Résumé

Introduction*

I.

Données et comparabilité

II.

Incidents et exposition

1.

France, Royaume-Uni, Allemagne et Suède

2.

Norvège

3.

Danemark

4.

Russie

III.

Les auteurs de violences antisémites

1.

France, Royaume-Uni, Allemagne et Suède

2.

Norvège

3.

Danemark

4.

Russie

IV.

Les enquêtes sur les opinions

Conclusion

Recommandations

Bibliographie

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Résumé

Quelle est la fréquence des actes antisémites violents dans l’Europe d’aujourd’hui et quelles sont les tendances ? Dans quelle mesure les populations juives sont-elles exposées dans les différents pays ? Qui commet ces crimes ? Il est impératif de répondre à ces questions aussi précisément que possible afin de combattre efficacement l’antisémitisme, de manière générale, et l’antisémitisme violent, en particulier, mais les connaissances pour mener ces recherches font défaut car les études systématiques sur le sujet sont rares. Pour contribuer à combler ces lacunes, ce rapport tente d’établir des conclusions sur l’antisémitisme violent dans un groupe de pays européens et propose des recommandations pour approfondir la recherche.

En combinant les données relatives aux incidents fondées sur les rapports de police avec les résultats d’une enquête sur l’antisémitisme réalisée en 2012 par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), ce rapport tente d’établir une première comparaison des niveaux de violence antisémite dans différents pays. L’échantillon de sept pays (Allemagne, Danemark, France, Royaume-Uni, Norvège, Suède et Russie) comporte des données qui ne permettent de faire des comparaisons qu’entre quatre d’entre eux (France, Royaume-Uni, Allemagne et Suède). Parmi ces pays, c’est en France que l’exposition des Juifs à la violence antisémite semble la plus forte, suivie de la Suède et de l’Allemagne, puis du Royaume-Uni.

Les chiffres pour la Norvège, le Danemark et la Russie ne sont pas directement comparables car les données recueillies ne sont pas homogènes. Cependant, la Russie se distingue nettement par un très faible nombre d’incidents visant la population juive, importante pourtant en termes relatifs dans le pays. La Russie est également le seul cas où peu d’éléments indiquent que les Juifs évitent d’afficher leur identité en public.

Concernant les auteurs d’actes antisémites violents, les données disponibles montrent, en Europe de l’Ouest, la prédominance d’individus de culture musulmane, alors qu’en Russie le profil qui prévaut est celui des délinquants d’extrême droite. Les enquêtes corroborent ce constat dans la mesure où, en Europe de l’Ouest, les attitudes antisémites sont beaucoup plus répandues chez les musulmans que dans la population en général. Les résultats présentés ici constituent une première contribution. Il faudra davantage de données, de meilleure qualité, et une recherche plus approfondie pour avoir une idée plus précise de la nature et des causes de la violence antisémite, condition préalable à la définition de réponses pertinentes à apporter.

Johannes Due Enstad,

Département de littérature, d’études régionales et de langues européennes, université d’Oslo Centre de recherche sur l’extrémisme (C-REX), université d’Oslo.

Absolument condamné en Occident après l’Holocauste, l’antisémitisme – la haine et l’hostilité envers les Juifs « parce qu’ils sont juifs » – n’a pas cessé cependant de se manifester, à la fois dans les attitudes et dans les actes. Selon un sondage réalisé en 2015 et publié par le Pew Research Centre, les opinions antisémites existent en proportions variables dans les pays européens, allant de 28% en Pologne à 7% en France et au Royaume-Uni2.

Toutefois, les actes sont plus manifestes que les opinions, et les pays ayant un faible niveau d’antisémitisme dans l’opinion, comme la France, peuvent avoir des niveaux élevés d’incidents antisémites.

Notes

*.

La présente note est fondée sur un travail de recherche réalisé avec le soutien du Centre d’études de l’Holocauste et des minorités religieuses (CSHRM), du département de littérature, d’études régionales et de langues européennes de l’université d’Oslo et du Centre de recherche sur l’extrémisme (C-REX) de cette même université. Kristine Bjørndal a apporté sa précieuse contribution à cette recherche. Je tiens également à remercier Anders Jupskås, Jacob Ravndal et Tore Bjørgo, du C-REX, ainsi que Vibeke Moe, Lars Lien, Øivind Kopperud et Cora Alexa Døving, du CSHRM, pour leurs commentaires et leurs corrections avisés.

+ -

2.

Bruce Stokes, « Faith in European Project Reviving », pewglobal.org, 2 juin 2015.

+ -

3.

Anti-Defamation League, « 2012 Audit of Anti-Semitic Incidents by Type », s.d. . Il faut toutefois noter que le nombre d’incidents enregistrés a augmenté depuis 2013 (voir Anti- Defamation League, « ADL Audit: U.S. Anti-Semitic Incidents Surged in 2016-17 », s.d.

+ -

Depuis le début du millénaire, le nombre d’incidents antisémites enregistrés dans le monde a considérablement augmenté (voir graphique 1). Aux États-Unis, cependant, pays qui compte la plus grande population juive après Israël, le niveau a diminué au cours de la période 2004-20123, ce qui signifie que, pour l’Europe seule, l’augmentation est plus forte que celle indiquée dans le graphique 1.

Graphique 1 : Incidents antisémites enregistrés dans le monde (harcèlement, vandalisme et violence), 1989-2015

Source : Kantor Centre.

Notes

4.

Voir le graphique 8 de la présente note. Selon une enquête menée en 2014-2015 au Royaume-Uni, 25% des Juifs britanniques avaient envisagé de quitter le pays au cours des deux dernières années en raison de l’augmentation de l’antisémitisme. Voir « Campaign Against Antisemitism »,Annual Antisemitism Barometer. 2015 Full Report, 2015.

+ -

5.

Tobias Stern Johansen et Benjamin Krasnik, « Europæiske jøder flytter i hobetal », kristeligt-dagblad.dk, 27 janvier 2016.

+ -

Les incidents antisémites se manifestent le plus souvent par des discours ou des actes de vandalisme, caractérisés par une dimension violente. Les attentats terroristes de janvier 2015 à Paris et ceux du mois suivant à Copenhague sont parmi les cas les plus extrêmes de ces dernières années. De telles attaques sont rares, mais des attaques violentes d’un moindre niveau se produisent fréquemment contre des Juifs dans plusieurs pays européens. Les actes antisémites violents sont probablement l’une des principales raisons qui expliquent pourquoi de nombreux Juifs ne se sentent pas en sécurité et évitent d’afficher leur identité en public. Selon une enquête de 2012, un Juif sur cinq en Suède et au Royaume-Uni, un sur quatre en Allemagne et près de la moitié en France ont déclaré avoir envisagé d’émigrer en raison de l’insécurité qu’ils ressentaient4. En 2015, environ 10.000 Juifs ont quitté l’Europe de l’Ouest pour se rendre en Israël, soit la vague de départs la plus importante depuis 19485.

De tels chiffres montrent que l’antisémitisme dans l’Europe d’aujourd’hui est perçu comme une menace majeure par un grand nombre de Juifs et soulignent la nécessité d’actualiser les données dont nous disposons à ce sujet. Ce n’est qu’une fois que nous disposerons de connaissances plus précises sur ce phénomène et son évolution que nous serons en mesure de savoir s’il faut rassurer ou alerter, et, dans ce cas, décider de prendre les mesures appropriées.

La présente note pose trois grandes questions:

– que savons-nous réellement du niveau et de l’évolution de la violence antisémite dans les pays européens étudiés ?
– que pouvons-nous dire de la différence observable entre les niveaux d’exposition des Juifs à la violence antisémite selon les pays considérés ?
– que savons-nous des auteurs de ces actes ? Bien que les rapports sur les incidents antisémites ne manquent pas, ils ne mesurent pas spécifiquement l’exposition à des incidents violents et ne permettent pas d’établir des comparaisons entre pays. Les principaux obstacles à la comparaison sont, d’un côté, les différences entre les niveaux de signalement par les victimes et, de l’autre côté, les différentes méthodes d’enregistrement utilisées par la police. Cependant, comme nous le verrons, le premier obstacle peut être surmonté en utilisant les données disponibles sur les signalements effectués par les Juifs dans les différents pays. Le second obstacle, c’est-à-dire les différentes méthodes d’enregistrement de la police, est plus difficile à surmonter. Néanmoins, il est possible d’esquisser des comparaisons entre certains pays en combinant les données de signalement des incidents avec les résultats de l’enquête de 2012 sur l’antisémitisme de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA)6. Ces comparaisons sont importantes car elles fournissent une base pour expliquer pourquoi les niveaux de violence antisémite, les niveaux d’exposition à cette violence ainsi que les types d’auteurs de cette violence varient d’un pays à l’autre, ce qui est indispensable à l’élaboration de dispositifs de lutte contre l’antisémitisme. Cette note n’explique pas les variations mais propose de franchir une étape en procédant à une première comparaison entre les pays.
Le panel se compose de sept pays européens : Allemagne, Danemark, France, Royaume-Uni, Norvège, Suède et Russie. Ce travail porte sur un panel restreint en raison des contraintes de temps et de ressources. La France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Russie ont été inclus car
c’est dans ces pays que vivent les plus grandes minorités juives d’Europe. En outre, ces pays ont des institutions qui ont recueilli et publié des données sur les incidents antisémites au cours des dix dernières années. Les pays scandinaves ont été inclus en raison de l’intérêt particulier des chercheurs pour les tendances actuellement observées en Norvège et dans les pays voisins. Seuls les actes antisémites violents commis entre 2005 et 2015 ont été pris en compte ici, y compris les actes de violence physique contre les individus et les attaques graves contre des bâtiments pouvant mettre en péril la vie et l’intégrité physique (comme les attentats à la bombe). Les actes de vandalisme, les menaces et le harcèlement ont été exclus. Par rapport aux insultes verbales et aux actes de vandalisme, la violence physique a un effet de terreur plus important et doit donc être étudiée séparément des autres types d’incidents, moins graves.

I Partie

Données et comparabilité

Notes

8.

https://cst.org.uk/

+ -

9.

Les chiffres de 2005-2014 sont disponibles dans Antisemitism. Overview of data available in the European Union 2004-2014, de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), 2015, p.36. Pour consulter les chiffres de 2015, voir « Antisemitismus: Mehr als 1.300 antisemitische Straftaten in Deutschland erfasst », zeit.de, 13 mai 2016.

+ -
+ -

11.

À partir de 2008, un nouveau domaine a été introduit dans le système national de la police suédoise pour enregistrer les crimes signalés. Depuis, les policiers doivent indiquer si une suspicion de crime haineux s’applique ou non. En outre, en 2008 la définition des crimes de haine a été élargie avec la suppression du critère exigeant que l’auteur appartienne à la population majoritaire de la Suède et la victime à un groupe minoritaire. Voir Hatbrott 2008, Brå, 2009, p. 19.

+ -

12.

Les répondants de l’enquête ne constituent pas un échantillon aléatoire. Bien qu’elle ne soit pas statistiquement représentative, l’enquête de la FRA constitue actuellement le meilleur point de départ pour étudier les expériences d’antisémitisme des Juifs dans l’Europe d’aujourd’hui. Pour obtenir des informations détaillées sur l’enquête, voir European Union Agency for Fundamental Rights (FRA), Discrimination et crimes de haine à l’égard des personnes juives dans les États membres de l’UE : expériences et perceptions de l’antisémitisme, 2013 , et Technical report: FRA survey – Discrimination and hate crime against Jews in EU Member States: experiences and perceptions of antisemitism, 2013.

+ -

13.

John van Kesteren, Jan van Dijk et Pat Mayhew, « The International Crime Victims Surveys. A retrospective», International Review of Victimology, vol. 20, n° 1, janvier 2014, p. 51-52.

+ -

14.

Voir « Hatkriminalitet: Statistikk og rapporter om anmeldt hatkriminalitet i Oslo », n°, 5 avril 2016.

+ -

18.

Rigspolitiet, Nationalt Forebyggelsescenter (NFC), Hadforbrydelser i 2015. Rigspolitiets årsrapport VEDRØRENDE hadforbrydelser, juin 2016.

+ -

Pour les incidents violents en France, au RoyaumeUni, en Allemagne et en Suède, deux séries de données ont été utilisées : chiffres basés sur les incidents signalés et résultats de l’enquête de la FRA sur l’antisémitisme en Europe. Une tentative de comparaison des niveaux de violence dans ces quatre pays semble possible. Les données pour les autres pays sont plus fragmentées, ce qui rend la comparaison moins fiable. Les données relatives aux incidents en France ont été obtenues à partir des rapports annuels du Service de protection de la communauté juive (SPCJ), qui coopère étroitement avec les autorités policières françaises7. Les chiffres du SPCJ sont fondés sur des incidents signalés à la police. Ils excluent de nombreux incidents qui n’ont été signalés qu’au SPCJ car les victimes ne voulaient pas porter plainte à la police. Le SPCJ classe les incidents antisémites violents portés à sa connaissance en cinq catégories : attaque terroriste, meurtre ou tentative de meurtre, violence physique, incendie criminel, vandalisme. Le chiffre que nous retiendrons ici exclut les incidents relevant de la catégorie vandalisme. Les chiffres relatifs aux incidents pour le Royaume- Uni ont été obtenus à partir des rapports annuels du Community Security Trust (CST), un organisme de bienfaisance qui, depuis 19848, enregistre et signale régulièrement des incidents antisémites. Depuis 2001, le CST coopère étroitement avec la police britannique pour enregistrer et enquêter sur des incidents. Il est autorisé à signaler des incidents à la police au nom de victimes qui ne souhaitent pas le faire directement. Le CST classe les incidents antisémites en six catégories : violence extrême, agression, dommages et profanations de biens, menaces, comportement abusif, littérature antisémite. Dans le cadre de la présente note, seules les catégories de violence extrême et d’agression ont été prises en compte. Les chiffres relatifs aux incidents en Allemagne ont été enregistrés par les services de police (KPMD PMK)9. Dans le présent rapport, seuls les incidents de la catégorie Gewaltdelikte (« crimes violents ») ont été pris en compte. Cela inclut le meurtre, la tentative de meurtre, les coups et blessures, les attaques à l’arme à feu et avec des explosifs.

Les chiffres concernant la Suède ont été obtenus à partir des rapports annuels sur les crimes de haine publiés par le Brottsförebyggande rådet (« Conseil national suédois pour la prévention de la délinquance », Brå)10. Les statistiques publiées par le Brå sont fondées sur les crimes signalés à la police susceptibles d’être motivés par l’antisémitisme. Ce rapport comporte des chiffres cités dans la catégorie våldsbrott(« incidents violents ») pour la période 2008- 2015. Entre 2005 et 2007, le Brå a utilisé la catégorie brott mot person (« actes à l’encontre d’individus »), qui englobe la violence physique, le harcèlement et les menaces. Sur notre demande, le Brå a précisé les statistiques pour 2006 et 2007 de manière à nous permettre de distinguer les incidents violents du harcèlement et des menaces. Il n’a pas été possible de le faire avec les chiffres de 2005. Nous avons donc extrapolé les chiffres pour les incidents de 2005 à partir du pourcentage moyen de crimes violents par rapport au nombre total d’incidents antisémites enregistrés au cours de la période 2006 à 2015. Il faut noter que les chiffres pour les incidents signalés en Suède sont considérablement plus élevés à partir de 2008 par rapport à la période 2005-2007 (voir tableau 1). Cette augmentation résulte probablement de changements dans les procédures d’enregistrement de la police ainsi que dans la définition des crimes de haine11.

En plus des chiffres relatifs aux incidents signalés, notre note se fonde également sur l’enquête menée par la FRA en septembre-octobre 2012 et portant sur l’antisémitisme en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suède. Dans cette enquête, des citoyens de confession juive de plusieurs pays (1.192 en France, 1.468 au Royaume-Uni, 608 en Allemagne et 810 en Suède) ont répondu à un questionnaire en ligne à propos de leur expérience de l’antisémitisme12. Les résultats sont un complément utile aux données fondées sur les incidents signalés : les données de la FRA sur l’exposition à la violence sont comparables dans la mesure où elles ont été collectées de la même manière dans les pays respectifs. L’enquête de la FRA comporte des informations sur le niveau de violence antisémite qui provoque un signalement de la part des victimes. D’une manière générale, il ne faudrait pas utiliser les rapports de police pour comparer les niveaux de criminalité entre les pays en raison, d’une part, des différences d’appréciation amenant les victimes à signaler les incidents et, d’autre part,  des  différences  de méthodes d’enregistrement de la part des autorités nationales de police et de justice13. Cependant, l’enquête de la FRA résout en partie ce problème en fournissant des  informations  sur les niveaux de violence conduisant à des signalements. Cela nous permet d’ajuster nos données relatives aux incidents et d’avoir une image plus précise du niveau réel. Pourtant, deux lacunes subsistent. Tout d’abord, les données de la FRA reflètent la situation à un certain moment et ne permettent pas de connaître l’évolution au fil du temps. Nous manquons également d’informations permettant d’effectuer un ajustement en fonction des variations dans les pratiques nationales d’enregistrement. Cela dit, d’un point de vue global, les données de signalement des incidents combinées à l’enquête de la FRA constituent une base suffisante pour établir une première comparaison des niveaux d’antisémitisme violent en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suède.

En revanche, les chiffres des incidents en Norvège, au Danemark et en Russie ne permettent pas d’établir de comparaisons en raison de rapports fragmentés ou non spécifiés ainsi que de la disparité des méthodes de collecte des données. Néanmoins, notre note présente également des résultats pour ces pays.

Les autorités de police norvégiennes publient régulièrement des rapports sur les crimes de haine, mais ce n’est que dans le district de police d’Oslo, et seulement depuis 2012, que l’antisémitisme est considéré comme une catégorie à  part14. Les rapports font état de sept incidents qualifiés de crimes de haine motivés par l’antisémitisme, aucun d’entre eux n’ayant impliqué de violence. Les incidents antisémites peuvent également être signalés à la communauté juive d’Oslo et au Centre norvégien contre le racisme, mais aucune de ces deux institutions ne tient de statistiques sur ces incidents. En raison du manque de données enregistrées sur les incidents antisémites, nous avons mené des recherches dans les archives15 d’actualités Atekst ainsi que dans la base de données du Forum de coordination pour la lutte contre l’antisémitisme16 et nous avons consulté des ouvrages secondaires consacrés au sujet.

Une partie des données relatives aux incidents survenus au Danemark sont issues des rapports publiés par le Danish Security and Intelligence Service (PET)17, l’autre partie ayant été obtenue auprès de la communauté juive par l’intermédiaire de l’organisation Jewish Security Denmark (JSD). Les rapports du PET couvrent la période allant de 2005 à 2013. Entre 2008 et 2013, les rapports ne permettent pas d’identifier tous les incidents de violence, puisque seuls des exemples isolés sont fournis pour ces années. Aucun rapport n’a été publié en 2014.

En 2015, la police nationale danoise a assumé  la responsabilité de l’élaboration des rapports annuels en matière de crimes de haine au Danemark. Comme pour les rapports du PET, le rapport de 2015 n’est pas exhaustif mais ne cite que des exemples d’incidents antisémites18. Toutefois, à notre demande, la police nationale danoise a bien voulu nous indiquer si les 13 cas enregistrés en 2015 impliquaient ou non de la violence. Des chiffres ont également été obtenus auprès de la section du Jewish Security Denmark dédiée à la collecte et au partage de connaissances sur les incidents antisémites (AKVAH), qui a publié ses propres rapports entre 2012 et 201419.

Les chiffres relatifs aux incidents en Russie ont été recueillis auprès du Centre SOVA pour l’information et l’analyse de Moscou qui, depuis 2004, recueille des données sur les incidents racistes et xénophobes rapportés par les médias20. Des informations supplémentaires ont été obtenues  à partir des rapports annuels publiés par la Anti- Defamation League (Ligue anti-diffamation, ADL). Les données concernant les auteurs sont fondées sur les signalements d’incidents et sur l’enquête de la FRA qui comprenait des questions relatives aux motivations perçues et aux origines des auteurs de ces violences. D’autres études ont également été utilisées pour cette note, des enquêtes sur les attitudes antisémites et des rapports journalistiques.

Compte tenu de l’état des données sur les violences antisémites dans les pays observés, nous sommes donc en mesure de présenter, ci- après, des résultats synthétiques concernant le nombre d’incidents, l’exposition à ces violences et enfin le profil des auteurs de violences antisémites.

II Partie

Incidents et exposition

Source :

Tableau 1 : Actes antisémites violents signalés (estimations ajustées selon les différences dans les modalités de signalement) *

* Les données présentées ici mentionnent les actes antisémites violents enregistrés dans les pays du panel au cours de la période 2005-2015 étudiée par l’auteur. On ne trouve donc pas mention de la tuerie du Musée juif de Belgique, à Bruxelles, le 24 mai 2014, perpétrée par le Français Mehdi Nemmouche et qui a fait quatre victimes : Emanuel et Miriam Riva, Dominique Sabrier et Alexandre Strens. [NdÉ]

** Les données sur les niveaux de signalement proviennent de l’enquête 2012 sur l’antisémitisme de la FRA. Tous nos remerciements à Daniel Staetsky, de l’Institute for Jewish Policy Research, pour son aide dans l’obtention de ces données. Les chiffres supposent que les niveaux de signalement n’ont pas changé de manière significative au cours de la période en question.

*** Enlèvement et meurtre d’Ilan Halimi ; en 2012, tuerie à l’école juive Ozar Hatorah, à Toulouse (meurtre de Jonathan Sandler, Gabriel Sandler, Arié Sandler et Myriam Monsonégo) ; en 2015, prise d’otages à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris (meurtres de Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada et Yoav Hattab). [NdÉ]

**** 2015, meurtre de Dan Uzan devant la Grande Synagogue de Copenhague. [NdÉ]

1

France, Royaume-Uni, Allemagne et Suède

Notes

21.

Un lien éventuel entre le conflit israélo-palestinien et les incidents antisémites en Europe a également été identifié dans une étude de 2011 portant sur des données belges. L’étude a révélé que, bien qu’il y ait eu une augmentation statistiquement significative du nombre d’incidents pendant le conflit à Gaza en 2008-2009, l’effet était bref et aucun lien plus durable entre les événements au Moyen-Orient et les actes d’antisémitisme ne pouvait être établi. Voir Dirk Jacobs, Yoann Veny, Louise Callier, Barbara Herman et Aurelie Descamps, « The impact of the conflict in Gaza on antisemitism in Belgium », Patterns of Prejudice, vol. 45, n° 4, 1er septembre 2011, p. 341-360.

+ -

Comme le montre le tableau 1, la France et le Royaume-Uni présentent le plus grand nombre total d’incidents violents, estimés respectivement à 4.092 et 3.844 sur la période 2005-2015, ajustés selon les différents niveaux de signalement. Vient ensuite l’Allemagne, avec environ 1 917 incidents, et la Suède, avec 516 incidents. Aucune tendance à la hausse ou à la baisse ne se dégage clairement (voir graphique 2). Les niveaux sont restés constamment élevés comparativement aux années 1990, avec des variations importantes d’une année sur l’autre. Il est souvent dit que le nombre d’incidents antisémites augmente en fonction des crises dans le conflit israélo-palestinien. Cela semble vrai dans une certaine mesure mais aucun modèle clair ne se dégage. Dans certains cas seulement, les conflits à Gaza en 2006, 2008-2009, 2012 et 2014 coïncident avec une augmentation du nombre d’incidents signalés21.

Graphique 2 : Actes antisémites violents enregistrés, période 2005-2015 (France, Royaume-Uni, Allemagne et Suède)

Sources : données compilées par l’auteur.

Notes

22.

Voir Sergio DellaPergola, « World Jewish Population, 2013 », in Arnold Dashefsky et Ira M. Sheskin (dir.), American Jewish Year Boook 2013. The Annual Record of the North American Jewish Communities, Springer, 2013, p. 279-358. Nous utilisons les chiffres de « population juive de base ».

+ -

Afin de procéder à une comparaison pertinente des niveaux d’incidents cumulés en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suède, il est nécessaire de prendre en compte la taille des minorités juives22. Lorsqu’on s’intéresse au nombre d’incidents signalés pour 1 000 Juifs (une mesure indiquant l’exposition ou la probabilité que des Juifs soient confrontés à une violence antisémite), la Suède obtient un score quatre fois supérieur à celui de la France. L’Allemagne et le Royaume-Uni se situent entre les deux (voir graphique 3).

Graphique 3 : Actes antisémites violents pour 1 000 Juifs (2005-2015), ajustés en fonction des différentes modalités de signalement

Sources : données compilées par l’auteur.

Notes

23.

Voir Hanns von Hofer, « Sweden », in Graeme R. Newman, Marcelo F. Aebi et Véronique Jaquier (dir.), Crime and Punishment around the World, vol. 4, ABC-CLIO, 2010, p. 334.

+ -

Les Juifs suédois ont-ils réellement été quatre fois plus exposés à la violence antisémite que les Juifs français pendant la période 2005-2015 ? Une réserve importante doit être émise à ce stade en ce qui concerne la comparaison des actes antisémites signalés à la police. Bien que les chiffres aient été ajustés selon les différentes modalités de signalement, il subsiste un problème important dans la comparaison des données déclarées par la police, à savoir les différences dans les pratiques d’enregistrement et de catégorisation. En Suède, les autorités enregistrent les infractions de manière plus complète que dans d’autres pays. Les statistiques de la police suédoise donnent l’impression que la Suède est l’un des pays d’Europe les plus ravagés par la criminalité alors qu’en fait les enquêtes sur les victimes réfutent cette idée23. Cette caractéristique propre aux statistiques sur la criminalité en Suède contribue probablement à expliquer la position de ce pays dans le graphique 3. Sans informations détaillées sur les pratiques d’enregistrement et de catégorisation des autorités dans les différents pays, nous ne pouvons que rester très sceptiques lors de l’analyse des comparaisons fondées uniquement sur les données de la police.

Considérons maintenant l’analyse d’un ensemble de données différent, à savoir l’enquête sur l’antisémitisme de la FRA menée en 2012 et déjà citée ici. Dans cette enquête, il a été demandé à des Juifs de France, du Royaume-Uni, d’Allemagne et de Suède s’ils avaient été victimes de violence antisémite au cours des douze derniers mois ou des cinq dernières années. Bien que les données de la FRA ne couvrent que la période 2008-2012, elles offrent une mesure alternative du niveau  de violence antisémite dans ces pays. C’est un ensemble de données supplémentaires utiles  qui permet de contrecarrer, confirmer et nuancer l’image issue des données fondées sur les incidents signalés. Comme le montre le graphique 4, la France obtient le score le plus élevé en termes d’expérience de la violence pour les douze derniers mois et les cinq dernières années, tandis que la Suède vient en deuxième position pour les douze derniers mois et en troisième pour les cinq dernières années. L’Allemagne occupe quant à elle la deuxième position en matière d’expérience de la violence pour les cinq dernières années. D’après les réponses à la question portant sur le fait d’avoir été témoin d’un acte antisémite violent au cours des douze derniers mois, la France arrive en première position, la Suède en deuxième et  le Royaume-Uni est à peu près à égalité avec l’Allemagne (voir graphique 5).

Graphique 4 : Au cours des douze derniers mois/cinq dernières années, avez-vous été physiquement agressé(e) parce que vous étiez juif(ve) ?

Source :

European Union Agency for Fundamental Rights (FRA), Discrimination et crimes de haine à l’égard des personnes juives dans les États membres de l’UE : expériences et perceptions de l’antisémitisme, novembre 2013 ; Lars Dencik et Karl Marosi, Different Antisemitisms: On Three Distinct Forms of Antisemitism in Contemporary Europe – With a Special Focus on Sweden, Kantor Center, juin 2016, p. 15.

Graphique 5 : Au cours des douze derniers mois, avez-vous été personnellement témoin d’une agression physique contre une personne parce qu’elle était juive ?

Source :

European Union Agency for Fundamental Rights (FRA), Discrimination et crimes de haine à l’égard des personnes juives dans les États membres de l’UE : expériences et perceptions de l’antisémitisme, novembre 2013 ; Lars Dencik et Karl Marosi,Different Antisemitisms: On Three Distinct Forms of Antisemitism in Contemporary Europe – With a Special Focus on Sweden, Kantor Center, juin 2016, p. 16.

Il est également pertinent de prendre en compte les perceptions de l’insécurité et l’inquiétude liées à l’antisémitisme comme moyen indirect de mesurer le niveau d’exposition. Nous constatons que la Suède et la France ont un score très élevé pour certaines questions liées à la sécurité (voir graphiques 6 et 7). Cela indique que les Juifs français et suédois sont plus exposés que les Juifs allemands et britanniques.

Graphique 6 : Dans quelle mesure évitez-vous de vous rendre à des événements ou sur des lieux juifs car, en tant que Juif, vous ne vous sentez pas en sécurité, que ce soit sur le lieu en question ou sur le trajet à parcourir ?

Source : European Union Agency for Fundamental Rights (FRA), Discrimination et crimes de haine à l’égard des personnes juives dans les États membres de l’UE : expériences et perceptions de l’antisémitisme, novembre 2013 ; Lars Dencik et Karl Marosi,Different Antisemitisms: On Three Distinct Forms of Antisemitism in Contemporary Europe – With a Special Focus on Sweden, Kantor Center, juin 2016, p. 16. 

Graphique 7 : Vous arrive-t-il d’éviter de porter ou de montrer en public des signes permettant de vous identifier comme Juif ?

Source :

European Union Agency for Fundamental Rights (FRA), Discrimination et crimes de haine à l’égard des personnes juives dans les États membres de l’UE : expériences et perceptions de l’antisémitisme, novembre 2013 ; Lars Dencik et Karl Marosi,Different Antisemitisms: On Three Distinct Forms of Antisemitism in Contemporary Europe – With a Special Focus on Sweden, Kantor Center, juin 2016, p. 16.

Toutefois, les réponses à d’autres questions sur la sécurité et l’inquiétude laissent une impression quelque peu différente. En effet, la France obtient un score bien supérieur à celui des autres pays lorsqu’il est question d’envisager l’émigration, la crainte d’être agressé physiquement et l’antisémitisme comme un problème majeur dans le pays (voir graphiques 8 à 10). Notez que, sur ces trois questions, c’est l’Allemagne, et non la Suède comme pouvaient le suggérer les graphiques 6 et 7, qui arrive en deuxième position.

Graphique 8 : Au cours des cinq dernières années, avez-vous envisagé d’émigrer du pays dans lequel vous vivez car vous ne vous sentez pas en sécurité en tant que Juif ?

Source : European Union Agency for Fundamental Rights (FRA), Discrimination et crimes de haine à l’égard des personnes juives dans les États membres de l’UE : expériences et perceptions de l’antisémitisme, novembre 2013.

Graphique 9 : Dans quelle mesure craignez-vous d’être agressé(e) physiquement dans la rue ou dans tout autre endroit public de votre pays au cours des douze prochains mois parce que vous êtes Juif(ve) ?

Graphique 10 : Selon vous, quelle est l’importance du problème, s’il en est un, de l’antisémitisme dans votre pays aujourd’hui ?

Notes

24.

Voir Technical report: FRA survey…, op. cit., p. 32.

+ -

En résumé, nous voyons que les résultats de l’enquête de la FRA remettent en question les chiffres fondés sur les incidents signalés concernant l’exposition apparemment faible des Juifs français (voir graphique 3). Dans le même temps, les données de la FRA semblent confirmer que les Juifs du Royaume-Uni sont moins exposés que ceux des trois autres pays. Les résultats pour la Suède et l’Allemagne sont moins nets. La Suède figure en deuxième position, légèrement après à la France, pour certaines questions relatives à l’exposition et la sécurité (voir graphiques 4 à 7) mais, pour d’autres questions, c’est l’Allemagne qui arrive en deuxième position. Une explication possible du niveau élevé d’inquiétude observé chez les Juifs français est que la France a subi des incidents plus graves que les autres pays. Sur les quatre pays, la France est le seul où des incidents ont entraîné la mort. L’attentat de 2012 à Toulouse dans lequel trois enfants juifs ont été tués ne s’est produit que quelques mois avant la réalisation de l’enquête de la FRA, ce qui explique le fort sentiment d’insécurité chez les Juifs français, comme le montrent les graphiques 8 et 924.

2

Norvège

Notes

25.

Voir Cora Alexa Døving et Vibeke Moe, « Det som er jødisk » [« Le sens du judaïsme »] – Identiteter, historiebevissthet og erfaringer med antisemittisme, HL-senteret, 2014, p.60-64 ; Kjell T. Barøy, « Norske jøder har fått drapstrusler », NTB, 1er avril 2002 ; Hanne Eide Andersen et Janne Møller-Hansen, « Jødehets mot norske barn », VG, 12 août 2002 ; Kjetil Østli, « Det er typisk jødisk å være redd », Aftenposten, 21 février 2004 ; Monica Csango, « Skremt til stillhet », Aftenposten, 27 janvier 2014 ; Suzanne Aabel, « Jødenes kreftsvulst », VG, 25 juillet 2014.

+ -

En Norvège, 10 actes antisémites violents ont été répertoriés pour la période 2005-2015. On pourrait penser que ce chiffre est faible, mais la Norvège est un petit pays avec une petite minorité juive (environ 1.300 personnes). Plus le groupe de victimes potentielles est réduit, plus les incidents, même en faible nombre, peuvent être perçus comme graves. Comme dans d’autres pays européens, il existe des preuves selon lesquelles certains Norvégiens de confession juive dissimulent leur appartenance à cette communauté dans certaines circonstances, mais nous connaissons actuellement peu les raisons de ce comportement et dans quelle mesure il est répandu25. Le Centre norvégien d’études de l’Holocauste réalise actuellement une enquête sur l’antisémitisme (achèvement prévu pour fin 2017), qui fournira plus d’informations sur cette question et sur l’exposition des Juifs norvégiens à l’antisémitisme en général.

3

Danemark

Notes

26.

Yvette Espersen, « Som jøde i Danmark må man i dag skjule sin identitet… », denkorteavis.dk, 13 février 2013; Hanne Kristin Pedersen, « Ber danske jøder skjule davidsstjernen og gjemme kalotten », dagen.no, 14 décembre 2012; Bente Clausen, « Jøder skjuler deres tro », kristeligt-dagblad.dk, 21 septembre 2015.

+ -

Au Danemark, 20 actes antisémites violents ont été répertoriés au total pour la période 2005-2015. Outre la France, le Danemark est le seul pays de notre panel dans lequel un meurtre s’est produit : en février 2015, un gardien de sécurité juif a été tué lors des attentats contre le Krudttønden et contre une synagogue à Copenhague. Avant cet incident, plusieurs signes suggéraient déjà que beaucoup de Juifs danois se sentaient obligés de dissimuler leur identité juive en public26.

4

Russie

Notes

27.

Entretien personnel avec Aleksandr Verkhovsky, 1er janvier 2016.

+ -

28.

Voir « В Москве модно быть евреем », medialeaks.ru, 8 novembre 2013.

+ -

La Russie se distingue nettement par un nombre très faible d’incidents enregistrés comme étant des actes antisémites violents proportionnellement à l’importance de sa population juive (environ 190.000). En effet, 33 incidents ont été constatés pour la période 2005-2015. Nous devons supposer qu’un certain nombre d’incidents n’ont pas été relevés par les médias et donc n’ont pas été enregistrés dans la base de données du Centre SOVA. Cela dit, selon Aleksandr Verkhovsky, responsable du Centre SOVA, le niveau de violence antisémite en Russie est nettement inférieur à celui des pays d’Europe de l’Ouest27. Il faut également noter qu’aucun rapport indiquant que les Juifs russes se sentiraient contraints de dissimuler leur identité en public n’a été trouvé. Au contraire, être Juif est de toute évidence devenu « tendance » au sein de la jeunesse moscovite28.

III Partie

Les auteurs de violences antisémites

1

France, Royaume-Uni, Allemagne et Suède

Que savons-nous des individus qui commettent des actes antisémites violents ? Dans l’enquête de la FRA, les personnes questionnées en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suède ayant déclaré avoir été exposées à la violence et à de graves menaces ont été interrogées sur les auteurs de ces actes. Les résultats (voir graphique 11) indiquent que les extrémistes de droite, souvent associés à l’antisémitisme, sont en fait clairement minoritaires. La plupart du temps, dans les quatre pays étudiés, les répondants perçoivent le ou les auteurs comme étant des « extrémistes musulmans ». Il est également intéressant de noter qu’en France, en Suède et au Royaume-Uni (mais pas en Allemagne), l’auteur de ces violences est plus souvent perçu comme étant de gauche que de droite.

Graphique 11 : En repensant à un incident où quelqu’un vous a agressé ou menacé de telle façon que vous avez été effrayé(e) parce que vous êtes Juif(ve), quel est selon vous le profil de cette personne ?

Source : European Union Agency for Fundamental Rights (FRA), Discrimination et crimes de haine à l’égard des personnes juives dans les États membres de l’UE : expériences et perceptions de l’antisémitisme, novembre 2013.

Notes

29.

Tove Gravdal, « Jødehets på fremmarsj i Frankrike », Aftenposten, 1er mars 2002.

+ -

30.

Voir notamment Marc Knobel, Haine et violences antisémites. Une rétrospective : 2000-2013, Berg International, 2013, et Günther Jikeli, European Muslim Why Young Urban Males Say They Don’t Like Jews, Indiana University Press, 2015, p. 36.

+ -

Il est notoire qu’en France des individus de culture musulmane arabe ont été responsables d’une grande partie des actes antisémites violents. En mars 2002, le journaliste norvégien Tove Gravdal avait déjà rendu compte d’un antisémitisme croissant en France et avait établi le lien entre les incidents et le conflit israélo-palestinien : « Lorsque la deuxième Intifada des Palestiniens a éclaté le 28 septembre 2000, elle a mis le feu aux poudres en France. Les jeunes Français d’origine arabe se sont mobilisés pour la cause palestinienne et ont transformé les Juifs français en symboles d’Israël, lançant une vague d’attaques contre des cibles juives29. » Des chercheurs ayant étudié le phénomène confirment également le rôle important des musulmans franco-arabes dans l’antisémitisme en France au cours des quinze dernières années30.

Pour le Royaume-Uni, nous pouvons comparer les résultats de l’enquête de la FRA cités dans le graphique 8 avec les données obtenues auprès du CST. Les chiffres du CST reflètent la perception des victimes vis-à-vis de l’origine ethnique de l’auteur d’un incident (une description de l’origine ethnique des auteurs a été fournie pour 30 à 50% des incidents) (voir graphique 12).

Graphique 12 : Royaume-Uni : origine des auteurs des actes antisémites violents (2006-2014)

Source : CST.

Les chiffres semblent confirmer la représentation disproportionnée des personnes originaires de pays musulmans : ainsi, alors que les Blancs britanniques, largement majoritaires dans leur pays, représentent 55% des auteurs, le reste, soit 45%, est le fait d’individus membres de communautés minoritaires issus de pays d’Asie du Sud, d’Afrique et du monde arabe. Les rapports du CST attirent l’attention sur l’impact du conflit israélo-palestinien, en indiquant que la part des auteurs « non Blancs » augmente généralement après des « événements déclencheurs » au Moyen-Orient31.

Pour l’Allemagne, nous avons également comparé l’étude de la FRA avec d’autres données. On observe une divergence frappante lorsque nous comparons les perceptions des répondants allemands à l’égard des auteurs avec les données de la police allemande sur les mobiles des agresseurs. Contrairement à l’enquête de la FRA, les statistiques de la police allemande suggèrent que les auteurs d’extrême droite commettent la majorité des actes de violence (voir graphique 13).

Graphique 13 : Allemagne : caractéristiques des auteurs présumés des actes antisémites violents signalés (2005-2014)

Source : FRA 2015/Bundeskriminalamt.

Notes

32.

Günther Jikeli, « Wir brauchen Taten statt Worte », de, 1erjuillet 2015.

+ -

33.

Sarah Wildman, « German court rules that firebombing a synagogue is not anti-Semitic », vox.com, 13 janvier 2017.

+ -

Comment peut-on l’expliquer ? Il se peut que la part des auteurs classés à droite soit en fait plus grande que celle indiquée dans les résultats de l’enquête de la FRA. Il peut également y avoir un problème de catégorisation. Il est possible que la police allemande considère l’antisémitisme comme un type d’idéologie de droite et classe donc la plupart des agressions antisémites comme étant de droite, sans considérer l’origine ethnique ou religieuse de l’auteur.

Un autre problème est la nature des incidents violents qui sont classés par les autorités allemandes comme anti-israéliens et non comme antisémites. En 2014, la police allemande a enregistré 91 incidents violents anti-israéliens (dont la plupart ont été perpétrés par des
« étrangers »)32. L’un d’eux, dont le classement est controversé, était une attaque à la bombe contre une synagogue33. La question est de savoir combien d’autres incidents « anti-israéliens » devraient être considérés comme des actes antisémites. Des recherches supplémentaires seraient nécessaires pour y répondre.

Notes

35.

Voir Carina Djärv, Nina Forselius et Anna Frenzel, Hatbrott 2013, Brottsförebyggande rådet, 2014, p. 72

+ -

36.

Voir Charlotte Hedelin, « Den moderna antisemitismen: Varför har Malmö så många antisemitiska hatbrott? », Lund University, 2015 , ou Berit Wigerfelt et Anders S. Wigerfelt, « Att leva med antisemitism. Ny studie av situationen i Malmö », skma.se, 25 mars 2015

+ -

37.

Voir, par exemple, Donald Snyder, « For Jews, Swedish City Is a ‘Place To Move Away From’ », forward.com, 7 juillet 2010 ; « Skandinaviens Juden fühlen sich nicht mehr sicher », diepresse.com, 16 mars 2010 ; Halvor Tjønn, « Jødehatet har dukket frem i Malmö », aftenposten.no, 12 octobre 2011  ; Nick Meo, « Jews leave Swedish city after sharp rise in anti-Semitic hate crimes », telegraph. co.uk, 21 février 2010

+ -

Concernant la Suède, les rapports officiels fournissent peu d’informations sur les mobiles et les origines des auteurs. Les rapports publiés par le Brå suggèrent que seule une minorité d’incidents est associée à l’extrême droite, ce qui correspond aux résultats de l’enquête de la FRA. Par exemple, en 2005, 5 des 35 crimes de haine antisémites signalés dans la catégorie brott mot (« actes à l’encontre d’individus ») pourraient être liés à l’idéologie d’extrême droite. Le Brå ne dit rien sur les 30 autres incidents34. Entre 2008 et 2013, les symboles et les discours d’extrême droite ont constitué 26 et 37% des cas de haine antisémites signalés. Mais, même dans ces cas, comme l’a souligné le Brå, l’utilisation de la croix gammée et de symboles similaires ne signifie pas nécessairement que l’auteur soit un sympathisant d’extrême droite « classique ». Donc, si seulement une faible proportion d’auteurs est constituée d’extrémistes de droite, qui sont les autres ? Le Brå fournit peu d’informations concrètes sur la question mais donne une piste dans le rapport de 2013 : « Au lieu de cela [de l’extrémisme de droite], il est aujourd’hui plus courant que les expressions de l’antisémitisme soient liées, par exemple, aux conflits au Moyen-Orient et, surtout, au conflit israélo-palestinien35. » Une interprétation plausible de cette affirmation serait que les personnes provenant des pays du Moyen- Orient et musulmans sont à l’origine de la plupart des incidents, ce qui correspondrait aux résultats de l’enquête de la FRA. De plus, des enquêtes fondées sur des entretiens avec des Juifs suédois et des policiers chargés d’enquêter sur les crimes de haine corroborent généralement cette hypothèse36, de même que plusieurs rapports journalistiques37.

2

Norvège

Notes

38.

Cora Alexa Døving et Vibeke Moe, op. cit., p. 96 (note 37) ; entretien personnel avec Vibeke Moe, 2 janvier 2017.

+ -

39.

Kjetil Østli, art.

+ -

40.

Hilde Røiseland, « Ber norske jøder passe seg », no, 20 juillet 2006.

+ -

41.

Harald Klungtveit, « Ta ham! Jævla jøde! », dagbladet.no, 9 janvier 2009; communication personnelle avec Harald S. Klungtveit, 3 mars 2017.

+ -

42.

Tormod Strand, “– Lærerne tør ikke å ta tak”, no, 14 mars 2010.

+ -

Le peu d’informations disponibles sur les auteurs en Norvège donne une impression générale proche du cas suédois, où les individus issus de pays musulmans et/ou les extrémistes de gauche semblent prédominer. Dans une étude de 2014, 10 répondants juifs sur 21 ont mentionné avoir personnellement subi l’antisémitisme de musulmans et la moitié d’entre eux ont été victimes de violence38. En 2004, Christine Mohn, alors directrice de l’Association norvégienne contre l’antisémitisme, a déclaré : « Le harcèlement provient en grande partie de musulmans et d’extrémistes de gauche39. » En juillet 2006, un homme juif aurait été agressé à Oslo par un groupe d’hommes arabes40. En septembre de la même année, un islamiste radical a tiré plusieurs rafales d’arme automatique sur la synagogue  d’Oslo. En janvier 2009, une attaque antisémite s’est produite à Oslo lors de la manifestation de soutien à Gaza. Les témoins ont décrit les auteurs comme paraissant être originaires du Moyen-Orient41. En 2010, la  Norwegian  Broadcasting  Corporation a publié une histoire sur  l’antisémitisme  dans les écoles d’Oslo, dans laquelle les enseignants et les parents juifs décrivent les problèmes que les élèves juifs rencontrent à l’école avec de nombreux élèves d’origine musulmane, faisant état de harcèlement verbal et parfois physique42.

3

Danemark

Notes

43.

Jon Magnus, « 37 jøder angrepet i Danmark », no, 28 décembre 2012.

+ -

Dans les rapports sur le Danemark, les auteurs d’actes antisémites sont parfois décrits de manière explicite, notamment concernant leur origine ethnique présumée. Dans les cas impliquant des agressions violentes contre les Juifs, les auteurs sont généralement décrits comme des garçons ou des hommes « d’apparence arabe », « Palestiniens », « du Moyen-Orient » ou « musulmans ». Dans certains cas, les auteurs sont décrits comme étant d’origine « ethnique danoise » ou « inconnue ».

Les représentants de la communauté juive du Danemark pensent que les auteurs sont le plus souvent des individus d’origine musulmane et/ ou arabe : « Les réfugiés et immigrés palestiniens sont en fait les pires. Ils expriment leur haine en rejetant la faute de ce qui se passe au Moyen- Orient sur de jeunes Danois qui n’ont jamais mis les pieds en Israël », a ainsi déclaré en 2012 Bent Blüdnikow, de la communauté religieuse Mosaïc43.

4

Russie

Notes

44.

Robert Smith, « A Globalized Conflict: European Anti-Jewish Violence during the Second Intifada », Quality & Quantity, vol. 42, n° 2, avril 2008, p. 135-180.

+ -

À la différence des pays d’Europe de l’Ouest, en Russie, les auteurs d’incidents antisémites sont exclusivement décrits comme des extrémistes de droite (des néonazis et des skinheads). Bien que la Russie compte la plus grande communauté musulmane d’Europe (entre 15 et 20 millions), nous n’avons identifié aucun cas d’auteurs signalés comme étant musulmans ou assimilés. Ces conclusions contredisent celles de l’étude de 2008 qui prévoyaient une montée en puissance de la violence antisémite dans les pays ayant des populations juive et musulmane importantes44. La Russie compte plus de Juifs et de musulmans que la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, et pourtant le nombre d’incidents de violence antisémite y est inférieur à tous points de vue.

IV Partie

Les enquêtes sur les opinions

Notes

45.

Peter Nannestad, « Frø af ugræs? Antijødiske holdninger i fem ikke- vestlige innvandrergrupper i Danmark », in Tonny B. Knudsen, Jørgen D. Pedersen et Georg Sørensen (dir.), Danmark og de fremmede: om mødet med den arabisk-muslimske verden, Hans Reitzels Forlag, 2009, p. 43-62.

+ -

46.

Pieter Bevelander et Mikael Hjerm, « The religious affiliation and anti- Semitism of secondary school-age Swedish youths: an analysis of survey data from 2003 and 2009 », Ethnic and Racial Studies, vol. 38, n° 15, décembre 2015, p. 2705-2721.

+ -

48.

En 2014 , à la Fondation pour l’innovation politique, en partenariat avec AJC et avec l’Ifop, nous avons mené une étude sur le cas français. Ses résultats confirment l’existence d’une relation entre le niveau de pratique de la religion musulmane et la propension à exprimer des préjugés antisémites. Voir Dominique Reynié et Simone Rodan- Benzaquen, L’Antisémitisme dans l’opinion publique française. Nouveaux éclairages, Fondation pour l’innovation politique/AJC, novembre 2014.

+ -

49.

Günther Jikeli, Antisemitic Attitudes among Muslims in Europe: A Survey Review, ISGAP Occasional Paper n° 1, mai 2015.

+ -

50.

Pour consulter un récapitulatif, voir « ICM Muslims survey for Channel 4 », icmunlimited.com, 11 avril 2016 , et « British Muslims and Antisemitism », antisemitism.uk, 12 avril 2016.

+ -

51.

Edward H. Kaplan and Charles A. Small, «Anti-Israel Sentiment Predicts Anti-Semitism in Europe », Journal of Conflict Resolution, vol. 50, n° 4, août 2006, p. 548-561.

+ -

52.

Centre d’études de l’Holocauste et des minorités religieuses, Antisemitism in Norway? The Attitudes of the Norwegian Population Towards Jews and Other Minorities, mai 2012, p. 70.

+ -

Comme nous l’avons vu plus haut, les données disponibles en Europe de l’Ouest suggèrent que les individus provenant de pays musulmans prédominent parmi les auteurs d’actes antisémites violents. Si tel était le cas, on pourrait s’attendre à trouver chez les musulmans d’Europe de l’Ouest des niveaux d’attitudes antisémites supérieurs à ceux de la population générale. Plusieurs enquêtes sur les attitudes, à la fois comparatives et spécifiques aux pays, suggèrent que c’est en effet le cas. Selon une étude sur les attitudes portant sur cinq groupes d’immigrés danois (originaires de Turquie, du Pakistan, de Somalie, de Palestine et d’ex- Yougoslavie) fondée sur des données recueillies par Statistics Denmark en 200445, les attitudes antijuives se sont révélées plus répandues chez les immigrés musulmans que chez les chrétiens (en prenant en compte l’âge, le sexe, l’éducation, le revenu et la marginalisation socio-culturelle). L’étude a également révélé, toutes choses égales par ailleurs, que les Palestiniens étaient plus antisémites que les autres groupes, ce qui indique le rôle occupé par le conflit israélo-palestinien à cet égard. Un autre facteur important est le niveau de religiosité des personnes interrogées (quelle que soit la religion), qui a influencé les attitudes antisémites presque autant que la religion du répondant. Le niveau élevé de religiosité des répondants musulmans a donc été un facteur clé pour expliquer le niveau élevé d’antisémitisme chez les musulmans. Mais la variable statistique la plus parlante s’est révélée être l’attitude générale des répondants vis-à-vis des individus n’appartenant pas à leur propre groupe : plus l’intolérance à l’égard d’autrui était importante, plus les attitudes antisémites étaient répandues. Autrement dit, le fait que les répondants musulmans présentent plus souvent des attitudes antisémites reflète largement leur plus grande intolérance à l’égard des non-musulmans. Étant donné que cette conclusion est également valable pour d’autres échantillons, l’étape logique suivante de la recherche à venir sur l’antisémitisme devrait être de se demander pourquoi certains groupes se montrent plus intolérants que d’autres à l’égard de ceux qui n’appartiennent pas à leur groupe. Une étude sur les attitudes des élèves suédois du secondaire supérieur envers les Juifs, fondée sur des données recueillies en 2003 et 2009, a révélé que les répondants de confession musulmane présentaient les plus hauts niveaux d’antisémitisme. L’étude a également révélé qu’entre 2003 et 2009, les attitudes antisémites restaient stables chez les Suédois en général, mais augmentaient chez les jeunes musulmans46. Une autre étude sur les attitudes des jeunes Suédois, menée par The Living History Forum en 2010, a révélé que 19% de l’ensemble des élèves avaient des attitudes clairement négatives à l’égard des Juifs et que cette proportion grimpait à 55% chez les élèves musulmans47.

Les résultats du Danemark et de la Suède sont confirmés par plusieurs enquêtes similaires sur les attitudes menées dans d’autres pays européens dans la mesure où les répondants musulmans ont exprimé un niveau élevé d’antisémitisme. Un article de Günther Jikeli dresse un aperçu de ces études. L’auteur a étudié plusieurs enquêtes sur les attitudes en matière d’antisémitisme en Europe et a constaté que les attitudes antisémites étaient beaucoup plus répandues chez les musulmans que chez les non-musulmans. En outre, les enquêtes montrent (dans la lignée de l’étude danoise mentionnée ci-dessus) que les attitudes antisémites sont plus répandues chez les musulmans les plus pratiquants, en particulier chez ceux ayant une interprétation fondamentaliste de leur religion48. Une autre conclusion intéressante est que le niveau élevé d’attitudes antisémites chez les musulmans ne peut pas s’expliquer par des différences en matière de niveau d’éducation, de revenu, d’âge, de sexe ou de discrimination perçue49.

L’étude la plus récente a été publiée par l’institut de sondage ICM du Royaume-Uni et a été réalisée au printemps 2015. Les répondants étaient d’une part, des musulmans britanniques et d’autre part, un échantillon de la population britannique en tant que groupe témoin. L’enquête a révélé que les musulmans britanniques obtenaient des scores deux à quatre fois supérieurs à ceux de la population en général concernant plusieurs déclarations antisémites. Par exemple, 6% des Britanniques ont estimé que « les Juifs sont responsables de la  plupart  des  guerres  dans le monde » contre 26% pour les musulmans britanniques. Ce sondage montre qu’il n’y a pas de lien entre l’antisémitisme et la classe sociale ou le chômage50.

L’enquête de la FRA a mis en évidence qu’en France, en Suède et au Royaume-Uni les auteurs d’incidents antisémites étaient perçus comme étant de gauche plus souvent que de droite. Malgré le manque de données pour corroborer ce résultat, les enquêtes sur les attitudes suggèrent que l’antisémitisme est particulièrement répandu chez les personnes les plus hostiles à Israël. Une étude de 2006 fondée sur les données d’un sondage (5.000 personnes interrogées dans 10 pays européens) a montré que plus de la moitié des répondants exprimant les formes les plus radicales d’opposition à Israël expriment aussi des opinions antisémites51. Une enquête réalisée en Norvège en 2012 confirme l’existence de ce lien52.

Notes

53.

Les enquêtes concernant des communautés quantitativement faibles rencontrent inévitablement le problème de la constitution d’échantillons représentatifs. Ni la méthode de la stratification par quotas, pratiquée en France, ni la composition d’échantillons par la méthode aléatoire, utilisée dans les pays anglo-saxons, ne permettent de résoudre le problème de la représentativité des répondants. Dans son enquête 2012, la FRA avait fait le choix pertinent d’une méthode spécifique, comme elle le précisait dans la présentation de son étude : « L’un des défis de ce projet est la difficulté de joindre les personnes à interroger. L’enquête a donc été conçue pour se dérouler en deux phases. Dans un premier temps, un échantillonnage déterminé par les répondants, la méthode boule de neige probabiliste (en anglais respondent-driven sampling, RDS), sera utilisé pour identifier les personnes potentiellement éligible à répondre à cette enquête. Cette technique se fonde sur des réseaux de répondants éligibles qui en identifieront d’autres. Elle est conçue spécifiquement pour les enquêtes portant sur des populations difficiles à joindre, dans le but de produire des résultats représentatifs pour la population dont il est question dans son ensemble » (European Union Agency for Fundamental Rights (FRA),Enquête de la FRA sur les expériences…, op. cit., p. 2). [NdÉ]

+ -

La pénurie de données comparables et le manque d’études systématiques nous empêchent d’avoir une image à la fois globale et claire de la violence antisémite dans l’Europe d’aujourd’hui. En dépit d’une profonde méconnaissance du phénomène, les données étudiées dans la présente note permettent néanmoins de tirer quelques conclusions provisoires.

Le nombre d’incidents violents enregistrés a considérablement augmenté à partir de l’année 2000. Il reste supérieur à celui constaté dans les années 1990. La période 2005 à 2015 ne fait pas apparaître de tendance significative à la hausse ou à la baisse. La hausse enregistrée par rapport aux années 1990 a coïncidé avec les tensions croissantes dans le conflit israélo- palestinien, marqué en 2000 par le début de la deuxième Intifada. Néanmoins, le lien entre les événements au Moyen-Orient et les actes de violence contre les Juifs en Europe demeure incertain. Tout d’abord, l’augmentation du nombre d’attaques signalées contre les Juifs ne correspond pas toujours avec une intensification du conflit au Moyen-Orient. Ensuite, bien que certaines attaques contre des Juifs en Europe se produisent à la suite d’événements au Moyen- Orient, il n’y a pas de lien direct de causalité entre les actions du gouvernement israélien et les attaques ultérieures contre les Juifs en Europe. Les opinions antisémites et la propension à la violence sont probablement des conditions nécessaires au déclenchement de telles attaques. Autrement dit, en Europe occidentale, les événements qui ont lieu au Moyen-Orient fournissent aux individus ayant déjà des opinions antisémites et déjà enclins à la violence l’occasion d’attaquer des Juifs.

Il reste à savoir dans quelle mesure les Juifs des quatre pays pour lesquels nous disposons de données que nous pouvons rendre comparables (France, Royaume-Uni, Allemagne et Suède) sont exposés à la violence antisémite. Pour l’évaluer, nous avons analysé le ratio nombre d’incidents signalés/personne de confession juive (avec des ajustements permettant de compenser les différences nationales en termes de modalités de signalement), puis le niveau de violence antisémite subie par les membres de la communauté juive et enfin les perceptions du niveau d’insécurité causée par l’antisémitisme.

Les données souffrent d’évidentes limites : la comparabilité des informations fournies par la police est gênée par les différences de pratiques d’enregistrement et de catégorisation d’un pays à l’autre ; les données rapportées par les personnes exposées à des incidents antisémites proviennent d’une seule enquête dont l’échantillon de répondants n’avait pas été constitué de manière aléatoire53.

Nous avons besoin de davantage de données de meilleure qualité – en particulier d’enquêtes plus nombreuses – pour obtenir une image plus précise. Cela dit, une évaluation globale des données disponibles suggère que les Juifs français apparaissent beaucoup plus exposés que les Juifs allemands, suédois et britanniques.Selon le critère pris en compte, la Suède ou l’Allemagne occupent le deuxième rang, tandis que le Royaume-Uni se classe en dernière position.

Même si les données des incidents en Russie ne sont pas strictement comparables, nous pouvons dire que l’exposition à la violence antisémite des Juifs en Russie est nettement inférieure à celle des pays d’Europe de l’Ouest.

Dans les pays d’Europe de l’Ouest, les données de l’enquête de la FRA ainsi que plusieurs autres rapports suggèrent que les individus, généralement des hommes jeunes, issus de pays musulmans, prédominent parmi les auteurs d’actes antisémites violents. Il faut toutefois noter que la violence à caractère antisémite n’est pas nécessairement plus importante dans les pays où les musulmans et les Juifs sont nombreux. La Russie a la plus grande population musulmane d’Europe et la troisième plus grande population juive du continent, mais, comme nous l’avons dit, les actes antisémites violents y sont moins fréquents qu’en Europe de l’Ouest. En outre, la violence qui se produit en Russie n’est pas commise par des musulmans, mais par des sympathisants d’extrême droite. De futures études devront se pencher sur cette question pour expliquer ces différences.

Les enquêtes sur les attitudes indiquent que l’antisémitisme est beaucoup plus répandu chez les musulmans d’Europe de l’Ouest que dans la population générale, mais elles suggèrent également que la foi en l’islam n’explique pas en soi toute la différence. Le pays d’origine semble jouer un rôle majeur, de même que le niveau de religiosité – plus les personnes sont pratiquantes, plus elles sont susceptibles d’être antisémites. Une étude a révélé que les attitudes antijuives étaient fortement associées à l’intolérance générale des répondants à l’égard des individus n’appartenant pas à leur groupe.

Notes

54.

L’étude de Johannes Due Enstad qui constitue la présente note de la Fondation pour l’innovation politique couvre la période 2005-2015. Les premières indications concernant les États-Unis pour l’année 2016 et le premier trimestre 2017 semblent aller dans le sens d’une forte poussée de l’antisémitisme. Voir « Anti-Semitic incidents rose a whopping 86% in the first 3 months of 2017 », cnn.com, 24 avril 2017 , et Jack Jenkins, « 2016 was a horrible year for anti-Semitic hate crimes. 2017 is much worse. 2016 was a banner year for anti-Jewish hatred » . L’interprétation de ces données fait l’objet d’une discussion : Mark Oppenheimer, « Is anti-Semitism truly on the rise in the U.S.? It’s not so clear »

+ -

55.

Lars Dencik et Karl Marosi, Different Antisemitisms: On Three Distinct Forms of Antisemitism in Contemporary Europe – With a Special Focus on Sweden, Kantor Center for the Study of Contemporary European Jewry, 2016, p.35-36.

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Les recommandations suivantes comportent des mesures pour la collecte de données et des pistes pour approfondir la recherche. Ce sont des étapes nécessaires pour concevoir des mesures politiques pertinentes afin de contrer la violence antisémite.

• La collecte de données devrait être unepriorité. Pour combattre l’antisémitisme violent, et les autres formes de crimes de haine, il faut avoir des connaissances solides et à jour. Cela dépend d’une recherche pertinente fondée sur des données fiables, de préférence provenant à la fois des autorités de police et d’études. Bien que les données de la police soient précieuses pour étudier l’évolution dans un même pays, les comparaisons entre pays ne sont possibles que si nous parvenons à faire converger les recueils des signalements effectués par les victimes et à harmoniser les pratiques d’enregistrement et de catégorisation des autorités policières et judiciaires. Les enquêtes sur les populations de victimes sont essentielles pour connaître l’exposition aux agressions, les perceptions et la propension des victimes à porter plainte. La coopération internationale pour la réalisation d’enquêtes devrait être améliorée afin que les études soient aussi complètes que possible et que la comparaison entre les pays soit facilitée.

• L’enquête 2012 de la FRA sur l’antisémitismeutilisée dans cette note est précieuse, mais elle commence à dater, n’offre qu’une photographie de la situation à un moment donné et couvre un nombre restreint de pays de l’Union européenne. La seconde édition de cette enquête est en cours. Elle fournira aux chercheurs des données nouvelles et comparables. À l’avenir, l’enquête devrait être réalisée tous les cinq ans afin de savoir si des tendances peuvent être repérées. Il serait bon que les autorités publiques et les instances non gouvernementales des pays non couverts par les futures enquêtes de la FRA réalisent leurs propres enquêtes en suivant les mêmes lignes directrices afin de générer des données comparables.

• Nous avons besoin d’en savoir plus sur lescirconstances concrètes des événements violents : les attaques sont-elles préméditées ou impulsives? Où, quand et dans quelles circonstances se produisent-elles généralement ?

• Nous devons approfondir la recherche pour comprendre les causes du niveau élevé d’antisémitisme chez les musulmans d’Europe occidentale. Les études actuelles indiquent que la situation socio-économique et la discrimination perçue jouent un rôle insignifiant. La religion elle- même, le degré de pratique, le pays d’origine et, surtout, l’intolérance vis-à-vis des autres groupes de manière générale semblent être les facteurs les plus déterminants. Tous ces facteurs devraient être étudiés de plus près dans de prochaines études.

• À l’avenir, la recherche devrait s’efforcer d’expliquer pourquoi le niveau des incidents antisémites enregistrés a diminué aux États-Unis depuis les années 199054, alors qu’il a augmenté en Europe.

• Selon les chercheurs suédois Lars Dencik etKarl Marosi, trois types différents d’antisémitisme sont à l’œuvre dans l’Europe d’aujourd’hui: l’antisémitisme classique, caractérisé par la pensée raciale et la théorie du complot ;l’antisémitisme des Lumières, fondé sur le refus des pratiques juives telles que la circoncision et l’abattage rituel ; l’antisémitisme lié à Israël, où l’hostilité envers Israël, entraîne des amalgames ou motive l’antisémitisme. Les deux chercheurs affirment que l’antisémitisme lié à Israël est la variante prédominante en Europe de l’Ouest et la plus étroitement associée à la violence55. Leur hypothèse semble plausible à la lumière des résultats présentés dans notre note mais devrait être soumise à d’autres essais empiriques. S’il est vrai qu’un antisémitisme plus violent lié à Israël prévaut en Europe de l’Ouest, il faut se poser la question suivante : pourquoi est-il plus violent et pourquoi est-il devenu dominant en Europe occidentale mais pas en Russie ou dans des pays comme la Pologne ou la Hongrie ?

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