Un outil de finance sociale : les social impact bonds
Le financement social : Une réponse innovante aux problèmes sociaux
Un contexte économique et social favorable au développement d’initiatives
L’innovation sociale : un modèle
Qu’est ce que la finance sociale ?
L’investissement d’impact
Une multitude d’acteurs
Les social impact bonds : un partenariat de l’efficacité
Un financement avec obligation de résultats
Un contrat public-privé
La naissance anglo-saxonne des social impact bonds
Des expérimentations essentiellement anglo-saxonnes
Les expérimentations aux États-Unis
Le Canada et le rendement du diplôme
Les expérimentations en Australie
La France plus réticente ?
Les social impact bonds : une révolution ?
Les avantages perçus des social impact bonds
Un concept qui doit faire ses preuves
Annexe
Résumé
Dans la période de crise actuelle, la rigueur des budgets incite la puissance publique à garantir l’efficacité des résultats de ses missions sociales complexes, tout en limitant leur coût financier. Un nouvel instrument de finance sociale a l’ambition de répondre à cette question : les social impact bonds (SIB). Ces emprunts obligataires agissant dans la sphère sociale ont le vent en poupe. Expérimentées principalement dans les pays anglo-saxons, ces modalités de financement innovantes, proches du venture capital, reposent entièrement sur le paiement aux résultats. Ce modèle fournit à la puissance publique la possibilité de financer les politiques qui visent à résoudre des problèmes sociaux difficiles, dans des domaines où les pouvoirs publics peinent à trouver des fonds – les jeunes sans emploi, la délinquance, la pauvreté, la santé des plus démunis. Il peut aider à identifier les politiques efficaces, tout en permettant aux États de faire des économies.
Le débat est ouvert. Acteurs et parties prenantes qui interviennent dans le domaine du social business les collectivités territoriales ou les États sont en train de mesurer sur la base des premières expériences – principalement au Royaume-Uni et aux États-Unis – l’efficacité de tels dispositifs. Comment fonctionnent les SIB ? À quoi s’appliquent-ils ? Quels sont les avantages et les limites d’un tel mécanisme ?
Le traitement des problèmes sociaux connaît actuellement une révolution à l’échelle mondiale.
Les outils de finance sociale conçus pour aider les services publics sociaux à améliorer leurs prestations font aujourd’hui l’objet de toutes les attentions.
Dans un contexte de baisse des dépenses publiques et de rigueur, quels sont les instruments susceptibles de garantir l’efficacité sociale des mesures prises par les États et de permettre un retour sur investissement des financements consentis ? Quels sont les acteurs qui, dans ce domaine, apportent des réponses ? Quels enseignements peut-on tirer des expériences pour lesquelles l’obligation de résultats est requise ?
Un dispositif de partenariat public-privé constitue un moyen novateur pour relever ces défis : les social impact bonds (SIB). Les premières expériences, ainsi que l’intérêt qu’ils suscitent actuellement, laissent à penser que ces « obligations à impact social » représentent une voie à privilégier pour résoudre efficacement les questions liées aux réformes sociales complexes. Reposant sur une culture du résultat, ces SIB sont susceptibles de transformer les méthodes du secteur public, de générer des économies sur le long terme, d’identifier les politiques efficaces et d’éliminer celles qui ne répondent pas aux attentes. Depuis deux ans, les SIB sont en train de devenir l’une des composantes clés du vocabulaire des pouvoirs locaux. Mais sont-ils adaptés à toutes les situations ? Quels en sont les avantages et les inconvénients ?
Yan de Kerorguen,
Rédacteur en chef de Place publique.
Le financement social : Une réponse innovante aux problèmes sociaux
Un contexte économique et social favorable au développement d’initiatives
La période de crise économique que nous traversons et les problèmes sociaux qui en découlent obligent les gouvernements à mener de front des politiques d’investissement rigoureuses et efficaces sans cependant laisser sur le bord de la route les obligations sociales auxquelles ils doivent faire face, sous peine de rompre la confiance avec les citoyens les plus démunis et les catégories sociales se trouvant en marge de la société.
La recherche d’efficacité
Chaque année, une grande partie des impôts payés par les contribuables est dédiée à des secteurs relevant des pouvoirs régaliens de l’État. Force est de constater que leurs résultats sont généralement difficiles, voire impossibles à quantifier. Les États consacrent ainsi des milliards par an à des interventions qui ciblent les maux sociaux les plus pressants. C’est le cas, par exemple, de tout ce qui relève de la justice, de l’exclusion sociale, de l’éducation, mais aussi, de plus en plus, du logement social et de l’environnement. Malheureusement, les faits montrent que nombre de ces programmes ne produisent que peu ou pas d’impact perceptible. D’où parfois le sentiment d’investir à fonds perdus dans des actions nécessaires, mais dont les résultats et le retour financier sont souvent décevants. Ajoutés à ces causes d’intérêt général, de plus en plus de besoins urgents se trouvent non comblés, ce qui rend nécessaires des stratégies d’innovation sociale. Mais, là encore, l’impact de ces solutions est difficile à mesurer. Il faut reconnaître que les mécanismes d’investissements sociaux consentis dans ces domaines du régalien et/ou de l’urgence présentent de nombreux écueils, notamment les suivants :
- un labyrinthe administratif complexe de programmes qui réduit son accès ;
- un rendement économique et social peu probant ;
- des programmes difficiles à gérer ;
- peu de renseignements clairs sur la façon dont ces programmes répondent aux besoins des clients ;
- des programmes fournis par de multiples organismes et qui fonctionnent de façon fragmentée et indépendante, avec de longues listes d’attente ;
- un manque d’uniformité des prestations, un manque de choix et des préoccupations quant à la qualité des services offerts qui invitent à trouver des solutions innovantes d’investissement social ;
En outre, étant donné le ralentissement économique, la situation financière des organismes sans but lucratif est plus précaire que jamais. Se pose alors clairement la question du financement de ces acteurs. Aussi les pouvoirs publics sont-ils amenés à supporter l’intégralité du risque financier. Dans le même temps, ils peinent à changer les situations. Les réformes s’en trouvent ralenties, parfois même compromises. Cette difficulté rencontrée par la plupart des gouvernements ou des collectivités territoriales n’est pas une fatalité. Elle les invite à examiner de quelle manière ils peuvent s’appuyer sur des acteurs de la philanthropie, de l’entrepreneuriat social ou de l’économie sociale pour trouver des solutions socialement innovantes. La question de la privatisation des compétences de l’État en matière sociale est ainsi posée.
L’innovation sociale : un modèle
La période récente a vu la montée en puissance de l’innovation sociale. Un concept qui reste flou mais qui a beaucoup évolué au cours des dernières années et dont l’application s’est diversifiée. L’innovation sociale concerne aussi bien les secteurs sans but lucratif, à but lucratif et privé, que des enjeux sociaux plus vastes et plus complexes. Des organismes tels que l’OCDE, des banques comme le Crédit coopératif ou encore des ONG réfléchissent depuis plusieurs années à ces problématiques. Deux conceptions s’opposent : la première, que l’on qualifiera d’« européenne », développe une vision de l’entrepreneuriat collectif autour notamment des instruments de l’économie sociale ; la seconde, plus «anglo-saxonne», est plus axée sur les services et la démarche individuelle.
La microfinance est le modèle le plus achevé d’innovation sociale. Le groupe de la Stanford University la définit comme une «prestation de services financiers de prêt, d’économie, d’assurance et autres à des personnes pauvres qui n’ont pas accès au système financier classique». Parmi les autres innovations sociales définies par le groupe, on retrouve les écoles à charte, la planification axée sur la communauté, l’échange de droits d’émission, le commerce équitable, la conservation des habitats, les comptes rendus de perfectionnement individuel, les normes de travail internationales, l’investissement éthique et le soutien à l’emploi (pour les travailleurs handicapés ou défavorisés). Le rôle que joue le secteur à but non lucratif demeure crucial : les organismes sans but lucratif – tout comme les entrepreneurs sociaux, les entreprises sociales et les organismes voués à l’économie sociale – continuent à représenter une importante source d’innovation sociale.
Aux États-Unis, la récente reconnaissance de l’utilité de l’innovation sociale par l’équipe Obama et la création de l’Office of Social Innovation au sein de la Maison-Blanche confirment l’importance du concept d’innovation sociale dans le monde anglo-saxon et favorisent l’accélération de son impact mondial. Au Royaume-Uni, le gouvernement de Tony Blair a très tôt adopté le concept avec le lancement, en 2006, par le Cabinet Office of the Third Sector (OTS) du Social Enterprise Action Plan. Les objectifs de l’innovation sociale s’accordent aux défis sociaux que le monde doit relever, comme l’exclusion sociale, le changement climatique ou la réduction de la pauvreté.
Qu’est ce que la finance sociale ?
La finance sociale désigne la mobilisation de capitaux privés pour atteindre des objectifs sociaux ou environnementaux, permettant aux investisseurs de financer des projets d’innovation sociale au profit de la société. Elle offre aux organismes communautaires la possibilité d’avoir accès à de nouvelles sources de financement afin de concrétiser leurs idées.
En quête d’instruments nouveaux pour résoudre les problèmes sociaux, les gouvernements sont demandeurs d’outils pérennes sur l’impact des initiatives sociales et des méthodes de financement ad hoc. Ces outils de financement nouveaux, que certains gouvernements ou collectivités étudient ou mettent actuellement à l’essai, sont ainsi susceptibles de répondre plus efficacement aux difficultés que connaissent un grand nombre d’administrations publiques dans le monde, submergées par l’ampleur de la tâche, ou de soutenir les entreprises qui accomplissent une mission d’utilité sociale, susceptibles de relayer l’action publique.
La Fondation Rockefeller a dépensé 40 millions de dollars depuis 2009 dans le champ de la finance sociale. Elle constate que de plus en plus de gens reconnaissent le bien-fondé des partenariats entre pouvoirs publics et philanthropie en vue de résoudre les problèmes sociaux. Ces stratégies de financement s’ajoutent à une lame de fond qui se développe au sein des fondations depuis quelques années : la venture philanthropy. Les investisseurs sont ainsi de plus en plus nombreux à ne pas vouloir mettre de barrières entre, d’une part, la bienfaisance et le bien commun, et, d’autre part, l’investissement et la finance.
L’investissement d’impact
La finance sociale intègre une nouvelle approche en matière d’investissement, que l’on appelle investissement d’impact, ou impact investing. Dans ce cas, un investisseur cherche à placer de l’argent dans des entreprises qui génèrent un rendement financier associé à un impact social positif.
Le potentiel de l’investissement d’impact est important. Une étude de Monitors, publiée en 2009, estime que ce marché peut atteindre jusqu’à 500 milliards de dollars sur une période de 5 à 10 ans. Un rapport de Morgan Stanley, publié en novembre 2009, va même jusqu’à l’estimer à 1.000 milliards de dollars. Les bailleurs peuvent bénéficier d’un retour sur investissement allant jusqu’à 13%, à condition, bien sûr, que les projets dans lesquels ils ont investi réussissent.
Une multitude d’acteurs
Depuis quelques années, la finance sociale se structure et s’amplifie. Les acteurs sont de plus en plus nombreux à s’impliquer dans le domaine du social business et ils utilisent les outils du monde des affaires pour se développer. Il s’agit principalement des charities et des organismes de bienfaisance à l’anglaise, d’ONG, d’entreprises sociales, de banques solidaires, d’organisations de capital-risque social, de mutuelles, d’associations, d’investisseurs privés, de cabinets de social business engineering, d’acteurs de la philanthropie, de banques privées et de fonds de pension.
C’est dans ce contexte que, depuis 2010, se développent les social impact bonds, également appelés «obligations à impact social» ou encore «emprunts obligataires agissant dans la sphère sociale».
Les social impact bonds : un partenariat de l’efficacité
Un financement avec obligation de résultats
Définition par le groupe Pilote, Étude prospective Comment encourager la philanthropie privée au service du développement ?, mai 2012
Les SIB sont une modalité de financement innovante, proche du venture capital (capital-risque), qui repose entièrement sur le paiement aux résultats. Il s’agit donc d’un contrat mettant en place une obligation non pas de moyens mais de résultats. Le modèle des SIB fournit la possibilité aux pouvoirs publics de financer les politiques qui visent à résoudre des problèmes sociaux complexes, dans des domaines où les pouvoirs publics peinent à trouver des fonds. Ayant préalablement identifié un besoin social non ou mal satisfait, la puissance publique contracte avec un opérateur privé afin d’atteindre un objectif social précis. «Les SIB sont une forme non traditionnelle d’obligations émises par l’État sans taux d’intérêt fixe mais sur une période prédéterminée par lesquelles l’État s’engage à payer pour l’amélioration significative des résultats sociaux (comme une réduction du taux de délinquance) pour une population définie1.»
L’environnement lexical des obligations à impact social (OIS) est varié. Les OIS ou SIB sont associés à des termes comme social innovation, social entrepreneurship, social benefit bonds, social finance, rémunération au rendement, rendement du capital investi, économie sociale et solidaire, individual development account, financement solidaire, microcredits, venture capital, venture philanthropy…
Un contrat public-privé
La particularité de ces fonds repose sur leur gestion par des organismes privés, ce qui n’est pas nécessairement la règle en matière de social. Ce sont donc des financiers (organismes de philanthropie, investisseurs sociaux ou fournisseurs de services, mais aussi banques) à qui la puissance publique fait appel et qui prennent entièrement en charge le risque.
Tout d’abord, un contrat est négocié selon lequel le gouvernement s’engage à payer un taux de rendement sur le capital investi en contrepartie de meilleurs résultats sociaux. En vertu du contrat, l’intermédiaire contacté par le gouvernement recueille des fonds auprès d’investisseurs privés ou de fondations à vocation sociale. Il peut s’agir de personnes fortunées et de fiducies de bienfaisance, ou encore d’investisseurs, davantage en quête de profit.
Une fois les fonds de roulement nécessaires rassemblés, l’intermédiaire (ou les intermédiaires) se tourne vers les fournisseurs de services sociaux afin que ces derniers trouvent des solutions novatrices aux problèmes posés. Le degré de réalisation des résultats sociaux est alors déterminé par un évaluateur indépendant. Si le projet réussit, et donc que les effets sociaux souhaités sont atteints, le gouvernement (ou les collectivités territoriales) doit rembourser, par le biais de l’intermédiaire, une partie de la somme correspondant aux dépenses ainsi économisées, en fonction du degré de réussite. Le rendement des obligations est fixé par l’État. Il varie selon la taille du projet et en fonction de l’impact social atteint. Le coupon, variable, est donc émis avec une liste d’objectifs précis.
Si le projet en question n’atteint pas un certain nombre d’objectifs, les financiers perdent leur investissement initial. C’est pourquoi, aujourd’hui, les investisseurs sont essentiellement des organisations à but non lucratif (principalement des fondations, des trusts et des organisations de capital- risque social).
La plupart des projets se concentrent sur les problèmes sociaux qui se posent sur le long terme : absentéisme, aide médicale aux plus âgés, exclusion scolaire, justice pour les jeunes, récidives, réduction du taux d’homicide, services aux personnes ayant une déficience intellectuelle, sans-abri… Mais la tendance est à l’élargissement du concept de SIB à des domaines comme l’éducation ou la santé, en particulier au Royaume-Uni, pays pionnier en la matière. Les principaux bénéficiaires sociaux sont les populations les plus fragiles : les jeunes, les exclus sociaux, les handicapés et les immigrés.
La naissance anglo-saxonne des social impact bonds
Les SIB se sont d’abord développés au Royaume-Uni dès 2010 sous l’impulsion de la banque d’investissement social Social Finance, pionnière dans le domaine de la finance sociale. Social Finance est une organisation à but non lucratif qui cherche à fournir au secteur social un accès aux marchés de capitaux en structurant et en gérant de façon innovante des instruments financiers qui génèrent à la fois une utilité sociale et une rentabilité financière. À l’origine, la Commission on Unclaimed Assets («Commission des avoirs en déshérence»), créée par Ronald Cohen, un pionnier du capital-risque social, recommandait la création d’une banque d’investissement social pour accélérer le regroupement d’agences non gouvernementales de capitalisme social. Financé à partir des actifs restés sans mouvement depuis plus de quinze ans dans les caisses des banques commerciales et des sociétés de crédit foncier (dormant accounts), le groupe Big Society Capital fut créé en 2011. Il était doté de 234 millions d’euros de capitaux propres, issus du secteur bancaire, et de 468 millions d’euros issus des actifs sans mouvement. Depuis lors, Social Finance gère le produit financier pour investir dans des programmes de prévention : les SIB.
En 2011, les États-Unis ont adopté le principe des SIB en y associant principalement le département de la justice et de l’emploi. L’administration américaine a défini sept projets pilotes reposant sur le système des SIB. Cela représente près de 100 millions de dollars dans le budget fédéral de 2012. Les SIB ont connu d’importants développements en 2012 : deux accords ont été signés par la Ville de New York et l’État du Massachusetts. Les programmes mis en place constituent les premières expériences menées outre-Atlantique. Le gouvernement fédéral américain, des États comme le Connecticut, le Minnesota, l’État de New York, le comté de Cuyahoga (Ohio) ou encore le comté de Fresno (Californie) sont également en train d’introduire ou d’explorer les SIB. La plupart des programmes ciblent les chômeurs, les sans domicile fixe ou les détenus.
L’organisation Social Finance et le Center for Global Development, basé à Washington, étudient les possibles utilisations de ce type de financement dans les pays en développement.
Les initiatives de finance sociale que les pays élaborent actuellement peuvent prendre différentes formes et porter différents noms :
- contrats payés en fonction du succès (pay for success bon) pour le gouvernement fédéral des États-Unis ;
- financements en matière d’innovation sociale pour l’État du Massachusetts (États-Unis) ;
- obligations de prestations sociales (beneficial social impact) pour l’État de la Nouvelle-Galles-du-Sud (Australie) ;
- projets d’investissement social pour le ministère du Travail et des Pensions du Royaume-Uni. En plus de celui de Peterborough, il existe d’autres modèles, dont ceux où le gouvernement paie directement les investisseurs ou les organismes qui offrent des services.
Des expérimentations essentiellement anglo-saxonnes
Les expérimentations au Royaume-Uni
L’expérience de Peterborough : lutter contre la récidive
Au Royaume-Uni, 60% des détenus qui sortent après avoir purgé des peines de courte durée retournent en prison dans l’année qui suit leur libération. Un constat alarmant qui a poussé le gouvernement britannique à envisager l’innovation sociale comme moyen de réduire ce taux important de récidive.
Un accord de partenariat a été conclu entre le ministère de la Justice britannique et Social Finance Ltd., dont la vocation est d’aider les associations caritatives et les entreprises sociales à trouver des financements pérennes. Ce programme baptisé «One Social Bond» ou «One Service,» lancé dans le domaine carcéral, à Peterborough en septembre 2010, est le premier programme pilote des SIB. Social Finance joue un rôle d’intermédiaire. Les investissements sont limités aux fondations et aux clients fortunés, trusts privés ou familiaux. Social Finance a ainsi levé 5 millions de livres venant de la philanthropie. L’objectif est d’éviter que les 3.000 détenus qui purgent une peine de courte durée dans la prison de Peterborough récidivent au cours des six années suivantes. Le courtier est payé seulement si le taux de récidive chute d’au moins 7,5% par rapport au taux de récidive d’un groupe de référence semblable d’ex-détenus, non pris en charge dans le cadre du programme. Plus le taux de récidive est faible, plus l’État économise sur le coût de la réincarcération, et plus les investisseurs sont rémunérés – dans la limite d’un retour sur investissement de 13%.
Le dernier bilan d’étape, en 2011, montre des signes très encourageants : le taux de participation au programme est élevé et la police se dit satisfaite de l’initiative. Social Finance s’est associé avec le Center for Global Development, pour former un groupe de travail, Development Impact Bonds (DIBs), dont l’objectif est d’explorer les nouvelles formes de mécanismes financiers comparables. À l’inévitable question du retour sur investissement de ce programme, la réponse est encore timide. Le bilan de l’expérience ne sera pas connu avant 2014.
Le projet «Homeless people» de Londres et le projet «Adolescents at risk» du comté d’Essex
Deux nouveaux SIB ont été annoncés par le gouvernement britannique pour une valeur de 8 millions de livres afin d’aider les sans domicile fixe à Londres et de soutenir les adolescents à risque dans le Comté d’Essex. Les deux projets sont gérés par l’organisation Social Finance.
Le projet de Londres, diligenté par la Greater London Authority et financé par le Department for Communities and Local Government, a pour objectif de sortir plus de 800 personnes de la rue. Il est prévu pour une période de trois ans. Deux organismes caritatifs, le Thames Reach et le St Mungo’s, fourniront le service. Les intervenants seront payés en fonction de la réalisation de plusieurs objectifs : la réduction du nombre de personnes qui dorment dans la rue, leur transfert dans des meublés et la diminution de l’utilisation des services d’urgence (A&E). Le montant de l’obligation s’élève à 5 millions de livres.
Le projet du comté d’Essex, financé par l’Essex County Council, se préoccupe d’une centaine de jeunes âgés de 11 à 16 ans en voie de marginalisation avancée. Le programme est porté par Action for Children. Le succès de la mesure sera établi en fonction de la réduction du nombre de jours de soins donnés à ces jeunes, des résultats scolaires et de leur réintégration. Le projet, qui coûte 3 millions de livres, implique deux organismes, Bridges Ventures et Big Society Capital. Le Conseil du comté d’Essex souhaite soutenir le modèle des SIB et une liste de quinze nouveaux projets est à l’étude.
Les expérimentations aux États-Unis
L’organisation Social Finance Inc. travaille actuellement avec les décideurs politiques dans un certain nombre d’États qui envisagent de lancer des SIB. Elle a ainsi épaulé la mise en place de plusieurs programmes, notamment au Massachusetts.
Le Massachussetts et la réinsertion des jeunes
En mai 2011, l’État du Massachusetts est devenu le premier État américain à étudier formellement la mise en œuvre de cet outil de financement avec des organismes à but non lucratif et à avoir lancé deux programmes de SIB à destination, d’une part, des jeunes ayant des problèmes avec la justice et, d’autre part, des sans-abri chroniques.
Dans le premier programme, l’État a engagé un partenariat avec des organisations d’utilité publique dont la vocation est d’aider les jeunes, déscolarisés ou marginalisés, à sortir de la violence et de la pauvreté. L’une de ces organisations, Roca, milite pour modifier les parcours de vie des jeunes à haut risque, impliqués dans le crime ou développant des comportements dangereux. L’objectif est de les réinsérer dans la société par l’éducation et l’accès à l’emploi. Un rapport de la Fondation Heartland montre que le taux de récidive moyen atteint 40% et coûte 45.000 dollars par détenu. Lorsqu’il s’agit d’un programme piloté par Roca, le taux de retour à la détention, après un an, n’est que de 2% et le coût n’est que de 5.000 dollars par jeune et par an sur une durée de 3 à 4 ans. L’État du Massachussetts a sélectionné deux organisations comme intermédiaires : le Third Sector Capital Partners, un cabinet de conseil financier à but non lucratif, et le New Profit Inc.
Dans le second programme lancé par le Massachusetts, l’administration a développé un partenariat avec des organisations dont l’action sociale porte sur l’octroi de logements pérennes à des centaines de personnes sans domicile fixe pour diminuer le nombre d’abris de fortune et les soins à apporter à ces populations. L’État a choisi deux intermédiaires à but non lucratif, le Massachusetts Housing et le Shelter Alliance, pour piloter le contrat, avec le soutien de partenaires comprenant le Corporation for Supportive Housing, le Third Sector Capital Partners et l’United Way of Massachusetts Bay and Merrimack Valley.
Le programme «Adolescent Behavioral Learning Experience» à New York
Le 2 août 2012, la Ville de New York a établi un partenariat financier avec la banque Goldman Sachs pour mener un programme visant à réduire le taux de récidive des jeunes délinquants de la prison de Rikers Island. Selon l’administration de la Ville de New York, environ 50% des jeunes adultes quittant le système correctionnel récidivent dans l’année qui suit. Le programme, baptisé «Adolescent Behavioral Learning Experience (ABLE)», a pour but d’améliorer l’éducation et la formation de ces jeunes adultes. C’est la première initiative de SIB dans laquelle interviennent une institution financière privée et un pourvoyeur de services publics, Manpower Demonstration Research Corporation (MDRC), spécialisé depuis 1974 dans la mise en œuvre de nouvelles approches pour lutter contre la pauvreté et les inégalités. MDRC emprunte auprès de Goldman Sachs, qui lui octroie un crédit de 9,6 millions de dollars (environ 7,6 millions d’euros) sur quatre ans. Si le taux de récidive atteint 10%, la banque récupérera le prêt qu’elle a consenti. Si ce taux descend plus bas encore, la banque fera presque 2 millions de dollars de profit. En revanche, si elle n’atteint pas ses objectifs, Goldman Sachs perdra 2,4 millions de dollars. Le restant des 9,6 millions sera garanti par Bloomberg Philanthropies, la fondation du maire de New York. Le prêt couvre les frais de fonctionnement de l’expérience sur quatre ans. Deux associations, Osborne Association et Friends of Island Academy, ont en charge le projet éducatif, qui concerne environ 3.000 adolescents chaque année. Ces associations seront supervisées par MDRC. Pour éviter toute tentation de distorsion, le taux de récidive sera évalué par un tiers indépendant. Il faudra attendre jusqu’en 2016, pour savoir combien de jeunes délinquants ont repris le bon chemin. Pour Goldman Sachs, l’intérêt d’investir dans les SIB est de se positionner sur le marché de l’investissement social, secteur que la banque entend développer. Certains critiquent ce partenariat en mettant en avant les velléités hégémoniques d’un groupe à la réputation controversée. Selon les plus virulents, la haute finance menacerait les fondements d’un champ d’activités jusqu’ici relativement épargné par le lucre.
Le «Fresno Program»
Ce programme test, piloté par le Collective Health LLC, est le premier exemple qui a pour but de sensibiliser les investissements privés aux problèmes de santé. Le programme concerne le traitement de l’asthme chez les enfants, maladie particulièrement endémique dans le comté de Fresno, en Californie. Celui-ci compte en effet 200.000 personnes souffrant d’asthme. Chaque année, cela occasionne 6.000 visites en urgence et 100 hospitalisations. Le coût annuel de cette affection, incluant les pertes de productivité au travail, représente 87 millions de dollars. Les fournisseurs de soins ont pu se rendre compte que, grâce à ce programme, ces chiffres avaient nettement diminué.
«The Grand Experiment»
Un autre exemple, baptisé «The Grand Experiment», est en cours. Il concerne un projet discuté entre le gouverneur du Connecticut et une agence sociale à but non lucratif de Boston pour aider des ex-prisonniers dans leur réinsertion en milieu professionnel.
Le Canada et le rendement du diplôme
Des modèles comparables existent au Canada, comme la rémunération au rendement. Ce système a vu le jour en Alberta au milieu des années 1990, période durant laquelle les établissements d’enseignement étaient tenus de rendre des comptes sur leur rendement. Dans le cadre d’une entente de rémunération au rendement, le financement est lié à des résultats mesurables. La totalité des fonds n’est versée que lorsque les objectifs sont atteints. Il est parfois possible que des fonds supplémentaires soient versés si les objectifs sont dépassés. Outre les autres enveloppes de financement, un fond a été mis sur pied dans le but d’appuyer les moyens novateurs et efficaces permettant d’accroître le nombre de places pour étudiants tout en répondant aux besoins du marché du travail. Le gouvernement de l’Alberta assure le suivi des résultats. Il est particulièrement vigilant sur l’obtention d’emplois par les diplômés. Il est également attentif aux données recueillies sur la satisfaction des employeurs par rapport à la formation et au niveau de compétences des nouveaux diplômés qu’ils ont embauchés. Les universités sont toutes tenues de maintenir un bon rendement relativement à ces mesures axées sur le marché et les résultats. Récemment, le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada (RHDCC) a mis en place un groupe de travail interministériel pour déterminer les obstacles juridiques et administratifs à l’élaboration et à la mise en œuvre des obligations à impact social et d’instruments de finance sociale semblables. Ce projet pilote s’attache à mettre à l’essai les paiements axés sur le rendement, l’investissement initial du secteur privé, le rendement de l’investissement et des nouveaux modèles de partage des risques entre le gouvernement fédéral et les organismes non gouvernementaux.
Au printemps 2010, une mission a été confiée par le Premier ministre de l’Ontario au Groupe d’étude canadien sur la finance sociale. L’objectif de cette mission est d’encourager l’adoption par les entreprises sociales de modèles de gestion fondés sur l’innovation, et ainsi de formuler des recommandations favorisant un soutien accru des secteurs public et privé à la finance sociale.
Les expérimentations en Australie
Un appel d’offres sur les social benefit bonds a été lancé en septembre 2011 en Australie. Au cœur de ce dispositif, le Centre for Social Impact (CSI), dont la vocation est de rassembler le monde des affaires, les pouvoirs publics et les organismes à but non lucratif afin de développer des collaborations dans le domaine de l’innovation sociale. Le CSI s’est donné pour objectif de développer les SIB dans le domaine de l’enseignement, de la recherche et de la promotion du débat public. Il réunit des écoles de commerce de l’université de Nouvelle-Galles-du-Sud, l’université de Melbourne, la Swinburne University of Technology ainsi que l’université d’Australie-Occidentale. L’objectif est de favoriser l’innovation sociale et de faciliter la formation à la responsabilité sociale sur le plan du business, dans le but de construire une société civile plus forte. Une initiative est aussi lancée par l’État de Nouvelle-Galles-du-Sud dans le domaine de la santé.
La France plus réticente ?
Des outils comme les SIB pourraient-ils voir le jour dans d’autres pays que le Royaume-Uni ou les États-Unis ? Par exemple dans des pays comme la France, par tradition plus réticents que les pays anglo-saxons, à la privatisation de l’économie ? C’est la question posée par Marion Vallet-Moison, cofondatrice du cabinet SB Factory, et François de Witt, responsable de Finansol, organisme de finance solidaire.
À première vue, le SIB est un phénomène purement anglo-saxon. Il n’existe pas d’expérience en dehors du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Australie et du Canada. Seuls quelques pays ont montré leur intérêt, comme la Belgique et le Portugal. Israël s’est aussi engagé sur cette voie pour financer des politiques sociales soutenues par l’État. L’Irlande étudie la question et des organismes allemands se montrent intéressés (Bertelsman Stiftung/Social Venture Fund). Mais cet intérêt reste très informel et limité au secteur privé. En France, il n’existe pas d’intérêt prononcé pour le phénomène, sauf la volonté de comprendre comment cela fonctionne sur le plan théorique.
SB Factory est actuellement le seul cabinet de conseil en ingénierie qui se soit penché sur les obligations à impact social dans le but de mieux cerner la nature et la portée de ce dispositif issu de la tradition libérale anglo-saxonne. Le cabinet a passé au crible les aspects de la relation contractuelle des expériences menées dans les pays anglo-saxons et des risques d’un tel modèle. Il a produit une étude (SIB: Is There a Case for France) qui présente le mécanisme, les relations contractuelles entre les différentes parties prenantes ainsi que les risques liés à la mise en œuvre d’un tel outil de financement (risques d’exécution, risque financier, éthique, économique…). Cette étude a été présentée le 22 mai 2013 à des parties prenantes (États, financiers, académies, associations) lors d’une table ronde organisée par SB Factory, en partenariat avec l’association Finansol. Étaient invités des représentants de la finance solidaire, des impact investisseurs, des représentants du conseil stratégique du Premier ministre ou encore des banques comme BNP Paribas. Pour SB Factory et Finansol, l’enjeu est de savoir s’il y a un intérêt à monter un groupe de travail structuré et de définir un projet pilote en France, notamment avec des économistes, pour évaluer la faisabilité, compte tenu des traditions administratives.
Les social impact bonds : une révolution ?
L’émergence d’outils comme les SIB est-elle le signe d’une forme de maturité de la philanthropie ou bien n’est-ce qu’un épiphénomène passager dont la diffusion restera limitée ?
Les avantages perçus des social impact bonds
L’avantage initial des SIB est d’économiser des deniers publics à long terme. De plus, tous les acteurs prenant part aux projets peuvent être gagnants, car seuls les projets potentiellement performants sont financés. Tout d’abord, les contribuables et la collectivité : avec les SIB, ils sont protégés du financement de programmes voués à l’échec, le risque inhérent à ces projets reposant sur les investisseurs privés. Ni les citoyens ni la collectivité ne déboursent un centime si le programme échoue. Les porteurs de projets sont également gagnants : ils reçoivent quant à eux la source de financement dont ils ont besoin pour mener à bien leur entreprise. Les investisseurs privés bénéficient également de ce système : ils peuvent espérer obtenir une rémunération du crédit en cas de succès du projet financé.
D’autre part, l’obligation à impact social fournit la possibilité aux gouvernements de catalyser des interventions préventives plutôt que de gérer les conséquences des interventions sociales et de réduire le puits sans fond des politiques d’assistanats inefficaces. Les projets sont triés avec précaution afin d’atténuer le plus possible les risques, ce qui limite le nombre de projets susceptibles d’être financés mais récompense les projets les plus solides et élimine les solutions qui ne répondent pas aux attentes. De plus, ces emprunts remboursables, s’ils réussissent, ouvrent la voie à de nouveaux instruments permettant aux pouvoirs publics de lever des capitaux provenant du secteur privé. Par ailleurs, les SIB représentent, pour les gouvernements, les États ou les collectivités, la possibilité de mettre en place une rigoureuse évaluation des coûts et des avantages des politiques de l’État. Ils permettent également l’expérimentation de nouveaux services sans que les pouvoirs publics aient à payer en cas d’insuccès. Il est certain que l’impact social a toujours été difficile à mesurer et il continuera de l’être. Toutefois, la sensibilisation aux SIB est en cours et l’industrie visant à les évaluer est en plein essor, ce qui va rendre progressivement la mesure du rendement social moins ardue.
Les obligations à impact social permettent à chaque organisme participant d’offrir le meilleur de ses compétences pour assurer la prestation de services sociaux tout en faisant preuve de plus d’innovation et de souplesse, car les SIB permettent une plus grande adaptation.
D’une manière plus générale, l’approche des SIB, qui repose sur une culture du résultat, pourrait provoquer un changement de méthode dans le secteur public et même lui être avantageux sur le long terme. Tout d’abord, puisqu’elle ne prend pas directement le risque, la puissance publique est plus encline à initier des programmes expérimentaux dans des domaines sociaux complexes et incertains. Mais les SIB permettent également de mieux résoudre certains problèmes complexes. Ainsi, du fait de leur complexité, certains problèmes sociaux impliquent la collaboration de plusieurs groupes et la combinaison de divers points de vue, ce que rendent possibles les SIB. Enfin, les obligations à impact social influent fortement sur la structure des programmes de service sociaux, ce qui aura des incidences tant pour les ministères que pour les organismes du secteur social.
Mais les SIB sont également favorables aux ONG puisqu’ils facilitent la levée de fonds pour celles qui ont fait preuve de leur utilité. De plus, les éventuels bénéfices financiers s’ajoutent aux retombées positives en termes d’image, liées au financement de projets sociaux.
D’après l’OCDE, les SIB constituent une solution innovante pour impliquer les investisseurs privés : ils sont en effet plus facilement motivés pour investir dans des actions sociales. Des experts de l’Université de Harvard, estiment que les SIB sont l’accord gouvernemental le plus intéressant qui ait été signé sur le plan mondial en 2012.
Un concept qui doit faire ses preuves
Tracy Palandjian, PDG de Social Finance Inc., promoteur des SIB, reconnaît que ce modèle est encore trop récent pour être présenté comme un concept qui fait ses preuves. En effet, l’impact social ne se mesurant pas à court terme, l’efficacité de tels outils reste difficilement perceptible, faute de recul suffisant pour évaluer leur pertinence. La principale difficulté est la mesure des retombées des investissements, nécessaire pour donner des garanties aux investisseurs. Qu’est-ce qu’un impact ? Comment cela se mesure-t-il ? Comment cela se valorise-t-il ? Qu’est-ce qu’un bon contrat ? Ainsi, pour que les SIB soient attractifs, il est impératif que les résultats soient réalistes, réalisables et mesurables. Or il y a un risque d’aléa moral si l’autorité qui mesure l’impact n’est pas indépendante ou de bonne foi. Le risque est aussi, de l’avis de l’organisme Third Sector Capital Partners, que chacun, dans le système, veuille que cela réussisse. La question de l’objectivité des évaluateurs est ainsi capitale.
D’autre part, il est nécessaire de ne pas vouloir généraliser outre mesure le recours aux obligations à impact social. Ainsi, bien qu’elles puissent s’appliquer à différents problèmes sociaux, le modèle ne doit pas être perçu comme une solution universelle adaptée à toutes les questions de société. Par exemple, une prévention réussie induit une baisse des frais pour maladie et arrêt de travail, plus efficace qu’une action a posteriori. Autre reproche régulièrement fait aux SIB : celui de l’honnêteté de ses acteurs. Il serait en effet un bon coup de publicité pour des banques connues pour être spéculatives et assez peu sociales. Les SIB peuvent donc s’avérer suspects.
Les opposants aux SIB insistent également sur la complexité de ce système qui nécessite une forte ingénierie sociale et une évaluation précise du coût des politiques publiques. Il n’est pas toujours aisé de concilier les méthodes du secteur public et du secteur privé, car la structure des institutions publiques gêne souvent les possibilités de telles collaborations. En effet, les SIB supposent un changement de paradigme étant donné que la puissance publique n’est plus dans sa fonction de fournisseur de la réponse sociale et de garant du bien commun mais devient le client d’organisations tierces censées être plus efficaces, ce qui provoque un risque de déresponsabilisation des pouvoirs publics. Autrement dit, encourager les investisseurs à faire des bénéfices privés qui permettent aux représentants de la chose publique de se défausser et de ne pas prendre leurs responsabilités sur des sujets graves. Ainsi, en accordant au secteur privé la légitimité d’agir sur le terrain de l’action publique, les gouvernements ou les collectivités reconnaissent leur incapacité à résoudre des problèmes sociaux complexes, avec la perspective d’une perte de souveraineté dans des domaines qui leur sont habituellement réservés. Pour certains critiques, c’est l’idée même des SIB qui est impraticable car le modèle ignore les réalités politiques. D’autres vont plus loin, estimant qu’il faut abandonner l’idée de vouloir financer des projets en espérant qu’ils réussissent, le risque étant, alors, de ne rien financer du tout.
Mais la principale critique faite à l’encontre des SIB concerne la moralité de la chose. Est-il éthique que certaines organisations puissent espérer une rémunération sur des crédits destinés à des projets sociaux au centre desquels se jouent des destins humains ? Les bénéfices réalisés ne devraient-ils pas être automatiquement réinvestis dans d’autres projets sociaux ? Telles sont les questions de société que soulève le phénomène des SIB.
La plupart des spécialistes de la finance sociale restent cependant convaincus que la question des SIB doit rester ouverte. Elle fait débat dans la plupart des pays. Et les expériences en cours sur la base des résultats rassemblés devraient apporter des enseignements.
Annexe
Sources et principaux acteurs des social impact bonds
Social finance : Tracy Palandjian, PDG de Social Finance Inc. ; Alicia Helbits, directrice de la recherche et la communication de Social Finance, http://www.socialfinance.org.uk/resources/social-finance/social-impact- bonds-one-service-one-year.
Groupe pilote : Étude prospective, « Comment encourager la philanthropie privée au service du développement ? Les financements innovants », http://www.leadinggroup.org/IMG/pdf/Philanthropie_BD.pdf, mai 2012.
Rapport Deloitte. David Chemla, consultant, « Payer pour obtenir des résultats. Résoudre les questions complexes de notre société grâce aux obligations à impact social ».
Groupe d’étude canadien sur la finance sociale : Ilse Treurnicht, chef de direction, La Mobilisation de capitaux privés pour le bien collectif. Rapport du groupe d’étude canadien sur la finance sociale, http://www.bdaa.ca/biblio/apprenti/mobilisation_capitaux_prives/ mobilisation_capitaux_prives.pdf, décembre 2010.
Génération de l’innovation sociale (SiG). Social Innovation Generation. Toronto. (info@sigeneration.ca.) Tim Draimin ( tim@sigeneration.ca), directeur executive. Revue Horizons : ITW Tim Draimin sur le financement social. http://www.horizons.gc.ca/doclib/2011_0061_TRANS_Draimin_f.pdf
Third Sector Capital Partners cabinet de conseil financier à but non lucratif, spécialisé dans les SIB.
Rapport McKinsey & Company, Les 7 parties prenantes des social impact bonds, 2012.
SB Factory. Marion Vallet-Moison, fondatrice Associée, (marion.vallet-moison@sbfactory.net.)
OCDE/CFE. Antonella Noya, administrateur. SMEs, Entrepreneurship and Innovation OECD, 2010.
«Quelle place pour l’entrepreneuriat social en France ?», Caroline Lensing- Hebben, chargée de mission, Centre d’analyse stratégique/LEED-OCDE, 2011.
European Venture Philanthropy Association (EVPA). Lisa Hehenberger, directeur de recherche.
Colloque de l’Essec, « Les nouvelles frontières du financement de l’innovation sociale », 28 juin 2012. Il est question des SIB (Vincent Fauvet, directeur général Investir et Plus, Nicolas Hazard, président). Le Comptoir de l’innovation. Groupe SOS, European Venture Philanthropy. Association.
Ministère des Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) Promouvoir la finance sociale au Canada. Aller de l’avant vers les obligations à impact social (2012).
Centre de recherche sur les innovations sociales (Crises), www.crises.uqam.ca/cahiers/ET0314.pdf.
Autres spécialistes ayant travaillé sur la question des sib :
Camille Guézennec, Centre d’analyse stratégique, expert.
Virgine Seghers, maître de conférences à Science Po et consultante pour les fondations et les entreprises.
Filippo Addari, directeur exécutif, Euclid Network.
Corrinne Callaway, Chief Operating Officer, Social Finance (UK). Camille Guezennec, chargée de mission, Conseil d’analyse stratégique.
Jim Robinson, Senior Policy Advisor, Social Investment and Finance Team, Cabinet Office (UK)
François de Witt, Finansol.
Les acteurs en France, intéressés par la problématique :
Jacques Dasnoy, Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves).
Nicole Notat, PDG de Vigeo, responsable du groupe de travail «Promouvoir et valoriser l’entrepreneuriat responsable».
Cabinet de M. Benoît Hamon, ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire.
Hugues Sibille, président d’Avise, membre du Conseil supérieur de l’économie sociale et du Conseil national de l’insertion.
Sandra Desmestre, membre du cabinet de Michel Sapin. Cabinet de M. Michel Sapin, ministre du Travail.
Pierre Valentin, Crédit coopératif, DG délégué. BNP Paribas.
Conseil stratégique (cabinet du Premier ministre).
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