Les transports et le financement de la mobilité
Introduction
Des objectifs des politiques publiques : vers la remise en cause du « toujours plus »
Bilan des coûts et des revenus de la mobilité routière pour les finances publiques
Conclusion
Résumé
Les services de transport et les réseaux d’infrastructures sont gourmands en dépenses publiques. Or la contrainte budgétaire est forte sur les finances publiques, ce qui conduit à un redoutable effet de ciseaux : les besoins de financement sont croissants alors même qu’il est de plus en plus difficile de trouver des recettes fiscales. Ce déséquilibre caractérise peu ou prou tous les modes de transport, les LGV comme les routes et autoroutes, les transports collectifs (TC) urbains comme les voies navigables ou les trains régionaux (TER).
Nous ne pouvons plus compter sur l’écoredevance poids lourds et l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) doit même payer les indemnités de la société Écomouv’. Face au rationnement qui s’annonce, une nouvelle réflexion s’impose sur le financementet la tarification de la mobilité, mais aussi sur les coûts et la productivité des services de transport subventionnés.
Cela mène à quelques révisions déchirantes qui conduisent à une approche radicalement nouvelle : lafin du « toujours plus » ! Cette nouvelle donne se résume ainsi : les utilisateurs des infrastructures et des services de mobilité doivent à l’avenir contribuer plus largement à leur financement. Pour cela, il est préférable de substituer progressivement des redevances (vignette, péages…) aux taxes. Parailleurs, les services de transport collectif doivent dégager des gains de productivité qui permettront d’économiser l’argent public. Dans les domaines où les subventions publiques sont importantes, lesprix doivent augmenter et les coûts doivent diminuer.
Yves Crozet,
Professeur à l’université de Lyon (IEP), membre du Laboratoire d’économie des transports.
Introduction
Voir le rapport « Pour un schéma national de mobilité durable » de la commission Mobilité 21 ou celui du ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie intitulé L’Entretien et l’exploitation du réseau routier national non concédé. Rapport d’activité 2012.
Voir les recommandations du Comité pour la fiscalité écologique.
Concernant le champ des transports, les parlementaires n’exercent pas un métier facile. En 2014, ils ont dû se résoudre à l’abandon définitif de l’écotaxe, votée pourtant à la quasi-unanimité de la représentation nationale. Devant boire le calice jusqu’à la lie, ils viennent d’apprendre que le budget 2015 de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) non seulement ne bénéficiera pas de la redevance poids lourds, mais qu’il prendra en charge l’indemnité que l’État doit verser à Écomouv’. Quant aux espoirs de reprise par l’État des concessions autoroutières, il vient de s’envoler définitivement sous la forme moderne de la « journée des dupes ». Il va donc falloir se résoudre à la rareté structurelle des fonds publics destinés aux infrastructures de transport.
Cette situation est d’autant plus dommageable qu’une nouvelle génération de contrats de plan État-Région (CPER) se présente et que les réseaux d’infrastructures de transports sont gourmands en dépenses d’entretien, de renouvellement et de développement1. En outre, ces difficultés se manifestent à un moment où la contrainte budgétaire est forte sur les finances publiques, ce qui conduit à un redoutable effet de ciseaux : les besoins de financement sont croissants alors même qu’il est de plus en plus difficile de trouver des recettes fiscales. Or ce déséquilibre financier caractérise peu ou prou tous les modes de transport, les LGV comme les routeset autoroutes, les transports collectifs (TC) urbains comme les voies navigables ou les trains régionaux (TER).
Les autorités organisatrices de transport voudraient accroître les recettes habituelles, avec par exemple l’idée de versement transport « interstitiel » que certains rêvent d’étendre au financement des TER. Mais il ne sera pas possible d’avancer très loin dans ce domaine au moment où les pouvoirs publics cherchent à alléger les charges qui pèsent sur le travail. Via la mise en place discrète d’une taxe carbone au 1er janvier 2015, accompagnée d’une petite hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur le gazole, essentiellement pour les automobiles, on revient aux outils classiques d’une taxation réputée indolore2. Mais les taxes sur les carburants, pas plus que le versement transport ou la défunte taxe poids lourds, ne peuvent à eux seuls résoudre le problème.
L’heure est donc venue de raisonner à une échelle plus large. Plutôt que de se concentrer sur telle ou telle solution miracle, une réflexion générale sur le financement de la mobilité est nécessaire. Il s’agit de répondre à quelques questions simples :
- quels sont les objectifs des politiques publiques en matière de mobilité ? (I)
- peut-on établir un bilan des coûts et des revenus engendrés par la mobilité des personnes et desmarchandises pour les finances publiques? (II)
- sur ces bases, quelles sont les évolutions possibles ? (III)
Des objectifs des politiques publiques : vers la remise en cause du « toujours plus »
Cour des comptes, La Grande Vitesse ferroviaire : un modèle développé au-delà de sa pertinence, octobre 2014.
Voir Yves Crozet, « Financement des transports collectifs : peut-on échapper à la tyrannie du statu quo ?», TEC, « Transports publics et territoires », juillet-septembre 2009, no 203, p. 27-31.
Le développement de la mobilité des personnes et des marchandises a été un fait marquant des dernières décennies. Les gains de vitesse permis au XIXe siècle par le ferroviaire, puis au XXe siècle par l’automobile et ensuite par la grande vitesse aérienne et ferroviaire ont complètement changé nos modes de vie. Là où nos ancêtres de la fin du XIXe siècle parcouraient, essentiellement à pied, une distance moyenne de quatre à cinq kilomètres par jour, nous avons aujourd’hui multiplié ce chiffre par dix, sans pour autant changer fortement notre budget temps de transport : environ 1 heure par jour. Ce sont donc bien les gains de vitesse qui sont aucœur des changements de mode de vie.
Pour les marchandises, la mobilité est aussi devenue une condition sine qua non de la baisse des coûts de production et de l’extension des zones de chalandise. La seconde étant la contrepartie de la première, laquelle nous fait bénéficier des rendements croissants des grandes unités où la production est massifiée.
Cette mobilité accrue a été considérée comme une des conditions, voire un des facteurs, de la croissance économique. Au point que la mobilité des personnes et des marchandises est aujourd’hui largement subventionnée. La part relative des subventions publiques n’est pas la même pour les différents modes et services de transport. Mais le réflexe de subventionner sans y regarder à deux fois demeure très fort chez les décideurs publics, notamment quand il s’agit de nouvelles infrastructures de transport (LGV, autoroutes…), de services ferroviaires, de transports collectifs urbains, d’aéroports régionaux, etc. Or ce subventionnement généralisé est problématique au moment où les budgets publics sont de plus en plus contraints. Plus précisément, la crise des finances publiques révèle que certaines croyances méritent un examen critique.
Avec la notion de mobilité durable, en intégrant toutes les dimensions de cet adjectif, il est devenu évident depuis quelques années qu’on ne peut encourager en même temps tous les types de mobilité. La fuite en avant vers toujours plus d’infrastructures et toujours plus de mobilité pour tous n’est ni possible ni souhaitable :
- c’est évident en zone urbaine, où les politiques locales cherchent depuis plusieurs années à y réduire le trafic Dans les grandes villes, les autoroutes urbaines ou périurbaines sont transformées en boulevards urbains. L’idée d’une route « apaisée » se généralise, la vitesse routière en ville est de plus en plus contestée ;
- les autorités organisatrices des transports collectifs ont largement développé l’offre depuis vingt ans, mais les réseaux ne doivent pas aller au-delà de leur zone de pertinence. Les responsables sont maintenant confrontés à une autre exigence, celle de ne pas développer de nouveaux services « à tout prix » et rationaliser l’offre existante ;
- les tronçons autoroutiers récemment ouverts et censés apporter le développement économique aux régions traversées n’ont pas eu les effets escomptés sur l’emploi et la croissance (A28 Rouen-Alençon, A65 Pau- Langon…). Il en va de même pour les LGV, comme l’ouverture de la LGV Est en 2007, qui n’a pas empêché les régions Champagne-Ardenne, Lorraine et Alsace de perdre respectivement 4,5, 5 et 3,5% de leurs emplois en cinq ans. Pour les futurs projets de LGV, il sera très difficile, comme pour Tours-Bordeaux, de demander aux collectivités territoriales de payer la moitié de la facture ;
- le transport aérien subsonique se développe, mais le rêve de développement d’avions commerciaux supersoniques s’est, si l’on peut dire, envolé ;
- le programme de grands travaux que constituent le lancement simultané en 2011-2012 de quatre nouvelles lignes LGV (15 milliards d’investissements en quelques années) et l’accélération des travaux de renouvellement sur le réseau ferré classique ne représente pas une solution à la crise économique que nous Le retour de la croissance économique ne se fera ni principalement par la demande, ni miraculeusement par un programme de grands travaux. En France comme en Allemagne, il passera par une amélioration de la productivité globale du secteur privé et du secteur public.
De son côté, la commission Mobilité 21 a renforcé la remise en cause de certaines évidences en rappelant que les LGV n’étaient pas la réponse à toutes les demandes de mobilité. La grande vitesse ferroviaire, du fait de son coût mais aussi de ses effets pervers en termes d’hypermobilité, n’est pas une solution pertinente pour la mobilité quotidienne. Sait-on que si on décidait de réaliser la LGV Marseille-Nice, cela reviendrait à accorder une subvention d’au moins 30 euros par passager et par jour pendant cinquante ans (contre 5 euros par passager pour la ligne Tours-Bordeaux) ? Des LGV de plus en plus coûteuses ne sont pas adaptées à des zones où le trafic potentiel est faible et constitué essentiellement de navetteurs à la faible capacité contributive. Le récent rapport de la Cour des comptes3 rappelle que le réseau TGV ne doit pas être développé « à tout prix ».
Enfin, dernier point mais non le moindre, les contraintes financières conduisent à se demander si les coûts actuels de la mobilité pour la collectivité ne pourraient pas être réduits. Prenons l’exemple des TER : les Régions sont de plus en plus mécontentes – c’est un euphémisme – du rapport qualité/prix que fournit la SNCF, mais la question se pose aussi dans les transports collectifs urbains où la concurrence n’a certainement pas révélé toutes ses potentialités4. Dans un cas comme dans l’autre, nous retrouvons la question de la productivité : comment le transport collectif pourrait-il contribuer à une hausse de la productivité de l’« entreprise France » ?
Les raisons de remettre en cause le subventionnement généralisé et « à tout prix » de la mobilité sont donc nombreuses. Mais si cette nouvelle donne n’est que le fruit des contraintes financières, alors elle se traduira seulement par une baisse de l’offre de services de transport (fermetures de lignes ferroviaires ou TCU) et/ou par un accroissement des coûts payés par l’usager (redevance poids lourds, abonnements et tickets TC, etc.). C’est ce que l’on a observé dans des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Italie. Ce qu’il faut donc viser, c’est une remise en cause du subventionnementsystématique de la mobilité qui soit aussi l’occasion de réduire les coûts de cette mobilité pour les budgets publics.
Cette réduction des coûts publics pourrait, dans certains cas, coïncider avec une hausse des prix payés par certains usagers. C’est ce double mouvement qui est pertinent du point de vue de l’analyse économique :
- une baisse des coûts qui soutient la hausse nécessaire de la productivité globale ;
- une hausse des prix pour certains usagers, lorsque c’est un bon signal pour limiter la tendance à surutiliser certains services de transport.
Bilan des coûts et des revenus de la mobilité routière pour les finances publiques
Commission des comptes transports de la nation (CCTN), Les Comptes des transports en 2011, tome 2, « Dossiers d’analyse économique des politiques publiques des transports », mars 2013, 178 p. En ligne.
L’écotaxe PL a été souvent présentée comme un moyen de faire revenir vers le ferroviaire des trafics aujourd’hui assurés par le transport routier. Cet espoir est largement vain car les gains de productivité tendanciels de la route sont capables de digérer assez rapidement la hausse des coûts. Le préfixe éco de l’écotaxe relevait plus de l’économie (financer les infrastructures) que de l’écologie.
Les TER ont connu une forte hausse de leur fréquentation depuis la régionalisation, mais n’oublions pas que pour chaquevoyageur kilomètre, la subvention publique totale atteint 30 centimes d’euros. Toute personne qui fait 100 km en TER coûtedonc 30 euros à la collectivité !
Quels modes de transport faut-il subventionner ? Quels services de mobilité doit-on pénaliser ou au contraire encourager ? Il est possible de répondre à ces questions en comparant pour chaque mode ou chaque service les coûts et les bénéfices sociaux de chacun, car cet exercice a été conduit récemment par la Commission des comptes transports de la nation5. En se concentrant sur le cas de la route émergent des résultats inattendus. Commençons par en présenter les grandes lignes avant de les détailler.
Les principaux enseignements des comptes transport de la nation sur l’« économie de la route »
Rappelons d’abord que les coûts de la route sont constitués des coûts privés pour les usagers (carburant, assurances, taxes, amortissement des véhicules, péages…) et des coûts externes (pollution, bruit, insécurité, dégradation du réseau routier, congestion…). Les premiers sont directs et monétaires, les seconds sont indirects et une évaluation est nécessaire pour leur donner une existence concrète et une valeur monétaire. Ce que fait le calcul économique. Le coût social est la somme de ces deux catégories selon la définition habituelle : coût social = coûts privés + coûts externes. Les transports routiers, notamment les automobiles et les camions, produisent de nombreux coûts externes, à la différence du transport ferroviaire, plus sûr et plus respectueux de l’environnement. L’opinion courante est que ces coûts ne sont pas internalisés et qu’il suffirait d’internaliser les coûts externes de la route pour changer le partage modal au profit du ferroviaire6. Or les comptes transport de la nation ne confirment que partiellement cette idée reçue. En agrégeant l’ensemble des recettes monétaires provenant des utilisateurs de la route, et en les comparant aux coûts externes, on obtient un bilan globalement équilibré. Les recettes sont même légèrement supérieures aux coûts !
Ces chiffres ne sont pas là pour arrêter le débat entre défenseurs et contempteurs de la route, ils permettent au contraire de le faire avancer en rappelant quelques évidences :
– la route, à la différence du ferroviaire7, est une machine à produire des recettes pour la collectivité.
Tableau 1 : Coûts et recettes de la route en France en 2009 (en milliards d’euros)
On peut considérer qu’environ 40% des recettes des sociétés d’autoroute reviennent dans les caisses pu- bliques(redevance domaniale, taxe pour les TET, impôts sur les bénéfices, TVA…). Ce qui explique pourquoi l’État a laissé lessociétés d’autoroutes augmenter leurs tarifs, et donc leurs bénéfices, alors même que les trafics stagnaient ou Voir Yves Crozet, « Haro sur les sociétés d’autoroutes ? », Revue Transports, n° 487, septembre-octobre 2014, p. 18-22.
Les péages autoroutiers des poids lourds s’élèvent en France à 2,3 milliards d’euros par an (CCTN, cit., tableau 35, p.43). En rapportant les montants à la tonne-kilomètre (t.km), on trouve que sur les autoroutes concédées (CCTN, op. cit.,tableau 14, p. 23), le transport de marchandises paye au total 3,50 centimes d’euro par t.km) alors que les coûts externes (hors coût de congestion) s’élèvent à 1,71 centime d’euro/t.km. Les marchandises sont donc surtaxées sur l’autoroute sielles ont payé en France la TICPE.
- On peut bien sûr discuter les chiffres présentés dans la colonne de droite du tableau 1. Les défenseurs de la route diront qu’il manque la TVA prélevée sur les carburants (plus de 4 milliards d’euros par an), mais aussi la TVA payée sur les achats de véhicules, les réparations, etc.
Les opposants souligneront que les recettes des péages autoroutiers ne sont pas destinées aux budgets publics, mais en grande partie aux sociétés d’autoroutes privées9. Ils diront aussi que la TVA est un impôt universel dont le paiement ne constitue pas une recette d’un mode de transport donné. De la même façon, on peut discuter la liste des coûts. Les coûts d’infrastructure sont ici des coûts marginaux, très inférieurs aux coûts annuels totaux des infrastructures routières, qui dépassent en France les 20 milliards d’euros. On notera aussi que les coûts de congestion ne sont pas inclus dans ce tableau du fait que, si ces coûts existent bel et bien, ils sont très largement internalisés par ceux qui les supportent, c’est-à-dire les utilisateurs de la route.
Ce bilan global, plus ou moins équilibré, cache de fortes disparités selon les types de véhicule et les lieux de circulation. Concrètement, une automobile ou un camion qui circule sur une autoroute concédée paie le péage, la TICPE et quelques autres taxes qui font le plus souvent plus que couvrir les coûts externes puisque le péage permet aussi de couvrir le coût total de l’infrastructure10. En revanche, une voiture ou un camion qui circule en zone urbaine en heure de pointe est très loin de couvrir ses coûts externes, même si l’on ne tient pas compte du coût de congestion. On ne peut donc se contenter de dire qu’il n’y a qu’à accroître les taxes routières pour régler le problème de la couverture des coûts externes et du financement de la route. Il faut au contraire regarder de près dans quels cas la route couvre ou non ses coûts externes. Ce qui demande une approche plus détaillée.
Les données détaillées des coûts et recettes de la route pour la collectivité. Pour ne pas alourdir le propos, nous allons nous concentrer sur ce que paient les PL et pourquoi il faut aller au-delà du bilan global.
Tableau 2 : Coûts externes et recettes du transport routier de marchandises (TRM) sur l’ensemble du réseau (en centimes d’euro par tonne-kilomètre).
Pour les VUL, les données sont respectivement les suivantes : rase campagne, 4,18 et 4,19 centimes par véhicule-kilomètre ; urbain diffus, 4,69 et 4,19 ; urbain dense 7,77 et 4,19.
À 0,10 centime près la tonne-kilomètre, ce qui est dans l’épaisseur du trait des calculs, nous sommes donc proches de l’équilibre. Mais cela cache des déséquilibres locaux selon les lieux et les types de trafic :
- pour le TRM, en rase campagne, les coûts externes au sens restreint (environnement et insécurité) s’élèvent pour les poids lourds à 1,35 centime d’euro/t.km (environnement, 1,12 ; insécurité, 0,23). Pour cette même catégorie, les recettes de TICPE se montent à 1,36 centime d’euro/t.km. Nous sommes donc à l’équilibre. Pour ce type de circulation, les poids lourds couvrent les coûts environnementaux et d’insécurité s’ils paient la TICPE en France ;
- pour l’urbain diffus, ce sont respectivement 1,47 et 1,36 centimes d’euro/t.km. Là encore, on estproche de la couverture des coûts. Il n’y a qu’en urbain dense que les écarts se creusent,respectivement 3,66 et 1,36 centimes d’euro/t.km. Là, les poids lourds sont loin de couvrir leurs coûts, mais comme le trafic poids lourds se fait essentiellement en rase campagne, 80% de ce trafic se fait en France dans un cadre où la TICPE couvre les coûts environnementaux. Qui l’eût cru ?12 ;
- il reste à couvrir les coûts marginaux d’infrastructure qui atteignent, en moyenne pour les poids lourds sur l’ensemble du réseau, 0,59 centime d’euro/t.km. Au total, ils s’élèvent pour le TRM,selon la Commission des comptes transports de la nation (CCTN) 13, à 1,25 milliard d’euros pour l’ensemble des voiries non concédées (320 millions pour le réseau national, 826 pour le réseaudépartemental et 107 pour le réseau communal). Si l’on considère qu’une partie de ce coût est couverte par la taxe à l’essieu et d’autres taxes comme les certificats d’immatriculation, on se rend compte que l’écotaxe poids lourds, dont le produit net était attendu à 800 millions d’euros, correspondait peu ou prou aux coûts marginaux d’infrastructure non couverts par les autres recettes.
En résumé, le système de tarification de la route pour le transport de marchandises en rase campagne et en urbain diffus serait, avec une redevance poids lourds plus étendue, proche d’une situation optimale internalisant effectivement les coûts externes. C’est la raison pour laquelle il ne fallait pas abandonner ce projet, dont on rappellera qu’il avait fait une quasi-unanimité au Parlement. C’est dans cette perspective que doivent être envisagées les évolutions.
Figure 1 : Subventions des Régions aux TER en France (en indice, 2002= 100)
Source :
D’après Christian Desmaris, « La régionalisation ferroviaire en Suisse : la performance sans la compétition. Un exemple pour la France ? », Politique et management public, vol. 31, no 2, avril-juin 2014, p. 169-191
À titre de comparaison, regardons ce qui s’est passé en Suisse durant la même période. La figure 2 révèle que si les contributions publiques totales ont légèrement progressé avant de diminuer un peu, lasubvention par train- kilomètre a décru (– 13% en neuf ans) du fait de la réduction des coûts au train-kilomètre.
Figure 2 : Subventions de la confédération aux CFF en Suisse (en indice, 2002= 100)
Il est donc possible d’améliorer sensiblement la productivité dans le ferroviaire, comme le montre aussi l’exemple allemand. Dans ce pays, la Deutsche Bahn (DB) a dû faire face à l’arrivée de nouveaux concurrents. Même si ceux-ci n’ont pris qu’une modeste part du trafic des trains régionaux (12% en 2012), une notable baisse des coûts unitaires par train-kilomètre a été observée. Deux phasespeuvent être distinguées dans ce mouvement de baisse:
- une phase de gains de parts de marché des concurrents de la DB, laquelle a réagi en améliorant sescoûts d’exploitations, son management et la qualité du service ferroviaire ;
- dans une seconde phase, le marché s’est équilibré dans une logique d’émulation gagnant-gagnant. Pour les collectivités locales et le contribuable, le niveau des subventions a été réduit.
Ainsi, en quinze ans, en Allemagne, les voyageurs-kilomètre des trains régionaux ont augmenté de +55% (à 47 milliards de voyageurs-kilomètre) mais les trains-kilomètre de + 26% seulement (à 630 millions de trains- kilomètre). Une baisse des coûts de 26% a été évaluée sur l’ensemble des contrats au bénéfice des autorités organisatrices. Entre 1996 et 2009, les subventions fédérales ont été réduites de 6% en valeur réelle. Pour 1 euro (en valeur réelle), les Länder offrent + 37% de prestations sur cettepériode ! On peut donc assurer le même service pour un coût beaucoup plus faible pour les finances publiques.
Conclusion
Les révisions déchirantes ont du bon. Elles ouvrent à une approche radicalement nouvelle de la tarification et du financement de la mobilité des personnes et des marchandises. La fin du « toujours plus» doit se concrétiser par une explicitation de la nouvelle donne, laquelle peut se résumer ainsi : les utilisateurs des infrastructures et des services de mobilité doivent à l’avenir contribuer plus largement à leur financement. Pour cela, il est préférable de substituer progressivement des redevances aux taxes. Par ailleurs, les services de transport collectif doivent dégager des gains de productivité qui permettront d’économiser l’argent public. Dans les domaines où les subventions publiques sont importantes, les prix doivent augmenter et les coûts doivent diminuer.
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