Résumé
I.

Les racines historiques de la droite bulgare

II.

La droite bulgare après le communisme

1.

La fondation de l’Union des forces démocratiques (UFD)

2.

La première scission : l’UFD devient un parti de centre-droit

3.

La coalition se transforme en parti unifié

III.

Les trois droites : démocratique, populiste et extrémiste

1.

Les « Bleus» : une droite authentique

2.

La droite populiste

3.

L’extrême-droite

Conclusion

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Résumé

La naissance de la droite bulgare date de l’Empire ottoman. A l’époque, la classe politique nationale se divise entre la droite des «Anciens», qui prônent une progression pacifique vers l’indépendance, et la gauche des «Jeunes», plus radicaux dans leur combat. Après l’indépendance en  1878, la droite conservatrice est rejointe par les libéraux dans son opposition aux partis socialistes et agrariens de gauche. La prise du pouvoir par les communistes en 1947 bouleverse profondément ce schéma.

La droite bulgare actuelle trouve son origine dans la lutte contre le régime communiste qui domine le pays pendant plus de 40 décennies. En 1989, lorsque ce régime s’effondre, les dissidents et les membres des partis interdits par les autorités sortent de l’illégalité et se regroupent au sein de l’Union des forces démocratiques (UFD). Cette coalition composite s’oppose au gouvernement du Parti Socialiste Bulgare (PSB), héritier des communistes. Ils sont rassemblés par leur volonté d’instaurer une véritable démocratie libérale et une économie de marché en Bulgarie.

Héritière de l’anticommunisme, l’UFD est aujourd’hui un parti de droite parmi d’autres. La droite bulgare se divise en effet entre le centredroit, la droite populiste et l’extrême-droite. Le centre-droit est constitué de l’UFD et des Démocrates pour une Bulgarie Forte (DBF). Les organisations populistes dominent la droite depuis une décennie. Elles sont structurées autour d’un chef charismatique. Ainsi, le mouvement national Simeon II (MNSD), conduit par le dernier roi de Bulgarie, obtient près de 43% des voix en 2001 et conduit la politique du pays pendant 4 ans. A partir de 2005, la droite populiste devient la première force d’opposition. Elle s’organise au sein du mouvement des Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB). En 2009, le GERB recueille la majorité des voix aux législatives et son leader Boïko Borissov devient Premier ministre. A l’extrême-droite, le mouvement xénophobe Ataka, conduit par l’ancien animateur de télévision Volen Siderov, ne dépasse pas 10% des suffrages. Le Mouvement des droits et des libertés (MDL), qui défend les intérêts de la minorité turque, joue quant à lui un rôle charnière, accordant son soutien tantôt à la droite, tantôt à la gauche.

Antony Todorov,

Professeur de sciences politiques à la Nouvelle Université Bulgare de Sofia.

Comment analyser la droite dans le paysage politique d’un pays post- communiste ? Il y a d’abord des difficultés de définition : la droite d’aujourd’hui, vingt ans après la chute du mur de Berlin et des régimes communistes, est issue d’une opposition anticommuniste assez hétérogène, qui a réuni des courants politiques de natures différentes, d’origines diverses et ayant des visions souvent opposées sur l’avenir du pays. En finir avec le communisme de type soviétique a été un programme unificateur, mais qui ne peut plus avoir de sens, vingt ans plus tard, alors que la Bulgarie est devenue membre de l’Union européenne et de l’OTAN.

Aujourd’hui, plusieurs partis politiques se réclament de la droite. Dans un pays postcommuniste comme la Bulgarie, affirmer son appartenance   à la droite apparaît plus prestigieux et moins suspect que de se déclarer de gauche. Ces partis ont une histoire récente, même si certains d’entre eux se posent comme les successeurs des anciens partis de la droite historique d’avant le régime communiste. En effet, tant au niveau des élites que des organisations et des idéologies, une continuité entre le monde politique d’avant la Seconde Guerre mondiale et le présent semble une abstraction et un pur produit de l’imagination politique.

Pourtant, vingt années de développement politique ne restent pas sans effets sur la réalité : aujourd’hui, il existe une droite postcommuniste en Bulgarie, qui s’apparente à la droite de la plupart des pays d’Europe et   qui semble implantée dans la société bulgare contemporaine. Justement parce que la droite bulgare actuelle est le résultat de la transition post-communiste, fortement influencée par les effets de l’adhésion à l’Union Européenne, on peut distinguer en Bulgarie non pas une droite, mais au moins trois courants distincts : une droite libérale, une droite populiste   et une droite radicale ou nationaliste.

Autre question de méthode : comment définir la droite ? Les notions   de droite, de gauche et de  centre, qu’on  utilise  souvent  dans  un  effort de distinction et de classification des projets, des idéologies et des partis politiques, sont une émanation de la Révolution française, mais leur contenu a beaucoup changé selon les époques. Elles ont une signification qui diffère aussi d’un pays européen à l’autre : la droite en Bulgarie et      en Roumanie n’est pas la même que la droite en France ou au Royaume-Uni. Il en va de même pour la gauche.

Ainsi est-il impossible d’associer la gauche et la droite aux courants idéologiques d’une manière quasi permanente. Sur le plan culturel, la droite conservatrice peut s’opposer à la gauche libérale et socialiste, de même que sur le plan économique, la gauche socialiste peut s’opposer à la droite libérale.

I Partie

Les racines historiques de la droite bulgare

Notes

1.

LIPSET -M., ROKKAN ST. (1967). Party Systems and Voter’s Alignement: Crossnational Perspectives. N.-Y. Freepress..

+ -

2.

BOIS, (1960). Paysans de l’Ouest. Paris, Flammarion.

+ -

3.

DOYNO , STOYANOV I. (2002). La restauration de l’Etat bulgare, 1762-1878. Idées, Presses de l’Université de l’Université libre de Varna.

+ -

4.

MILIUKOV (2009). La Constitution bulgare, Presses universitaires de Sofia, fac-similé de l’original de 1905.

+ -

5.

TODOROV (2010). Citoyens, élections et partis. La Bulgarie de 1879 à 2009, Est-Ouest.

+ -

6.

Un terme officiel de l’époque.

+ -

L’Histoire de la droite en Bulgarie est liée au long processus de modernisation et de développement politique consécutif à l’indépendance (1878). Pour comprendre la nature de cette droite, il est possible de se référer  à la théorie des clivages sociaux de Seymour Martin Lipset et de Stein Rokkan1. Les clivages sociaux, ces conflits structurels qui surgissent avec la modernisation des sociétés européennes, forment et modifient à long terme les structures politiques et les familles partisanes.

L’apparition et la structuration du public et du privé, la sécularisation, l’urbanisation  et  l’industrialisation  sont  autant  d’éléments  essentiels  de l’émergence des sociétés  modernes  occidentales. La  Bulgarie  n’échappe pas  à  ces  processus,  qui se généralisent en Europe  orientale à partir du dernier tiers du xixe siècle. Mais il  faut  noter  au  moins  quelques particularités, qui  nous permettront  de  mieux  comprendre  la  modernisation d’un pays comme la Bulgarie. Tout d’abord, le rôle particulier de l’Eglise  orthodoxe, qui  reste  toujours  attachée  au  principe  de l’émancipation  ethnique  des  Bulgares,  lesquels,  au  début  de  l’époque  moderne, font  partie  de  l’Empire ottoman. Deuxièmement, il  faut  noter  le  retard d’urbanisation,  les  villes  bulgares  restant,  jusqu’à  la  fin du xixe siècle, majoritairement  turques. Enfin, l’industrialisation  et  l’apparition  d’une société  moderne  industrielle  dans  le  pays  se  fait  exclusivement  après  la Seconde  Guerre mondiale et dans les conditions  de  la  modernisation communiste, au cours des années 1950-1960.

Ces conditions particulières de la modernisation en Bulgarie délimitent les profils possibles de la droite historique : l’absence d’une aristocratie foncière classique, une Eglise orthodoxe nationale peu puissante, une société majoritairement composée d’une paysannerie moyenne et pauvre, des couches urbaines limitées. Autant de conditions favorables à l’apparition d’une droite populiste et clientéliste et à la faible présence d’une droite élitiste urbaine.

La  Bulgarie  n’échappe  pas  au  jeu  des  clivages,  tels  que  définis  par Lipset et Rokkan, mais s’ajoute à cela un autre facteur de différenciation du  champ  politique,  lié  aux  effets  de  ce  qu’on  appelle  «le  traumatisme  historique».2   L’émancipation  nationale,  comme  projet  initial  de la  communauté  bulgare  depuis  la  fin  du  xviiie   siècle, devient  un  thème structurant du paysage politique, à cause des événements dramatiques qui traumatisent  la  conscience  nationale  et  marquent  fortement  les  esprits. Les drames historiques de cet ordre se succèdent en effet dans l’histoire de la société bulgare depuis 1876, lors de l’échec de la révolution nationale  :  les  guerres  de  1912-1918, les  guerres  civiles  de  1923-1925  et  de 1941-1944,  le  communisme  stalinien  entre  1948  et 1956  mais  aussi  la bulgarisation  de  la  minorité  turque  en  1984-1985, et  enfin  la  chute  du communisme de 1989-1990.

L’émancipation nationale des Serbes, des Roumains et des Grecs, peuples chrétiens voisins des Bulgares, au début du xixe  siècle avec le soutien direct des puissances européennes accélère l’adoption par les élites intellectuelles  bulgares  de  l’idée  de  l’indépendance  nationale  comme  pivot de  leur  programme  politique. Mais  si  la  stratégie  identitaire  visant  à  la création  d’un  sentiment  national  ne  suscite  pas  de  différends  dans  la classe politique bulgare naissante, les voies de l’indépendance nationale deviennent un sujet de clivage important et de longue durée.

Les dénominations de «Jeunes» et «Anciens»  apparaissent  au  sein de l’émigration politique bulgare en Roumanie dans les années 1860- 1870. Elles sont employées pour distinguer deux groupes d’opposants à l’Empire ottoman : les Anciens sont des hommes d’affaires raisonnables, qui  souhaitent  l’indépendance  de  la  Bulgarie, mais  restent  réticents  à  en payer le prix. Ils préfèrent impliquer les grandes puissances européennes dans la solution de la question bulgare et parvenir à l’indépendance graduellement et sans conflits majeurs. Les Jeunes sont des révolutionnaires, influencés par des idées radicales et socialisantes de la fin du xixe  siècle. Ils veulent éclairer le peuple afin qu’il se soulève contre le tyran.3

Cette différence initiale entre Jeunes et Anciens reflète deux visions de la société et de la politique radicalement opposées. On assiste au développement d’un clivage structurant, à partir d’une différence de tactique politique, dans les circonstances du traumatisme historique des insurrections des années 1870 contre la domination ottomane. Ce clivage a des conséquences importantes : il devient le facteur décisif de structuration du paysage politique en Bulgarie. Les deux positions opposées se transmettent au fil des générations politiques et sont assumés successivement par différents partis. Les Anciens sont orientés vers le statu quo social, les hiérarchies naturelles et la valorisation des élites. Les Jeunes y sont opposés et cherchent toujours à éclairer le peuple, à l’impliquer dans la politique. Sitôt l’indépendance acquise en 1878, on voit apparaître dans  l’Assemblée constituante deux courants politiques : les conservateurs et les libéraux. Ces étiquettes européennes correspondent respectivement aux Anciens et aux Jeunes. Mais comme le note un historien russe de l’époque, Piotr Milioukov, «les libéraux étaient tout le peuple»4, alors que les conservateurs ne représentent qu’une petite élite de riches commerçants et d’intellectuels, pour lesquels le peuple n’est guère apte à conduire seul sa destinée. Le débat structurant l’espace politique porte alors sur la Constitution et la démocratie. Mais il n’est que la suite logique du débat précédent au sein de l’élite nationale entre les Anciens et les Jeunes. Dans cette configuration, les Anciens jouent le rôle de pionniers de la droite historique en Bulgarie.

Après 1894, on voit apparaître toute une palette de partis politiques modernes issus de la mouvance libérale. Ce processus avait déjà commencé en 1887 avec la première scission du Parti libéral entre les «modérés» et les «nationaux». Le point de discorde est de nouveau d’ordre international. Il concerne la politique des grandes puissances au sujet de l’unification entre la principauté de Bulgarie et la Roumélie orientale en 1885-1886. L’opposition de la Russie à cet acte provoque un vif débat parmi les libéraux. Leur leader politique, Stephan Stambolov, entreprend l’organisation d’un nouveau mouvement politique, «La Bulgarie pour elle-même». Celui-ci donne lieu à la création d’un nouveau parti politique, les nationaux-libéraux, qui deviennent de plus en plus russophobes. Les opposants libéraux à la dictature, de leur côté, fortement impliqués dans le coup d’État en Roumélie orientale de 1885, préfèrent s’unir avec les conservateurs russophiles et sont à l’origine du Parti populaire, créé en 1894.

En dépit de l’apparition de plusieurs étiquettes politiques du fait de     la scission des libéraux (Parti démocrate, Parti libéral, Parti progressiste-libéral, Parti populaire, Parti national-libéral, Parti radical-démocrate), deux familles politiques demeurent : la famille conservatrice et la famille libérale. Toutes deux assument le rôle des Anciens (élitisme), tout en gardant des orientations politiques différentes en matière de politique étrangère. Les libéraux ayant formé, après leur expérience gouvernementale, leur propre élite politique et s’éloignant de leurs origines révolutionnaires et populaires, « vieillissent » et deviennent les défenseurs des hiérarchies sociales traditionnelles, tout en restant très sensibles aux «idéaux nationaux».

D’autre part, le rôle des Jeunes est assumé petit à petit par deux nouvelles  forces  politiques  apparues  à  la  fin  du  xixe   siècle  :  les  socialistes (1891)  et  les  agrariens  (1899)5.  Ceux-là  reprennent  vite  à  leur  compte l’héritage des Jeunes et leur affinité manifeste pour l’implication du peuple  en  politique.  Ils  sont  républicains  et  affirment  un  rejet  radical du système  politique  existant.  Deux  partis  de  gauche  existent  à  l’époque, mais  avec  des  différences  importantes. L’Union agrarienne populaire bulgare  (UAPB)  développe  une  idéologie  nationale  qui  insiste  sur  les spécificités d’un pays balkanique majoritairement agraire. Les socialistes insistent  au  contraire  sur  le  fait  que  le  développement  capitaliste  de  la Bulgarie inscrit le pays dans un processus mondial et donc que les spécificités nationales sont vouées à disparaître.

Au  début  du  xxe  siècle,  on  voit  apparaître  en  Bulgarie  une  sorte   de «quadrille bipolaire», pour reprendre l’expression employée par Maurice Duverger au sujet de la France, avec quatre véritables familles politiques (conservateurs, libéraux, agrariens et socialistes), assumant les deux rôles politiques traditionnels des Anciens et des Jeunes, c’est-à-dire de la droite et de la gauche.

L’élitisme  des  Anciens,  n’ayant  aucun  point  d’appui  dans  un  pays où  l’aristocratie  n’existe  plus  depuis  le  xive   siècle  et  où  la  psychologie sociale  égalitaire  est  dominante, se  transforme, au  cours  des  décennies, en  un  populisme  nationaliste,  qui  cherche  une  forte  identification  du peuple aux leaders. Mais on peut facilement s’apercevoir que les auteurs des  coups  d’État  successifs  de  1923,  1934  et  1944,  appartiennent  au même  milieu  politique, celui  d’une  droite  élitiste  éclairée. L’essentiel  de leur  projet  politique  est  l’instauration  du  gouvernement  de  cette  élite éclairée, détentrice de la vérité et composée de professionnels de la gestion politique.

Le communisme, instauré dans les années 1948-1949, apparaît au début comme une victoire absolue des Jeunes, entraînant la disparition des Anciens comme pôle politique. Mais ce n’est qu’apparence. Le Parti communiste, qui gouverne sans partager le pouvoir, produit une synthèse paradoxale, en assumant les deux rôles en même temps, du moins à l’origine. Changement révolutionnaire et conservation de l’ordre établi sont deux objectifs toujours présents dans la politique du régime communiste ; deux objectifs qui, au fond, ne sont que les deux éléments essentiels de la légitimation politique du communisme au pouvoir. Après une période stalinienne de transformations brusques et radicales dans tous les domaines (1947-1956), le «socialisme réel»6 s’impose comme modèle de modernisation communiste et de construction d’une société de consommation avec un État social relativement développé. Dans ces conditions, l’idée de la transformation, qui mobilise largement les citoyens, ne disparaît pas  du discours politique mais cède progressivement la place à la préoccupation de la sauvegarde de l’ordre social établi, avec ses hiérarchies et ses structures de domination. En quelque sorte, le PC «vieillit», devient le «parti de l’ordre» et assume le rôle conservateur.

Après la chute du régime communiste en 1989, le début de la transition est  marqué  par  le  retour  du  conflit  entre  Jeunes  et  Anciens,  qui se manifeste par l’opposition entre les anticommunistes et les ex-communistes. L’ex-PC, le parti de  l’ordre,  assume  le  rôle  conservateur.  Le paradoxe, dans cette nouvelle situation, est que le discours des nouveaux Jeunes est conservateur, libéral, situé à droite, alors que le Parti de l’ordre reste à gauche. La transition est de ce point de vue un changement de profil politique et idéologique, qui affecte les deux protagonistes principaux : les ex-communistes et les anticommunistes. Pour devenir socio-démocrates, comme la plupart de leurs homologues dans les autres pays d’Europe centrale et orientale, les ex-communistes doivent effectuer un mouvement vers le progressisme et se démarquer de leur rôle initial, après 1989, de pôle conservateur. A l’inverse, les anticommunistes, pour promouvoir la transformation du communisme d’État en une société de concurrence et d’inégalités, doivent effectuer un mouvement à droite, en abandonnant le discours révolutionnaire et mobilisateur. Cette transformation paradoxale des rôles se manifeste à travers plusieurs phénomènes, qui sont caractéristiques de la transition mais paraissent souvent incohérents, contradictoires et incompréhensibles.

II Partie

La droite bulgare après le communisme

Notes

7.

R. Jivkov, leader communiste bulgare (1911-1998), au pouvoir de 1954 à

+ -

La formation du pluralisme politique actuel suit de près le démantèlement du régime communiste en Bulgarie après novembre 1989. La démission du leader communiste Todor Jivkov7 signifie le début d’un processus de création et de refondation des forces politiques dans le  pays. La rapidité de création de nouveaux partis politiques est la marque de cette époque.

1

La fondation de l’Union des forces démocratiques (UFD)

Notes

8.

Notamment Tchavdar Kuranov, sociologue célèbre et critique de l’ancien régime.

+ -

9.

MALINOV, (2005) Rise, Fall and Disintegration: the Bulgarian Center-Right in Power and in Opposition in Ucen, Peter. MALINOV, S. (2005). Why We Lost. Explaining the Rise and Fall of Center-Right Parties in Eastern Europe (1996-2002). International Republican Institute, 2005, p. 5-27.

+ -

10.

Cf. le recueil de documents Yosifov, les origines – aperçu politique et chronologique (2008). Fondation Jelev.

+ -

Ce processus de différenciation politique réunit à la fois l’ancien et le nouveau. On voit apparaître des forces politiques qui existaient déjà  avant 1989 et regroupaient majoritairement les dissidents bulgares des années 1980 : Ekoglasnost, le Comité pour la glasnost et la perestroïka,    le Comité pour la défense des  droits  de  l’Homme, le  Mouvement  pour les droits et les libertés (MDL), le syndicat indépendant Podkrepa, le Comité pour la liberté de conscience.

La plupart de ces forces, en effet, sont apparues cinq ans auparavant, à la suite de la tentative du gouvernement de changer par la force les noms propres des Turcs bulgares (le MDL), ou à la suite des manifestations contre la pollution (Ekoglasnost). Une partie des acteurs les plus actifs de ces organisations sont membres du PC et proposent un projet de changement social inspiré par la perestroïka de Gorbatchev (notamment au sein de l’influent Comité pour la glasnost et la perestroïka, qui regroupait des intellectuels éminents). Une autre  partie  est liée au mouvement pour les droits de l’Homme, fortement inspiré par la revendication du respect du «troisième volet» des accords d’Helsinki de 1975. Même si ces organisations sont fort différentes, elles ont au moins un point commun : la dissidence et la sensibilité marquée à tout ce qui touche aux droits de l’Homme.

Peu après la démission du leader communiste, de nouveaux acteurs politiques apparaissent. La plupart sont des partis politiques traditionnels, interdits en 1947-1948  : le Parti social-démocrate bulgare (PSDB),  le parti agrarien Nicolas Petkov, le Parti démocrate, le Parti radical-démocrate. Ces organisations proviennent historiquement de la tendance antifasciste des années 1940 ; à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, elles étaient soit alliées avec les communistes, soit  collaboraient  avec  eux pour le renversement du gouvernement pro-allemand. Quelques-uns des leaders historiques de ces partis (notamment le dirigeant agrarien Nicolas Petkov) ont été des figures emblématiques de la Résistance anti- fasciste, mais se sont opposés à l’instauration du régime de parti unique après 1945. La refondation de ces organisations fait réapparaître sur la scène politique leurs anciens dirigeants, assez âgés mais dynamiques et ambitieux, ainsi que de nouveaux adhérents, plus jeunes et moins sensibles aux oppositions et aux débats d’antan.

En décembre 1989, une dizaine d’organisations non communistes forment une coalition politique – l’Union des forces démocratiques (UFD), qui devient aussitôt le pôle d’attraction de toutes les organisations qui contestaient le pouvoir communiste. Même si tout au début, la nouvelle coalition a dans sa direction des membres du PC8, son identité politique se fonde très vite sur l’anticommunisme et sur son opposition radicale au PC. Un peu plus tard, la nouvelle coalition s’élargit par l’adhésion d’autres partis qui, à la différence des partis fondateurs, sont plus sensibles aux intérêts des élites politiques et sociales de l’époque qui a précédé le communisme.

En dehors de la nouvelle coalition, plusieurs partis politiques anti-communistes demeurent, reprenant soit des étiquettes traditionnelles bulgares (Parti national-libéral, Organisation macédonienne révolutionnaire interne – VMRO), soit des étiquettes européennes (Parti conservateur, Parti républicain, etc.). Parfois, les fondateurs d’un nouveau parti politique tentent de s’approprier une étiquette politique connue et le programme qu’on lui associe traditionnellement,  parce  qu’ils comptent sur une aide matérielle et organisationnelle de la part de leurs homologues européens ou nord-américains. A l’origine, la mode des partis sociaux-démocrates a prédominé du fait de l’impression que la social-démocratie internationale était plus sensible aux changements en Europe de l’Est et plus susceptible d’apporter son aide aux nouveaux partis démocratiques. Après un certain temps est arrivée la mode des partis conservateurs ou chrétiens-démocrates, pour les mêmes raisons. En effet, il n’y a jamais eu en Bulgarie de tradition religieuse dans la vie politique  et le conservatisme bulgare a toujours été un courant minoritaire.

Ainsi, l’UFD devient l’organisation majeure de ce que les analystes  et les responsables politiques appellent dès lors le «centre-droit» ou simplement «la droite».9 Sous le régime communiste de type soviétique en Bulgarie, il n’y a pas eu de mouvement de dissidence organisé et durable. La dissidence se manifestait lors d’actions individuelles, dans la rumeur de l’opinion, mais rarement dans des organisations réelles. Le cas échéant, elles étaient rapidement dispersées par les services secrets du pouvoir. La plupart des organisations sont fondées en 1989, à la veille de la chute du régime. Ainsi, en 1989, aucune organisation ne peut prétendre avoir le prestige de Solidarnosc en Pologne. C’est la raison pour laquelle les plus connues des organisations de résistance au régime fondent une méta-organisation, une alliance «chapeau», pour représenter de manière générale l’opposition au communisme.

Ainsi, lorsque l’UFD est fondée, en 198910, elle regroupe dix organisations :

  • le Club pour la glasnost et la perestroïka, qui regroupe des intellectuels influents, parmi lesquels on trouve aussi des membres du PC, dont certains ont été exclus en 1989. A partir de 1991, il prend le nom de Fédération des clubs pour la démocratie ;
  • l’association indépendante Ekoglasnost, regroupant les militants d’un premier Mouvement pour la défense de la ville de Rousse, qui a subi pendant des années la pollution d’une usine chimique de l’autre côté du Danube ;
  • l’Association indépendante pour le respect des droits de l’Homme, fondée dès janvier 1988 ;
  • le syndicat indépendant Podkrepa, qui au début était une organisation politique regroupant des intellectuels, mais avec l’idée de développer un syndicalisme opposé au régime communiste ;
  • le Comité pour la défense des droits religieux, de la liberté de conscience et des valeurs spirituelles, qui revendiquait l’indépendance de l’Église orthodoxe par rapport à l’État et la restitution de ses biens et de sa place dans la société ;
  • le Club des poursuivis après 1945, réclamant leur réhabilitation judiciaire et des compensations pour eux ou leurs familles ;
  • la Fédération des sociétés des étudiants indépendants ;
  • l’Initiative civique, fondée en 1988 pour renforcer le débat public ;
  • le Parti social-démocrate bulgare (PSDB), héritier du parti dissous par le pouvoir communiste en 1947 ;
  • l’Union populaire agrarienne bulgare (UPAB), héritière du parti des agrariens dissous par le pouvoir communiste en 1947.

Cette nouvelle coalition élit comme président Jeliu Jelev, un intellectuel connu pour ses critiques des théories de Lénine et pour un livre sur le fascisme publié avant 1989, dans lequel il fait allusion aux similitudes entre le stalinisme et le nazisme. Évidemment, l’UFD rassemble dès le départ des organisations et des visions politiques très diverses, allant d’une gauche modérée à une droite anticommuniste libérale ou plus extrémiste. Toutes sont réunies par l’idée de mettre fin au régime communiste de type soviétique et d’ouvrir la perspective d’une démocratie libérale représentative dans le cadre d’une économie de marché reposant sur l’initiative privée des individus et sur une moindre présence de l’État.

Dans les mois qui suivent la fondation de l’UFD, quelques nouveaux membres y adhèrent : le Parti radical-démocrate et le Parti démocrate (tous deux héritiers des partis historiques), ainsi que de nouveaux partis tels que le Parti vert, le Centre démocrate unifié (plus tard Centre chrétien-démocrate unifié) ou le Nouveau parti social-démocrate. Ces nouvelles adhésions maintiennent la diversité politique de la coalition.11 Cette droite ne l’est que de nom, mais la disposition de l’échiquier politique, en 1990-1994, opposant l’UFD  au  Parti socialiste  bulgare (PSB, le nouveau nom du  Parti  communiste  depuis  avril  1990),  fait de cette nouvelle coalition le représentant reconnu de la droite naissante. L’anticommunisme en est l’idée directrice, partagée par tous les participants et qui en assure la cohésion. L’UFD participe à la «Table- ronde», cette institution de la transition postcommuniste pour négocier un changement pacifique. La coalition se présente avec des candidats communs aux élections pour une Assemblée constituante, en juin 1990, mais contrairement à ses attentes,  n’arrive  pas  à  une  majorité. L’UFD est divisée au sujet de la reconnaissance des résultats des élections mais continue de participer au Parlement nouvellement élu et de représenter la force politique majeure de la mobilisation citoyenne. En août  1990, Jeliu Jelev, à la suite d’un compromis avec le PSB, est élu président de la République par l’Assemblée. Son prédécesseur communiste est forcé de démissionner par de nombreuses manifestations organisées  par  l’UFD. Un gouvernement d’experts est formé avec quelques économistes éminents de l’UFD en cohabitation avec des ministres du PSB.

2

La première scission : l’UFD devient un parti de centre-droit

Notes

12.

Dans les pays d’Europe orientale, la lustration est la mise à jour de certains comportements de collaboration avec les services secrets communistes.

+ -

La tension entre les «modérés» et les «intransigeants» au sein de l’UFD continue de monter pendant toute cette période : les premiers veulent sauvegarder la paix politique et négocier sur les points importants avec les ex-communistes, les seconds se débarrasser des ex-communistes et les effacer du paysage politique. Les intransigeants soutiennent les 39 députés de l’UFD qui ont quitté le Parlement pour ne pas soutenir la nouvelle Constitution car elle est d’après eux influencée par les communistes. Déjà en mai 1991, lors des débats sur la nouvelle constitution, l’UFD était divisée : deux organisations majeures, les sociaux-démocrates et les agrariens, quittent la coalition, ainsi qu’une grande partie d’Ekoglasnost. En effet, la coalition perd son aile gauche et se déporte plus à droite par sa composition et sa vision politique. Elles sont suivies par le Parti vert et une fraction de la Fédération des clubs pour la démocratie (les libéraux).

Les élections législatives d’octobre 1991, qui suivent l’adoption de la nouvelle Constitution, sont gagnées de peu par l’UFD, qui forme un premier gouvernement non-communiste dirigé par Filip Dimitrov. L’UFD n’obtient que 110 sièges sur 240 à l’Assemblée nationale, mais le gouvernement qu’elle forme est soutenu par le groupe du Mouvement pour les Droits et les Libertés. Ce parti charnière, qui représente alors la minorité turque en Bulgarie, soutient l’UFD du fait de son anticommunisme. Les autres formations issues de la scission de l’UFD restent en dessous du seuil de 4% et n’obtiennent donc aucun siège.

Le gouvernement de l’UFD entreprend alors de larges réformes : privatisation des industries, restitution des biens et des terres agricoles, lustration12 de la fonction publique, réorientation de la politique étrangère vers les États-Unis et l’Europe. Un an après, les réformes semblent ralentir, tout en provoquant aussi des inquiétudes, voire du mécontentement, notamment parmi les couches populaires. Les Turcs, une population rurale, paraissent être particulièrement touchés par les réformes de l’agriculture ; la restitution des terres ne leur apporte pas beaucoup de bénéfices. Le MDL décide alors de retirer son soutien au gouvernement, qui démissionne après un an d’exercice. L’UFD se retrouve dans l’opposition, face à un nouveau gouvernement soutenu par le MDL, le PSB et une partie des députés libéraux de l’UFD ayant quitté la coalition.

S’ensuit une nouvelle vague de scissions au sein de l’UFD, provoquée cette fois par un conflit qui oppose le parti au président Jeliu Jelev. Le  parti reproche au gouvernement de ne pas avoir fait l’effort de diminuer  le coût social des réformes économiques. Entre 1992 et 1994, deux autres fractions quittent la coalition : les libéraux autour de Jelev et, peu après,   le Parti démocrate avec une fraction importante des agrariens. À la veille des élections anticipées de 1994, la coalition signe un nouvel  accord,  cette fois entre seize organisations : celles qui restent  dans  l’alliance, ainsi que quelques nouveaux partis, notamment le Forum démocratique (un parti se disant l’héritier des Légions nationales bulgares des années 1930 et 1940, une organisation paramilitaire d’inspiration fasciste) et le Parti républicain. Le nouvel accord prévoit la fusion des partis membres dans une organisation unique, censée avoir un profil chrétien-démocrate. Au sein de l’UFD, le parti le plus influent semble être le  Centre unifié chrétien-démocrate.

Les élections anticipées de décembre 1994 sont un échec relatif pour l’UFD : la coalition perd presque 700.000 électeurs par rapport aux élections précédentes de 1991, soit quasiment un tiers de sa base électorale. Cet échec provoque un changement de direction (Ivan Kostov, ancien ministre des Finances, accède à la présidence de l’Union) et accélère la transformation de la coalition en parti unique avec un profil de centre-droit. Cette évolution résulte d’un conflit entre les petits partis de l’UFD et les partis qui se targuent de représenter une longue histoire politique, tels que le Parti démocrate et le Parti radical-démocrate. En 1995, ils quittent la coalition pour former avec une partie des agrariens   la coalition Union populaire (UP), mais cette nouvelle scission accélère la transformation de l’UFD en parti unifié. En 1996, l’Union est reconnue comme membre permanent du Parti populaire européen (PPE).

3

La coalition se transforme en parti unifié

L’année 1996 est décisive pour la transformation de l’UFD en parti unifié de centre-droit. Quand à la fin de l’année 1995 le président sortant, Jeliu Jelev, déclare vouloir se présenter pour un deuxième mandat, l’UFD décide de choisir son propre candidat. L’UP, le MDL et quelques partis libéraux soutiennent la candidature du président sortant. Face au risque d’avoir deux candidats concurrents de droite contre un seul de gauche, les partis de droite décident de procéder à la nomination d’un candidat unique par le biais d’élections primaires. Le 1er juin 1996, ces élections primaires sans précédent ont lieu et, à la surprise générale, le taux de participation des électeurs de la droite est assez élevé : quelque 860.000 citoyens se rendent aux urnes, ce qui représente plus que 12% du corps électoral. Le candidat de l’UFD, Petar Stoyanov, est désigné comme candidat commun et il remporte les élections présidentielles en novembre avec un score très élevé. Ce résultat s’explique aussi par la déception vis-à-vis du gouvernement du PS,  au  pouvoir  depuis  1994,  qui n’a pas réussi à éviter la grave crise financière et la grave inflation qui s’ensuivra, au début de 1997. La crise provoque des manifestations et des grèves multisectorielles, qui poussent le gouvernement socialiste à démissionner. L’UFD se situe alors dans l’opposition. Traversée par des conflits internes, elle réussit après beaucoup d’efforts à être reconnue par les manifestants comme leur porte-parole politique. Le  gouvernement par intérim nommé par le président Petar Stoyanov réussit à calmer la situation et à maîtriser l’inflation par l’introduction du système de la «caisse d’émission» à la veille des élections anticipées, remportées à la majorité absolue par l’UFD.

Pour la première fois depuis 1989 en Bulgarie, le nouveau gouvernement, avec Ivan Kostov comme  Premier  ministre,  réussit  à  achever un plein mandat. Les quatre années de son activité sont une période importante pour le pays : stabilisation financière, réduction des dépenses publiques, encouragement des investissements étrangers, achèvement de la privatisation, début des négociations pour l’adhésion à l’Union européenne en 1999. Elles sont notamment marquées par des démarches décisives pour l’adhésion à l’OTAN. Ainsi, le gouvernement a soutenu pleinement l’opération militaire contre la Serbie, en dépit d’une opinion publique plutôt réservée, voire hostile aux frappes de l’OTAN. Les réformes sont de grande envergure et simultanées : réforme foncière, fiscale, budgétaire et judiciaire.

C’est l’heure de la transformation finale de l’UFD en parti unifié, en 1998-1999. Bien que les nouveaux statuts reconnaissent les affiliations des partis membres, la structure de l’organisation est celle d’un parti unifié. L’UFD est de nouveau reconnue comme membre du PPE, en 1998.

Une étude de l’époque (1999) montre que la plupart des citoyens bulgares restent indifférents aux étiquettes idéologiques, mais que presque  la moitié d’entre eux en choisissent une.

Tableau 1 : Réponses à la question ouverte : «comment vous définissez-vous en politique ?»

Source :

BBSS Gallup International, 1999. TODOROV (2010). Citoyens, élections et partis. La Bulgarie de 1879 à 2009, Est-Ouest, p.134.

III Partie

Les trois droites : démocratique, populiste et extrémiste

Il est difficile pour l’électeur de droite de choisir entre différents partis  qui changent d’étiquette pendant la transition. Pourtant le nombre total des électeurs des principaux partis de droite (on ne comptera pas ici toutes les étiquettes qui, dans certaines élections, dépassent la quarantaine) se situe entre un quart et deux-tiers du corps électoral total. Les fluctuations dépendent de la mobilisation ou de la démobilisation en fonction de la situation des partis de droite et de leurs chances d’arriver en tête.

Tableau 2 : Les résultats des élections pour les principaux partis de droite (en nombre de voix)

Source :

TODOROV “Bulgaria” in Dieter Nohlen et Philip Stover, Elections in Europe: A Data Handbook. Nomos, p. 351-398.

1

Les « Bleus» : une droite authentique

Notes

15.

TODOROV Les élections législatives bulgares de 2005. La Nouvelle Alternative, 2006, vol.21, No.68.

+ -

En dépit des transformations internes et des succès reconnus du gouvernement de l’UFD, le parti perd les élections législatives de juin 2001 de manière inattendue. Un nouveau mouvement politique, dirigé  par  l’ex- roi Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha (le Mouvement national Siméon II MNSD), remporte la majorité. La surprise et la déception des dirigeants de l’UFD sont sans précédent et ils ne sont guère réconfortés par la défaite du PS, leur rival historique. Le MNSD apparaît comme une alternative à la confrontation sans fin entre les anticommunistes et les ex-communistes tout au long de la transition démocratique. Il s’agit néanmoins d’une alternative qui politiquement se situe à droite.

L’UFD  ne veut toujours pas accepter de reconnaître le MNSD comme  un parti de droite et refuse de donner son accord à l’adhésion du nouveau mouvement au PPE. Ainsi, le MNSD devient membre de l’Alliance des libéraux avec le MDL, qui a été entre 2001 et 2005 son partenaire au gouvernement. La colère des dirigeants de l’UFD en 2001 est renforcée  par l’élection à la présidence de la République du leader du PS, Georgi Parvanov, faute d’avoir su conclure un accord  entre  l’UFD  et  le  MNSD sur un possible candidat commun. Mais il faut admettre que l’opinion rejette l’UFD, à cause du peu d’intérêt qu’elle porte à la question du pouvoir d’achat, ainsi que du clientélisme et de la corruption qui règnent dans ce parti en pleine expansion, qui gouverne sans partager le pouvoir.

Bien que l’UFD refuse de reconnaître le MNSD comme appartenant à    la «droite authentique» (l’expression est celle des dirigeants de l’Union), le mouvement de l’ex-roi Siméon est sans conteste une formation politique de centre-droit. Son gouvernement libéral poursuit les réformes de son prédécesseur, conclut avec succès l’adhésion de la Bulgarie à l’OTAN et mène à bien les négociations pour l’adhésion à l’Union européenne. Pour se distinguer de ce nouvel acteur politique, l’UFD utilise des dénominations spécifiques et caricaturales : face à une «droite authentique», il y aurait maintenant une «droite populiste» qui, elle, ne serait pas authentique.

La défaite de 2001 provoque la démission du chef du parti, Ivan  Kostov, et aboutit à une nouvelle scission. En 2003, la défaite de la nouvelle présidente de l’UFD et ancienne ministre des Affaires étrangères, Nadejda Mihailova, candidate à la mairie de Sofia, provoque un processus de séparation : les membres proches de l’ancien Premier ministre Ivan Kostov quittent le parti pour former, à la veille des élections législatives  de 2005, les Démocrates pour une Bulgarie forte (DBF). Cette scission est plutôt d’ordre personnel, car il n’y a pas de différences programmatiques entre ces deux partis de la «droite authentique».

Les élections législatives de 2005 sont un coup dur  pour  la  droite. Tout d’abord parce qu’elle est alors divisée en trois grands partis : l’UFD,  le nouveau parti de l’ancien Premier ministre de l’UFD entre 1997  et 2001, Ivan Kostov (DBF), et la coalition Union Populaire,  de  centre-droit, avec la participation de l’ancien maire de Sofia, Stephan Sofianski, qui a quitté l’UFD en 2004 pour former son propre parti. La scission de l’UFD a porté essentiellement sur l’attitude à adopter envers le MNSD, l’UFD étant divisée sur la possibilité de négocier avec le MNSD la formation d’une coalition gouvernementale après les élections, et Ivan Kostov s’opposant à tout contact avec «les tsaristes» (une appellation critique à l’encontre du MNSD).15

Divisés, donc, en deux partis d’opposition face à un gouvernement soutenu par la triple coalition du PS, du MLD et du MNSD (coalition sociale-libérale), les héritiers de l’UFD perdent une grande partie de leur base électorale. Cette division rencontre l’incompréhension des électeurs, qui leur retirent massivement leur soutien. La crise de la «droite authentique» menée par l’UFD et le DSB se prolonge aux élections présidentielles de 2006, quand son candidat, le juriste Nedeltcho Beronov, arrive troisième, devancé par le candidat d’Ataka (une coalition nationaliste et populiste, cf. infra), Volen Siderov. Pour la première fois depuis 1992, la droite traditionnelle ne parvient pas à qualifier son candidat à la présidence de la République au second tour.

L’expérience des ces défaites pousse l’UFD et le DSB à s’allier ; une première fois pour proposer des candidats communs aux élections européennes et locales de 2007, puis pour former la «Coalition bleue» à l’occasion des élections européennes et législatives de 2009. Cette coalition leur permet de dépasser le seuil électoral de 4% et de se maintenir au Parlement. Face à la concurrence du GERB (Citoyens pour un développement européen, créé en 2007 et dirigé par Boïko Borissov), les  Bleus sont dans une position difficile. Ils soutiennent le gouvernement de Boïko Borissov, en particulier dans sa politique de lutte contre la corruption, et voient en lui une sorte de revanche sur le PS, «l’éternel ennemi». Cette fois-ci, ils accordent leur  soutien  à  l’adhésion  du  GERB  au  PPE,  un soutien qu’ils ont refusé au MNSD en 2001. Ils critiquent toutefois le GERB pour son populisme et son manque de vision à long terme.

2

La droite populiste

Notes

16.

TODOROV A. (2009). Les élections européennes de juin 2009 en Bulgarie : la confirmation de l’éclatement du système partisan. Revue internationale de politique comparée.

+ -

Les partis populistes de droite ont toujours existé dans la vie politique bulgare. Mais ces organisations, même si elles ont pu avoir à un moment un impact sur le débat politique, n’ont jamais eu d’influence électorale importante : guère plus de 1 à 2% des suffrages exprimés aux cours des élections après 1989. Les scores des candidats populistes aux élections présidentielles sont la manifestation d’une certaine insatisfaction sociale. Si ces candidats ne peuvent être considérés comme appartenant à l’extrême droite, un grand nombre d’éléments de leur discours politique pourraient le laisser penser.

Ainsi, au premier tour des élections présidentielles de 1992 et de  1996, Georges Gantchev, un ancien émigré aux États-Unis de retour en Bulgarie, comédien et écrivain, maître du  discours  nationaliste  modéré et tenant d’un populisme conservateur, arrive en troisième position avec près de 18% des suffrages exprimés, alors que son parti (le Business Bloc Bulgare) ne dépasse pas les 4%. En 2001, un ancien ministre de l’Intérieur d’Ivan Kostov (UFD), Bogomil Bonev,  qui  démissionne  et  quitte  son parti avec l’image d’un homme fort et capable de mettre de l’ordre dans une société en plein chaos, arrive en troisième position avec plus de 19% des voix.

Après beaucoup d’efforts pour créer un centrisme structuré sur la scène politique, avec le retour au pays en 2001 de l’ancien roi Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha et la création de son Mouvement national (MNSD), c’est la première fois qu’un candidat n’appartenant ni aux ex-communistes ni aux anticommunistes accède au pouvoir, ce qui marque le début de la construction d’un centre libéral. Son partenaire politique,   le Mouvement pour les droits et les libertés (MDL), parti de la minorité turque en Bulgarie, utilise cette nouvelle situation pour mettre en œuvre sa transformation d’un parti ethnique en un parti libéral centriste. Le MNSD, de par son profil politique, représente une droite libérale au style populiste modéré. Le refus de l’UFD de donner son accord pour l’adhésion du mouvement au PPE le pousse vers l’Alliance des libéraux, plutôt proche de son profil politique.

Le MNSD, organisé à la hâte quelques semaines avant les élections de juin 2001, se transforme en parti politique durant l’exercice de son gouvernement. Ceci n’est pas sans effets : le MNSD s’organise surtout comme un parti de fonctionnaires, dont l’audience est liée à ses chances de se maintenir au pouvoir. Les pratiques clientélistes ne lui sont pas étrangères, mais son problème principal est qu’il n’arrive pas à dépasser un discours orienté vers le pragmatisme et le refus de toute identification idéologique. Le parti reste très personnalisé dans sa structure, l’instance ultime étant le leader, Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, malgré  l’existence de groupements politiques indépendants affiliés au parti.

Le MNSD arrive en deuxième position aux élections  de  2005,  perdant un tiers de ses électeurs. De nombreux observateurs le soupçonnent d’avoir eu largement recours à «l’achat de votes». Le MNSD parvient à faire élire deux députés européens en 2009, grâce à la présence sur ses listes d’une ancienne ministre des Affaires européennes et ancienne commissaire européenne, Meglena Kuneva, mais il n’arrive pas à dépasser le seuil des 4% lors des élections législatives qui suivent un mois   plus tard. Il connaît alors une scission, une partie de ses anciens ministres formant la Nouvelle démocratie bulgare. Ceux qui restent changent son nom en Mouvement national pour la stabilité et le développement, tout en gardant l’acronyme de MNSD.

En 2007 apparaît  un  nouveau  parti  de  droite  :  les  Citoyens  pour  un développement européen de la Bulgarie (GERB), dirigé par Boïko Borisov, ancien cadre au ministère de l’Intérieur au début du gouvernement de Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha et maire de  Sofia  depuis  2003. Après une brève carrière politique  comme  candidat  du  MNSD  aux législatives (il refuse le mandat de député) et candidat indépendant    à la mairie de Sofia en 2005, il prend ses distances avec Siméon de Caxe-Cobourg-Gotha pour former son propre parti. Aux élections locales et européennes de 2007, le GERB progresse de manière spectaculaire et devance le PS, le premier parti du gouvernement. En 2009, le GERB obtient une majorité relative et forme son gouvernement.16

De par son profil politique, le GERB est une nouvelle émanation du même processus qui a installé le MNSD dans la vie politique bulgare, et représente la deuxième phase d’une vague populiste. Le nouveau parti hésite un moment au sujet de son profil politique, espérant au début faire concurrence au PSB sur son aile gauche. Mais la conjoncture politique, sur fond de crise de la droite, le positionne du côté du centre-droit. Le GERB adhère ainsi au PPE.

Le nouveau parti est construit à partir de noyaux régionaux composés pour une large part d’anciens policiers proches de Boïko Borisov, soutenus par des hommes d’affaires locaux.  Cela  n’est  pas  sans  effets sur le fonctionnement du GERB : c’est une structure «personnaliste», qui dépend fortement de son leader, comme c’était le cas du MNSD, à la différence près que Boïko Borissov ne porte pas l’héritage d’une origine aristocratique, même si son attitude hautaine et paternaliste envers le peuple pourrait le laisser croire. Le nouveau leader politique a des origines populaires et se plaît à le dire. Dans son style, il s’inspire aussi bien   de Berlusconi en Italie que de Poutine en Russie. Ce n’est pas un hasard    si son gouvernement trouve un soutien sans faille auprès du groupe parlementaire d’Ataka (cf. infra), sans lequel il n’aurait pas de majorité au Parlement.

Une manifestation plus conservatrice de ce genre de populisme de droite se fait jour avec la formation d’un parti portant le nom évocateur d’Ordre, loi et justice, dirigé par un ancien responsable agrarien, Yane Yanev.  Cette nouvelle organisation réussit à franchir le seuil des 4% et à former un groupe au Parlement en 2009. Ce parti tient un discours anticorruption et moraliste. Il soutient le GERB dans un premier temps, puis en vient rapidement à une opposition farouche vis-à-vis du gouvernement. En se cherchant un appui à l’étranger, il se rapproche des conservateurs britanniques et essaie de se présenter comme le représentant d’une droite conservatrice moderne en Bulgarie.

3

L’extrême-droite

Notes

17.

TODOROV, (2007). “Critique and Humanism” dans National populism versus democracy. vol. 23, no.1, p. 85-100 et http://www.eurozine.com/articles/2008-06-19-todorovantony-en.html.

+ -

La nouveauté majeure des élections de 2005 est l’apparition du mouvement Ataka. Il s’agit au début d’une coalition qui regroupe quatre petites organisations autonomes assez diverses et  hétérogènes. Ce qui les rassemble est surtout une appréciation très négative des influences extérieures sur la Bulgarie. Une partie des personnalités appartenant à cette coalition est issue des organisations des anciens collaborateurs des services de renseignements. D’autres viennent de milieux nationalistes faisant partie de l’ancien Parti communiste. Une troisième fraction de cette nouvelle coalition, qui marque son profil politique actuel, est issue des milieux xénophobes et racistes, dont l’activité a été nourrie par plusieurs incidents entre Roms et Bulgares.

Assez rapidement, le parti devient une structure centralisée et unifiée. Son dirigeant, Volen Siderov, ancien journaliste, a fait brièvement partie des dissidents anticommunistes en 1989. Rédacteur en chef du journal   de l’UFD Demokratzia pendant deux ans, il a été candidat indépendant à la mairie de Sofia en 2003, sans grand succès. Mais c’est surtout sa participation comme animateur, au cours des années précédentes, à l’émission de débat intitulée «Ataka» sur la chaîne Skat qui l’a fait connaître. Il se fait rapidement remarquer par son discours ultranationaliste, anti-tzigane, antiturc et antisémite. En 2002, il publie un livre, Le boomerang du mal, d’un style manifestement antisémite qui lui attire les foudres des organisations de défense des droits de l’Homme.17

Tous les chefs d’Ataka ne partagent pas l’ensemble des opinions de Siderov, surtout son antisémitisme manifeste. Petar Beron, un professeur de biologie et ancien président de l’UFD, est un ancien cadre des services de renseignement. Bien qu’il n’accepte pas d’être traité d’antisémite, il a tenu des propos nationalistes pendant toute sa carrière politique, notamment après avoir quitté l’UFD en 1992. Il a également été candidat au poste de vice-président auprès du populiste Georges Gantchev en 1996. Si les électeurs d’Ataka proviennent de milieux sociaux différents, ils sont pour la plupart issus de familles aisées et cultivées, composées de cadres supérieurs, de commerçants et d’entrepreneurs des classes moyennes et supérieures et non de milieux modestes, comme on pourrait l’imaginer.

Ataka est un parti hétéroclite et hétérogène et sa base électorale se transformera et s’orientera probablement vers des candidats populistes, porteurs d’un discours nationaliste modéré, qui n’oseront pas, en paroles ou en actions, courir le risque d’être isolés et stigmatisés par les partenaires européens de la Bulgarie. L’apparition du GERB est en effet une concurrence sur le terrain électoral.

Une organisation extrémiste attire particulièrement l’attention de par ses activités publiques : l’Union nationale bulgare (BSN), fondatrice de l’Ataka, dirigée par le jeune Boyan Rassate. Les militants de ce groupe se font remarquer par leur crâne rasé, des graffiti ultranationalistes et anti-tziganes ainsi que lors de manifestations diverses rappelant les défilés nazis des années 1920. Mais les organisations de ce type restent encore assez marginales.

A l’issue d’un long processus fait de différenciations, de séparations et de recompositions, la droite bulgare n’est aujourd’hui plus unifiée par l’anticommunisme qui a été son ferment idéologique pendant les années de la transition postcommuniste. Elle manque de références politiques communes et reste divisée en plusieurs mouvements issus de l’ancienne UFD, mais aussi d’autres mouvances.

En dépit de cette fragmentation en plusieurs partis et groupes politiques, la droite se structure aujourd’hui autour de trois mouvements majeurs : les conservateurs modérés (le parti de l’ancien Premier ministre Ivan Kostov, DBF), les chrétiens-démocrates (même si cette étiquette n’a pas eu de succès en Bulgarie, l’UFD d’aujourd’hui semble être plus proche de cette mouvance), et la droite populaire et populiste traditionnelle essentiellement regroupée au sein du GERB.

Ainsi s’achève un long processus d’assimilation de la diversité partisane européenne par la vie politique bulgare pendant la période de la transition postcommuniste. Néanmoins, la palette  partisane  en  Bulgarie a gardé bien des particularités nationales, résultat d’une histoire nationale bouleversée par la difficile modernisation qui a suivi l’indépendance de 1878, et par l’expérience communiste de 1944 à 1989. En particulier, la persistance de certaines valeurs orientées autour du pouvoir paternaliste nourrit toujours l’existence de partis fortement marqués par la personnalisation du pouvoir. La Bulgarie, de ce point de vue, n’est  pas très différente des autres pays de l’Europe centrale et orientale.

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