termes d’effectif militant, en perte d’audience et en crise identitaire.
Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) annonce plus de 2.000 membres. Sociologiquement, le monde social impliqué dans cet engagement est très singulier et très étroit : la plupart des militants du NPA travaillent dans les services publics (enseignants, employés dans une administration ou dans des grandes entreprises à statut). En 2013, lors de son deuxième congrès, une majorité s’est dégagée autour d’un axe composé des dirigeants historiques de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Alain Krivine, Olivier Besancenot, Philippe Poutou et la porte-parole Christine Poupin, axe favorable à des alliances circonstancielles avec les autres forces de la gauche radicale. Lors de son dernier congrès, qui s’est tenu du 30 janvier au 1er février 2015, les votants n’étaient plus que 1.400 et les délégués 19312, indiquant une chute des effectifs. Les délégués ont pu constater l’éparpillement de l’organisation. Certes, son ancêtre la LCR a toujours été traversée par des tendances mais, hormis en 1973, une majorité s’est toujours dégagée. En 2015, traduction de l’isolement et de la dispersion de l’organisation, six motions se sont partagé les votes et la majorité s’est divisée en deux. L’organisation traverse un passage à vide. Son discours, en grande partie récupéré par le FdG, ne porte plus. Après l’effondrement des suffrages lors des élections présidentielles et des législatives de 2012, le reflux du NPA s’est poursuivi. Il a réuni 411.160 voix aux élections présidentielles et moins de 74.770 voix aux élections européennes (25.821 en Île-de-France 12.426 dans le Nord 12.600 dans l’Ouest et 15.799 dans le Sud-Ouest), avec un pourcentage total de 0,39%. Cet effondrement électoral a des conséquences matérielles sur le parti qui ne peut plus financer ses activités. Parallèlement, le NPA connaît des difficultés à recueillir les fonds nécessaires pour se relancer, la souscription lancée depuis un an n’ayant pas atteint son objectif de 400.000 euros.

La situation de Lutte ouvrière (LO) n’est guère meilleure. Le caractère bolchevique de l’organisation a été conservé. L’organisation affiche toujours son unanimisme depuis l’exclusion de sa minorité en 2008. La sociologie de l’organisation est similaire à celle du NPA, même si LO est légèrement mieux implantée en milieu ouvrier. Selon certains chiffres le nombre d’adhérents avoisine les 800 membres13. Les derniers résultats électoraux montrent un effondrement de l’audience. Après un succès relatif en 2002, LO a retrouvé ses scores habituels, autour de 1% des suffrages exprimés. Aux élections européennes de 2014, le mouvement n’a réuni que 222.491 voix – 24 971 en Île-de-France, 45.673 dans le Nord-Ouest, 33.212 dans l’Ouest et 25.264 dans le Sud-Ouest.

Le Parti ouvrier indépendant (POI), quant à lui déclare, 4.000 membres, mais le nombre de délégués au congrès de 2013 laisse penser que le chiffre est nettement inférieur et tourne autour du millier. Le parti a longtemps occupé des positions fortes à l’intérieur du syndicat Force ouvrière (FO). Elles sont aujourd’hui en recul. Il ne conserve que quelques bastions comme FO Éducation ou l’association La Libre pensée. L’organisation possède encore quelques relais dans certaines mairies de communes rurales et quelques conseillers municipaux dans des banlieues de l’Est parisien, élus grâce à leur alliance avec des communistes14.

Enfin, quelques autres groupes possédant une influence relative, se contentent d’une existence nominale et, souvent, de la publication d’un journal ou de l’animation d’un site Web, à l’image de la Quatrième Internationale posadiste, ou encore des derniers émules de Stéphane Just, ancien lambertiste exclu du Parti communiste internationaliste (PCI) en 198415. Il reste également quelques individualités, n’appartenant plus à aucune organisation, qui pour l’essentiel publient des textes et des ouvrages16. Ils peuvent néanmoins, comme Alain Badiou, avoir un rôle important dans l’espace public, ayant échappé au rôle d’intellectuel de parti pour porter leur propre parole.

Les libertaires

« Y en a pas un sur cent… » Les paroles de la chanson de Léo Ferré Les Anarchistes définissent toujours assez bien le nombre des libertaires aujourd’hui, soit au total quelques centaines de personnes répartis dans quelques organisations. Ils interviennent principalement dans les mouvements sociaux et syndicaux, et dans des associations spécifiques consacrées au féminisme, à l’antifascisme, à l’anticléricalisme ou au logement. La plus importante de ces organisations, la Fédération anarchiste, repose principalement sur l’organisation de sa librairie, de son hebdomadaire et de sa radio. La deuxième est Alternative libertaire, dont les militants sont investis dans les mouvements syndicaux. Plusieurs groupes ont une existence locale et sont surtout organisés autour de leur journal, telles l’Organisation communiste libertaire (OCL) ou la Coordination des groupes anarchistes. Le mouvement libertaire est morcelé et dispersé entre plusieurs tendances contradictoires, souvent promptes à la polémique et à la scission, ce qui fait son originalité et lui donne son caractère particulier.

6

Les associations de la gauche radicale

Notes

17.

Camille Jouve, Pierre Khalfa, Patrick Le Moal et Claire Le Strat (dir.), Tableau d’un glissement néolibéral. Un an après l’élection de François Hollande, Syllepse, 2013.

+ -

18.

Par exemple, Christiane Marty (dir.), Le Féminisme pour changer la société, Syllepse, 2013, ou Jean-Marie Harribey et Christiane Marty (dir.), Retraites : l’alternative cachée, Syllepse, 2013.

+ -

19.

Olivier Le Cour Grandmaison (dir.), Un crime d’État à Paris. Le 17 octobre 1961, La Dispute, 2001. Les participants à ce colloque, tenu les 17 et 18 octobre 2000 et ouvert par Pierre Bourdieu, n’appartenaient pas tous à la gauche radicale.

+ -

20.

Voir notamment le texte de 2005 « Nous sommes les indigènes de la République !… » , signé par une grande partie des figures de la gauche radicale.

+ -

21.

Par exemple : « Les Juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe », extrait d’une allocution de Houria Bouteldja prononcée à Oslo le 3 mars 2015 lors de la conférence «Minorités, nationalisme et États-nations» et reprise sur le site du PIR.

+ -

22.

Houria Bouteldja et Sadri Khiari, Nous sommes les indigènes de la République, Éditions Amsterdam, 2014. La revue et le site trotskistes Contretemps ont accordé un long entretien aux deux auteurs.

+ -

23.

Diffusée le 2 avril 2012.

+ -

25.

Voir « Meeting contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire », 19 février 2015.

+ -

26.

Voir, par exemple, dans cette collection, Pierre Bourdieu, Sur la télévision, suivi de L’Emprise du journalisme, Seuil, 1996, ou et Serge Halimi, Les Nouveaux Chiens de Garde, Seuil, 1997. Voir aussi Noam Chomsky, Réflexions sur l’université, Raisons d’agir, 2010.

+ -

27.

On peut notamment citer les films de Pierre Carles (Pas vu pas pris, 1998) ou Gilles Balbastre (Les Nouveaux Chiens de garde, 2012), films produits par l’ancien militant Jacques Kirschner, connu sous le nom de Charles Berg, ou les productions des Films d’ici, société de production créée en 1978 et initialement gérée par Richard Copans.

+ -

La plupart des militants de la gauche radicale se retrouvent dans différentes associations spécifiques. Le nombre d’associations proches de la gauche radicale est important et leur registre d’interventions est varié.

Les associations critiques de l’économie

Elles sont principalement au nombre de trois.
La Fondation Copernic, fondée en 1998 pour dénoncer le libéralisme, est dirigée par des universitaires membres du NPA (tels Claire Le Strat ou Willy Pelletier) ou du FdG (Pierre Khalfa). Certains de ses membres sont passés en 2012 du premier mouvement au second, à l’image par exemple de Janette Habel. La Fondation Copernic publie principalement des études dénonçant la transformation libérale du monde17.
Née la même année que la Fondation Copernic, l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) est d’apparence plus réformiste que la précédente. Elle a initialement connu un fort succès, son objectif étant plus large et permettant d’agglomérer des militants d’univers plus diffus. Cependant, depuis la crise de 2006, au cours de laquelle l’ancienne direction nationale dut quitter ses fonctions – elle était accusée d’agir sans prendre l’avis des comités locaux –, Attac a adopté les mêmes positions que la Fondation Copernic. La désaffection de nombre de membres a entraîné un rapprochement entre les deux associations, qui ont ainsi publié des livres ensemble18 et ont organisé des réunions publiques communes.
Enfin, en 2011, des membres d’Attac et de la Fondation Copernic ont créé Les Économistes atterrés, dont l’objectif est d’intervenir dans le champ médiatique.

Les associations antiracistes et antifascistes

C’est le tissu associatif qui a connu le plus net recul, tant dans les organisations réformistes que dans celles appartenant à la gauche radicale. Le mouvement antiraciste est aujourd’hui profondément divisé et les clivages entre associations sont insurmontables. L’antiracisme de la gauche radicale s’est profondément transformé, car ce mouvement est épuisé par des années d’engagement qui n’ont pas empêché la montée de l’extrême droite. Ainsi, le réseau de lutte contre le Front national Ras l’Front, proche de la LCR, s’est autodissout en 2008, tandis que le Réseau d’étude, de formation et de lutte contre l’extrême droite et la xénophobie (REFLEXes) – qui a néanmoins conservé son site – et le réseau Section carrément anti-Le Pen (Scalp) ont disparu. Nombre de leurs membres se retrouvent dans Collectif antifasciste Paris banlieue, mais la dimension libertaire des précédentes associations a en grande partie disparu.

Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), émanation du PCF, créé en 1949, est également en recul, marginalisé par l’action de son ancien secrétaire général Mouloud Aounit, décédé en 2012, candidat aux élections législatives en Seine-Saint-Denis en 2007, qui avait pris des positions communautaires et à plusieurs reprises refusé de dénoncer clairement certaines formes d’antisémitisme.

Les questions postcoloniales ont fait émerger de nouvelles formes d’antiracisme radical, souvent contestées par les autres organisations antiracistes. Ce thème est apparu en 2001 lors du 40e anniversaire des événements parisiens du 17 octobre 1961, lorsque cette question est devenue un révélateur du conflit dans les banlieues. Il est devenu récurrent à partir du colloque organisé par le politiste d’extrême gauche Olivier Le Cour Grandmaison, coordinateur d’un ouvrage publié par l’éditeur communiste La Dispute qui laisse une grande place aux questions mémorielles, expliquant que la mémoire de la colonisation est à l’origine des crises19. Quatre ans plus tard, en 2005, l’association Les Indigènes de la République, créée et soutenue alors par nombre de militants d’extrême gauche, reprend cette analyse20. En 2010, l’association s’est transformée en Parti des indigènes de la République (PIR).

Sa principale animatrice, Houria Bouteldja, qui tient régulièrement des propos antisémites21 et qui se définit comme antisioniste et anti-impérialiste, accepte de manifester aux côtés du Hamas, puisqu’il est anti-impérialiste. Jusqu’en avril dernier, peu d’organisations de la gauche radicale avaient condamné ses propos et elle a même trouvé un éditeur pour publier un livre qu’elle a rédigé avec Sadri Khiari22. Cette utilisation systématique du passé colonial pour expliquer les crises de la société française a également abouti à la création, par les associations et militants de la gauche radicale, de la Semaine anticoloniale et antiraciste, et de l’association Sortir du colonialisme qui font l’apologie des luttes de libération nationale et dénoncent les propos racistes. Dans le même état d’esprit, l’une des dernières créations en date est l’association Les Indivisibles, fondée en 2005 par Rokhaya Diallo, une journaliste qui a notamment réalisé une interview complaisante de Dieudonné et d’Alain Soral dans un documentaire qu’elle a réalisé sur l’antiracisme et diffusé par La Chaîne parlementaire en 201223. Les Indivisibles décernent des prix symboliques, tel « Y’a bon Awards », dont le jury est composé de militants d’extrême gauche radicale, d’universitaires du même courant (Nacira Guénif-Souilamas, Christine Delphy, Éric Fassin, Alain Brossat…) ou de journalistes d’extrême gauche (Sébastien Fontenelle…), et d’autres membres n’appartenant pas à cette mouvance (Florence Aubenas, Frédéric Martel…) et qui entend dénoncer le «racisme» et l’« islamophobie » de certains hommes politiques ou journalistes.

Ce type d’association, à la limite de la défense du communautarisme, rejoint les différents collectifs contre l’islamophobie, reprenant le discours postcolonial en l’appliquant à la question de la laïcité et dénonçant une laïcité appliquée de manière univoque.

En novembre 2011, une partie des membres de ces associations et de ces militants antiracistes ont publié, conjointement avec plusieurs journalistes issus de la mouvance du Monde diplomatique, un texte refusant de condamner l’attaque au cocktail Molotov dont avait été victime Charlie Hebdo, dénonçant le journal comme islamophobe24. Trois ans après, en février 2015, en réaction aux attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, une grande partie de ces associations évoquées et des partis de la gauche radicale appellent d’abord à un meeting contre l’« islamophobie » et le climat de guerre sécuritaire25, pour les libertés publiques et la citoyenneté, au cours de laquelle se retrouvent organisations antiracistes et associations communautaristes.

Les autres associations

Il existe également un certain nombre d’associations qui se trouvent à la lisière du militantisme et du journalisme. Dévolues à l’analyse des médias ou occupent un positionnement journalistique, elles possèdent des relais importants via les équipes du Monde diplomatique ou de Mediapart, ainsi que grâce à plusieurs journaux associatifs de cette mouvance (CQFD, Fakir, Article11...) ou les sitesde« contre-informations » (Bakchich,Reporterre…). Elles s’appuient également sur de nombreux travaux d’universitaires qui utilisent leur statut pour donner leur opinion sur les médias, à l’image du linguiste américain Noam Chomsky ou des auteurs de la collection « Raison d’agir » fondée par le sociologue Pierre Bourdieu26. Elles reposent également sur un réseau cinématographique27 et sur une association, Acrimed (Action Critique Médias).

Ces journaux et associations mettent en cause les médias « officiels ». L’ensemble de cette critique, sans cependant s’apparenter aux « théories complotistes », procède en fonction de l’axiome de la suspicion et de la connivence selon lequel nombre de médias et de journaux sont contraints au silence par leur position dans l’espace institutionnel. Les journalistes, excepté bien sûr ceux de la minorité de la gauche radicale, fabriqueraient donc le consensus et formateraient l’opinion. Selon ces analyses, cela serait la raison qui explique la faible lisibilité médiatique de la gauche radicale et sa faible influence dans le pays.

7

Le mouvement syndical radical

Notes

28.

Il s’agit de la CNT (dite CNT-F ou CNT Vignoles), de la CNT-Association internationale des travailleurs (CNT-AIT) et de la CNT-Solidarité ouvrière (CNT-SO). C’est la première qui compte le plus d’adhérents.

+ -

La dernière composante de la gauche radicale est la gauche syndicale, qui s’appuie sur quatre principales centrales syndicales : la Confédération générale du travail (CGT), l’Union syndicale solidaire (qui englobe les fédérations SUD), la Fédération syndicale unitaire (FSU) et la Confédération nationale du travail (CNT).

La CGT sort d’une crise opposant deux visions du syndicalisme : les « réalistes », incarnés par l’ancien secrétaire général Bernard Thibault et qui sont minoritaires, aux « classistes », qui ont repris le contrôle de la direction de la centrale avec Thierry Lepaon puis son successeur Philippe Martinez, tous deux marqués par la culture du communisme syndical qui mélangeait défense des ouvriers et apologie du communisme. L’actuel secrétaire confédéral est issu d’une famille communiste, responsable syndical chez Renault lors de l’affaire des « Dix de Billancourt », en 1986 – bras de fer entre la régie, le gouvernement et la CGT pour la réintégration de militants licenciés pour séquestration – puis lors de la fermeture du site, et ancien dirigeant de la Fédération de la métallurgie. Cette « affaire des dix » et la fermeture du site de Billancourt symbolisent d’ailleurs le début du déclin de la CGT. Depuis les années 1980, la centrale a beaucoup perdu de sa force et ces dernières années ont été marquées par des reculs systématiques. À l’occasion des différentes élections professionnelles, elle marque un recul de 2 à 10 points selon les branches, surtout dans ses principaux bastions (SNCF, La Poste, EDF, hôpitaux, enseignement professionnel…). Si les résultats n’entament pas encore sa première place dans les organismes mentionnés, ils montrent une audience en net recul qui vient confirmer l’essoufflement du modèle. L’Union syndicale solidaire, dont la direction est proche des différentes composantes de la gauche radicale (hors PCF), est aussi en phase de reflux. Lors des dernières élections professionnelles, la plupart des fédérations syndicales SUD ont connu un recul, perdant 1 point en moyenne, ce qui est venu confirmer l’érosion de l’influence de la centrale.

Dans l’Éducation nationale, la chute de la FSU est encore plus spectaculaire. La centrale, majoritairement dirigée par des anciens proches du PCF, a perdu 5 points. Cette situation interroge la direction sur ses capacités d’adaptation aux transformations du système éducatif, mais les responsables de la FSU défendent jusqu’à présent le statu quo. Cette situation, qui a pour l’instant favorisé une gestion paritaire des carrières des personnels d’éducation, a permis de maintenir intact l’influence de la centrale en dépit de son déclin militant et d’audience.

Enfin, la CNT, tenante du syndicalisme révolutionnaire, est divisée en trois centrales portant le même nom28. Les trois CNT ne se présentent que rarement aux élections professionnelles et leur influence reste limitée à quelques syndicats locaux et à quelques entreprises où elles possèdent une réelle influence. Avec un nombre très restreint d’adhérents, elles se caractérisent aussi par leur capacité à générer des scissions, comme en témoigne début 2013 l’apparition de la troisième organisation se réclamant du sigle CNT, démultipliant ainsi les drapeaux noir et rouge dans les manifestations.

II Partie

Typologie des actions publiques (2012-2016)

1

Les manifestations contre l’austérité

La gauche radicale a très tôt cherché à mobiliser la rue contre le gouvernement socialiste. Dès septembre 2012, le FdG, associé au NPA et à LO, a organisé une première manifestation contre le Traité européen, où seulement quelques milliers de personnes ont alors battu le pavé parisien. S’y étaient adjoints une partie de la gauche syndicale et associative radicale (Union syndicale solidaire et Attac, notamment). Après cette première démonstration et à intervalles réguliers, la gauche radicale s’est retrouvée pour d’autres manifestations contre la politique gouvernementale socialiste.

Pour montrer sa puissance militante, dans la foulée du meeting de Jean-Luc Mélenchon à la Bastille le 18 mars 2012, lors de la campagne présidentielle, au cours duquel le FdG s’est lancé dans une véritable course aux chiffres, les manifestations dépendant pour lui de ce que l’on pourrait appeler le « théorème Jacques Duclos » qui, selon la formule de l’ancien secrétaire du PCF, s’énonce ainsi : « Il y a les chiffres arithmétiques et les chiffres politiques. » Ces manifestations possèdent des innovations mêlant revendications sociale, politique et institutionnelle mais, toujours, il s’agit pour les organisateurs de combattre l’austérité.

La manifestation suivante a eu lieu le 5 mai 2013. Elle préconisait un « coup de balai » dans les élites politiques et la mise en place de la VIe République. Le porte-parole du PG, par goût de la provocation médiatique, a sciemment utilisé cette expression de « coup de balai », sûr que la formule créerait la polémique parce que déjà été utilisée par les bolcheviks en 1918 puis par la SFIO entre les deux guerres. Derrière le jeu médiatique, il y a une volonté très nette d’élargir les sphères et les registres d’action du FdG. La manifestation fut annoncée comme un succès dépassant, sans réelle vérification, les chiffres de celle du 18 mars 2012. Les organisateurs ont parlé de 120.000 personnes, alors que la police assure en avoir compté 30.000. Au-delà de la polémique chiffrée, il s’agit d’un succès en demi-teinte puisque le FdG n’avait pas obtenu le soutien d’autres groupes politiques, même si la manifestation sortait du cadre traditionnel des organisations puisque des personnalités extérieures à ce cartel d’organisation y participent, comme le journaliste Edwy Plenel ou l’ancienne candidate écologiste Eva Joly.

Le FdG rebat une nouvelle fois le pavé le 1er décembre 2013. Il s’agit cette fois de manifester « pour la révolution fiscale » et « contre l’austérité », et de prendre symboliquement Bercy. Cette manifestation a été immortalisée par la fausse manifestation enregistrée par les caméras de TF1 mettant en scène un Jean-Luc Mélenchon entouré d’une foule que l’on croit importante, alors que seule une poignée de militants entourent l’ancien candidat à la présidentielle. Les organisateurs annoncent 100.000 personnes, mais la réalité et les observateurs penchent dans l’ensemble pour un chiffre compris entre 20.000 à 30.000 participants. Le 12 avril 2014, elle est suivie d’une nouvelle manifestation, initiée par le FdG et le NPA, auxquels se joignent plusieurs fédérations syndicales de la CGT et de SUD. Là encore, les chiffres oscillent entre 25.000 et 100.000. La différence notable avec la précédente manifestation est la présence d’un socialiste, ancien membre de l’organisation trotskiste OCI, Liêm Hoang-Ngoc. Enfin, la dernière manifestation contre l’austérité a eu lieu le 15 novembre 2014. Elle se veut plus large puisqu’elle répond à l’appel d’un collectif contre l’austérité, Alternative à l’austérité (Collectif 3A)29. Les organisateurs ont fait précéder la manifestation de différents appels, stratégie reprenant la tactique utilisée par le PCF dans les années 1970. On retrouve des intellectuels (majoritairement des sociologues proches des réseaux de Bourdieu), des politiques (FdG, PCF, PG, Ensemble !, EELV) et quelques socialistes écartés des instances directionnelles ou fondateurs d’une branche dissidente du PS. S’y adjoignent également le parti Nouvelle donne, les trotskistes du NPA et du POI, ainsi les marxistes libertaires d’Alternative libertaire. Enfin, y participent également des syndicalistes issus de la gauche syndicale radicale (Confédération paysanne, SUD, la FSU, CGT…), des associations (Droit au logement, Attac, Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, Acrimed, Fondation Copernic, Sortir du colonialisme…). Cette dernière manifestation en date allie la dénonciation de l’austérité et la solidarité internationale, notamment avec les Grecs. Environ 2.000 personnes ont rejoint le cortège. La victoire aux élections grecques du parti de la gauche radicale Syriza a donné l’impression à l’ensemble de force de la gauche radicale qu’il était possible d’inverser le rapport de force. Cependant l’échec relatif de Syriza et sa division ont amené la gauche radicale à se repositionner. Certains, très minoritaires, y compris dans le PCF, soutiennent encore Aléxis Tsípras, alors que la plupart dénoncent son renoncement et, dans certains cas, sa « trahison », appelant à créer les conditions d’un plan B européen s’appuyant sur les mutations de la gauche radicale européenne dont l’Espagne est devenu le nouveau fer de lance.

2

La gauche radicale et les attentats de 2015

Notes

30.

Cf. Julie Pagis, « Quand nos enfants tuent nos pères », Libération 16 janvier 2015.

+ -

31.

Cf. Alain Bertho, « Une islamisation de la révolte radicale », regards.fr, 11 mai 2015.

+ -

32.

Cf. Alain Badiou, « Penser les meurtres de masse », vidéo, la-bas.org, 27 novembre 2015.

+ -

33.

Sur ce sujet, je me permets de renvoyer à mon article : « La gauche radicale et les attentats de janvier 2015 », Histoire & Liberté, no 58, octobre 2015, p. 129-134.

+ -

Les attentats de janvier et de novembre 2015 sont venus illustrer des ruptures et des continuités. Les militants de la gauche radicale ont été saisis de stupeur lors de ces deux séries d’attentats, mais la gauche radicale est aujourd’hui polymorphe. S’il reste un fonds culturel commun, les analyses sont souvent divergentes.

Nombre de membres de l’équipe de Charlie Hebdo offraient des dessins aux différentes organisations de la gauche radicale. Et, le 7 janvier 2015 au soir, aussitôt après l’attentat contre le journal, la plupart d’entre elles appellent aussitôt aux divers rassemblements organisés dans les grandes villes et choisissent d’afficher leur solidarité avec les victimes. Mais ces organisations se désolidarisent des manifestations du 11 janvier, en raison de la présence des chefs d’État. Si certains de leurs membres s’y rendent individuellement, beaucoup dénoncent la récupération et, surtout, l’« union sacrée ».

Les réactions aux attentats du 13 novembre 2015 constituent une réplique à celles de janvier, en raison de la proclamation immédiate de l’état d’urgence et des frappes sur la Syrie et l’Irak. Là encore, la sidération et la stupeur sont immédiatement remplacées par la dénonciation des « causes politiques des attentats », par la condamnation du gouvernement et, dans bien des cas, par le renvoi dos à dos des terroristes et des gouvernements, à l’image de ce qu’expriment la CNT, LO ou le NPA. D’autres militants de la gauche radicale cherchent des causes sociales aux crimes perpétrés : par un procédé et une rhétorique d’inversion, la République devient en partie responsable des horreurs commises, les attentats devenant alors la conséquence de la discrimination dont seraient victimes les classes populaires30 et une nouvelle figure de la révolte31, voire une nouvelle figure du fascisme, visage ultime du capitalisme32. Enfin, le spectre de l’« islamophobie », nouvelle figure de la haine de classe est systématiquement agité.

Cependant, une partie de la gauche radicale, notamment les membres du FdG et plusieurs groupes anarchistes, est marquée par son anticléricalisme et son athéisme revendiqués, qui leur font dénoncer d’abord et avant tout le totalitarisme religieux et son fanatisme.
La réaction aux événements s’explique en grande partie par un réinvestissement du passé dans la lecture des phénomènes contemporains. Le premier facteur discriminant est le rapport à l’anticléricalisme. La majorité de la gauche radicale appliquant plus ou moins implicitement le souvenir diffus du 2e congrès des peuples d’Orient organisé par les bolcheviks à Bakou, du 1er au 8 septembre 1920. Les organisateurs du congrès dénonçaient pêle- mêle la colonisation, l’impérialisme, la répression bourgeoise, et prônaient l’extension du mouvement révolutionnaire dans les pays du tiers-monde. C’est à partir de ce congrès que s’est construit la double figure de l’immigré comme victime de la répression et celle du musulman comme prolétaire, la révolution pouvant dans certaines bouches devenir le djihad. Consciemment ou non, la matrice bolchevique est encore présente dans la majeure partie de la gauche radicale. Elle est accentuée par les générations qui lisent le passé uniquement au prisme des guerres coloniales et des enjeux migratoires. Enfin, le dernier souvenir ravivé et mobilisé par la gauche radicale lors de cette période est le refus de l’union sacrée, assimilée à l’unanimisme et à l’élan de la Première Guerre mondiale. Le passé détermine en grande partie les prises de positions idéologiques sur un phénomène nouveau et totalement inédit33.

3

Nuit debout, une spontanéité organisée

Notes

34.

Participaient notamment à cette réunion : Frédéric Lordon, Serge Halimi, Danielle Simonnet, pour le Parti de gauche ; Julien Salingue, militant du NPA mais qui intervenait au nom d’Acrimed ; ou encore Aurélie Trouvé, la présidente d’Attac.

+ -

Suite à la présentation de la première version du projet de loi El Khomri sur le travail et la réorganisation de l’emploi, le 16 février 2016, une contestation diverse et disparate s’organise très vite au sein de la gauche. Cette opposition n’émane pas uniquement d’éléments de la gauche radicale, mais aussi de responsables de la CFDT et de certains membres du PS. Après des négociations et le réaménagement du projet, seule une partie de la gauche poursuit la contestation.

Certains membres de la gauche radicale, notamment des militants regroupés autour du journal Fakir et de son journaliste vedette François Ruffin, se retrouvent à la Bourse du travail de Paris. Déjà, début 2015, une opération similaire avait été lancée mais les événements dramatiques du mois de janvier avaient empêché le projet d’aboutir, en dépit d’une réunion importante tenue le 12 janvier 2015 qui avait rassemblé quelque 300 personnes34. En 2016, Ruffin vient d’achever la promotion de son film Merci Patron !, qui dénonce le propriétaire du groupe LVMH, Bernard Arnault, selon un modèle analogue à celui qu’avaient utilisé le cinéaste américain Michael Moore, notamment dans Roger et Moi en 1989, et, plus récemment, Pierre Carles, dans Pas vu pas pris en 1998, ainsi que ses épigones Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, dans Les Nouveaux Chiens de garde en 2012, film qui s’attache à mettre en évidence le journalisme de connivence et les relations des journalistes avec le monde politique et patronal. Ruffin est soutenu par Fréderic Lordon et l’équipe du Monde diplomatique, avec par exemple un long article paru dans ce journal en février 2016. Une première réunion publique a lieu le 23 février 2016 dans laquelle germe l’idée de lancer un mouvement similaire à celui qui a pu naître en Espagne, à la Puerta del Sol en mai 2011, et qui a donné naissance à Podemos, ou à celui d’Occupy Wall Street, à New York, en septembre 2011.

Notes

35.

En outre, dans le comité de pilotage, on note la présence d’une responsable du Parti de gauche, de militants d’Attac et de SUD, de membre du comité de rédaction de Fakir ou encore de la troupe de théâtre d’agit-prop communisante la Compagnie Jolie Môme.

+ -

36 .

« Finkelkraut vient à #NuitDebout! On l’a téj #OKLM », tweet officiel du Mouvement de la jeunesse communiste de France, 16 avril 2016.

+ -

Suite aux premières manifestations, le mouvement commence à prendre forme et, lors de la manifestation du 31 mars, la place de la République, à Paris, est occupée pendant la soirée. Plusieurs militants, appartenant tous à la gauche radicale, pilotent le comité d’occupation qui donne naissance au mouvement Nuit debout35. Cette occupation aux allures festives, qui rappelle l’atmosphère qui règne dans les ZAD de Notre-Dame-des-Landes et de Sivens, et peut aussi faire penser aux journées de mai-juin 1968, reprend plusieurs caractéristiques des comportements et des modes de vie de la gauche radicale : prise de parole libre, commission de réflexion sur de multiples thèmes de société, etc. Plusieurs tendances opposées cohabitent et il existe une tolérance bienveillante entre chacun des participants, ces derniers ayant le sentiment d’appartenir à une même communauté, aux marges de la société. Comme lors des forums sociaux de 2005, ce sont surtout des jeunes diplômés, très qualifiés, travaillant principalement dans les domaines de l’éducation, de la communication, de l’art et du spectacle, qui forment les gros bataillons des présents. Il n’existe pas de mouvement réellement unifié. Certains se réclament de la non-violence intégrale, proche du modèle développé par Gandhi, tandis que d’autres conservent comme modèle le communisme dans sa version la plus stalinienne, comme en témoigne la présence des militants turcs arborant des portraits de Staline et de Mao. C’est dans cette atmosphère que des actions ont pu être entreprises par quelques manifestants contre des banques ou des enseignes de restauration rapide. Certains les considèrent comme légitimes, voire même y participent, tandis que d’autres les rejettent. Les débordements des 14 et 15 avril en témoignent. Ils ont représenté un rassemblement hétéroclite de militants de l’ultragauche cherchant par tous les moyens à en découdre avec les forces de l’ordre et à s’attaquer aux symboles de la société de consommation, dans la tradition du mouvement des autonomes des années 1970-1980, auxquels se sont joints des jeunes issus des quartiers populaires reprenant la violence contestatrice de 2005 et des émeutes des banlieues. De même, l’« incident Finkielkraut » du 16 avril a mis à jour les contradictions des occupants de la place : nombre d’occupants, qui s’inscrivent dans une tradition pacifique, voire non violente, se sont offusqués de l’incident, mais dans le même temps ont toléré que des militants d’autres franges de la gauche radicale se réclament explicitement de la violence révolutionnaire – l’expulsion de l’académicien de la place de la République ayant été revendiquée par les Jeunesses communistes36. Il en est de même avec l’ensemble des commissions où les débats sont souvent hybrides, marqués par des formes de violences lexicales et symboliques fortes, comme l’exclusion de certaines personnes, alors que la plupart des participants pensent au contraire que chacun doit pouvoir s’exprimer. Cette agora libertaire risque de se voir, comme par le passé, phagocytée par des minorités révolutionnaires maîtres dans l’art de la confiscation de la parole et du pouvoir.

4

Contestations sociétales

Notes

37.

Initié par Gandhi en Inde, ce pacifisme intégral a été repris en France par l’Italien Lanza del Vasto et les communautés de l’Arche, et sur un mode laïque par l’anarchiste Louis Lecoin dans la seconde partie de sa vie militante.

+ -

La gauche radicale est présente dans les mouvements sociaux. Cette présence s’est principalement cristallisée autour d’actions environnementales comme la ligne de TGV Lyon-Turin, la prospection d’hydrocarbure dans le Lubéron, Europa City à Garches-lès-Gonesse (Val-d’Oise), le Centre de vacances de la forêt de Chambaran (Isère) et deux « zones à défendre » (ZAD), l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) et le barrage de Sivens (Tarn). L’opposition aux deux projets est concomitante à leur naissance, à l’image des oppositions à l’extension du camp militaire du Larzac ou à la centrale nucléaire de Plogoff dans les années 1970. Les formes et les moyens de l’opposition varient.

Les occupations de Notre-Dame-des-Landes comme celles de Sivens répondent à des logiques d’ordres environnementales qui ne sont pas forcément liées à la sphère politique. Mais la gauche radicale peut dénoncer des projets et participer aux manifestations. Des collectifs locaux de riverains et d’habitants opposés à l’aéroport et aux barrages dénoncent l’absence de prise de décision démocratique et les menaces sur les équilibres écologiques locaux qui existent. Les zones de Notre-Dame-des-Landes et de Sivens possèdent en effet une faune et une flore protégées. Entre 2010 et 2014, plusieurs actions ont été entreprises. Dans le premier cas, outre les traditionnelles manifestations de protestation dans les rues de Nantes, les opposants aux projets ont choisi d’autres modalités d’action, comme les grèves de la faim – ce qui s’inscrit dans la tradition du pacifisme intégral37 –, l’occupation de la zone par la construction de cabanes dans la zone prévue pour l’aéroport et, pour certains, l’affrontement violent. Cette dernière logique a été recherchée par les opposants les plus radicaux, souvent issus de ce que l’on appelle les « Black Blocs », qui espèrent, en suivant une démarche sacrificielle et insurrectionnelle, faire échouer les projets sur un plan institutionnel. Dans le même temps, cette politique s’est doublée d’une réelle culture de la violence propre à certains zadistes qui souhaitaient par leur révolte mettre le « feu à la plaine ». Véritable squat à ciel ouvert, la préfecture a cherché par deux fois à expulser les zadistes, tentative qui a fait s’enclencher le cycle occupation/expulsion/dénonciation de la répression. À Notre-Dame-des-Landes, le moratoire puis le référendum local ont bloqué la quasi-totalité du projet et entériné le statu quo. L’histoire de cette ZAD a été relancée par les incidents tragiques de Sivens, après la mort de Rémi Fraisse, puis les manifestations et les affrontements des 25 et 26 octobre 2014. La stratégie utilisée par les zadistes de Sivens a été la même qu’à Notre-Dame-des-Landes : bloquer le projet de construction par des moyens extralégaux et, parallèlement, laisser les autres opposants recourir aux voies légales. Les violences qui ont suivi le décès de Rémi Fraisse sont la suite tragique mais logique de la spirale provocation/répression/dénonciation de la répression. Ce qui explique qu’à Paris, Nantes et à Toulouse, il y ait eu des affrontements violents le 1er novembre 2014. Ce même phénomène s’est reproduit, dans une moindre mesure, à Toulouse et à Nantes le 21 février 2015. La localisation des affrontements dans ces villes procède également d’implantations géographiques différenciées dans lesquelles une certaine mouvance libertaire, héritière des autonomistes des années 1970, est toujours prompte à l’affrontement.

5

Manifestations de solidarité internationale

Notes

38.

L’enquête la plus aboutie sur Gaza firm a été publiée sur le blog Failfaf.

+ -

39.

Sur ce militant de la LCR proche un temps du groupe Action directe puis des Italiens des Brigades rouges, voir « Entretien avec Alain Pojolat », mars 2004 et Laurent Bazin, « La vrai nature du camarade Pojolat », Le Nouvel Observateur, 7-13 août 2014.

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40.

Sylvain Bouloque, « Manif de soutien à Kobané contre Daesh : pourquoi la gauche radicale y participe », nouvelobs.com, 1er novembre 2014.

+ -

Sur le plan de la solidarité internationale, les manifestations de la gauche radicale ont été caractérisées par un soutien affirmé envers les Palestiniens, principalement à travers les campagnes de boycott des produits israéliens – qui sont souvent devenus un boycott des produits cacher – et la participation, voire l’organisation, à des manifestations de soutien aux Gazaouis. Le soutien de la majeure partie de la gauche radicale aux Palestiniens est très ancien et, pour certains, il remonte même à la création de l’État d’Israël. Depuis le début des années 2000, le soutien aux Palestiniens a été en partie investi par des groupes islamistes. Au gré des évolutions de la guerre israélo-palestinienne, les manifestations de rue ont pris une ampleur particulière. En avril 2002, des drapeaux israéliens ont ainsi été brûlés. À présent, ces manifestations sont régulièrement investies par des militants islamistes et d’autres proches du réseau Soral, comme les membres de Gaza Firm38 et de la K-Soce Team ou des sympathisants du Hamas, qui crient « Mort aux Juifs » comme lors des manifestations de novembre 2012 et, surtout, de l’été 2014. Après le début de l’opération « Bordure protectrice » et les premiers rassemblements pro-Palestiniens, le 19 juillet, le NPA et une partie de la gauche radicale – Ensemble !, SUD, Union juive française pour le progrès (proche du PCF) – participent à une manifestation interdite au métro Barbès. Après avoir chargé Alain Pojolat39 de déposer l’appel à manifester, les initiateurs ont maintenu leur appel malgré l’interdiction. Des débordements ont eu lieu, qui ont permis à la gauche radicale de dénoncer la politique répressive du gouvernement. Le lendemain, les autres groupes se sont rendus à d’autres rassemblements pacifiques.

Cette prise de position en faveur des Palestiniens est un phénomène quasiment unique de solidarité internationale. La gauche radicale affiche toute tendance confondue une solidarité sans faille avec les Gazaouis alors que, dans les autres cas, les soutiens sont variés, voire quasiment inexistants (pour les Tibétains, par exemple). Comme exception, on peut noter le soutien aux Unités de protection du peuple du Rojava (Yekîneyên Parastina Gel, YPG), milices kurdes qui défendent des positions politiques proches de la gauche radicale, même si une partie de cette gauche a été gênée par le soutien logistique et militaire que leur ont apporté les Américains40. Cependant, globalement, toutes ces manifestations de soutien sont des échecs. La capacité mobilisatrice de la gauche radicale trouve aujourd’hui surtout un débouché dans le monde de la culture, de l’édition et de l’université.

III Partie

La gauche radicale en revue et en livres

Les revues et les ouvrages donnent l’impression que la gauche radicale est beaucoup plus fournie qu’elle ne l’est en réalité. Cette impression est d’autant plus importante que la disproportion entre le nombre de personnes souscrivant au projet de la gauche radicale et le nombre d’universitaires se positionnant dans cette même gauche radicale est croissante. Les causes de ce phénomène sont nombreuses et relativement anciennes. Dans les années 1960-1970, le PCF et l’extrême gauche ont eu un poids important dans le monde universitaire, en particulier dans les lieux où la littérature militante est le plus visible, celui des sciences humaines. L’expression écrite passant par les journaux et les revues vient à la confluence de deux traditions: le besoin d’écrire pour les chercheurs et, en même temps, le schéma léniniste de la presse comme « organisateur de masse ». La volonté de conquête de l’hégémonie culturelle qu’Antonio Gramsci confère aux intellectuels est le troisième élément. Enfin, l’implosion du modèle de l’intellectuel de parti donne la possibilité aux militants universitaires de la gauche radicale de circuler entre les journaux, les revues, les sites Web et les livres. L’absence de centralité a donné lieu à présent à une démultiplication des titres, des ouvrages et des interventions. Les auteurs contribuent à plusieurs revues et les membres des comités de rédaction passent facilement de l’une à l’autre. En fonction des affinités, les revues changent d’éditeur. Les évolutions soulignent la porosité entre les espaces d’expression. Dans la plupart des cas, les ventes demeurent faibles et les éditeurs ne peuvent pas toujours supporter leur coup financier, même avec l’aide des organismes publics. La disparition d’un nombre important de revues et les appels à souscription d’éditeurs prêts à déposer le bilan ont tendance à souligner une rétraction de l’espace. Ainsi, dernièrement, des revues comme Commune, animée par les communistes orthodoxes, Les Temps nouveaux, pilotée par les trotskistes syndicalistes du NPA, ou La Revue des livres et des idées, animée par les militants sans carte de la gauche critique, ont cessé leur parution. Dans ces micromilieux où brouilles et incompatibilités sont fréquentes, il existe néanmoins une volonté, au-delà des conflits et des sensibilités, de créer un monopole intellectuel tout en s’affirmant minoritaire, la loi du nombre donnant l’impression de la force en marginalisant les autres.

1

Les communistes orthodoxes et rénovateurs

Notes

41.

Fidel Castro, L’Histoire m’acquittera, Le Temps des Cerises, 2013.

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42.

Trois numéros de cette revue ont ensuite été publiés par l’éditeur maoïste belge Aden.

+ -

43.

Qui a perdu son sous-titre « À la lueur du marxisme ».

+ -

44.

Les éditions Syllepse puis les Éditions du Croquant.

+ -

45.

Par exemple, Hadrien Buclin, Joseph Daher, Christakis Georgiou et Pierre Raboud (dir.), Penser l’émancipation. Offensives capitalistes et résistances internationales, 2013, ou Mathieu Grégoire, Les Intermittents du spectacle. Enjeux d’un siècle de luttes, 2013.

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46.

Sylvia Zappi et Philippe Marlière, Mouvements, n° 69, mars 2012, p. 7.

+ -

47.

Qu’ils soient membres du PCF (Marie-Christine Vergiat), de la gauche unitaire (Christian Picquet) ou du Parti de gauche (Éric Coquerel).

+ -

Les éditeurs et les revues marxistes issues de la mouvance du PCF, conduites par d’anciens communistes orthodoxes ou rénovateurs et refondateurs, sont encore nombreux. Nées en 2004, d’abord embryonnaires, les éditions Delga se sont lancées dans une véritable offensive éditoriale, publiant en l’espace de deux ans près de vingt-cinq livres, appartenant tous à la mouvance orthodoxe. Les derniers sont des ouvrages autour de la notion de totalitarisme écrits par des communistes italiens (Domenico Lusurdo) ou américains (Micheal Parenti), ou d’apologie de l’URSS comme ceux des communistes français (Jean Salem, Annie Lacroix-Riz) ou américains (Roger Keeran).

Le Temps des cerises – éditeur moins actif depuis les disparitions de l’ancien maire de Malakoff Léopold Figuères et d’Henri Alleg – perpétue également la tradition communiste orthodoxe, publiant parfois (conjointement avec les éditions Delga) les ouvrages d’Annie Lacroix-Riz, ou les ouvrages de dirigeants communistes internationaux comme Fidel Castro41. Témoignage de la perte de vitesse de cette frange de la gauche radicale, la disparition des revues qu’elle animait comme Commune ou les Annales de la Société des amis de Louis Aragon et d’Elsa Triolet42.

Les revues et éditeurs proches du PCF se sont désormais ouverts aux autres courants de la gauche radicale. La première revue à l’avoir faite est Actuel Marx, qui dirige également une collection d’ouvrage aux Presses universitaires de France. Son audience a baissé mais elle demeure l’un des lieux de confrontation de la gauche radicale communiste universitaire. Actuel Marx a notamment joué un rôle prépondérant dans l’ouverture du PCF au trotskisme.

Les autres revues hier contrôlées par le PCF le sont aujourd’hui soit par la Fondation Gabriel-Péri, soit par Espaces Marx. Ainsi, si La Pensée demeure la seule des revues directement publiée par la Fondation Gabriel-Péri, les Cahiers d’histoire, sous-titrée « Revue d’histoire critique », et Recherches internationales43 perpétuent la tradition culturelle du PCF. L’association Espaces Marx s’est diversifiée et publie les résultats de ses conférences chez différents éditeurs de la gauche radicale issus du trotskisme, du bourdivisme44. Il en est de même pour la maison d’édition La Dispute, fondée sur les restes des Éditions sociales, ancienne maison d’édition du PCF, qui s’est diversifiée et publie des auteurs venant de tout le spectre de la gauche radicale, privilégiant l’intervention philosophique et sociologique45. Une autre revue ayant joué un rôle de passeur entre les différentes franges de la gauche radicale est la revue Mouvements, publié aujourd’hui par les éditions La Découverte et héritière en 1998 de la revue M. Mensuel, Marxisme, Mouvement fondée en 1986 par Gilbert Wasserman, avec pour objectif de ne pas laisser seuls les partis politiques transformer la gauche. Elle se définit comme « un espace contre hégémonique pour une gauche exigeante et critique ». L’un de ses numéros, coordonné par l’ancienne militante de la LCR Sylvia Zappi, par ailleurs journaliste au Monde, et un ancien militant du NPA alors proche du FdG, Philippe Marlière, voit ainsi « dans le Front de gauche une bouffée d’espoir46 ». L’évolution de cette revue permet de voir la porosité actuelle entre anciens trotskistes et communistes.

Le journal Regards s’inscrit encore plus directement dans la lignée communiste, reprenant son titre à la revue créée par Henri Barbusse au début des années 1930 et portée financièrement par l’Internationale communiste. Son équilibre financier est plus que précaire. Republié à la demande de la direction du PCF et codirigé par le communiste refondateur Roger Martelli et Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble !, l’un des courants du FdG, le journal faisait principalement appel à des universitaires appartenant à la mouvance de la gauche radicale, tels Éric Fassin ou Michel Husson, mais depuis le changement de périodicité (mensuel à l’origine, le journal est devenu un trimestriel), l’équipe s’est resserrée autour du noyau Martelli- Autain, complété par l’universitaire économiste Bernard Marx. La revue a soutenu directement Jean-Luc Mélenchon en 2012 tout en se faisant l’écho des initiatives des autres courants. Elle est aujourd’hui l’un des organes officieux du courant Ensemble ! du FdG.

Enfin, jusqu’au décès de l’éditeur Bruno Leprince, la plupart des textes du FdG ont été publiés par la maison d’édition qui porte son nom, dans la collection « Politique à gauche ». Les successeurs semblent suivre la même ligne et continuent à publier des livres d’une centaine de pages à petit format et d’un prix accessible. Dans le même temps, un autre éditeur, Arcane 17, publie également plusieurs titres de membres du Front de gauche47.

2

Les revues et éditeurs issus du trotskisme

Notes

48.

Dans la collection « Mille marxismes », Syllepse a ainsi publié le marxiste orthodoxe Georges Labica, les trotskistes Michael Löwy, Antoine Artous et Isabelle Garo ou encore l’ancien maoïste André Tosel ou le stalinien Dominique Lusurdo.

+ -

49.

Cf. Patrick Brody et Jean-Claude Branchereau (dir.), 21e siècle. Syndicalisme : cinq défis à relever. Unissons- nous !, 2015

+ -

50.

Cf. Berbard Calabuig, Un itinéraire communiste. Du PCF à l’altercommunisme, 2014 ; Roger Bourderon, Le PCF à l’épreuve de la guerre, 1940-1943. De la guerre impérialiste à la lutte armée, 2012 ; Robert Mencherini, Une histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches du Rhône de 1930 à 1950, 4 vol., 2004-2014.

+ -

Outre d’innombrables journaux militants – L’Anticapitaliste pour le NPA, Lutte ouvrière et Lutte de classes pour LO, Informations ouvrières, La Vérité, Les Cahiers du CERMTRI pour le POI lambertiste… –, les trotskistes proches du NPA possèdent encore la revue théorique Contretemps, fondée en 2001 par Daniel Bensaïd, après la disparition de Critique communiste, l’organe théorique de la LCR. Elle regroupe le noyau historique des intellectuels proches de la LCR et a été publiée par les éditions Textuel, avant d’être reprise à partir de 2009 par les éditions Syllepse, fondées par des proches de la LCR. Par la richesse de ses réseaux, Daniel Bensaïd favorise la participation d’autres intellectuels issus de la gauche radicale. Signe de la crise de l’édition et des revues théoriques de la gauche radicale, la revue accueille aussi depuis 2012, une fois par an, un numéro des Cahiers de l’OMOS (Observatoire des mouvements de la société, proche du PCF) et des Cahiers de l’émancipation, une autre revue proche du NPA, également publiés par les éditions Syllepse. Ces éditions publient pour l’essentiel des textes de réflexion sur le marxisme, écrits par des militants issus du NPA ou du PCF48. L’éditeur propose également des textes de réflexions militantes sur le syndicalisme49 ou sur l’histoire politique et sociale50. Enfin, une grande partie des textes sont issus de la mouvance syndicale de la gauche radicale syndicale, comme l’institut de recherche de la FSU, le Syndical national unifié des impôts, Solidaires Finances publiques, ou de la gauche radicale associative, tels ceux publiés par la Fondation Copernic, Acrimed, Attac, etc. Enfin, la revue Dissidences se propose d’écrire l’histoire de la gauche radicale selon ses propres critères, rédigeant une histoire partisane sous des dehors scientifiques, tandis que Lutte ouvrière a créé en 2004 sa propre maison d’édition, Les Bons Caractères.

3

Les écolos radicaux

Notes

51.

Publiée par la maison d’édition catholique Golias.

+ -

52.

Voir « Les chroniques de Corinne Morel Darleux », reporterre.net.

+ -

53.

Michael Hardt et Antonio Negri, Déclaration. Ceci n’est pas un manifeste, Raisons d’agir, 2013.

+ -

La galaxie écologiste comporte plusieurs revues, dont certaines appartiennent à l’écologie radicale, comme Ecorev, qui se définit comme antiproductiviste et propose de construire l’utopie du XXIe siècle. Entre les écologistes et le reste de la gauche radicale, les points de passage se font souvent par le monde des revues. Ainsi Arno Münster, membre du comité de rédaction d’Ecorev, a rejoint un temps le PG, tandis que Paul Ariès, fondateur du journal La Décroissance, a lui rejoint pendant un moment Jean-Luc Mélenchon tout en participant à la revue décroissante Entropia. Depuis, Paul Ariès a fondé une nouvelle revue, Les Z’indigné(e)s51 qui, lors de ses rencontres, invite nombre de membres de la gauche radicale. Les autres revues écologistes comme Silence, Terra Eco ou Cosmopolitiques, issues de la scène alternative de la gauche radicale, proposent des programmes de changement de société et échangent avec les autres revues et groupes politiques sans pour autant en partager toutes leurs analyses et les perspectives. Le site du journal en ligne Reporterre, dirigé par Hervé Kempf, ancien journaliste au Monde, ou le site Bastamag s’inscrivent dans cette mouvance politique permettant le passage d’un groupe alternatif à l’autre, comme le montrent les articles publiés par la secrétaire du PG responsable de l’écologie Corinne Morel Darleux52.

De même, certaines revues, issues de l’autonomie des années 1970 et proches des groupes prônant la lutte armée, sont aujourd’hui à la marge de l’écologie et du radicalisme, à l’image de la revue Multitudes animée par Yann Moulier-Boutang qui favorise la circulation des idées et des articles. La revue propose, selon les thèses du philosophe italien Negri, théoricien de la lutte armée dans les années 1970, que la figure du prolétariat soit remplacée par les masses (la multitude). Negri publie aussi dans une maison d’édition issue d’une collection créée par Pierre Bourdieu, Raisons d’agir53.

4

Les familles des éditeurs et revues libertaires

Outre les journaux militants relevant directement d’organisations comme Le Monde libertaire ou Alternative libertaire, les maisons d’éditions libertaires se sont multipliées. Les unes s’inscrivent dans un anarchisme classique, comme les Éditions libertaires, les Éditions du Monde libertaire, Noir et Rouge, Nada, l’Atelier de création libertaire, Tops, et d’autres dans une mouvance proche de l’autonomie, comme L’Échappée, Le Chien rouge, L’Insomniaque, Libertaria. On peut aussi citer des journaux comme Article 11, Zélium, CQFD ou Fakir. Mais, là encore, les frontières entre toutes ces revues et ces maisons sont floues, alors qu’elles étaient infranchissables il y a encore quelques années.

5

La gauche radicale en fusion

Notes

55.

Cf. Benoît Schneckenburger, Intelligence du matérialisme (préfacé par Jean-Luc Mélenchon), Les Éditions de l’Épervier, 2014 ; Franck Henry Timmour, Le Livre noir des religions, Les Éditions de l’Épervier, 2014 ; Stéphane Lavignotte, Les religions sont-elles réactionnaires ?, Textuel, 2014 ; Pierre Tévanian, La Haine de la religion. Comment l’athéisme est devenu l’opium du peuple de gauche, La Découverte, 2013.

+ -

56.

Cf. Sophie Wanich, La Liberté ou la Mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme, La Fabrique, 2003 ; Éric Hazan, Une Histoire de la Révolution française, La Fabrique, 2012 ; Honsheng Jiang (préfacé par Alain Badiou), La Commune de Shanghai et la Commune de Paris, La Fabrique, 2014.

+ -

57.

Cf. Omar Barghouti, Boycott, Désinvestissement, Sanctions. BDS contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine, La Fabrique, 2010.

+ -

Le Monde diplomatique, qui auparavant s’inscrivait dans la mouvance tiers- mondiste marxiste, a ouvert ses colonnes à toutes les formes de contestation du système. Nombre d’éditeurs et de revues font de même, formant ainsi une nébuleuse aux contours flous mais néanmoins très active sur le plan éditorial.

Les exemples les plus aboutis de cette porosité sont les itinéraires de Philippe Marlière et de l’universitaire Philippe Corcuff, tous deux passés par presque tous les groupes de la gauche radicale, en ayant commencé par le PS. Le premier, après avoir milité à la gauche socialiste, quitte le PS pour le NPA en 2009 pour soutenir ensuite le FdG avant de rejoindre le courant Ensemble ! en 2014, tout en fondant le club des Socialistes affligés, avec le socialiste ancien lambertiste Liêm Hoang-Ngoc. Philippe Corcuff, lui, a commencé son itinéraire militant dans les rangs du PS avant de rejoindre les chevènementistes, puis de passer par les Verts, le NPA et de rejoindre les groupes libertaires. Tous deux continuent à publier dans différentes revues de la gauche radicale sans rencontrer la moindre censure ou presque. Ainsi Corcuff peut être invité par l’association Espaces Marx pour parler de sujets comme l’utopie54. Sur certains sujets, les débats peuvent être particulièrement virulents entre les différentes tendances de la gauche radicale. Ainsi, concernant la religion, certains considèrent qu’elle peut être « progressiste » alors que d’autres la jugent définitivement rétrograde55.

De même, les éditions La Fabrique ou les éditions Lignes rassemblent l’ensemble des auteurs de la gauche radicale. Elles comptent à leur catalogue des universitaires trotskistes comme Daniel Bensaïd ou Enzo Traverso, ou des universitaires maoïstes comme Alain Badiou. Une partie des publications que l’on doit à ces universitaires engagés se situe dans l’apologie de la terreur pendant les révolutions française et chinoise56. Une autre partie concerne le domaine du post colonialisme et la dénonciation systématique de l’État hébreu57.

Les Éditions Amsterdam, qui ont un temps été un carrefour des gauches radicales intellectuelles, sont en déclin. Elles ont abandonné la publication de toutes leurs revues, y compris leur revue phare, La Revue des livres. Les animateurs traduisent et importent les publications de la gauche radicale anglophone. Les revues et les maisons d’édition éponymes Agone et Lignes viennent des cercles de la gauche littéraire et oscillent entre plusieurs thèmes d’analyse : les problèmes internationaux, avec les auteurs du Monde diplomatique ; la sociologie bourdieusienne ; l’exaltation des conflits sociaux ; les nouvelles questions culturelles et sociales. De même, les revues de type universitaire, comme Chimères, Tumultes, L’Homme et la Société, ou d’intervention militante à vocation universitaire, comme Vacarme, sont à la croisée des chemins entre différentes sciences humaines. Elles se placent dans la gauche radicale culturelle sans pour autant se rapprocher collectivement de tel ou tel candidat ou courant. Il en est de même pour certaines maisons d’édition, comme La Ville brûle ou Le Passager clandestin, qui sont à la lisière des différentes traditions.

6

La gauche radicale de la « chaire »

Le réseau le plus développé est celui des bourdieusiens, qui se sont divisés après la mort du maître en plusieurs chapelles. Très actif dans le monde de la recherche universitaire, ce réseau l’est également dans le monde de l’édition militante, les militants chercheurs passant instantanément d’un statut à l’autre, tout en se prévalent d’un discours scientifique. Ses membres sont particulièrement actifs dans le monde des revues, structuré autour de la revue Actes de la recherche en sciences sociales, fondée en 1975 par Pierre Bourdieu, et de son centre de recherche, le Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne. Ses héritiers ont d’abord essaimé dans plusieurs laboratoires de recherches, comme le Centre de sociologies urbaines ou le département de sciences politiques de l’université Paris-I. Certains d’entre eux ont créé une revue d’intervention militante, Savoir/Agir, publiée depuis 2010 et pilotée par Gérard Mauger, l’un des plus éminents représentants de cette sociologie. L’éditeur, les Éditions du Croquant, publie également plusieurs travaux des sociologues et historiens se réclamant de cette école dans lesquels se mêlent souvent enquêtes scientifiques et aspirations militantes.

Un véritable mélange des genres s’opère, comme en témoigne l’appel « Travailler à disséminer des instruments de défense contre les mécanismes du pouvoir et de la domination », diffusé et signé par un collectif de 280 membres principalement par des universitaires historiens ou sociologues58. Le nombre de revues et la multiplication des maisons d’édition viennent souligner une propension à tenter de monopoliser les débats, et leur accumulation prouve leur capacité d’intervention dans l’espace intellectuel.

7

La gauche radicale médiatique

Les éditeurs militants possèdent plusieurs lieux d’échanges et de discussions. Si les sites Belleciao.org, Paris-Luttes.info et Indymedia.org demeurent toujours fréquentés pour les appels à manifester ou l’information militante qu’ils véhiculent, ils ont été supplantés par le blog de Mediapart qui héberge tout ce que la gauche radicale peut contenir comme nuances.

8

La confusion des genres

Notes

59.

Comité de parrainage du séminaire « Marx au XXIe siècle », jeansalem.fr.

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60.

Emmanuel Barot, Sebastian Budgen, Vincent Charbonnier, Alexis Cukier, Jean-Numa Ducange, Isabelle Garo, Razmig Keucheyan…

+ -

61.

Il est l’auteur d’une tribune libre intitulée «Kampuchéa vaincra !», parue dans Le Monde le 17 janvier 1979. Il n’a jamais abandonnée l’apologie de la violence révolutionnaire.

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62.

Alain Badiou, Étienne Balibar et al., Le Symptôma grec, Lignes, 2014, dans le cadre le Programme de l’investissement d’avenir (ANR-10-LABX-80-01).

+ -

63.

Éric Brun, Les Situationnistes. Une avant-garde totale, CNRS Éditions, 2015.

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64.

Laurent Kestel, La Conversion politique. Doriot le PPF et la question du fascisme français, Raisons d’agir, 2012.

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65.

Stéphane Beaud, avec Philippe Guimard, Affreux, riches et méchants ? Un autre regard sur les Bleus, La Découverte, 2014.

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Parallèlement, nombre de séminaires universitaires sont devenus des lieux de rencontre par excellence des intellectuels militants. Quelques exemples sont particulièrement révélateurs : le séminaire « Marx au XXIe siècle », animé à présent par le seul Jean Salem, parrainé par un groupe de 175 universitaires59, ou, depuis cette année universitaire, « Marxismes du XXIe siècle », séminaire animé par des universitaires d’extrême gauche60.

Dans le même esprit, Alain Badiou, dernière figure du maoïsme pro-Khmers rouges61, tient un séminaire où concepts politiques et philosophiques fusionnent dans les locaux de l’École normale supérieure, à l’image du colloque publié il y a peu, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), étudiant par exemple « la solidarité avec le peuple grec62 ».

Un autre trait commun est la quasi-écriture automatique des ouvrages des disciples de Bourdieu : les mêmes analyses se retrouvent dans tous les ouvrages, qu’ils soient consacrés aux situationnistes63, aux proches de Doriot64 ou aux footballeurs65. Elles valorisent exclusivement la mise en avant des processus sociaux et des structures sociales censées avoir fabriqué le destin de ces hommes et leur recherche de légitimité dans l’espace public. Le phénomène de la gauche radicale est minoritaire, mais par un effet démultiplicateur elle donne l’impression d’être omniprésente dans le monde de la recherche en sciences humaines. Elle finit par diffuser une prose aux contours flous mais qui se retrouve dans de nombreuses études et dans les échos médiatiques qu’elles peuvent recevoir au sein du débat public

Tous les indicateurs semblent au rouge pour la gauche radicale, quelle que soit la forme sous laquelle elle s’exprime. Elle s’est en effet effondrée sur le plan électoral – les élections depuis 2007 ne font que confirmer ce déclin et, lors des élections présidentielles de 2012, en dépit d’une campagne tonitruante, elle a réalisé son plus mauvais score. De même, sur le plan social, ses apparitions sont de plus en plus limitées, la contestation ne recueillant plus guère de soutien, hormis quelques secteurs d’intervention traditionnels qui arrivent encore à mobiliser. Sa presse et le nombre de ses militants sont également en baisse constante. Reste les milieux culturels et intellectuels qui constituent, en quelque sorte, les dernières buttes témoins, comme si la production culturelle demeurait la première et la dernière conquête, point de départ de toutes les guerres, au sens gramscien du terme, pour se relancer à la conquête d’un monde perdu.

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