L’accès à la citoyenneté politique des femmes : retour sur un combat laborieux (Episode 1)

Entre droit de vote et droit d’être élue

Quelle place pour les femmes dans la vie politique depuis 1945 ?

A l’occasion du 70e anniversaire du droit de vote des femmes, la Fondation pour l’innovation politique vous propose une série d’articles retraçant l’évolution de la place des femmes en politique.

Episode 1 : L’accès à la citoyenneté politique des femmes : retour sur un combat laborieux

Pendant longtemps, les femmes ont été exclues de l’histoire politique. Dans l’inconscient collectif, les femmes avaient pour vocation d’être des mères et des bonnes épouses, ce qui les rendait incompétentes pour l’exercice du droit de vote comme du mandat politique. A cela s’ajoute, l’argument du risque d’un vote féminin sous influence de l’Eglise catholique qui pourrait menacer la République.

Cependant, loin de se soumettre au dogme, les femmes se sont battues pendant près de deux siècles pour défendre leurs droits et libertés, affirmant ainsi leur capacité à prendre part à la chose publique. Retour sur ce combat laborieux…

Le temps de l’impossible citoyenne

Contrairement aux idées reçues, le Moyen-âge était une période où les droits et libertés des femmes étaient plus nombreux que durant les siècles suivants. Elles avaient, par exemple, à l’instar des hommes le droit de voter, notamment pour l’élection des Etats Généraux et de certains conseils communaux. Cependant, celui-ci fut supprimé en 1498 par un décret du Parlement[1].

Dès lors, commence une longue période de vide juridique pour la reconnaissance des femmes. Le discours de l’abbé Sieyès[2] du 20-21 juillet 1789[3] vient entériner clairement cette infériorité des femmes par rapport aux hommes. Séparant les citoyens entre « actifs » et « passifs », il classe les femmes dans cette seconde catégorie, aux côtés des enfants, des étrangers et des personnes ne pouvant s’acquitter d’un cens[4] électoral. Elles font donc partie de ceux qui « ne doivent point influer activement sur la chose publique ».Olympe de Gouges

Malgré leurs défenseurs, les femmes sont officiellement exclues du droit de vote par l’Assemblée nationale le 22 décembre 1789, ce qui est confirmé par la Constitution de 1791 puis par un vote de la Convention nationale le 24 juillet 1793. Pourtant, Condorcet[5] avait clairement réfuté l’argument arguant de l’incapacité des femmes liées à leur nature, tout comme Olympe de  Gouges (portrait ci-contre) [6] avait pris la défense de ses congénères avec la rédaction de son ouvrage La Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne, rédigée en 1791[7].

Le 2 mars 1848, le suffrage universel est proclamé en France par la IIème République, mais le corps électoral est toujours restreint, excluant les femmes, les militaires, le clergé et les Algériens. Cependant, une petite délégation de femmes, appartenant à la mouvance Saint Simonienne, se présente, en réaction, devant le maire de Paris pour demander l’accès à la citoyenneté.

En se fondant sur les principes de justice et d’égalité, elles mettent en avant les compétences et les intérêts particuliers des femmes, mais soulèvent aussi la question de la représentativité d’une assemblée composée uniquement d’hommes pour traiter les questions de la société toute entière. A ce titre, elles critiquent sévèrement le Code civil de 1804 qui fait de la femme mariée une mineure au plan juridique.

La même année, en 1848, le journal La Voix des Femmes[8], créé par Eugénie Niboyet[9], soutient la candidature de George Sand[10] aux élections législatives. L’objectif est de faire prendre conscience du machisme qui règne dans le domaine politique. Si Georges Sand se désolidarise de l’initiative, Jeanne Deroin[11] annonce, quant à elle, sa candidature.

Finalement, si ces demandes ne sont pas entendues, et vont même jusqu’à inspirer la moquerie et le sarcasme, l’idée du « droit des femmes » commence, pour sa part, à cheminer dans les mentalités…

L’action féministe pour la défense des droits

Dans les années 1880, l’idée féministe se focalise sur la défense de l’émancipation civile des femmes. En 1876, Hubertine Auclert[12] fonde le premier groupe suffragiste français sous forme de la société Le Droit des femmes[13]. Multipliant les interventions publiques et les tribunes dans les journaux, elle lance aussi en 1881 le journal La Citoyenne[14]. Rapidement, Hubertine Auclert devient une figure publique pionnière dans la défense de l’égalité politique entre hommes et femmes.Louise_Weiss

Des candidatures de femmes lors des élections municipales commencent à apparaître dans l’illégalité : Léonie Rouzade en 1881, ou encore Louise Barberousse à Paris en 1885. Dès lors, un suffragisme plus affirmé commence à émerger, et les initiatives se multiplient : en 1904, lors de son centenaire, des féministes brûlent des exemplaires du Code civil devant les mairies ; en 1908, Hubertine Auclert renverse une urne par provocation ; la même année, Madeleine Pelletier brise les vitres d’un bureau de vote.

Au début du XXème siècle, le vote des femmes est devenu l’objet d’une affirmation personnelle et collective d’un « Nous les Femmes ». Il est présent comme un instrument de progrès social, dont la vision s’étend à une plus grande partie de la société française.

De nombreuses associations et courants s’activent pour le suffrage des femmes : le Conseil national de femmes françaises, le féminisme catholique, l’Union française pour le suffrage des femmes (1905), la Ligue française pour le droit des femmes (1882)… En 1906, est déposée devant la Chambre des députés une proposition de loi de Paul Dussaussoy[15] qui suggère de donner aux femmes le droit de vote pour les élections locales (municipales et départementales). Malgré un avis favorable de la commission, la proposition tombe dans l’oubli. Néanmoins, au printemps 1914 le quotidien Le Journal lance un « plébiscite féminin » auprès des femmes pour mesurer leur désir de voter : la très grande majorité des réponses sont favorables. Mais le déclenchement de la Première Guerre mondiale brise la dynamique et impose d’autres urgences.

Dans l’entre-deux guerres, plusieurs propositions de loi en faveur du vote des femla femme nouvellemes seront votées par la Chambre des députés, avant que le Sénat ne les rejette : par exemple, en juillet 1936 l’Assemblée se prononce à l’unanimité pour le suffrage des femmes, mais le texte n’est jamais inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Il s’agit là du véritable point de blocage institutionnel à l’adoption de la mesure, du fait d’un conservatisme plus marqué.

La situation se bloque et les esprits se crispent, malgré l’évolution des mentalités aucune solution ne semble envisageable. La journaliste Louise Weiss[16] entre alors dans la lutte en 1934 et forge une propagande féministe. Elle multiplie les actions médiatiques, comme retarder le départ d’un grand prix en se promenant sur la piste accompagnée d’autres suffragettes. Face à l’échec de 1936 et la « contrepartie » de Léon Blum qui nomme trois femmes sous-secrétaires d’Etat (Cécile Brunschvicg, Irène Joliot-Curie et Suzanne Lacore[17]), elle dira : « Trois hirondelles ne font pas le printemps ».

Quoi qu’il en soit, la situation reste paradoxale, car même si les femmes sont entrées au gouvernement, elles n’en sont pas plus des citoyennes…

La conquête du droit de vote

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, une vague d’accès à la citoyenneté politique pour les femmes a lieu en Europe et en Amérique du Nord : Grande-Bretagne, Russie et Canada en 1918, Etats-Unis en 1919, Autriche en 1920…. L’expression du « vote récompense »  devient la justification de cette évolution pour remercier les femmes qui ont participé à la défense de la patrie.

En France, il faudra attendre le 21 avril 1944 pour que le général De Gaulle signe une ordonnance prise suite aux débats menés par l’Assemblée consultative d’Alger, et qui accorde le droit de vote aux femmes de 21 ans révolus. Le texte dit tout simplement : « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes »[18]. Comme suite à la guerre de 1914-1918, le discours officiel est celui d’une récompense pour les femmes ayant participé à la Résistance. Dès lors, le vote des femmes apparaît comme une modernisation politique nécessaire pour reconstruire la démocratie. Un calcul peut-être, mais avant tout une avancée sociétale.

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Carte d’une électrice française de 1945

 Le 29 avril 1945, les électrices s’expriment pour la première fois lors des élections municipales. Odette Roux, qui livre un témoignage poignant dans notre série « Les premières électrices », sera la première femme élue maire dans la ville des Sables-d’Olonne (85).

Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 inscrit cette évolution fondamentale comme pierre angulaire du régime politique français : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes »[19].

Marine Caron


[1] Régine PERNOULD, La Femme au temps des cathédrales, First Thust, 1982.

[2] Abbé Sieyès (1748-1836) est un homme d’Eglise, homme politique et essayiste français.

[3] http://bcl.unice.fr/politext/database/Revolution/All/All.html#_Toc147243453

[4] Le cens est seuil d’imposition qui conditionne le droit de vote et l’éligibilité des citoyens. On parle alors de suffrage censitaire.

[5] Nicolas de Condorcet (1743-1794) est un philosophe, mathématicien, et homme politique français.

[6] Olympe de Gouges (1748-1793) est une femme de lettres française, devenue femme politique et féministe. Elle est considérée comme une des pionnières du féminisme. Elle est morte guillotinée à Paris du fait de son action pour la libération des femmes.

[7] La déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne a été rédigée par Olympe de Gouges. Parue dans la brochure Les Droits de la Femme en 1791, elle avait deux objectifs : être adressée à la reine et être présentée à l’Assemblée nationale pour adoption.

[8] La Voix des femmes, sous-titré « Journal socialiste et politique, organe d’intérêts pour toutes les femmes », est le premier quotidien français féministe. Il a été fondé en mars 1848 par Eugénie Niboyet, et dirigé par elle-même jusqu’à la fin de la publication le 20 juin 1848.

[9] Eugénie Niboyet (1796-1883) est une écrivaine et journaliste française. Militante pour le droit des femmes, elle est une figure du féminisme.

[10] George Sand (1804-1876) est le pseudonyme d’Amantine Aurore Lucile Dupin, baronne Dudevant, romancière, auteur dramatique, critique littéraire et journaliste française. Elle évolue vers un engagement politique et s’affiche clairement comme socialiste. Cependant, elle désavoue l’initiative d’Eugénie Niboyet qui soutient sa candidature à l’Assemblée constituante.

[11] Jeanne Deroin (1805-1894) est une féministe et socialiste française. En 1848, elle devient l’un des porte-voix de la revendication féministe. Elle fonde, avec Désirée Gay (1810-1891), le journal La Politique des Femmes qui sera renommé L’Opinion des Femmes. En 1849, elle s’illustre par son action d’éclat en se présentant aux élections législatives du 13 mai.

[12] Hubertine Auclert (1848-1914) est une militante féministe française en faveur du droit de vote des femmes. Elle est une des premières militantes françaises à se déclarer féministe.

[13] Le droit des femmes est fondé en 1876 par Hubertine Auclert. Cette société défend le droit de vote des femmes, et deviendra en 1883 Le suffrage des femmes.

[14] La Citoyenne est un journal féministe fondé le 13 février 1881 par Hubertine Auclert, il plaide pour la libération féminine et reçoit de nombreux soutiens.

[15] http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/femmes/documents/proposition-loi.pdf

[16] Louise Weiss (1893-1983) est une journaliste, écrivaine, féministe et femme politique française. Militante féminisme, elle se présente aux élections législatives de 1936 dans le 5ème arrondissement de Paris. Elle fonde l’association « La Femme Nouvelle », et mène de nombreuses actions coup de poing pour attirer l’attention de la presse.

[17] Les élections législatives de 1936 voient la victoire du Front Populaire. Léon Blum  devient président du Conseil et nomme Cécile Brunschvicg et Irène Joliot-Curie sous-secrétaires d’Etat à l’Education nationale, et Suzanne Lacore sous-secrétaire d’Etat à la Santé Publique, chargée de la Protection de l’Enfance.

[18] http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/femmes/citoyennete_politique_de-Gaulle.asp

[19]http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946.5077.html

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